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12 août 2017 6 12 /08 /août /2017 10:03

Résumé établi par Bernard Martial (professeur de lettres en CPGE)

2e partie

Références entre (parenthèses) : édition Champs essais, entre [crochets] : édition GF n°1582

 

1.– L’AVENTURE MORTELLE

A. L’aventure dirigée vers la mort [127-151]

1.Dans l’aventure mortelle, le sérieux prévaut, elle peut virer en tragédie [127-129]

Dans le premier style d’aventure, l’homme est plus dedans que dehors ; le sérieux l’emporte sur le jeu, l’immanence sur la transcendance et l’aventure se transforme facilement en tragédie quand l’élément ludique s’estompe. Alors l’aventure tend à se confondre avec la vie saturée par les vicissitudes relatives à l’aventure. L’engagement y prend le pas sur le désengagement.

2.Je ne suis maître du commencement mais pas de la fin de l’aventure [129-141]

Cette ambiguïté peut être formulée en termes temporels. Selon la chronologie, l’aventure est vécue comme une continuation pour celui qui la vit et en connaît tous les soucis. L’aventure dépend de moi dans son commencement (19) mais pas dans sa continuation et sa terminaison. Je me suis mis dedans librement. L’homme, par exemple, est obligé de payer ses impôts, de faire son service militaire, d’exercer son métier car ces choses-là sont sérieuses mais personne ne l’oblige à escalader l’Everest. Le commencement de l’aventure est une décision libre et constitue donc un acte esthétique. L’homme dégagé qui a tout quitté pour s’engager sur les pentes de l’Everest peut se retrouver dans une situation où sa vie est en jeu. L’aventure bascule alors dans la tragédie. Ainsi, si l’aventure commence parfois par force et se continue comme un jeu, le plus souvent c’est l’inverse : on ne sait comment et où peut se finir le jeu initial. Initiée dans la frivolité (20), elle continue dans la gravité et se conclut dans le drame ; son déclenchement est librement choisi mais sa suite et sa fin se perdent dans les brumes menaçantes et l’incertitude stressante du futur. Le retour est impossible : là commence la tragédie. Par rapport à l’entreprise saugrenue et baroque qu’est l’aventure, l’homme est dans la situation de l’apprenti-sorcier. Mais il n’est qu’un demi-sorcier, un demi-magicien ou un demi-dieu qui connaît le mot qui déclenche les forces magiques mais qui ignore celui qui les arrête. Et sa liberté n’est qu’une demi- liberté et sa puissance une moitié de puissance. Seul le maître sorcier ou Dieu connaissent les deux mots du début et de la fin. Nous décidons du départ mais pas de l’arrivée. Par rapport à l’irréversibilité du temps, nos pouvoirs sont tronqués et c’est cette dissymétrie qui explique la prépondérance du sérieux (21) et nous inspire des sentiments ambivalents.

3.Le risque de mort lié à l’aventure [141-151]

Nous n’avons pas encore prononcé le mot qui indique l’objet et explique le sort tragique ce cette aventure où le sérieux l’emporte sur le jeu : le mot mort. Ce mot innommé et même inavouable donne à l’aventure son apparence immotivée. L’être pensant-mortel est avant tout au-dedans de la mort. Car c’est elle qui est le sérieux, le tragique et l’enjeu implicite en toute aventure. Une aventure même pour rire n’est aventureuse que dans la mesure où elle renferme une dose de mort même infime, c’est ce qui lui donne son sel. Le danger n’est réel que s’il comporte un risque de mort même minime (22). C’est cette préoccupation qui rend périlleux le péril et passionnante l’aventure. Le danger, la maladie n’existent qu’en fonction de l’éventualité d’une issue mortelle. Une aventure qui ne contiendrait pas ce risque ne serait qu’une aventure de matamore. La raison en est la finitude de l’homme. Ainsi les anges condamnés à l’immortalité ne peuvent-ils courir des aventures : pour les vivre, il faut être mortel et facilement vulnérable (23). Cette façon d’échapper à la mort tient du miracle ; la vie est ainsi l’ensemble des chances qui nous soustraient journellement à la mort. Et la fragilité et la précarité de notre existence sont ce qui fonde la possibilité de l’aventure.

 B. La mort et la vie [151-173]

1.La mort est au bout de l’aventure qui nous porte aux extrêmes [151-159]

La mort est l’expérience ultime et la limite absolue de tout ; on peut mourir de douleur (24) mais aussi de joie. C’est pourquoi l’homme en quête d’aventures pousse des pointes périlleuses dans la direction des extrémités, ce qui témoigne d’une tentation extrémiste et puriste. L’aventureux aspire à dépasser les zones moyennes vantées à tort par Aristote où l’homme vit bourgeoisement pour aller vers les limites.

2.La mort, certaine quant au fait, incertaine quant aux circonstances [159-169]

La mésaventure de mort est donc l’aventureux en toute aventure (25). L’indétermination de la mort (nous savons que nous allons mourir mais nous ne connaissons pas la date) nous ramène donc à l’aventureuse ambiguïté dont nous sommes partis. Si nous savions la date de notre mort, nous ne pourrions d’ailleurs pas supporter la vie. Ce « cadeau de Zeus », selon Platon, permet au centenaire de faire des projets d’avenir et à la médecine d’espérer repousser les échéances vitales. L’effectivité est certaine (26) mais nous ne savons pas quand, où, comment, pour quelles raisons et dans quelles circonstances nous allons partir. Cette dissymétrie, symptôme de mystère, Pascal l’associait à Dieu et Jean Chrysotome aux rapports entre l’âme et le corps. Nous avons également l’intuition d’un nombre infini mais nous ne savons pas s’il est pair ou impair.

3.La vie comme l’aventure est entr’ouverte [169-173]

Notre naissance toute notre vie appartiendra au passé mais la mort reste toujours à venir (27). Si la vie est fermée du côté du commencement, elle reste encore entr’ouverte du côté du futur. En cela elle est encore une aventure. Dans cette aventure que nous n’avons pas choisie et qui s’appelle la vie, le dénouement est connu d’avance et la dose d’aventure et de jeu y est fort limitée. Comme la date de la mort n’est pas connue, il reste un espoir. L’objet de notre curiosité et de notre horreur était donc la mort, ce précieux épice de l’aventure. La tension est forte entre cette horreur du néant et l’attirance paradoxal de ce suprême naufrage (28).

 

2.– L’AVENTURE ESTHÉTIQUE

A. L’aventure vue du dehors [173-205]

1.Dans l’aventure esthétique, le jeu prévaut et son centre est la beauté [173-175]

Dans ce deuxième type d’aventure, c’est le jeu et non le sérieux qui prévaut, l’homme est plus dehors que dedans, suffisamment engagé pour ne pas être simple spectateur mais pas non plus englobé comme dans un destin. Cette aventure qui est de type esthétique n’a pas pour centre la mort mais la beauté qui est l’objet de l’Art. Il ne s’agit plus d’une aventure vécue dans son commencement ou sa continuation par celui qui est surtout dedans mais d’une aventure contemplée après coup quand elle est terminée.

2.Aventure propre et aventure des autres. Le point de vue esthétique suppose une extériorité par rapport à l’aventure [175-187]

Il faut distinguer deux cas :

1. L’aventure propre de chacun pour soi-même (à la 1ère personne)

2. Les aventures des autres (29) (aux 2e et 3e personnes)

1. L’aventure propre où le sujet et l’objet se confondent. Pour que cette aventure soit de nature esthétique, il faut que j’en sois sorti (récit à Paris de mon retour d’Himalaya) ; ainsi l’aventure se transforme en œuvre d’art. L’aventure est au passé ou au futur antérieur quand les alpinistes ou les cosmonautes cherchent à se donner du courage en anticipant leur glorieux retour. Comme la vie vécue spontanément acquiert a posteriori son sens et sa finalité dans la biographie posthume (30), l’aventure, qui, sur le moment et dans l’esprit de l’aventureux, pourrait finir tragiquement, acquiert après coup un sens esthétique. La fin (comme dans les sonates ou les contes) éclaire rétroactivement l’œuvre d’art.

2. Les aventures des autres (ou les miennes quand je suis devenu un autre pour moi-même) ont toutes ce caractère esthétique. Ces aventures sont des œuvres d’art avec lesquelles je sympathise mais dont je suis dégagé puisque ce n’est pas moi qui les vis. Elles entrent dans la catégorie du Romanesque. Ces aventures externes se referment sur elles-mêmes et l’homme les regardent comme un livre d’images (31) tantôt effrayé, tantôt ébloui et son cœur bat plus vite en lisant les récits des mille et une nuits, Homère, Hérodote ou Jules Verne.

3.Opposition entre le périple antique et l’aventure moderne [187-205]

L’aventure s’embourgeoise en devenant un genre littéraire où le tragique cesse dans la tragédie et où le désespoir confine au disperato théâtral. Tous les degrés de l’aventure sont ici représentés depuis les plus bourgeoises jusqu’à celles où l’engagement de l’homme est le plus intense. Distinguons ici deux pôles :

1. Ulysse et le périple antique clos. Pour le héros de l’Odyssée, les tentations sont statiques plus que cinétiques. Il veut (32) s’arrêter en chemin, rentrer à la maison. Les aventures, il ne les a pas cherchées. Ce faux voyageur est aventurier par force, casanier par vocation et ses pérégrinations sont des aventures un peu bourgeoises. Retardé dans son retour par des séductrices qui sont des obstacles négatifs, Ulysse est pourtant un homme sage qui va au plus court pour rentrer chez lui. La nostalgie liée au retour d’exil (« nostos ») est le contraire de la curiosité aventureuse. Les aventures d’Ulysse mesurent simplement le décalage entre le réel et l’idéal (comme dans les croisades). L’aventure moderne s’oppose ici au périple antique comme l’ouvert au fermé : car l’aventure n’existe pas sans l’ouverture. Pour le héros moderne, comme l’Ulysse de Dante (33) ou les grands voyageurs de la Renaissance, le voyage n’est pas circulaire mais ouvert sur l’inconnu. L’aventure moderne, c’est le départ sans le retour (Fauré, Jean de La Ville de Mirmont).

2. Sadko et l’aventure moderne ouverte. Sadko est un pauvre trouvère russe, dans la légende lyrique de Rimski-Korsakov, qui va chercher des trésors pour s’enrichir et dorer le bulbe des églises de Novgorod,sa ville natale. A côté de ce voyage d’affaires assez bourgeois, il y a en Sadko un héros des temps modernes qui part à la recherche d’une ville merveilleuse et mystique (34) confondue avec Venise, Jérusalem, Kitiège ou Sion (comme Bouïane, l’île exotique de Tsar Saltan). La randonnée mystique de Sadko n’est pas un circuit fermé. Il s’embarque pour une expédition plus fantastique que celle des Argonautes, sans espoir de retour (malgré Lioubava) ni nostalgie de l’exil. Ces vaisseaux d’aventure qui appareillent au crépuscule comme dans un tableau du lorrain obéissent à l’appel de l’horizon.

B. L’aventure comme œuvre d’art [205-223]

1.L’aventure est péninsulaire et n’est œuvre d’art qu’à moitié [205-223]

Simmel oppose perception pratique utilitaire sérieuse et perception artistique :

1. La perception pratique continentale : elle concerne toute la vie, fait corps avec la praxis, se trouve dans le travail en continuité avec le monde des forces physiques et tient à la totalité du vécu. Ainsi les halles, les gares, les hôpitaux, les écoles se définissent-ils par leur utilité. On peut qualifier cette perception de « continentale ».

2. La perception artistique insulaire : par opposition, est dite « insulaire » (comme le musée qui ne sert à rien, le tableau dans son cadre ou la statue sur son socle. A cette insularité dans l’espace, correspond l’intermittence des fêtes ou la suspension poétique de la prose.

Dans cet ordre d’idée, l’aventure peut être qualifiée de « péninsulaire » dans le sens amphibolique de Presque :

1. Elle est « insulaire » par son commencement et parce qu’elle ressemble à une œuvre d’art. L’esthète et le dilettante voient dans l’aventure une œuvre belle.

2. Elle est « continentale » par sa terminaison puisqu’elle se confond avec l’ensemble de la destinée et parce qu’elle peut mal tourner et se finir en tragédie.

La perception n’a ni début ni fin ; l’œuvre d’art possède et un commencement et une fin ; et l’aventure, dissymétrique en cela, a un commencement, mais pas de fin. La séclusion esthétique de l’aventure est toujours incomplète. À mi-chemin de la perception insulaire et de la perception continentale, il y aurait donc place pour un royaume d’aventure. Aussi l’aventure a-t-elle des points communs avec l’art, sans être l’art lui-même. Elle permet à ceux qui ne sont pas artistes d’avoir une expérience esthétique et éthique gratuite. Mais ce n’est qu’une œuvre d’art à moitié. Quand l’aventure a, comme l’œuvre d’art, un commencement et une fin et quand elle est étalée dans un espace où il n’y a ni avènement ni venue, elle cesse d’être une aventure : elle est un tableau achevé, une fresque déroulée, un film achevé, un poème mémorisé, une cérémonie chronométrée, un rituel célébré. L’aventure qui s’arrondit en œuvre d’art n’est plus une aventure ; mais une œuvre d’art dont l’échéance se perd dans les aléas indéterminés de la futurition devient aventureuse et cesse d’être une œuvre d’art. Romans, films, pièces de théâtre, poèmes sont un peu plus « aventureux » que la fête ou le drame cérémoniel, et beaucoup plus « aventureux » que le tableau ou la statue. C’est l’ouverture dans le temps qui décide de l’aventure. Mais cette ouverture apparaît plutôt comme une clôture quand on envisage le pesant destin avec lequel l’aventure peut faire corps ; et l’insularité de l’œuvre d’art au contraire apparaît plutôt comme une ouverture en tant qu’elle représente la forme posée par notre liberté. Ainsi l’aventure est en quelque sorte une œuvre fluente et mobile et toujours inachevée ; et vice versa on pourrait dire (si l’aventure n’exigeait le mouvement) que l’œuvre d’art est une aventure immobilisée : (38) à la statue, par exemple, est une aventure pétrifiée, une aventure en marbre. Naturellement c’est une façon de parler, car la pétrification nie l’aventure ! Disons plus simplement que l’aventure, beauté temporelle, n’est ni forme plastique, ni chose informe ou difforme, mais plutôt demi-forme, comme l’aventurier lui-même est un demi-artiste. (39)

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commentaires

W
intéressant, bien présenté, les couleurs et repères utiles, notamment pour une lecture visuelle avec les codes couleurs.
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