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19 août 2021 4 19 /08 /août /2021 21:12

Résumé et recueil de citations sur le thème de « l’enfance »

établis par Bernard Martial, professeur de lettres en CPGE

Edition GF n°1428 : (références des pages entre parenthèses)

Edition GF n°1632 : [références des pages entre crochets]

« Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres» Seul sera bien élevé le disciple dont les leçons ne se contrarient pas.

Mais de ces trois éducations (la nature, les choses et les hommes), seule la dernière dépend de nous, et encore ; « car qui est-ce qui peut espérer de diriger entièrement les discours et les actions de tous ceux qui environnent un enfant ? »

« Sitôt donc que l’éducation est un art, il est presque impossible qu’elle réussisse, puisque le concours nécessaire à son succès ne dépend de personne. » Tout au plus peut-on s’efforcer de l’atteindre mais il faut surtout beaucoup de chance. [56]

Le but est celui de la nature et nous devons diriger les deux autres éducations (les choses et les hommes) sur elle. Encore faut-il définir ce que signifie le mot de nature.

La nature, selon certains, c’est l’habitude. Certaines habitudes ne se contractent que par la contrainte comme pour la culture des plantes (47) ou les inclinations des hommes. « L’éducation n’est certainement qu’une habitude. » [57] Mais certaines personnes oublient leur éducation et d’autres la conservent. S’il faut borner le nom de nature aux habitudes conformes à la nature, on peut donc s’épargner ce long débat.

Nous naissons sensibles et nous sommes d’emblée affectés par les objets qui nous environnent puis nous recherchons ceux qui produisent en nous des sensations agréables (et repoussons ceux qui sont déplaisants). Puis nous les jugeons ensuite selon leur convenance et enfin selon les jugements de la raison. Mais contraintes par nos habitudes, ces affinités sensibles ou ces avis éclairés s’altèrent plus ou moins par nos opinions. Avant cette altération, elles sont ce que j’appelle en nous la nature.

« C’est donc à ces dispositions primitives qu’il faudrait tout rapporter ; et cela se pourrait, si nos trois éducations n’étaient que différentes : mais que faire quand elles sont [58] opposées » ; on ne peut combattre à la fois la nature et les institutions sociales : il est difficile de faire à la fois un homme pour soi et un citoyen pour la société.

L’essentiel est d’être bien et bon avec ceux avec qui l’on vit même si l’on est dur avec ceux de l’extérieur comme l’étaient les Spartiates (48). A quoi bon aimer les Tartares, comme ce philosophe, si on n’aime pas ses voisins.

« L’homme naturel est tout pour lui ; il est l’unité numérique, l’entier absolu, qui n’a de rapport qu’à lui-même ou à son semblable. L’homme civil n’est qu’une unité fractionnaire qui tient au dénominateur, et dont la valeur est dans son rapport avec l’entier, qui est le corps social. Les bonnes institutions sociales sont celles [59] qui savent le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner une relative, et transporter le moi dans l’unité commune ; en sorte que chaque particulier ne se croie plus un, mais partie de l’unité, et ne soit plus sensible que dans le tout. »  On peut considérer l’exemple de Caïus et Lucius, Romains à part entière et du Carthaginois Régulus qui ne le fut jamais vraiment.

Ou encore celui du Lacédémonien Pédarète heureux qu’il y eût de meilleurs citoyens que lui pour siéger au conseil des trois cents.

Ou de cette femme de Sparte remerciant les dieux que ses cinq fils soient morts pour la cité.

Celui qui, dans la société, veut conserver la primauté des sentiments de la nature ne sera rien. Toujours flottant entre ses (49) penchants et ses devoirs, il ne sera jamais [60] ni homme, ni citoyen, ni bon pour lui, ni pour les autres.

Pour être quelqu’un il faut pouvoir suivre la même ligne de conduite. Mais j’attends toujours qu’on m’explique comment on peut être à la fois homme et citoyen.

De ces objets nécessairement opposés viennent deux formes d’institutions contraires : l’une publique et commune, l’autre particulière et domestique.

Si l’on veut savoir ce qu’est l’éducation publique : contrairement à ce qu’on pense, ce n’est pas un ouvrage de politique, « c’est le plus beau traité d’éducation qu’on ait jamais fait. »

Platon a atteint l’utopie en respectant la nature humaine au contraire du Spartiate Lycurgue qui a formé le citoyen idéal en le dénaturant.[61]

Là où il n’y a plus de patrie, il n’y a plus de citoyens, mais ce n’est pas mon sujet du jour…

Je n’envisage pas non plus comme institution publique ces risibles établissements d’enseignement qu’on appelle collèges. Je ne compte pas non plus l’éducation du monde (éducation non religieuse de la vie séculière) qui, en visant deux fins (faire des hommes et faire des citoyens), n’en réussit aucune. (50) Tout ceci est vain.

Nous éprouvons ces contradictions en nous-mêmes quand, entraînés par la nature et par les hommes sur des chemins opposés nous essayons d’en suivre [62] une médiane qui ne mène à rien et qui aboutit à l’échec de notre existence.

Que deviendra un homme suivant uniquement l’éducation naturelle ? Si l’on pouvait concilier ces deux objectifs contradictoires, peut-être pourrait-on accéder au bonheur. Il faudrait pour cela observer l’évolution d’un homme formé selon la nature ; ce que l’on pourra faire en lisant ce texte.

« Pour former cet homme rare, qu’avons-nous à faire ? beaucoup, sans doute : c’est d’empêcher que rien ne soit fait. » (Allégorie marine : protéger le bateau contre la tempête).

Dans la société, chacun est élevé pour la place qui lui revient. [63] « L’éducation n’est utile qu’autant que la fortune s’accorde avec la vocation des parents ; en tout autre cas elle est nuisible à l’élève, ne fût-ce que par les préjugés qu’elle lui a donnés. » (Exemple de l’Égypte). Mais dans un monde où les hommes changent, (51) est-ce encore pertinent ?

Dans l’ordre naturelles hommes sont égaux, l’éducation ne se fait pas en fonction du statut social attendu des parents mais pour former des êtres humains et si la fortune le change de place, il sera toujours à la sienne. [64]

« Notre véritable étude est celle de la condition humaine. Celui d’entre nous qui sait le mieux supporter les biens et les maux de cette vie est à mon gré le mieux élevé ; d’où il suit que la véritable éducation consiste moins en préceptes qu’en exercices. Nous commençons à nous instruire en commençant à vivre ; notre éducation commence avec nous ; notre premier précepteur est notre nourrice. Aussi ce mot éducation avait-il chez les anciens un autre sens que nous ne lui donnons plus : il signifiait nourriture. » Comme le dit Varron, « la sage-femme met au monde, la nourrice élève, le pédagogue forme et le maître enseigne ». « Ainsi l’éducation, l’institution, l’instruction, sont trois choses aussi différentes dans leur objet que la gouvernante, le précepteur et le maître. Mais ces distinctions sont mal entendues ; et, pour être bien conduit, l’enfant ne doit suivre qu’un seul guide. »

Il faut généraliser nos vues et considérer l’homme en général comme exposé à tous les accidents de la vie humaine. Si rien ne changeait jamais, la pratique serait bonne, (52) « l’enfant élevé pour son état n’en sortant jamais ne pourrait être exposé aux inconvénients d’un autre. » Mais vu le caractère changeant des choses humaines [65] et de notre époque, on ne peut concevoir d’élever un enfant comme s’il n’avait jamais à sortir de sa chambre car si ça lui arrive il sera perdu.

« On ne songe qu’à conserver son enfant ; ce n’est pas assez ; on doit lui apprendre à se conserver étant homme », à supporter tous les aléas de l’existence. Il s’agit moins de l’empêcher de mourir que de lui apprendre à vivre. Certains sont morts dès leur naissance.

Toute sa vie, l’homme est asservi par les institutions.[66]

Il faudrait, soi-disant, que les philosophes refassent à l’intérieur les têtes mal faites comme les sages-femmes pétrissent à la naissance celles des enfants nouveau-nés.  (53) Les habitants des Caraïbes sont plus heureux que nous. Dès sa naissance, on engonce l’enfant dans ses langes qui contraignent sa liberté de mouvement, comme le décrit Buffon. [67]

L’enfant nouveau-né a besoin de se dégourdir, mais on assujettit ses membres et sa tête comme si on avait peur qu’il vive.

Les efforts que fait l’enfant contre ces contraintes épuisent ses forces et retardent leurs progrès. Il était finalement moins comprimé dans le ventre de sa mère.

Cette immobilité où l’on retient les membres d’un enfant gênent sa croissance et altèrent sa constitution. Ainsi, dans les pays où l’on n’a point ces précautions extravagantes, les hommes sont grands et bien proportionnés ; ils sont bossus et contrefaits dans ceux où on les emmaillote. Il semblerait (54) qu’on les déforme [68] pour les garder en forme.

Comment cette contrainte n’influerait-elle pas sur leur humeur et leur tempérament ? Leur premier sentiment est la douleur et la peine. Ne trouvant que des obstacles, ils sont malheureux, ils crient et pleurent. Les premiers dons qu’ils reçoivent sont des chaînes, les premiers traitements des tourments. Ne crieriez-vous pas plus forts qu’eux si vous étiez ainsi garrotés ?

Cet usage déraisonnable vient de ce que les mères, ne voulant plus nourrir leurs enfants, les ont confiés à des nourrices mercenaires qui ont voulu se faciliter la tâche avec des enfants étrangers. Plutôt que de veiller sans cesse sur un enfant en liberté, on préfère les laisser liés dans un coin. Qu’importent les conséquences pour les nourrissons, les nourrices est tranquille. [69]

Ces douces mères qui, débarrassées de leurs enfants, se livrent gaiement aux amusements de la ville, savent-elles quel traitement subit l’enfant emmailloté au village ? Au moindre tracas, les nourrices les suspendent à un clou comme un paquet de hardes et continuent de vaquer à leurs occupations. Tous ceux qu’on a trouvés dans cette position étaient quasiment cyanosés (55) et hypoxiques. Combien de temps un enfant peut-il rester ainsi sans décéder ? Voilà une des grandes commodités du maillot.

« On prétend que les enfants en liberté pourraient prendre de mauvaises situations, et se donner des mouvements capables de nuire à la bonne conformation de leurs membres. » Rien n’a jamais prouvé ce précepte spécieux. Chez les peuples plus sensés laissant la liberté aux enfants, on ne voit pas qu’ils soient plus en danger car la douleur prévient toujours du risque.

Imagine-t-on d’emmailloter un chat ou un chien [70] et de laisser une tortue sur le dos ?

Non contentes d’avoir cessé d’allaiter leurs enfants, les femmes cessent d’en faire ; la conséquence est naturelle. Dès que l’état de mère est onéreux, on trouve le moyen de s’en délivrer pour d’autres activités futiles. Cela a pour conséquence une baisse drastique de la natalité qui pourrait ramener l’Europe à l’état sauvage.

On se presse de dissuader par tous les moyens les jeunes femmes qui veulent nourrir leurs enfants. On (56) culpabilise le mari qui pourrait y consentir ; il choisit la paix à l’amour paternel, bienheureux si sa femme ne se détourne pas vers un autre.

On discute, à cette occasion, de savoir s’il vaut mieux qu’un enfant soit nourri par le lait de sa mère ou par celui d’une nourrice ; je pense, personnellement que le bon lait de la seconde vaut mieux que le mauvais de la première. [71]

Mais la question n’est pas tant physique que morale : l’affection d’une mère pour son enfant est irremplaçable.

Une autre raison devrait dissuader une mère de voir une autre femme le nourrir : que l’enfant s’attache plus à sa mère adoptive qu’à elle ; l’attachement d’un fils est proportionnel aux soins d’une mère.

On croit remédier à cet inconvénient en traitant leurs nourrices avec mépris, en véritables servantes que l’on renvoie dès la fin de leur service (58) et que l’on dissuade de revoir le nourrisson. Au bout de quelques années, l’enfant, en effet, [72] les oublie et la mère croit reprendre sa place à bon compte. Mais elle ne fait qu’apprendre l’ingratitude à ce nourrisson dénaturé.

J’insisterais encore sur ce point si ce n’était pas vain pour de nombreuses raisons. Mais si l’on veut rendre à chacun ses premiers devoirs, il faut commencer par les mères. On sera étonné des changements que cela provoquera. Car tout vient de cette dépravation originale : l’altération de l’ordre moral, l’extinction du naturel dans les cœurs, la distanciation des liens familiaux ; « on respecte moins la mère dont on ne voit pas les enfants » ; chacun devient égoïste et va chercher son plaisir en dehors du foyer.

« Mais que les mères daignent nourrir leurs enfants, les mœurs vont se réformer d’elles-mêmes, les sentiments [73] de la nature se réveiller dans tous les cœurs ; l’État va se repeupler : ce premier point, ce point seul va tout réunir. L’attrait de la vie domestique est le meilleur contre-poison des mauvaises mœurs. Le tracas des enfants, qu’on croit importun, devient agréable ; il rend le père et la mère plus nécessaires, plus chers l’un à l’autre ; il resserre entre eux le lien conjugal. Quand la famille est vivante et animée, les soins domestiques font la plus chère occupation de la femme et le plus doux amusement du mari. Ainsi de ce seul abus corrigé résulterait bientôt une réforme générale, bientôt la nature aurait repris tous ses droits. Qu’une fois les femmes redeviennent mères, bientôt les hommes redeviendront pères et maris. » (58)

Mais cet espoir est vain : les femmes qui ont renoncé à être mères ne voudront pas et ne pourront pas le redevenir tant les forces qui s’opposent à ce projet sont fortes.

Il se trouve pourtant quelquefois encore de jeunes personnes d’un bon naturel qui ose défier la mode et les cris de leurs semblables pour assumer avec une vertueuse intrépidité ce devoir si doux que la nature leur impose. Puissent ces exemples se multiplier. « Fondé sur des conséquences que donne le plus simple raisonnement, et sur des observations que je n’ai jamais [74] vues démenties, j’ose promettre à ces dignes mères un attachement solide et constant de la part de leurs maris, une tendresse vraiment filiale de la part de leurs enfants, l’estime et le respect du public, d’heureuses couches sans accident et sans suite, une santé ferme et vigoureuse, enfin le plaisir de se voir un jour imiter par leurs filles, et citer en exemple à celles d’autrui. »

« Point de mère, point d’enfant. Entre eux les devoirs sont réciproques ; et s’ils sont mal remplis d’un côté, ils seront négligés de l’autre. L’enfant doit aimer sa mère avant de savoir qu’il le doit. Si la voix du sang n’est fortifiée par l’habitude et les soins, elle s’éteint dans les premières années, et le cœur meurt pour ainsi dire avant que de naître. Nous voilà dès les premiers pas hors de la nature. »

On en sort encore quand, à l’inverse, une femme porte ses soins de mère à l’excès ; « lorsqu’elle fait de son enfant son idole », lorsqu’elle augmente sa faiblesse pour l’empêcher de la sentir, et qu’espérant le soustraire aux lois de la nature elle le protège des actions pénibles sans songer qu’elle accumule ainsi les périls, « et combien c’est une précaution barbare de prolonger la faiblesse de l’enfance sous les fatigues des hommes faits. » Contrairement à ce que fit Thétis (59) avec Achille, [75] les mères cruelles qui plongent leurs enfants dans la mollesse, les préparent à la souffrance qui ne manquera pas de les assaillir.

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