Qui n’éprouve pas de l’émotion et de la sympathie pour tous ces gilets jaunes qui disent leurs difficultés à boucler leurs fins de mois, leur sentiment de déclassement et d’exclusion, leur frustration face à une classe politique technocratique qui regarde par dessus les frontières plutôt qu’au cœur du pays en jonglant avec les statistiques et la novlangue de bois macro[n]-économico-écologique ? Après le dégagisme de 2017 qui a mis dos à dos la gauche socialiste et la droite républicaine, l’impatience du peuple saute maintenant à la gorge de ces marcheurs si peu expérimentés et déjà haïs comme une vieille branche politique. Le jeune premier mis sur le trône, il y a dix-huit mois, comme le général Bonaparte après l’exécution de tous les cadres d’ancien régime, est à son tour promis à la guillotine. Emballement digne de 1794, obsolescence programmée accélérée ? Les sans-culottes, mais avec gilets, montent à la Bastille, rejouent la Commune de Paris et célèbrent le cinquantenaire de mai 68, le pavé à la main. Chauffés à blanc par les réseaux sociaux, ces laissés-pour-compte ont d’abord décidé de squatter les ronds-points (sans toujours réaliser combien ces infrastructures florissantes ont représenté un symbole de la gabegie financière) puis ils sont venus dans la capitale pour dire aux franciliens et au pouvoir leur exaspération. - « Vous voyez on existe, vous ne nous parquerez pas dans nos provinces ou dans votre champ de Mars ! »
L’empathie est de rigueur quand on entend des retraités, des mères célibataires, des ouvriers, des employés crier leur détresse. Il faudrait être un sacré égoïste pour ne pas répondre favorablement à tous les sondages d’opinion qui dopent la résistance de ces anonymes trépignant dans le froid à la lumière des feux improvisés. Mais que faire après l’émotion ? Les médias, sevrés de menaces terroristes, alimentent ce buzz permanent en donnant la parole à qui veut la prendre, sans aucun recul ni analyse. Et les gibiers politiques d’hier sonnent l’hallali contre le dernier chasseur avec une cruauté et une irresponsabilité frénétique : - « Les aristocrates à la lanterne ! Les étrangers à la mer ! Faisons tourner la planche à billets aussi fort que la crécelle tonitruante de la démagogie ». Les responsables politiques de ces trente dernières années co-responsables, sinon plus que le jeune locataire de l’Elysée, ne sont pas les derniers à jouer les yakafaukon : augmenter les salaires, supprimer toutes les taxes, rétablir l’ISF, dissoudre l’assemblée, le sénat, renvoyer le président. En attendant ces lendemains qui chantent, Paris subit chaque samedi des vagues jaunes qui ressemblent à un tsunami hebdomadaire sans aucune organisation ni cohérence. Ce n’est plus Zazie dans le métro, c’est la zizanie dans la métropole, l’anarchie dans les rues, le chaos dans la ville ! Ils sont voyants ces gilets jaunes et touchants… mais l’habit ne fait pas le moine et encore moins la responsabilité. Sous couvert d’expression libre, ce mouvement a ouvert la boîte de Pandore à tous les extrémistes et tous les casseurs qui veulent briser la République ou braquer les commerces et les banques. Comble de cette fièvre urbaine, la mise en sac de l’Arc-de-Triomphe le 2 décembre a symptomatiquement symbolisé le danger de basculement de cette révolte populaire dans un séisme politique qui pourrait bien entraîner tout le monde vers l’abîme. Les gilets jaunes, idiots utiles des nihilistes et des voyous, des pilleurs et des séditieux, brûlent les voitures et provoquent les forces de l’ordre, tétanisés par le syndrome Malik Oussekine. L’économie qui tardait à redémarrer est de nouveau bloquée, la croissance va rechuter, les touristes à peine revenus à Paris après les attentats de 2015, fuient à nouveau la France. Demain, des commerces fermeront, des employés seront au chômage. Et il faudra bien payer la facture de tous ces dégâts. Qui payera ? Le mythe de la cagnotte sous le traversin est celui d’un peuple d’enfants qui croit encore aux fées et aux sorcières.
La France de la COP21 et d’un jeune président triomphant de la candidate du front national, il y a dix-huit mois serait-elle à son tour contaminée par le populisme trumpien, les dérives bolsonariennes ou salviniennes, l’impasse du Brexit par haine de la mondialisation, de l’Europe, de l’Etat ? S’élever contre l’impôt et réclamer plus de protection sociale (quand parfois on bénéficie de l’autre sans payer l’un), revendiquer la liberté républicaine quand on foule le processus démocratique, se plaindre de sa précarité et briser le bien d’autrui confinent au paradoxe. Le moindre n’est pas la complaisance des intellectuels pour ceux qui se défient de la promotion sociale suspecte de compromission morale et de mépris de classe: prenons garde que les khmers rouges n’aient pas changé de couleur. La démocratie ne s’use que si on ne s’en sert pas, mais elle peut étouffer si on lui serre le cou.
9 décembre.