Tableau établi par Bernard Martial (professeur de lettres modernes)
|
Titre |
Thème |
Vers à retenir |
SPLEEN ET IDEAL |
|||
74 |
La Cloche fêlée |
Opposition entre le son harmonieux de la cloche des souvenirs et la « cloche fêlée » de son âme meurtrie (image du vieux soldat de l’Empire. |
Moi mon âme est fêlée et lorsqu’en ses ennuis Elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits. |
75 |
Spleen (« Pluviôse irrité ») |
Poème de la maladie, du froid et de la mort. Hiver et dépersonnalisation. |
L’âme d’un vieux poète erre dans la gouttière Avec la triste voix d’un fantôme frileux. |
76 |
Spleen (« J’ai plus de souvenirs ») |
Métaphores du meuble aux souvenirs, du cimetière, du vieux boudoir et du sphinx (un ennui qui prend les proportions de l’immortalité). |
J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. […] -Je suis un cimetière abhorré de la lune, Où comme des remords se traînent de longs vers Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers. |
77 |
Spleen (« Je suis comme le roi ») |
Le roi (à la fois jeune et vieux) d’un pays pluvieux qui s’ennuie et que rien ne distrait : la mélancolie. Cf. « une mort héroïque ». |
S’ennuie avec ses chiens comme avec d’autres bêtes. Rien ne peut l’égayer, ni gibier, ni faucon, Ni son peuple mourant en face du balcon. |
78 |
Spleen (« Quand le ciel bas et lourd ») |
Resserrement progressif sur le sentiment angoissé d’une défaite intérieure : intériorisation du spleen jusqu’à réduire le poète à n’être plus qu’un défilé de sensations et de sentiments dysphoriques. |
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis. […] Et d’anciens corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme ; et, l’Espoir Pleurant comme un vaincu, l’Angoisse despotique Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. |
79 |
Obsession |
Obsession et cauchemars : forêts effrayantes, océan tumultueux, étoiles incompréhensibles. Mais les ténèbres sont la toile où apparaissent des êtres familiers… |
Où vivent, jaillissant de mon œil par milliers, Des êtres disparus aux regards familiers. |
80 |
Le Goût du néant |
L’esprit vaincu ne doit plus lutter : se résigner à la chute irrémédiable. |
Et le Temps m’engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur. |
81 |
Alchimie de la douleur |
Le poète constate que son imagination est gouvernée par un principe négatif, reversement du principe de transmutation positif qui a si longtemps servi de comparant au travail poétique. |
Par toi je change l’or en fer Et le paradis en enfer. |
82 |
Horreur sympathique |
Interpellé, le libertin revendique son orgueil d’être en enfer. |
Insatiablement avide De l’obscur et de l’incertain, Je ne geindrai pas comme Ovide Chassé du paradis latin. |
83 |
L’Héautontimôrouménos |
« Bourreau de soi-même ou celui qui se punit lui-même en grec ancien ». titre reprenant celui d’une comédie latine de Térence (v.190-159 av. J.-C.). Le tourmenteur de la femme retourne la souffrance contre lui-même. Sentiment de fatalité à l’endroit de ses propres pulsions sadiques. |
Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau ! Je suis de mon cœur le vampire. |
84 |
L’Irrémédiable |
Tableau d’une condition humaine emprisonnée dans une finitude douloureuse et irrémédiablement exilée de sa nature primitive : « la conscience dans le Mal ! » |
-Emblèmes nets, tableau parfait D’une fortune irrémédiable, Qui donne à penser que le Diable Fait toujours bien tout ce qu’il fait ! |
85 |
L’Horloge |
Prosopopée de l’horloge qui invite à méditer sur la fuite du temps et la culpabilité. |
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi. |
TABLEAUX PARISIENS |
|||
86 |
Paysage |
Hésitation entre intuition d’une voie nouvelle et fidélité à une tradition pastorale et idyllique à laquelle il n’a jamais adhéré jusque-là. |
L’Émeute, tempêtant vainement à ma vitre, Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ; Car je serai plongé dans cette volupté. |
87 |
Le Soleil |
Même tension entre la poésie de la ville et celle de l’idylle bucolique. |
Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes, Il ennoblit le sort des choses les plus viles. |
88 |
A une mendiante rousse |
Le portrait d’une mendiante à la manière des poètes du XVIe siècle (pastiche de la poésie amoureuse). |
Va donc, sans autre ornement, Parfum, perles, diamant, Que ta maigre nudité, Ô ma beauté ! |
89 |
Le Cygne |
Texte envoyé à Hugo : nostalgie du Paris qui n’est plus. Le cygne adresse des reproches à Dieu comme un exilé (Andromaque, Ovide, la négresse, Hugo). |
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie, Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs. |
90 |
Les sept vieillards |
Vision d’un vieillard sept fois répété à laquelle le poète s’efforce d’échapper. Incarnation d’une hostilité, d’une agressivité que Baudelaire éprouverait à l’endroit de tel aspect du réel et qui lui reviendraient par le biais de l’hallucination. |
Aurais-je sans mourir, contemplé le huitième, Sosie inexorable, ironique et fatal, Dégoûtant Phénix, fils et père de lui-même ? -Mais je tournai le dos au cortège infernal. |
91 |
Les Petites Vieilles |
Evocation de toutes ces petites vieilles que plus personne ne remarque et qui cachent des vies complexes et variées : symbole des habitants de Paris et de l’humanité. |
Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ; Mon cœur multiplié jouit de tous les vices ! Mon âme resplendit de toutes nos vertus ! |
92 |
Les Aveugles |
Portrait cruel des aveugles qui tournent les yeux au ciel : nouvelle allégorie du poète. |
Eprise du plaisir jusqu’à l’atrocité, Vois ! je me traîne aussi ! mais, plus qu’eux hébété, Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ? |
93 |
A une passante |
La vision fugitive d’une femme en deuil (rêve, souvenir, réalité, fantasme ?) : un amour impossible, incarnation de l’Idéal ? |
Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais ! |
94 |
Le squelette laboureur |
Angoisse d’une condamnation à vivre au-delà de la mort ; la perfection d’une forme dont la beauté aurait une fonction thaumaturge. |
Qu’envers nous le Néant est traître ; Que tout, même la Mort, nous ment. |
95 |
Le Crépuscule du soir |
Paris au crépuscule : le théâtre du Mal, le monde du travail et celui de la douleur. |
Recueille-toi mon âme en ce grave moment, Et ferme ton oreille à ce rugissement. |
96 |
Le Jeu |
Le cauchemar du poète qui se voit céder à la tentation de s’identifier à des joueurs choisissant consciemment le Mal (inspiré par une gravure de Darcis). |
Et mon cœur s’effraya d’envier maint pauvre homme Courant avec ferveur à l’abîme néant, Et, soûlé de son sang, préférerait en somme La douleur à la mort et l’enfer au néant ! |