Selon un bilan encore provisoire (au 26 avril), une série d’attentats a fait 257 morts[i] (dont 45 enfants et adolescents) et près de 521 blessés dans l’île de Sri Lanka, le dimanche 21 avril, jour de Pâques. 39 étrangers (10 Indiens, 6 Britanniques, 4 Américains, 3 Néerlandais, 3 des 4 enfants du milliardaire danois Anders Holch Povlsen, 2 Australiens, 2 Turcs, 2 Saoudiens, 2 Espagnols ainsi que des ressortissants suisse, portugais, chinois, japonais, et bangladeshi) figurent parmi les victimes. Vers 8h30-9h six explosions ont eu lieu simultanément dans trois hôtels de luxe du front de mer, à Colombo (le Cinnamon Grand Hotel, le Shangri-La et le Kingsbury et dans trois églises (l’église Saint-Antoine dans le quartier de Kochchikade, Kotahena à Colombo, l’église Saint-Sébastien dans le quartier de Katuwapitiya à Negombo et l’église évangélique « Zion » à Batticaloa, sur la côte orientale de l’île). Quelques heures plus tard, deux autres déflagrations se sont produites dans l’hôtel Tropical-Inn de Dehwala-Mount Lavinia, dans la banlieue sud de Colombo et à Dematagoda dans le quartier d’Orugodawatta, au nord de la ville où un kamikaze s’est fait exploser lors d’une opération de police (trois policiers tués). Au Cinnamon, un kamikaze, un Sri Lankais qui s’était enregistré à l’hôtel la veille sous le nom de Mohamed Azzam Mohamed, a enclenché sa bombe dans la file de clients, venus profiter d’un buffet de Pâques au restaurant Taprobane de l’établissement. Au Shangri-La, le restaurant Table One, situé au troisième étage de l’hôtel, a lui aussi été ravagé. La police a, par ailleurs, annoncé, lundi 22 avril, qu’une « bombe artisanale » avait été trouvée tard dimanche sur une route menant vers le principal terminal de l’aéroport Bandaranaike de Colombo et qu’elle avait été désamorcée avec succès. Les autorités ont aussi découvert 87 détonateurs dans la gare de bus de de Bastian Mawatha à Colombo, avant qu’une nouvelle explosion ne se produise durant une opération de déminage dans une camionnette arrêtée à proximité de l’église Saint-Antoine frappée la veille. Aucun blessé n’est à déplorer.
Au bout de quarante-huit heures, le groupe djihadiste Etat islamique (EI) a revendiqué les attentats (mardi 23 avril), via l’organe de propagande de l’organisation Amaq en détaillant les attaques et les noms des « combattants » qui les auraient commises (des djihadistes présentés sous les noms de guerre d’Abou Oubeida, Abou Baraa et Abou Moukhtar auraient perpétré les attaques contre les trois hôtels de luxe ; trois autres combattants, Abou Hamza, Abou Khalil et Abou Mohamad auraient mené, selon la même source, les attaques contre les trois églises à Colombo, Negombo et Batticaloa ; un septième djihadiste, Abou Abdallah, aurait, selon l’EI, tué trois policiers dans une attaque dans la banlieue de Colombo). Soixante-quinze personnes ont, depuis le 21 avril, été arrêtées mais des suspects étaient encore en fuite, d’après le premier ministre Ranil Wickremesinghe. Deux frères sri-lankais musulmans, figurant parmi les kamikazes, ont joué un rôle-clé dans ce déchaînement de violence, au cours duquel un autre attentat-suicide a échoué dans un quatrième hôtel de luxe à Colombo, ont révélé mardi des sources proches de l’enquête. Les autorités sri-lankaises soupçonnent, dans le même temps, un groupe local islamiste National Thowheeth Jama’ath (NTJ) d’avoir commis les attentats au Sri Lanka, en lien avec un groupe islamiste radical indien, connu comme le Jamaat-ul-Mujahideen India (JMI). Le NTJ s’était fait connaître en 2018 en lien avec des actes de vandalisme commis contre des statues bouddhistes. En 2016, son secrétaire, Abdul Razik, avait été arrêté pour incitation au racisme. Les deux frères mis en cause feraient partie de cette cellule. Le chef de la police nationale, Pujuth Jayasundara, avait d’ailleurs alerté ses services dix jours avant les attentats en indiquant que le NTJ projetait « des attentats suicides contre des églises importantes et la Haute commission indienne ». Les tensions existant au sommet de l’Etat entre le président de la République et son premier ministre pourraient à l’origine d’un dysfonctionnement des services de renseignement et de prévention de l’Etat. Mais, les enquêteurs cherchent désormais à déterminer si le groupe islamiste a pu bénéficier d'un soutien logistique étranger. Le porte-parole du gouvernement sri-lankais, Rajitha Senaratne, a indiqué avoir « du mal à voir comment une petite organisation dans ce pays peut faire tout cela ». « Nous enquêtons sur une éventuelle aide étrangère et leurs autres liens, comment ils forment des kamikazes, comment ils ont produit ces bombes », a-t-il dit.
Environ 1,2 million de catholiques vivent au Sri Lanka, dont la population totale est de 21 millions d’habitants. Le pays compte environ 70% de bouddhistes, 12% d’hindouistes, 10% de musulmans et 7% de chrétiens. Les catholiques sont perçus comme une force unificatrice car on en trouve chez les Tamouls comme chez la majorité cinghalaise. Certains chrétiens sont cependant mal vus parce qu’ils soutiennent des enquêtes extérieures sur les crimes de l’armée sri-lankaise contre les Tamouls pendant la guerre civile qui s’est achevée en 2009. Selon les Nations unies, le conflit de 1972 à 2009 a fait de 80.000 à 100.000 morts.

Sri Lanka, un pays fragilisé par une crise politique
Le New York Times s’est procuré le courrier du 11 avril prévenant les services de sécurité d’« potentiel plan d’attaques suicides » : l’information ne laisse aucune place à l’ambiguïté : « Les services secrets étrangers nous ont informés que Mohammed Cassim Mohamed Zaharan alias Zaharan Hashmi[ii], le leader du National Thowheeth Jama’ath et ses fidèles préparent des attaques suicides dans ce pays. Elles pourraient viser des églises catholiques et l’ambassade de l’Inde. » Suivent le nom du village où se cache Zaharan Hashmi, l’adresse de son frère, Rilwan, « principal recruteur » et même son emploi du temps. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette lettre n’a déclenché aucune réaction. Selon le journal indien The Hindu, les enquêteurs indiens avaient découvert le complot lors d’un interrogatoire d’un sympathisant de l’Etat islamique dans le Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde, il y a six mois. Deux autres alertes ont été lancées dans les jours suivants, y compris quelques heures avant la première attaque à l’église Saint-Sébastien de Negombo, qui a tué 102 personnes. « Il y a clairement eu une défaillance de la communication de renseignement au Sri Lanka », a reconnu mercredi le vice-ministre de la Défense, Ruwan Wijewardene. Le président sri-lankais, Maithripala Sirisena, a demandé au chef de la police nationale et au secrétaire à la Défense de démissionner. Lors d’une conférence de presse tenue le soir même des attentats, le Premier ministre Ranil Wickremesinghe a confirmé que des informations sur de potentielles attaques contre des églises, avaient été transmises par les services de sécurité mais que ni lui, ni les ministres de son gouvernement n’avaient été « tenus informés ». Pour la correspondante d’Al-Jazira au Sri Lanka, Minelle Fernandez, « les déclarations du Premier Ministre sont une attaque visant le président Maithripala Sirisena, responsable des forces de sécurité ». Les relations entre les deux dirigeants sont en effet au plus bas depuis le limogeage de Ranil Wickremesinghe par le chef de l’Etat en octobre, une décision finalement annulée par la Cour suprême mais qui a laissé des traces.
Voir mon article publié fin octobre 2018 :
L’Etat du Sri Lanka n’est pas ex-Ceylan
Evolution de la situation entre novembre et décembre 2018 :
Récapitulatif chronologique des événements : le 1er novembre, le président Sirisena annonce la levée de la suspension du parlement et le convoque pour le 5 novembre, puis reporte la date au 7 puis au 14 novembre. Le 9 novembre, le président dissout le parlement et convoque des législatives anticipées pour le 5 janvier 2019. Le 11 novembre, le président du Parlement conteste cette décision, estimant que le président ne possède pas le pouvoir de dissolution. Le 13 novembre, la Cour suprême annule donc la dissolution. Le 14 novembre, le gouvernement de son rival est renversé par une motion de censure. Les 15 et 16 novembre, ont lieu des séances houleuses au parlement. Wickremesinghe demande alors à être réinvesti. Le 18 novembre a lieu une réunion de sortie de crise. Le 25 novembre, Sirisena annonce qu’il ne nommera plus jamais Wickremesinghe comme Premier ministre, l’accusant de corruption. Le 3 décembre, la Cour suprême suspend les pouvoirs du second Premier ministre, Mahinda Rajapakse. Cette décision très attendue des magistrats est rendue avant le 12 décembre, car ils estiment que des « dommages irréparables ou irrémédiables » (sic) pouvaient survenir sur l’île. Le 13 décembre, la Cour suprême confirme l’annulation des élections anticipées, estimant que le président ne possède pas le droit de dissoudre la chambre. Le 14 décembre, la démission prochaine de Rajapakse est annoncée par son fils, étant effective pour le lendemain 15 décembre. Wickremesinghe est réinvesti le 16 décembre. Le Premier Ministre est sorti gagnant de ce bras de fer mais fragilisé, la preuve.
[i] Le premier bilan officiel faisait état de 359 morts mais le ministère de la santé a fait savoir que certains corps de victimes mutilées avaient été comptés deux fois compte tenu de leur état. Il avait été ensuite ramené à 253.
[ii] Le 26 avril, les autorités sri-lankaises confirment sa mort dans l’attaque du Shangri-La.