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14 janvier 2025 2 14 /01 /janvier /2025 17:57

Scène VII

Le Baron et Camille.

Le Baron : Si cela se fait, je deviendrai fou.

Camille : Employez votre autorité.

Le Baron : Je deviendrai fou, et je refuserai mon consentement, voilà qui est certain.

Camille : Vous devriez lui parler et lui faire entendre raison.

Le Baron : Cela me jettera dans le désespoir pour tout le carnaval, et je ne paraîtrai pas une fois à la Cour. C’est un mariage disproportionné. Jamais on n’a entendu parler d’épouser la sœur de lait de sa cousine ; cela passe toute espèce de bornes.

Camille : Faites-le appeler, et dites-lui nettement que ce mariage vous déplaît. Croyez-moi, c’est une folie, et il ne résistera pas.

Le Baron : Je serai vêtu de noir cet hiver ; tenez-le pour assuré.

Camille : Mais, parlez-lui, au nom du ciel ! C’est un coup de tête qu’il a fait ; peut-être n’est-il déjà plus temps ; s’il en a parlé, il le fera.

Le Baron : Je vais m’enfermer pour m’abandonner à ma douleur. Dites-lui, s’il me demande, que je suis enfermé, et que je m’abandonne à ma douleur de le voir épouser une fille sans nom.

Il sort.

Camille : Ne trouverai-je pas ici un homme de cœur ? En vérité, quand on en cherche, on est effrayé de sa solitude. (Entre Perdican.) Eh bien, cousin, à quand le mariage ?

Perdican : Le plus tôt possible ; j’ai déjà parlé au notaire, au curé, et à tous les paysans.

Camille : Vous comptez donc réellement que vous épouserez Rosette ?

Perdican : Assurément.

Camille : Qu’en dira votre père ?

Perdican : Tout ce qu’il voudra ; il me plaît d’épouser cette fille ; c’est une idée que je vous dois, et je m’y tiens. Faut-il vous répéter les lieux communs les plus rebattus sur sa naissance et sur la mienne ? Elle est jeune et jolie, et elle m’aime ; c’est plus qu’il n’en faut pour être trois fois heureux. Qu’elle ait de l’esprit ou qu’elle n’en ait pas, j’aurais pu trouver pire. On criera, on raillera ; je m’en lave les mains.

Camille : Il n’y a rien là de risible ; vous faites très bien de l’épouser. Mais je suis fâchée pour vous d’une chose : c’est qu’on dira que vous l’avez fait par dépit.

Perdican : Vous êtes fâchée de cela ? Oh ! que non.

Camille : Si, j’en suis vraiment fâchée pour vous. Cela fait du tort à un jeune homme, de ne pouvoir résister à un moment de dépit.

Perdican : Soyez-en donc fâchée ; quant à moi, cela m’est bien égal.

Camille : Mais vous n’y pensez pas ; c’est une fille de rien.

Perdican : Elle sera donc de quelque chose, lorsqu’elle sera ma femme.

Camille : Elle vous ennuiera avant que le notaire ait mis son habit neuf et ses souliers pour venir ici ; le cœur vous lèvera au repas de noces, et le soir de la fête vous lui ferez couper les mains et les pieds, comme dans les contes arabes, parce qu’elle sentira le ragoût.

Perdican : Vous verrez que non. Vous ne me connaissez pas ; quand une femme est douce et sensible, fraîche, bonne et belle, je suis capable de me contenter de cela, oui, en vérité, jusqu’à ne pas me soucier de savoir si elle parle latin.

Camille : Il est à regretter qu’on ait dépensé tant d’argent pour vous l’apprendre ; c’est trois mille écus de perdus.

Perdican : Oui ; on aurait mieux fait de les donner aux pauvres.

Camille : Ce sera vous qui vous en chargerez, du moins pour les pauvres d’esprit.

Perdican : Et ils me donneront en échange le royaume des cieux, car il est à eux.

Camille : Combien de temps durera cette plaisanterie ?

Perdican : Quelle plaisanterie ?

Camille : Votre mariage avec Rosette.

Perdican : Bien peu de temps ; Dieu n’a pas fait de l’homme une œuvre de durée : trente ou quarante ans, tout au plus.

Camille : Je suis curieuse de danser à vos noces !

Perdican : Écoutez-moi, Camille, voilà un ton de persiflage qui est hors de propos.

Camille : Il me plaît trop pour que je le quitte.

Perdican : Je vous quitte donc vous-même, car j’en ai tout à l’heure assez.

Camille : Allez-vous chez votre épousée ?

Perdican : Oui, j’y vais de ce pas.

Camille : Donnez-moi donc le bras ; j’y vais aussi.

Entre Rosette.

Perdican : Te voilà, mon enfant ! Viens, je veux te présenter à mon père.

Rosette, se mettant à genoux. : Monseigneur, je viens vous demander une grâce. Tous les gens du village à qui j’ai parlé ce matin m’ont dit que vous aimiez votre cousine, et que vous ne m’avez fait la cour que pour vous divertir tous deux ; on se moque de moi quand je passe, et je ne pourrai plus trouver de mari dans le pays, après avoir servi de risée à tout le monde. Permettez-moi de vous rendre le collier que vous m’avez donné, et de vivre en paix chez ma mère.

Camille : Tu es une bonne fille, Rosette ; garde ce collier, c’est moi qui te le donne, et mon cousin prendra le mien à la place. Quant à un mari, n’en sois pas embarrassée, je me charge de t’en trouver un.

Perdican : Cela n’est pas difficile, en effet. Allons, Rosette, viens, que je te mène à mon père.

Camille : Pourquoi ? Cela est inutile.

Perdican : Oui, vous avez raison, mon père nous recevrait mal : il faut laisser passer le premier moment de surprise qu’il a éprouvée. Viens avec moi, nous retournerons sur la place Je trouve plaisant qu’on dise que je ne t’aime pas quand je t’épouse. Pardieu ! nous les ferons bien taire.

Il sort avec Rosette.

Camille : Que se passe-t-il donc en moi ? Il l’emmène d’un air bien tranquille. Cela est singulier : il me semble que la tête me tourne. Est-ce qu’il l’épouserait tout de bon ? Holà ! dame Pluche, dame Pluche ! N’y a-t-il donc personne ici ? (Entre un valet.) Courez après le seigneur Perdican ; dites-lui vite qu’il remonte ici, j’ai à lui parler. (Le valet sort.) Mais qu’est-ce donc que tout cela ? Je n’en puis plus, mes pieds refusent de ne soutenir.

Rentre Perdican.

Perdican : Vous m’avez demandé, Camille ?

Camille : Non, — non.

Perdican : En vérité, vous voilà pâle ; qu’avez-vous à me dire ? Vous m’avez fait rappeler pour me parler ?

Camille : Non, non. — Ô Seigneur Dieu !

Elle sort.

Scène VIII

Un oratoire.

Entre Camille, elle se jette au pied de l’autel.

Camille : M’avez-vous abandonnée, ô mon Dieu ? Vous le savez, lorsque je suis venue, j’avais juré de vous être fidèle ; quand j’ai refusé de devenir l’épouse d’un autre que vous, j’ai cru parler sincèrement devant vous et ma conscience, vous le savez, mon père ; ne voulez-vous donc plus de moi ? Oh ! pourquoi faites-vous mentir la vérité elle-même ? Pourquoi suis-je si faible ? Ah ! malheureuse, je ne puis plus prier !

Entre Perdican.

Perdican : Orgueil, le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu venu faire entre cette fille et moi ? La voilà pâle et effrayée, qui presse sur les dalles insensibles son cœur et son visage. Elle aurait pu m’aimer, et nous étions nés l’un pour l’autre ; qu’es-tu venu faire sur nos lèvres, orgueil, lorsque nos mains allaient se joindre ?

Camille : Qui m’a suivie ? Qui parle sous cette voûte ? Est-ce toi, Perdican ?

Perdican : Insensés que nous sommes ! nous nous aimons. Quel songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles, quelles misérables folies ont passé comme un vent funeste entre nous deux ? Lequel de nous a voulu tromper l’autre ? Hélas ! cette vie est elle-même un si pénible rêve ! pourquoi encore y mêler les nôtres ? Ô mon Dieu ! le bonheur est une perle si rare dans cet océan d’ici-bas ! Tu nous l’avais donné, pêcheur céleste, tu l’avais tiré pour nous des profondeurs de l’abîme, cet inestimable joyau ; et nous, comme des enfants gâtés que nous sommes, nous en avons fait un jouet. Le vert sentier qui nous amenait l’un vers l’autre avait une pente si douce, il était entouré de buissons si fleuris, il se perdait dans un si tranquille horizon ! Il a bien fallu que la vanité, le bavardage et la colère vinssent jeter leurs rochers informes sur cette route céleste, qui nous aurait conduits à toi dans un baiser ! Il a bien fallu que nous nous fissions du mal, car nous sommes des hommes. Ô insensés ! nous nous aimons.

Il la prend dans ses bras.

Camille : Oui, nous nous aimons, Perdican ; laisse-moi le sentir sur ton cœur. Ce Dieu qui nous regarde ne s’en offensera pas ; il veut bien que je t’aime ; il y a quinze ans qu’il le sait.

Perdican : Chère créature, tu es à moi !

Il l’embrasse ; on entend un grand cri derrière l’autel.

Camille : C’est la voix de ma sœur de lait.

Perdican : Comment est-elle ici ? je l’avais laissée dans l’escalier, lorsque tu m’as fait rappeler. Il faut donc qu’elle m’ait suivi sans que je m’en sois aperçu.

Camille : Entrons dans cette galerie ; c’est là qu’on a crié.

Perdican : Je ne sais ce que j’éprouve ; il me semble que mes mains sont couvertes de sang.

Camille : La pauvre enfant nous a sans doute épiés ; elle s’est encore évanouie ; viens, portons-lui secours ; hélas ! tout cela est cruel.

Perdican : Non, en vérité, je n’entrerai pas ; je sens un froid mortel qui me paralyse. Vas-y, Camille, et tâche de la ramener. (Camille sort.) Je vous en supplie, mon Dieu ! ne faites pas de moi un meurtrier ! Vous voyez ce qui se passe ; nous sommes deux enfants insensés, et nous avons joué avec la vie et la mort ; mais notre cœur est pur ; ne tuez pas Rosette, Dieu juste ! Je lui trouverai un mari, je réparerai ma faute, elle est jeune, elle sera heureuse ; ne faites pas cela, ô Dieu ! vous pouvez bénir encore quatre de vos enfants. Eh bien ! Camille, qu’y a-t-il ?

Camille rentre.

Camille : Elle est morte. Adieu, Perdican !

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