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14 janvier 2025 2 14 /01 /janvier /2025 18:18

 

Scène IV

Entre Le Chœur.

Le Chœur : Il se passe assurément quelque chose d’étrange au château ; Camille a refusé d’épouser Perdican ; elle doit retourner aujourd’hui au couvent dont elle est venue. Mais je crois que le seigneur son cousin s’est consolé avec Rosette. Hélas ! la pauvre fille ne sait pas quel danger elle court en écoutant les discours d’un jeune et galant seigneur.

Dame Pluche, entrant. : Vite, vite, qu’on selle mon âne !

Le Chœur : Passerez-vous comme un songe léger, ô vénérable dame ? Allez-vous si promptement enfourcher derechef cette pauvre bête qui est si triste de vous porter ?

 

Dame Pluche : Dieu merci, chère canaille, je ne mourrai pas ici.

Le Chœur : Mourez au loin, Pluche, ma mie ; mourez inconnue dans un caveau malsain. Nous ferons des vœux pour votre respectable résurrection.

Dame Pluche : Voici ma maîtresse qui s’avance. (À Camille qui entre.) Chère Camille, tout est prêt pour notre départ ; le baron a rendu ses comptes, et mon âne est bâté.

Camille : Allez au diable, vous et votre âne ; je ne partirai pas aujourd’hui.

Elle sort.

Le Chœur : Que veut dire ceci ? Dame Pluche est pâle de terreur ; ses faux cheveux tentent de se hérisser, sa poitrine siffle avec force et ses doigts s’allongent en se crispant.

Dame Pluche : Seigneur Jésus ! Camille a juré !

Elle sort.

Scène V

Entrent Le Baron et Maître Bridaine.

Maître Bridaine : Seigneur, il faut que je vous parle en particulier. Votre fils fait la cour à une fille du village.

Le Baron : C’est absurde, mon ami.

Maître Bridaine : Je l’ai vu distinctement passer dans la bruyère en lui donnant le bras ; il se penchait à son oreille et lui promettait de l’épouser.

Le Baron : Cela est monstrueux.

Maître Bridaine : Soyez-en convaincu ; il lui a fait un présent considérable, que la petite a montré à sa mère.

Le Baron : Ô ciel ! considérable, Bridaine ? En quoi considérable ?

Maître Bridaine : Pour le poids et pour la conséquence. C’est la chaîne d’or qu’il portait à son bonnet.

Le Baron : Passons dans mon cabinet ; je ne sais à quoi m’en tenir.

Ils sortent.

Scène VI

La chambre de Camille.

Entrent Camille et Dame Pluche.

Camille : Il a pris ma lettre, dites-vous ?

Dame Pluche : Oui, mon enfant, il s’est chargé de la mettre à la poste.

Camille : Allez au salon, dame Pluche ; et faites-moi le plaisir de dire à Perdican que je l’attends ici. (Dame Pluche sort.) Il a lu ma lettre, cela est certain ; sa scène du bois est une vengeance, comme son amour pour Rosette. Il a voulu me prouver qu’il en aimait une autre que moi, et jouer l’indifférent malgré son dépit. Est-ce qu’il m’aimerait, par hasard ? (Elle lève la tapisserie.) Es-tu là, Rosette ?

Rosette, entrant. : Oui, puis-je entrer ?

Camille : Écoute-moi, mon enfant ; le seigneur Perdican ne te fait-il pas la cour ?

Rosette : Hélas ! oui.

Camille : Que penses-tu de ce qu’il t’a dit ce matin ?

Rosette : Ce matin ? Où donc ?

Camille : Ne fais pas l’hypocrite. — Ce matin à la fontaine, dans le petit bois.

Rosette : Vous m’avez donc vue ?

Camille : Pauvre innocente ! Non, je ne t’ai pas vue. Il t’a fait de beaux discours, n’est-ce pas ? Gageons qu’il t’a promis de t’épouser.

Rosette : Comment le savez-vous ?

Camille : Qu’importe comment je le sais ? Crois-tu à ses promesses, Rosette ?

Rosette : Comment n’y croirais-je pas ? il me tromperait donc ? Pour quoi faire ?

Camille : Perdican ne t’épousera pas, mon enfant.

Rosette : Hélas ! je n’en sais rien.

Camille : Tu l’aimes, pauvre fille ; il ne t’épousera pas, et la preuve, je vais te la donner ; rentre derrière ce rideau, tu n’auras qu’à prêter l’oreille et à venir quand je t’appellerai.

Rosette sort.

Camille : Moi qui croyais faire un acte de vengeance, ferais-je un acte d’humanité ? La pauvre fille a le cœur pris. (Entre Perdican.) Bonjour, cousin, asseyez-vous.

Perdican : Quelle toilette, Camille ! À qui en voulez-vous ?

Camille : À vous, peut-être ; je suis fâchée de n’avoir pu me rendre au rendez-vous que vous m’avez demandé ; vous aviez quelque chose à me dire ?

Perdican, à part. : Voilà, sur ma vie, un petit mensonge assez gros, pour un agneau sans tache ; je l’ai vue derrière un arbre écouter la conversation. (Haut.) Je n’ai rien à vous dire qu’un adieu, Camille ; je croyais que vous partiez ; cependant votre cheval est à l’écurie, et vous n’avez pas l’air d’être en robe de voyage.

Camille : J’aime la discussion ; je ne suis pas bien sûre de ne pas avoir eu envie de me quereller encore avec vous.

Perdican : À quoi sert de se quereller, quand le raccommodement est impossible ? Le plaisir des disputes, c’est de faire la paix.

Camille : Êtes-vous convaincu que je ne veuille pas la faire ?

Perdican : Ne raillez pas ; je ne suis pas de force à vous répondre.

Camille : Je voudrais qu’on me fît la cour ; je ne sais si c’est que j’ai une robe neuve, mais j’ai envie de m’amuser. Vous m’avez proposé d’aller au village, allons-y, je veux bien, mettons-nous en bateau ; j’ai envie d’aller dîner sur l’herbe, ou de faire une promenade dans la forêt. Fera-t-il clair de lune, ce soir ? Cela est singulier, vous n’avez plus au doigt la bague que je vous ai donnée.

Perdican : Je l’ai perdue.

Camille : C’est donc pour cela que je l’ai trouvée ; tenez, Perdican, la voilà.

Perdican : Est-ce possible ? Où l’avez-vous trouvée ?

Camille : Vous regardez si mes mains sont mouillées, n’est-ce pas ? En vérité, j’ai gâté ma robe de couvent pour retirer ce petit hochet d’enfant de la fontaine. Voilà pourquoi j’en ai mis une autre, et je vous dis, cela m’a changée ; mettez donc cela à votre doigt.

Perdican : Tu as retiré cette bague de l’eau, Camille, au risque de te précipiter ? Est-ce un songe ? La voilà ; c’est toi qui me la mets au doigt ! Ah ! Camille, pourquoi me le rends-tu, ce triste gage d’un bonheur qui n’est plus ? Parle, coquette et imprudente fille, pourquoi pars-tu ? pourquoi restes-tu ? Pourquoi, d’une heure à l’autre, changes-tu d’apparence et de couleur, comme la pierre de cette bague à chaque rayon de soleil ?

Camille : Connaissez-vous le cœur des femmes, Perdican ? Êtes-vous sûr de leur inconstance, et savez-vous si elles changent réellement de pensée en changeant quelquefois de langage ? Il y en a qui disent que non. Sans doute, il nous faut souvent jouer un rôle, souvent mentir ; vous voyez que je suis franche ; mais êtes-vous sûr que tout mente dans une femme, lorsque sa langue ment ? Avez-vous bien réfléchi à la nature de cet être faible et violent, à la rigueur avec laquelle on le juge, aux principes qu’on lui impose ? Et qui sait si, forcée à tromper par le monde, la tête de ce petit être sans cervelle ne peut pas y prendre plaisir, et mentir quelquefois par passe-temps, par folie, comme elle ment par nécessité ?

Perdican : Je n’entends rien à tout cela, et je ne mens jamais. Je t’aime Camille, voilà tout ce que je sais.

Camille : Vous dites que vous m’aimez, et vous ne mentez jamais ?

Perdican : Jamais.

Camille : En voilà une qui dit pourtant que cela vous arrive quelquefois. (Elle lève la tapisserie ; Rosette paraît dans le fond, évanouie sur une chaise.) Que répondrez-vous à cette enfant, Perdican, lorsqu’elle vous demandera compte de vos paroles ? Si vous ne mentez jamais, d’où vient donc qu’elle s’est évanouie en vous entendant me dire que vous m’aimez ? Je vous laisse avec elle ; tâchez de la faire revenir.

Elle veut sortir.

Perdican : Un instant, Camille, écoutez-moi.

Camille : Que voulez-vous me dire ? c’est à Rosette qu’il faut parler. Je ne vous aime pas, moi ; je n’ai pas été chercher par dépit cette malheureuse enfant au fond de sa chaumière, pour en faire un appât, un jouet ; je n’ai pas répété imprudemment devant elle des paroles brûlantes adressées à une autre ; je n’ai pas feint de jeter au vent pour elle le souvenir d’une amitié chérie ; je ne lui ai pas mis ma chaîne au cou, je ne lui ai pas dit que je l’épouserais.

Perdican : Écoutez-moi, écoutez-moi !

Camille : N’as-tu pas souri tout à l’heure quand je t’ai dit que je n’avais pu aller à la fontaine ? Eh bien ! oui, j’y étais et j’ai tout entendu ; mais, Dieu m’en est témoin, je ne voudrais pas y avoir parlé comme toi. Que feras-tu de cette fille-là, maintenant, quand elle viendra, avec tes baisers ardents sur les lèvres, te montrer en pleurant la blessure que tu lui as faite ? Tu as voulu te venger de moi, n’est-ce pas, et me punir d’une lettre écrite à mon couvent ? tu as voulu me lancer à tout prix quelque trait qui pût m’atteindre, et tu comptais pour rien que ta flèche empoisonnée traversât cette enfant, pourvu qu’elle me frappât derrière elle. Je m’étais vantée de t’avoir inspiré quelque amour, de te laisser quelque regret. Cela t’a blessé dans ton noble orgueil ? Eh bien ! apprends-le de moi, tu m’aimes, entends-tu ; mais tu épouseras cette fille, ou tu n’es qu’un lâche !

Perdican : Oui, je l’épouserai.

Camille : Et tu feras bien.

Perdican : Très bien, et beaucoup mieux qu’en t’épousant toi-même. Qu’y a-t-il, Camille, qui t’échauffe si fort ? Cette enfant s’est évanouie ; nous la ferons bien revenir, il ne faut pour cela qu’un flacon de vinaigre ; tu as voulu me prouver que j’avais menti une fois dans ma vie ; cela est possible, mais je te trouve hardie de décider à quel instant. Viens, aide-moi à secourir Rosette.

Ils sortent.

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