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19 août 2021 4 19 /08 /août /2021 21:04

Résumé et recueil de citations sur le thème de « l’enfance »

établis par Bernard Martial, professeur de lettres en CPGE

Edition GF n°1428 : (références des pages entre parenthèses)

Edition GF n°1632 : [références des pages entre crochets]

« Observez la nature, et suivez la route qu’elle vous trace. Elle exerce continuellement les enfants ; elle endurcit leur tempérament par des épreuves de toute espèce ; elle leur apprend de bonne heure ce que c’est que peine et douleur. » (dents, coliques, toux, vers, fluides corporels, levains). « Presque tout le premier âge est maladie et danger : la moitié des enfants qui naissent périt avant la huitième année. Les épreuves faites, l’enfant a gagné des forces ; et sitôt qu’il peut user de la vie, le principe en devient plus assuré. »

Il ne faut pas contrarier la règle de la nature au risque de détruire son ouvrage. [76] « L’expérience apprend qu’il meurt encore plus d’enfants élevés délicatement que d’autres. » Il faut, au contraire, les habituer aux souffrances qu’ils auront à endurer pour les tremper dans le Styx comme Achille. « Un enfant supportera des changements que ne supporterait pas un homme » : ses fibres sont plus souples que celles de l’homme. « On peut donc rendre un enfant (60) robuste sans exposer sa vie et sa santé ; et quand il y aurait quelque risque, encore ne faudrait-il pas balancer. » Autant les habituer aux risques inséparables de la vie humaine.

« Un enfant devient plus précieux en avançant en âge. Au prix de sa personne se joint celui des soins qu’il a coûtés ; à la perte de sa vie se joint en lui le sentiment de la mort. » En veillant à sa conservation, on songe à l’avenir ; il faut l’armer contre les maux de la jeunesse, car si le prix de la vie augmente, il ne faudrait pas pour autant les maux à l’enfance en les reportant sur l’âge mûr.

Le sort de l’homme est de souffrir dans tous les temps. [77] Il ne souffre dans son enfance que de maux physiques, moins cruels et mortels que les autres. « Nous plaignons le sort de l’enfance, et c’est le nôtre qu’il faudrait plaindre. Nos plus grands maux nous viennent de nous. »

« En naissant, un enfant crie ; sa première enfance se passe à pleurer. » Soit on se soumet à ses fantaisies, soit nous le soumettons aux nôtres. Ainsi ses premières idées sont celles d’empire ou de servitude. C’est ainsi qu’on verse de bonne heure dans son jeune cœur les passions qu’on impute ensuite à la nature et qu’après avoir pris peine de le rendre méchant, on se plaint qu’il le soit devenu. (62) [79]

« Un enfant passe six ou sept ans de cette manière entre les mains des femmes, victimes de leur caprice et du sien ; et après lui avoir fait apprendre ceci et cela, c’est-à-dire après avoir chargé sa mémoire ou de mots qu’il ne peut entendre, ou de choses qui ne lui sont bonnes à rien ; après avoir étouffé le naturel par les passions qu’on a fait naître, on remet cet être factice entre les mains d’un précepteur, lequel achève de développer les germes artificiels qu’il trouve déjà tout formés, et lui apprend tout, hors à se connaître, hors à tirer parti de lui-même, hors à savoir vivre et se rendre heureux. Enfin, quand cet enfant, esclave et tyran, plein de science et dépourvu de sens, également débile de corps et d’âme, est jeté dans le monde en y montrant son ineptie, son orgueil et tous ses vices, il fait déplorer la misère et la perversité humaines. On se trompe ; c’est là l’homme de nos fantaisies : celui de la nature est fait autrement. »

Si vous voulez conserver son bon naturel inné, conservez-le tel qu’il était à sa naissance. Dès sa naissance, emparez-vous de lui et gardez- le jusqu’à ce qu’il soit un homme. « Comme la véritable nourrice est la mère, le véritable précepteur est le père. » Ils doivent s’entendre et travailler de concert. L’enfant sera toujours mieux élevé par un père zélé [80] que par un maître talentueux.

Les pères évoquent leurs affaires, leurs fonctions, leurs devoirs, mais le dernier de ces devoirs est précisément d’être père (exemples de Caton le Censeur et d’Auguste). Il ne faut pas s’étonner qu’un homme dont l’épouse a dédaigné (63) de nourrir leur enfant, dédaigne à son tour de l’élever. Mais si chacun délaisse ses obligations familiales pour des occupations extérieures, il ne faut pas être surpris par la dissolution de la famille [81] et l’éloignement progressif de ses membres. Qui ne comprend pas cet enchaînement ?

Tout père qui engendre et nourrit des enfants doit des hommes à son espèce, des hommes sociables à la société et des citoyens à l’État. S’il n’assume pas ces devoirs, il est coupable et n’a pas le droit de devenir père. Rien ne peut dispenser de nourrir et d’élever ses enfants. Celui qui négligera ces saints devoirs le regrettera amèrement. [82]

Cet homme riche trop affairé pour s’occuper de ses enfants et qui paye un autre homme pour remplir ces soins à sa place, croit leur donner un maître mais ne lui donne qu’un valet. Il en formera bientôt un second.

Un bon gouverneur pour moi, ne doit pas être un homme vénal. Il y a des métiers si nobles, qu’on ne peut pas les faire (64) pour de l’argent sans y perdre sa dignité : les hommes de guerre, les instituteurs. Si tu ne peux pas élever ton enfant toi-même, fais-toi donc un ami. Je ne vois pas d’autre ressource.

Un gouverneur ? mais vous confiez tranquillement cette tâche sublime [83] à des mercenaires !

Mais je vois une nouvelle difficulté, il faudrait d’abord s’assurer que le gouverneur ait été lui-même bien élevé. « Comment se peut-il qu’un enfant soit bien élevé par qui n’a pas été bien élevé lui-même ? »

Cet homme exceptionnel existe-t-il ? Mais supposons qu’on l’ait trouvé. C’est en considérant ce qu’il doit faire que nous verrons ce qu’il doit être. A mon sens, un père qui sentirait le prix d’un bon gouverneur prendrait le parti de s’en passer car il serait plus compliqué de le trouver que de l’être lui-même. S’il veut se faire un ami, qu’il élève son fils, la nature a déjà fait la moitié du travail.

Un aristocrate m’a fait proposer d’élever son fils. Il vaut mieux pour lui que j’aie refusé ; si j’avais erré dans ma méthode, c’était une éducation manquée, si j’avais réussi, il n’eût plus voulu être prince.

Je suis trop conscient de la grandeur des devoirs d’un précepteur et de ma propre incapacité pour accepter [84] jamais un pareil emploi, ne serait-ce (65) que par amitié. Je crois qu’après avoir lu ce livre, personne ne me le proposera ; c’est ce que je demande. Je sais, pour m’y être déjà essayé (auprès de la famille Mably), que je ne suis pas fait pour cela. J’ai cru nécessaire de faire cette mise au point.

À défaut de remplir cette tâche directement, j’essaierai de l’envisager dans ce livre.

Je sais que dans ce genre d’entreprise l’auteur donne facilement de beaux principes inapplicables, d’autant plus qu’il ne les a pas mis en œuvre et qu’il ne donne guère d’explications.

J’ai donc pris le parti de me donner un élève imaginaire, de me supposer les aptitudes pour prendre en charge son éducation depuis sa naissance jusqu’au jour où il pourra se passer de guide. Cette méthode me [85] paraît utile pour empêcher l’auteur de s’égarer dans des visions théoriques en se fixant sur les applications pratiques avec son élève, « il sentira bientôt, ou le lecteur sentira pour lui, s’il suit le progrès de l’enfance et la marche naturelle au cœur humain. »

Voilà ce que j’ai essayé de faire avec toutes les difficultés qui se sont posées. Pour ne pas grossir indéfiniment le livre, je me sens contenté des principes dont chacun devait sentir la vérité. Pour ce qui est des règles qui pouvaient avoir besoin de preuves, je les ai toutes appliquées à mon Émile ou à d’autres exemples et j’ai fait voir comment cela pouvait être mis en pratique. C’est du moins ce que j’ai voulu faire. Au lecteur de juger i j’ai réussi. (66)

J’ai d’abord peu parlé d’Émile, parce que mes premières maximes d’éducation, bien que contraires à celles qui sont établies, sont difficilement contestables. « Mais à mesure que j’avance, mon élève, autrement conduit que les vôtres, n’est plus un enfant ordinaire ; il lui faut un régime exprès pour lui. » Alors je le vois davantage et je ne le lâche pas jusqu’à ce qu’il n’ait plus besoin de moi. [86]

Je pose pour acquises, avec une certaine complaisance, les [mes] qualités de bon gouverneur.

Je remarquerai seulement, contre l’opinion commune, que le gouverneur d’un enfant doit être le plus jeune possible. Il serait même bien qu’il fût un enfant lui-même pour être le compagnon de son élève et partager ses amusements, ce qui n’est pas possible entre un enfant et un adulte. Les enfants flattent quelquefois les vieillards, mais ils ne les aiment jamais. Un gouverneur ne pouvant faire deux éducations, on ne peut exiger qu’il en ait déjà fait une, avant.

Avec plus d’expérience, on ferait peut-être mieux mais pas plus. Quiconque a rempli cette mission avec satisfaction n’a guère envie de s’y remettre et s’il l’a mal assumée, c’est mauvais signe pour la seconde. [87]

Il est fort différent de suivre un jeune homme pendant quatre ans (ou de le changer de gouverneur tous les cinq ans) que de le conduire pendant vingt-cinq ans, depuis sa naissance. En quoi convient-il de distinguer le précepteur du gouverneur comme on distingue le disciple de l’élève ? (67) Cette science ne se partage pas. Je préfère parler de gouverneur que de précepteur à propos du maître de cette science parce qu’il s’agit moins pour lui d’instruire que de conduire. Il ne doit point donner de préceptes, il doit les faire trouver.

S’il faut bien choisir le gouverneur, qu’il soit aussi permis à celui-ci de choisir son élève, surtout quand il s’agit d’un modèle à proposer. Ce choix ne peut se faire sur le génie et le caractère de l’enfant qu’on ignore à la naissance. Et quand cela se pourrait, il faudrait pourtant faire le choix d’un homme ordinaire pour que son éducation serve d’exemple ; les autres n’ont pas besoin de nous. [88]

La culture des hommes est dépendante des pays dans lesquels ils sont et les climats tempérés sont plus favorables que les climats extrêmes.

Un habitant d’un pays tempéré s’habituera plus facilement à des climats extrêmes (chauds ou froids) qu’à celui venant d’un pays extrême dans le climat opposé. Ainsi donc, je choisirai comme élève un habitant d’une zone tempérée, la France par exemple. (68)

La fertilité des sols établit aussi des différences sociales ; ainsi trouve-t-on plutôt les pauvres laborieux dans les sols ingrats du nord et les riches contemplatifs dans les sols fertiles du midi. [89]

Il vaut mieux choisir d’éduquer un riche qu’un pauvre, car le pauvre a naturellement les moyens de devenir un homme alors que l’éducation que le riche reçoit de son état ne convient ni à lui-même ni à la société. En choisissant le riche, nous serons sûrs au moins d’avoir fait un homme de plus.

Pour la même raison, je ne serai pas fâché qu’Émile ait de la naissance pour l’arracher aux préjugés de sa classe.

Il est orphelin et s’il doit honorer ses parents, il ne doit obéir qu’à moi.

J’ajoute à cette première condition une seconde. On ne pourra pas nous séparer sans notre [90] accord mutuel. Je voudrais même que l’élève et le gouverneur se sentissent si indissociables que leur sort fût commun. Car dès qu’ils commencent à prendre de la distance, leur union est brisée. Le disciple ne regarde alors le maître que comme l’enseigne et le fléau de l’enfance ; le maître ne regarde le disciple que comme un lourd fardeau dont il brûle d’être déchargé. (69)

Mais dès lors qu’ils se considèrent comme inséparables, il leur importe de se faire aimer l’un de l’autre. L’élève ne rougit point de suivre un ami de valeur dans son enfance et le gouverneur s’investit d’autant plus qu’il le fait aussi pour lui-même.

Ce traité fait d’avance suppose un accouchement heureux, « un enfant bien formé, vigoureux et sain ». Un père doit aimer tous ses enfants avec la même intensité quelle que soient leurs qualités et leurs défauts et le mariage est un contrat passé avec la nature autant qu’entre conjoints. [91]

Encore faut-il s’assurer d’avoir les moyens de remplir le devoir qu’on s’impose. Celui qui se charge d’un élève malade est plus un garde-malade qu’un gouverneur et il perd de vue la mission d’augmenter la vie en devant la soigner, en s’exposant, de plus, aux reproches de la mère quand la mort subviendra.

Je ne me chargerais pas d’un enfant malade dont l’unique préoccupation est de survivre et dont l’obsession des soins du corps nuit à l’éducation de l’âme. En lui prodiguant mes soins, je soustrairais deux hommes à la société au lieu d’un. Je laisse cette mission charitable à d’autres ; je ne sais point apprendre à vivre à qui ne songe qu’à s’empêcher de mourir. (70)

Il faut que le corps ait de la vigueur pour obéir à l’âme : plus le corps est faible, plus il commande ; plus il est fort, plus il obéit. Et les passions s’installent d’autant plus facilement que les corps sont chétifs. [92]

Un corps faible affaiblit l’âme et j’en veux aux médecins qui en prétendant guérir les maux du corps inhibent les qualités de l’âme comme le courage. Ce sont des hommes qu’il nous faut, pas des cadavres ambulants.

La médecine est à la mode de nos jours : c’est le passe-temps des gens qui n’ont rien à faire et qui aiment qu’on leur dise qu’ils ne sont pas morts.

Je ne veux pas m’étendre ici sur la vanité de la médecine mais l’intérêt d’une guérison de médecin ou d’une vérité de sophiste est très largement relativisé par tous les morts et les erreurs dont ils sont responsables. [93] La science instruit certes, mais elle trompe aussi ; la médecine guérit mais elle tue. Dans les deux cas, il vaut mieux suivre la nature. La médecine est peut-être utile à quelques hommes mais elle est funeste au genre humain.

On me dira que les fautes incombent à la médecine et non aux médecins. Que la première vienne donc sans les seconds sinon il y aura toujours à craindre leurs erreurs.

Cet art mensonger qu’est la médecine nous empêche de vivre en cultivant en nous la peur de la mort [94].

Si vous voulez trouver des hommes vraiment courageux, cherchez-les en des lieux où il n’y a pas de médecins, là où l’homme sait naturellement souffrir et mourir en paix. Ce sont les médecins avec leurs ordonnances, les philosophes avec leurs préceptes et les prêtres avec leurs exhortations qui lui désapprennent à mourir.

Qu’on me donne un élève qui n’ait pas besoin de tous ces gens-là. Je veux l’élever seul sans quiconque qui gâche mon travail. Le sage Locke, qui avait étudié (72) la médecine recommande de ne jamais donner de médicaments aux enfants. Quant à moi qui ne demande jamais de médecin, je n’en appellerai jamais non plus pour mon Émile à moins [95] qu’il soit en danger de mort.

Je sais bien que le médecin ne manquera pas de tirer profit de ce délai pour se disculper de la mort ou se vanter de la survie. Peut-être, mais qu’il demeure l’ultime recours.

« Faute de savoir se guérir, que l’enfant sache être malade » : l’art de la nature remplace avantageusement celui de la médecine. Ainsi les animaux qui vivent de manière plus conforme aux lois de la nature que les hommes sont-ils moins minés par la peur de la mort.

La seule partie utile de la médecine est l’hygiène qui est d’ailleurs moins une science qu’une vertu. Les deux vrais médecins de l’homme sont le travail qui aiguise son appétit et la tempérance qui l’empêche d’en abuser. [96]

Pour savoir quel régime est le plus utile à la vie et à la santé, il faut s’intéresser aux peuples qui vivent le mieux et le plus longtemps. Considérant donc que la médecine n’est en rien utile à la santé et à la longévité, (63) il faut même déduire de ce calcul la période consacrée à les fréquenter.

Voilà pourquoi je veux un élève robuste et sain. Je ne m’attarderai pas à démontrer l’utilité des travaux manuels et des exercices du corps sur laquelle tout le monde s’accorde et sur les soins que je prendrai pour mettre en œuvre ce principe. [97] Ceux qui vivent le plus longtemps, comme Patrice Oneil, sont ceux qui ont fait le plus d’exercice et qui ont supporté le plus de fatigue et de travail.

Avec la vie commencent les besoins. Il faut une nourrice pour le nouveau-né. Si la mère assume cette tâche c’est bien, même si cela accroît la distance entre le gouverneur et l’élève. Mais il est à croire qu’elle sera attentive aux conseils du maître. S’il nous faut une nourrice, commençons par la bien choisir. (74)

Une des misères des gens riches est de se tromper sur tout, tant ils sont corrompus par leurs richesses. [98] Ainsi, quand il s’agit de choisir une nourrice, demandent-ils l’avis de l’accoucheur qui proposera celle… qui l’a le mieux payé. Je ne consulterai certainement pas cet accoucheur pour celle d’Émile ; même si je suis moins savant, je la choisirai moi-même, je serai plus sincère.

Ce choix n’est pas un grand mystère ; les règles en sont connues. Il faudrait faire un peu plus attention à l’âge du lait infantile ainsi qu’à sa qualité. Ce n’est pas pour rien que dans les femelles de toute espèce la nature change la consistance du lait selon l’âge du nourrisson. [99]

Il faudrait donc une nourrice qui vient d’accoucher à un enfant qui vient de naître. Cela a des inconvénients, mais c’est probablement un moindre mal.

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