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14 janvier 2025 2 14 /01 /janvier /2025 20:09

Maître Bridaine, entrant. : Seigneur, votre fils est sur la place, suivi de tous les polissons du village.

Le Baron : Cela est impossible.

Maître Bridaine : Je l’ai vu de mes propres yeux. Il ramassait des cailloux pour faire des ricochets.

Le Baron : Des ricochets ? ma tête s’égare ; voilà mes idées qui se bouleversent. Vous me faites un rapport insensé, Bridaine. Il est inouï qu’un docteur fasse des ricochets.

Maître Bridaine : Mettez-vous à la fenêtre, monseigneur, vous le verrez de vos propres yeux.

Le Baron, à part. : Ô ciel ! Blazius a raison ; Bridaine va de travers.

Maître Bridaine : Regardez, monseigneur, le voilà au bord du lavoir. Il tient sous le bras une jeune paysanne.

Le Baron : Une jeune paysanne ? Mon fils vient-il ici pour débaucher mes vassales ? Une paysanne sous le bras ! et tous les gamins du village autour de lui ! Je me sens hors de moi.

Maître Bridaine : Cela crie vengeance.

Le Baron : Tout est perdu ! — perdu sans ressource ! — Je suis perdu ; Bridaine va de travers, Blazius sent le vin à faire horreur, et mon fils séduit toutes les filles du village en faisant des ricochets.

Il sort.

ACTE DEUXIÈME

Scène première

Un jardin.

Entrent Maître Blazius et Perdican.

Maître Blazius : Seigneur, votre père est au désespoir.

Perdican : Pourquoi cela ?

Maître Blazius : Vous n’ignorez pas qu’il avait formé le projet de vous unir à votre cousine Camille.

Perdican : Eh bien ? Je ne demande pas mieux.

Maître Blazius : Cependant le baron croit remarquer que vos caractères ne s’accordent pas.

Perdican : Cela est malheureux ; je ne puis refaire le mien.

Maître Blazius : Rendrez-vous par là ce mariage impossible ?

Perdican : Je vous répète que je ne demande pas mieux que d’épouser Camille. Allez trouver le baron et dites-lui cela.

Maître Blazius : Seigneur, je me retire : voilà votre cousine qui vient de ce côté.

Il sort. — Entre Camille.

Perdican : Déjà levée, cousine ? J’en suis toujours pour ce que je t’ai dit hier ; tu es jolie comme un cœur.

Camille : Parlons sérieusement, Perdican ; votre père veut nous marier. Je ne sais ce que vous en pensez ; mais je crois bien faire en vous prévenant que mon parti est pris là-dessus.

Perdican : Tant pis pour moi si je vous déplais.

Camille : Pas plus qu’un autre, je ne veux pas me marier : il n’y a rien là dont votre orgueil puisse souffrir.

Perdican : L’orgueil n’est pas mon fait ; je n’en estime ni les joies ni les peines.

Camille : Je suis venue ici pour recueillir le bien de ma mère ; je retourne demain au couvent.

Perdican : Il y a de la franchise dans ta démarche ; touche là et soyons bons amis.

Camille : Je n’aime pas les attouchements.

Perdican, lui prenant la main. : Donne-moi ta main, Camille, je t’en prie. Que crains-tu de moi ? Tu ne veux pas qu’on nous marie ? eh bien ! ne nous marions pas ; est-ce une raison pour nous haïr ? ne sommes-nous pas le frère et la sœur ? Lorsque ta mère a ordonné ce mariage dans son testament, elle a voulu que notre amitié fût éternelle, voilà tout ce qu’elle a voulu. Pourquoi nous marier ? voilà ta main et voilà la mienne, et pour qu’elles restent unies ainsi jusqu’au dernier soupir, crois-tu qu’il nous faille un prêtre ? Nous n’avons besoin que de Dieu.

Camille : Je suis bien aise que mon refus vous soit indifférent.

Perdican : Il ne m’est point indifférent, Camille. Ton amour m’eût donné la vie, mais ton amitié m’en consolera. Ne quitte pas le château demain ; hier, tu as refusé de faire un tour de jardin, parce que tu voyais en moi un mari dont tu ne voulais pas. Reste ici quelques jours, laisse-moi espérer que notre vie passée n’est pas morte à jamais dans ton cœur.

Camille : Je suis obligée de partir.

Perdican : Pourquoi ?

Camille : C’est mon secret.

Perdican : En aimes-tu un autre que moi ?

Camille : Non ; mais je veux partir.

Perdican : Irrévocablement ?

Camille : Oui, irrévocablement.

Perdican : Eh bien ! adieu. J’aurais voulu m’asseoir avec toi sous les marronniers du petit bois et causer de bonne amitié une heure ou deux. Mais si cela te déplaît, n’en parlons plus ; adieu, mon enfant.

Il sort.

Camille, à dame Pluche qui entre. : Dame Pluche, tout est-il prêt ? Partirons-nous demain ? Mon tuteur a-t-il fini ses comptes ?

Dame Pluche : Oui, chère colombe sans tache. Le Baron m’a traitée de pécore hier soir, et je suis enchantée de partir.

Camille : Tenez, voilà un mot d’écrit que vous porterez avant dîner, de ma part, à mon cousin Perdican.

Dame Pluche : Seigneur mon Dieu ! est-ce possible ? Vous écrivez un billet à un homme ?

Camille : Ne dois-je pas être sa femme ? je puis bien écrire à mon fiancé.

Dame Pluche : Le seigneur Perdican sort d’ici. Que pouvez-vous lui écrire ? Votre fiancé, miséricorde ! Serait-il vrai que vous oubliiez Jésus ?

Camille : Faites ce que je vous dis, et disposez tout pour notre départ.

(Elles sortent.)

Scène II

La salle à manger. — On met le couvert.

Entre Maître Bridaine.

Maître Bridaine : Cela est certain, on lui donnera encore aujourd’hui la place d’honneur. Cette chaise que j’ai occupée si longtemps à la droite du baron sera la proie du gouverneur. Ô malheureux que je suis ! Un âne bâté, un ivrogne sans pudeur, me relègue au bas bout de la table ! Le majordome lui versera le premier verre de malaga, et lorsque les plats arriveront à moi, ils seront à moitié froids, et les meilleurs morceaux déjà avalés ; il ne restera plus autour des perdreaux ni choux ni carottes. Ô sainte Église catholique ! Qu’on lui ait donné cette place hier, cela se concevait ; il venait d’arriver ; c’était la première fois, depuis nombre d’années, qu’il s’asseyait à cette table. Dieu ! comme il dévorait ! Non, rien ne me restera que des os et des pattes de poulet. Je ne souffrirai pas cet affront. Adieu, vénérable fauteuil où je me suis renversé tant de fois gorgé de mets succulents ! Adieu, bouteilles cachetées, fumet sans pareil de venaisons cuites à point ! Adieu, table splendide, noble salle à manger, je ne dirai plus le bénédicité ! Je retourne à ma cure ; on ne me verra pas confondu parmi la foule des convives, et j’aime mieux, comme César, être le premier au village que le second dans Rome.

Il sort.

Scène III

Un champ devant une petite maison.

Entrent Rosette et Perdican.

Perdican : Puisque ta mère n’y est pas, viens faire un tour de promenade.

Rosette : Croyez-vous que cela me fasse du bien, tous ces baisers que vous me donnez ?

Perdican : Quel mal y trouves-tu ? Je t’embrasserais devant ta mère. N’es-tu pas la sœur de Camille ? Ne suis-je pas ton frère comme le sien ?

Rosette : Des mots sont des mots et des baisers sont des baisers. Je n’ai guère d’esprit et je m’en aperçois bien sitôt que je veux dire quelque chose. Les belles dames savent leur affaire, selon qu’on leur baise la main droite ou la main gauche ; leurs pères les embrassent sur le front, leurs frères sur la joue, leurs amoureux sur les lèvres ; moi, tout le monde m’embrasse sur les deux joues, et cela me chagrine.

Perdican : Que tu es jolie, mon enfant !

Rosette : Il ne faut pas non plus vous fâcher pour cela. Comme vous paraissez triste ce matin ! Votre mariage est donc manqué ?

Perdican : Les paysans de ton village se souviennent de m’avoir aimé ; les chiens de la basse-cour et les arbres du bois s’en souviennent aussi ; mais Camille ne s’en souvient pas. Et toi, Rosette, à quand le mariage ?

Rosette : Ne parlons pas de cela, voulez-vous ? Parlons du temps qu’il fait, de ces fleurs que voilà, de vos chevaux et de mes bonnets.

Perdican : De tout ce qui te plaira, de tout ce qui peut passer sur tes lèvres sans leur ôter ce sourire céleste que je respecte plus que ma vie.

Il l’embrasse.

Rosette : Vous respectez mon sourire, mais vous ne respectez guère mes lèvres, à ce qu’il me semble. Regardez donc ; voilà une goutte de pluie qui me tombe sur la main, et cependant le ciel est pur.

Perdican : Pardonne-moi.

Rosette : Que vous ai-je fait, pour que vous pleuriez ?

Ils sortent.

Scène IV

Au château.

Entrent Maître Blazius et Le Baron.

Maître Blazius : Seigneur, j’ai une chose singulière à vous dire. Tout à l’heure, j’étais par hasard dans l’office, je veux dire dans la galerie : qu’aurais-je été faire dans l’office ? J’étais donc dans la galerie. J’avais trouvé par accident une bouteille, je veux dire une carafe d’eau : comment aurais-je trouvé une bouteille dans la galerie ? J’étais donc en train de boire un coup de vin, je veux dire un verre d’eau, pour passer le temps, et je regardais par la fenêtre, entre deux vases de fleurs qui me paraissaient d’un goût moderne, bien qu’ils soient imités de l’étrusque.

Le Baron : Quelle insupportable manière de parler vous avez adoptée, Blazius ! Vos discours sont inexplicables.

Maître Blazius : Écoutez-moi, seigneur, prêtez-moi un moment d’attention. Je regardais donc par la fenêtre. Ne vous impatientez pas, au nom du ciel ! Il y va de l’honneur de la famille.

Le Baron : De la famille ! Voilà qui est incompréhensible. De l’honneur de la famille, Blazius ! Savez-vous que nous sommes trente-sept mâles, et presque autant de femmes, tant à Paris qu’en province ?

Maître Blazius : Permettez-moi de continuer. Tandis que je buvais un coup de vin, je veux dire un verre d’eau, pour chasser la digestion tardive, imaginez que j’ai vu passer sous la fenêtre dame Pluche hors d’haleine.

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