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19 août 2021 4 19 /08 /août /2021 20:11

Résumé et recueil de citations sur le thème de « l’enfance »

établis par Bernard Martial, professeur de lettres en CPGE

Edition GF n°1428 : (références des pages entre parenthèses)

Edition GF n°1632 : [références des pages entre crochets]

C’est ainsi que vous le rendrez patient même s’il n’a pas ce qu’il voulait, car il est dans la nature de l’homme d’endurer patiemment la nécessité des choses, mais non la mauvaise volonté d’autrui. L’enfant ne s’est jamais révolté quand on lui a dit : il n’y en a plus. Du reste, il faut soit ne rien exiger du tout, soit le plier à la plus parfaite obéissance. La pire éducation est de la laisser flotter entre ses volontés et les vôtres et de disputer à qui sera le maître.

Il est bien étrange que depuis qu’on se mêle d’élever des enfants, on n’ait imaginé d’autre instrument pour les conduire que les passions les plus propres à corrompre l’âme, même avant que le corps soit formé [176]. À chaque instruction précoce qu’on veut faire entrer dans leur tête, on plante un vice au fond de leur cœur ; d’insensés instituteurs pensent faire des merveilles en les rendant méchants pour leur apprendre la bonté. (125)

« On a essayé tous les instruments, hors un, le seul précisément qui peut réussir : la liberté bien réglée. Il ne faut point se mêler d’élever un enfant quand on ne sait pas le conduire où l’on veut par les seules lois du possible et de l’impossible. » En jouant sur les deux on le retient et on le manipule sans aucun développement des vices et des passions.

« Ne donnez à votre élève aucune espèce de leçon verbale ; il n’en doit recevoir que de l’expérience : ne lui infligez aucune espèce de châtiment, car il ne sait ce que c’est qu’être en faute : ne lui faites jamais demander pardon, car il ne saurait vous offenser. Dépourvu de toute moralité dans ses actions, il ne peut rien faire qui soit moralement mal, et qui ne mérite ni châtiment ni réprimande. »

Je vois déjà le lecteur effrayé juger de cet enfant par les nôtres : il se trompe. La gêne où vous tenez vos élèves irrite leur vivacité ; plus ils sont contraints sous vos yeux, plus ils sont turbulents [177] quand ils vous échappent. Deux écoliers de la ville feront plus de dégât dans le pays que tout un village. Enfermez un petit monsieur et un petit paysan dans une chambre : le premier cassera tout en abusant d’un moment de licence quand l’autre se tiendra tranquille confiant en sa liberté. Et cependant les enfants des villageois sont encore loin de ce que je souhaite.

« Posons pour maxime incontestable que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain ; il ne s’y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment et par où il y est entré. La seule passion naturelle à l’homme est l’amour de soi-même, ou l’amour-propre pris dans un sens (126) étendu. Cet amour-propre en soi ou relativement à nous est bon et utile ; et, comme il n’a point de rapport nécessaire à autrui, il est à cet égard naturellement indifférent ; il ne devient bon ou [178] mauvais que par l’application qu’on en fait et les relations qu’on lui donne. Jusqu’à ce que le guide de l’amour-propre, qui est la raison, puisse naître, il importe donc qu’un enfant ne fasse rien parce qu’il est vu ou entendu, rien en un mot par rapport aux autres, mais seulement ce que la nature lui demande ; et alors il ne fera rien que de bien. »

Je ne dis pas qu’il ne fera jamais de mal mais « la mauvaise action dépend de l’intention de nuire » et « il n’aura jamais cette intention. » S’il l’avait une seule fois, tout serait perdu.

En laissant les enfants en pleine liberté d’exercer leur étourderie, il convient de ne laisser à leur portée rien de fragile et de précieux (miroirs, porcelaine, objets de luxe) mais seulement des meubles grossiers et solides. Mon Émile que j’élève à la campagne, aura une chambre de paysan.

Et si, malgré vos précautions, l’enfant vient à casser quelque pièce utile, [179] ne le grondez pas.

Oserais-je exposer ici « la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. » (127) Pardonnez-moi mes paradoxes : mais j’aime mieux être un homme à paradoxes qu’un homme à préjugés. « Le plus dangereux intervalle de la vie humaine est celui de la naissance à l’âge de douze ans. » C’est le temps où se développent les erreurs et les vices sans qu’on ait aucun instrument pour les détruire, et quand celui-ci vient, il est souvent trop tard. Si les enfants pouvaient passer directement de la maternelle à l’âge de raison, l’éducation qu’on leur donne pourrait convenir ; mais selon le progrès naturel, il leur en faut une toute contraire. Il faudrait qu’ils ne tissent rien de leur âme tant qu’ils n’ont pas toutes leurs facultés.

« La première éducation doit donc être purement négative. Elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la [180] vérité, mais à garantir le cœur du vice et l’esprit de l’erreur. » Si vous pouviez ne rien faire et ne rien laisser faire à votre élève jusqu’à ses douze ans, les yeux de son entendement s’ouvriraient à la raison dès les premières leçons. Il deviendrait bientôt le plus sage des hommes ; et en commençant par ne rien faire, vous auriez fait un prodige d’éducation.

Prenez le contre-pied de l’usage, et vous ferez toujours bien. Comme on ne veut pas faire d’un enfant un enfant, mais un docteur, les pères et les maîtres n’ont jamais assez instruit, parlé raison. Faites mieux : soyez raisonnable et ne raisonnez plus avec votre élève, surtout pour lui faire approuver ce qui lui déplaît ; car amener la raison dans les choses désagréables, ce n’est que la discréditer définitivement. Exercez (128) son corps et ses sens mais tenez son âme oisive aussi longtemps qu’il se pourra. Retenez tous les jugements et les impressions, regardez les délais comme des avantages, laissez mûrir [181] l’enfance dans les enfants et gardez-vous de donner une    aujourd’hui si vous pouvez la donner demain.

Une autre considération qui confirme l’utilité de cette méthode tient au génie particulier de l’enfant, qu’il faut bien connaître pour savoir quel régime moral lui convient. Chaque esprit a sa forme propre selon laquelle il a besoin d’être gouverné. Il faut donc prendre le temps de l’observer et laisser d’abord le germe de son caractère se montrer en pleine liberté. Ce n’est pas du temps perdu. Au contraire, vous en gagnerez pour la suite. (129) [182]

Mais où placerons-nous cet enfant pour l’élever ainsi comme un être insensible ? L’éloignerons-nous de tous les humains, de sa famille et de tous ceux qui sont chargés de lui ?

« Vous ai-je dit que ce fût une entreprise aisée qu’une éducation naturelle ? » Je sens toutes les difficultés ; elles sont peut-être insurmontables. Lais celui qui aura approché le but qu’on se propose aura réussi.

« Souvenez-vous qu’avant d’oser entreprendre de former un homme, il faut s’être fait homme soi-même ; il faut trouver en soi l’exemple qu’il se doit proposer. Tandis que l’enfant est encore sans connaissance, il faut le préparer à ce qu’il lui convient de voir. Rendez-vous respectable et faites-vous aimer de tout le monde [183]. Vous ne serez point maître de l’enfant si vous ne l’êtes de tout ce qui vous entoure, et cette autorité ne sera jamais suffisante si elle n’est pas fondée sur la vertu. Il ne s’agit pas de donner de l’argent, mais de prodiguer votre temps, vos soins, votre affection. Il faut déployer toutes ces qualités : intérêt, bienveillance, (130) consolation, protection. Il faut aider les gens à se réconcilier, leur apporter votre soutien, les protéger. Soyez juste, humain, bienfaisant, charitable, miséricordieux ; aimez les autres, et ils vous aimeront ; servez-les et ils vous serviront ; soyez leur frère, et ils seront vos enfants. [184]

C’est encore ici une des raisons pourquoi je veux élever Émile à la campagne, loin de la canaille des valets, les derniers des hommes après leurs maîtres ; loin des noires mœurs de la ville qu’on couvre d’un vernis pour les rendre séduisantes aux enfants. Au moins les vices grossiers des paysans rebutent-ils d’emblée sans qu’on ait envie de les imiter.

Au village, un gouverneur sera beaucoup plus maître des objets qu’il voudra présenter à l’enfant ; son autorité sera supérieure à celle qu’elle ne saurait avoir en ville et chacun s’empressera d’être estimé de lui.

« Cessez de vous en prendre aux autres de vos propres fautes : le mal que les enfants voient les corrompt moins que celui que vous leur apprenez» Toujours pédants à leur inculquer une idée que vous croyez bonne, vous leur en donnez vingt autres qui ne valent rien ; pleins de ce qui se passe dans votre tête, vous ne voyez pas ce que vous produisez dans la leur. Ne croyez-vous [185] (131) pas qu’ils retourneront un jour une de vos explications confuses contre vous ?

Écoutez un petit bonhomme qu’on vient d’endoctriner ; laissez-le s’exprimer et vous serez surpris du tour étrange qu’ont pris vos raisonnements dans son esprit ; il mélange tout et vous réduit à vous taire ou à le faire taire. Si jamais il remporte cet avantage, et qu’il s’en aperçoive, adieu l’éducation ; tout est fini dès ce moment, il ne cherche plus à s’instruire, il cherche à vous réfuter.

Maîtres zélés, ne vous hâtez jamais d’agir que pour empêcher les autres d’agir, renvoyez, s’il le faut, une bonne instruction, de peur d’en donner une mauvaise Sur cette terre, dont la nature eût fait le premier paradis de l’homme, craignez d’exercer l’emploi du tentateur en voulant donner à l’innocence la connaissance du bien et du mal ; ne pouvant empêcher que l’enfant ne s’instruise au dehors par des exemples, imprimez ces exemples dans son esprit par des images appropriées.

Les passions impétueuses produisent un grand effet sur l’enfant qui en est témoin, parce qu’elles ont des signes très sensibles qui le frappent et le forcent d’y faire [186] attention. La colère par exemple. On peut alors se demander si ce n’est pas l’occasion pour un pédagogue de faire un beau discours ? Non, il faut laisser venir l’enfant, qui étonné du spectacle, ne manquera pas de vous questionner. Vous lui expliquerez alors que le pauvre homme est malade, qu’il est dans un (132) accès de fièvre et vous en profiterez pour lui parler des maladies qui elles aussi font partie de la nature.

Il tirera peut-être de cet exemple une répugnance à se livrer aux excès des passions ; et cela aura été plus efficace qu’un sermon de morale. Mais cette notion aura une autre conséquence : on sera autorisé, en cas de contrainte, à traiter un enfant mutin comme un enfant malade en l’enfermant dans sa chambre pour le guérir de ses vices naissants. [187] Et si vous cédez à votre tour à la colère, dites-lui franchement, avec un tendre reproche : Mon ami vous m’avez fait mal.

Au reste il importe que toutes les naïvetés qu’un enfant peut produire ne soient jamais révélées en sa présence. Un éclat de rire indiscret peut gâter le travail de six mois, et faire un tort irréparable pour toute la vie. Je ne puis assez redire que pour être le maître de l’enfant, il faut être son propre maître. (exemple d’une remarque ridicule de mon petit Émile voulant se mêler d’une rixe entre deux voisines ; il faudrait le soustraire rapidement avant qu’il mesure les effets de ses paroles). (133)

Je ne veux pas entrer dans tous les détails, mais seulement exposer les maximes générales et donnez quelques exemples dans les occasions difficiles. « Je tiens pour impossible qu’au sein de la société l’on puisse amener un enfant à l’âge de douze ans, sans lui donner quelque idée des rapports d’homme à homme, et de la moralité des actions humaines. » On s’appliquera [188] à lui rendre ces notions nécessaires le plus tard possible et avec la simple utilité présente pour qu’il ne fasse pas le mal autour de lui sans le savoir. Car s’l y a des caractères doux et inoffensifs, il y a aussi des naturels violents dont il faut se hâter de faire des hommes si on ne veut pas qu’ils soient enchaînés.

« Nos premiers devoirs sont envers nous ; nos sentiments primitifs se concentrent en nous-mêmes ; tous nos mouvements naturels se rapportent d’abord à notre conservation et à notre bien-être. Ainsi le premier sentiment de la justice ne nous vient pas de celle que nous devons, mais de celle qui nous est due ; et c’est encore un des contresens des éducations communes, que, parlant d’abord aux enfants de leurs devoirs, jamais de leurs droits, on commence par leur dire le contraire de ce qu’il faut, ce qu’ils ne sauraient entendre, et ce qui ne peut les intéresser. » [189]

Un enfant ne s’attaque pas aux personnes mais aux choses ; d’ailleurs il apprend vite par l’expérience à respecter ceux qui sont plus âgés et plus fort que lui mais les choses ne se défendent pas en elles-mêmes. « La (134) première idée qu’il faut lui donner est donc moins celle de la liberté que de la propriété ; et, pour qu’il puisse avoir cette idée, il faut qu’il ait quelque chose en propre. » Lui apprendre cette notion de propriété est difficile : lui parler de ses jouets ne sert à rien, évoquer la [190] notion de convention est incompréhensible comme beaucoup de choses qu’on croit leur avoir apprises.

Il faut pour cela remonter à l’origine de la propriété. L’enfant vivant à la campagne, aura pris quelque notion des travaux champêtres. En regarder labourer un jardin, il voudra jardiner à son tour.

Selon les principes établis, j’encourage son envie en me faisant même son garçon jardinier. Il en prend possession en y plantant une fève et il en tire une plus grande fierté que les conquistadores espagnoles. (135)

On vient tous les jours arroser les fèves et les voir prospérer et j’augmente sa joie en lui expliquant [191] le terme d’appartenir en soulignant qu’il y a mis son temps, son travail, sa peine et sa personne et qu’il y a là quelque chose qu’il peut réclamer contre qui que ce soit.

Mais un beau jour, il découvre son jardin saccagé et ses fèves arrachées. Animé par le premier sentiment de l’injustice, il se met à crier. Puis on fait venir le responsable ; le jardinier… qui s’explique : il avait semé là des melons de Malte dont il espérait nous régaler. En plantant nos fèves on lui a fait un tort irréparable [192] et on s’est privés de manger des melons exquis.

Dialogue entre Jean-Jacques, Robert, le jardinier et Émile : Jean-Jacques demande à Robert de les excuser d’avoir gâté son jardin, ils lui feront venir d’autres graines de Malte et il promet de ne pas toucher une terre avant de savoir si elle est à quelqu’un (136). Il n’y a plus de terre en friche, dit Robert ; il tient la sienne de son père. Émile veut savoir naïvement s’il y a souvent de la graine de melon perdue. « Personne ne touche au jardin de son voisin ; chacun respecte le travail des autres, afin que le sien soit en sûreté. » répond le jardinier. – Mais moi je n’ai point de jardin, dit Émile. – Que m’importe ? si vous gâtez le mien, je ne vous y laisserai plus promener ; car, voyez-vous, je ne veux pas perdre ma peine. Jean-Jacques propose alors un arrangement au jardinier : qu’il leur accorde un [193] coin de jardin pour le cultiver, à condition qu’il aura la moitié du produit. Le jardinier accepte mais en les menaçant de labourer leurs fèves s’ils touchent à ses melons.

« Dans cet essai de la manière d’inculquer aux enfants les notions primitives, on voit comment l’idée de la propriété remonte naturellement au droit du premier occupant par le travail. Cela est clair, net, simple, et toujours à la portée de l’enfant. De là jusqu’au droit de propriété et aux échanges, il n’y a plus qu’un pas, après lequel il faut s’arrêter tout court. »

On voit ici combien cet exemple (137) a été plus efficace qu’un long discours théorique ; car les enfants oublient vite les paroles mais se souviennent des actions concrètes.

De pareilles instructions doivent être donné plus ou moins tôt selon le naturel de l’élève. Mais donnons un autre exemple. [194]

« Votre enfant dyscole [difficile, réticent à l’autorité du maître] gâte tout ce qu’il touche : ne vous fâchez point ; mettez hors de sa portée ce qu’il peut gâter. » S’il brise les meubles, ne les remplacez pas, s’il casse les fenêtres, laissez-le avoir froid, faites qu’il sente les incommodités les premiers. Et s’il recommence à casser les vitres, changez de méthode : dites qu’elles sont à vous et enfermez-le dans une chambre obscure sans fenêtre. Il se plaindra, notamment au domestique, mais celui lui fera remarquer qu’il a lui aussi des vitres à conserver. Et puis, au bout de quelque temps, quelqu’un viendra lui proposer un accord : la liberté contre des vitres intactes. Il finira par accepter. [195] Et puis vous vous réconcilierez comme si rien ne s’était passé (138). L’enfant, instruit de cette expérience ne s’avisera plus, après cela de casser une vitre à dessein. Le petit méchant ne songeait guère, en faisant un trou pour planter sa fève, qu’il se creusait un cachot où sa science ne tarderait pas à le faire enfermer.

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