ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR
Alfred de Musset
1834
Programme national d’œuvres pour l’enseignement de français pour l’année scolaire 2025-2026
Objets d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle.
Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour /
parcours : les jeux du cœur et de la parole.
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Résumé d’On ne badine pas avec l’amour, P.-G. Castex,
Édition SEDES, 1979.
ACTE PREMIER
Scène première
Une place devant le château.
Un chœur de paysans accueille successivement maître Blazius, le bedonnant précepteur de Perdican, et l’osseuse dame Pluche, gouvernante de Camille : ces deux personnages annoncent, à tour de rôle, la prochaine arrivée des deux jeunes gens.
Scène II
Le salon du Baron.
Le baron s’entretient avec maître Bridaine, le curé du village, et avec maître Blazius : il les instruit du projet qu’il a conçu de marier son fils Perdican, à sa nièce, Camille. Au cours de la scène, dame Pluche est venue confirmer le retour au château de Camille
Les deux jeunes gens arrivent en même temps. Camille oppose beaucoup de froideur à l’élan de son cousin. Le baron est consterné et confie son désappointement à Bridaine.
Scène III
Devant le château.
En un monologue, le chœur décrit, tels qu’il les imagine, Bridaine et Blazius en rivalité ouverte à la table du baron. Puis le baron témoigne à dame Pluche de la peine où l’a plongé le désaccord apparent des deux cousins.
Camille et Perdican reparaissent : ce désaccord se confirme. Camille est insensible aux souvenirs d’enfance qu’évoque Perdican à son intention. Nouvelles lamentations du baron qui, avec dame pluche, assiste caché à l’entretien.
Scène IV
Une place.
Perdican évoque avec le Chœur le temps d’autrefois. Soudain, il aperçoit Rosette, sœur de lait de Camille ; comme par jeu, il l’embrasse et l’emmène souper au château.
Scène V
Une salle.
Blazius déclare au baron que Bridaine est un ivrogne ; Bridaine lui apprend que son fils se promène au bras d’une jeune paysanne. Désespoir comique du baron.
Cette analyse fait ressortir nettement la coexistence de trois groupes dramatiques : un chœur de villageois ; quatre personnages diversement plaisants, tous quatre d’un certain âge, et que nous désignons par le terme de « fantoches » ; trois jeunes gens, manifestement appelés aux premiers rôles. Or, au cours du premier acte, le Chœur et les quatre fantoches ont tenu la plus grande place : le Chœur est intervenu trois fois ; le baron a tenté de mener le jeu et a pris à témoin les trois autres fantoches de sa déconvenue. Les protagonistes, eux, s’expriment assez peu : Camille et Perdican ont ensemble deux scènes très brèves, la première en présence du baron et de ses deux séides Bridaine et Blazius, la seconde seuls ou se croyant seuls, mais dans chacune des deux scènes l’extrême réserve de Camille glace les bonnes dispositions de Perdican ; puis Perdican a une scène, non moins brève, avec Rosette et, par dépit, commence à lui faire la cour. Un conflit sentimental s’ébauche, mais comme à l’arrière-plan ; le rideau, qui s’est levé sur un dialogue comique et hors de la présence des protagonistes, retombe de même : la bouffonnerie paraît, pour un temps, l’emporter.
ACTE DEUXIÈME
Scène première
Un jardin.
Après un bref échange de propos entre Perdican et son gouverneur Blazius, qui se retire bientôt, Camille arrive : c’est pour annoncer à Perdican son prochain départ ; puis, après la sortie de Perdican, elle charge dame Pluche de lui faire parvenir un billet.
Scène II
La salle à manger. — On met le couvert.
Monologue de Bridaine, désespéré à la pensée que Blazius occupera la place d’honneur à table et résolu à regagner sa cure.
Scène III
Un champ devant une petite maison.
Perdican accentue son jeu avec Rosette et elle lui reproche de trop l’embrasser.
Scène IV
Au château.
Blazius révèle au baron qu’il a surpris Camille en dispute avec dame Pluche et que sa nièce a une correspondance secrète avec un homme qui fait la cour à une gardeuse de dindons. Stupéfaction du baron.
Scène V
Une fontaine dans un bois.
Longue conversation entre Camille et Perdican, qui s’est rendu au rendez-vous fixé par le billet. Elle lui explique pourquoi elle a décidé de renoncer au monde.
Dans l’économie des éléments dramatiques, une constatation s’impose : ils sont ramenés, pour cet acte, de trois à deux ; le Chœur, qui a joué un rôle essentiel dans l’exposition, disparaît. Les fantoches, en revanche, ne tiennent guère moins de place qu’à l’acte premier ; Bridaine a même les honneurs d’une scène pour lui seul et son monologue est comme une réponse à celui du Chœur, qui, au premier acte, se plaisait à imaginer la rivalité à table des deux ecclésiastiques ; c’est ici l’un des deux rivaux qui parle, et qui justifie ainsi l’attente du Chœur.
Au cours des quatre premières scènes, où la matière se distribue à peu près également entre les fantoches et les protagonistes, il y a eu un nouveau dialogue entre Perdican et Camille, un nouveau dialogue entre Perdican et Rosette ; ces deux dialogues sont orientés dans le même sens que ceux du premier acte : un malentendu s’accentue, une trouble idylle s’ébauche ; l’action ne progresse guère. Puis les fantoches disparaissent et se laissent oublier, tant est considérable l’effet de la scène V où Camille et Perdican engagent une discussion de fond : cette scène, à elle seule, est plus longue que tout le reste de l’acte et représente plus d’un sixième de la pièce entière ; le lecteur ou le spectateur se sent introduit au cœur du drame ; l’entretien est le noyau de l’œuvre ; l’éloquence, la passion qui s’y expriment accaparent toute notre attention et concentrent tout notre intérêt.
ACTE TROISIÈME
Scène première
Devant le château.
Le baron reproche à Blazius de lui avoir fait un faux rapport en accusant sa nièce et il le chasse. Lorsqu’ils sont sortis, Perdican entre et monologue. Encore bouleversé de sa discussion véhémente avec Camille, il tâche de savoir où il en est de ses sentiments, et n’y parvient pas.
Scène II
Un chemin.
Bridaine, à son tour, monologue et, comme à l’acte II, gémit sur son sort ; il songe avec nostalgie à la vie de château, dont il s’est éloigné par amour-propre ; Blazius, lui-même tout déconfit, le rencontre et le supplie d’intercéder en sa faveur ; Bridaine lui oppose un refus hautain. Passe dame Pluche, qui porte une lettre de Camille ; Blazius veut la lui prendre. Perdican survient, se fait remettre la lettre et, non sans quelque scrupule, finit par l’ouvrir. Cette lettre est adressée à une amie de couvent : Camille s’y flatte de laisser, en partant, son cousin au désespoir. Perdican, piqué au vif, décide de riposter : il adresse un billet de rendez-vous à Camille, mais il amène avec lui Rosette et se dispose à lui faire la cour devant Camille elle-même.
Scène III
Le petit bois.
Camille reçoit le billet et va à l’endroit fixé pour le rendez-vous, qui est la fontaine du deuxième acte. Elle voit Perdican qui y arrive avec Rosette et elle se cache. Perdican devine qu’elle est là et joue son jeu cruel : il déclare à Rosette qu’il l’aime.
Scène IV
Entre le Chœur.
Le chœur fait le point d’une situation qui l’inquiète, puis apostrophe dame Pluche, qui prend des dispositions pour le départ. Mais Camille ne veut plus partir et en avise rudement sa gouvernante, en présence du Chœur intrigué.
Scène V
Entrent le baron et maître Bridaine.
Bridaine dénonce au baron les attentions, qu’il a surprises, de Perdican pour Rosette. Le baron en est tout éberlué.
Scène VI
La chambre de Camille.
Camille fait mander Perdican par dame Pluche, puis invite Rosette à se placer derrière une tapisserie ; par une manœuvre analogue à celle dont Perdican a usé envers elle, elle va amener Perdican à lui déclarer son amour en présence de Rosette cachée. Puis elle lève la tapisserie et découvre Rosette évanouie : Perdican est confondu. Camille le somme d’épouser Rosette, s’il n’est pas un lâche ; Perdican furieux s’y déclare prêt.
Scène VII
Entrent le baron et Camille.
Camille, prise à son propre piège, s’apprête à se défendre. Elle demande à son oncle le baron de s’opposer à la mésalliance de son cousin. Puis elle s’en prend à Perdican lui-même et se moque de lui. Il s’entête dans sa résolution. Camille est bouleversée, fait appel à son cousin, mais quand il est là, elle ne peut se résoudre à lui livrer le fond de son cœur.
Scène VIII
Un oratoire.
Camille s’adresse désespérément à Dieu. Perdican revient à elle, la trouve en plein désarroi, lui reproche son orgueil, la force à reconnaître qu’ils éprouvent l’un pour l’autre un amour mutuel. Au moment où elle lui cède et où il l’embrasse, on entend un grand cri derrière l’autel ; Rosette était là ; l’émotion l’a tuée. Camille dit adieu à Perdican.
Dans ce dernier acte, la distribution entre les éléments plaisants et les éléments sérieux est la même qu’à l’acte II : les fantoches interviennent seulement dans la première moitié ; puis ils s’effacent devant les protagonistes et nul dès lors ne songe plus à eux. Quant au Chœur, il reparaît une fois, au moment où l’aventure commence à tourner en tragédie et comme pour prendre conscience de ce tournant. Le dosage du comique et du tragique est inégal : les éléments tragiques l’emportent, et de loin. La pièce a débuté de façon bouffonne ; peu à peu le climat s’est alourdi, la situation s’est tendue, jusqu’à l’éclatement final.
L’invasion du drame est sensible, dans ce troisième acte, où, brusquement, les péripéties se succèdent, non sans artifices scéniques et procédés de convention (lettre interceptée, personnages cachés). Ce mouvement se précipite et contraste avec la lenteur relative des deux premiers actes, où il ne se passait pas grand-chose et où les ressorts psychologiques se bandaient peu à peu ; d’où la complexité croissante des situations. Le propre des pièces réussies est d’amener progressivement le spectateur au paroxysme de l’émotion : ici, l’action s’est déroulée dans un climat d’abord aimable, puis indécis, avant de basculer dans une catastrophe ; en même temps, elle s’est dépouillée des éléments de pittoresque extérieur dont elle s’agrémentait, pour se circonscrire à un affrontement impitoyable.
Cette intériorisation progressive est sensible jusque dans le choix des décors. Dans les deux premiers actes, nous sommes promenés partout où se manifeste la vie publique du village et de ses châtelains : chaque scène entraîne un changement de lieu ; chacune des six scènes des deux premiers actes se déroule en un lieu différent (une place, un salon, une salle à manger, etc.). Au dernier acte, plusieurs décors reparaissent (devant le château, le petit bois…), comme si le dramaturge se souciait moins de piquer l’attention du spectateur, désormais pris au jeu des passions et des sentiments ; plusieurs scènes se déroulent dans le même décor ; le découpage devient moins systématique. Surtout, le décor, vers la fin de la pièce, devient plus intime, puis plus solennel : la chambre de Camille, un oratoire. La montée de l’émotion tragique est rendue plus sensible, dans un cadre propre à en favoriser l’expression intense et nue.
Présentation d’On ne badine pas avec l’amour dans
Musset et son double dans quelques comédies et proverbes, Bernard Martial,
Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris.
Les principales sources de On ne badine pas avec l’amour sont des sources vécues ; elles se découvrent lorsque l’on confronte l’aventure de Perdican avec l’expérience de son créateur. Musset s’identifie souvent à Perdican, comme à Octave, à Coelio, à Fantasio ou à Lorenzaccio.
Selon son frère, Alfred de Musset, tout enfant, aurait conçu un amour fort sérieux pour sa cousine Clélie, qu’il voulait épouser. On sait d’autre part que Musset, après le collège, a fréquenté l’École de Droit ; il en a conservé un fort médiocre souvenir. Le château. Du baron, la campagne, la fontaine ont été peints, eux aussi, d’après les souvenirs de Musset : le poète adolescent a séjourné à plusieurs reprises au manoir de Bonaventure, sis au Gué du Loir dans le Maine. Pierre Odoul1 qui note cet oubli dans la Biographie2 de Paul, l’attribue à une volonté de passer sous silence un sentiment trouble d’Alfred pour sa sœur Hermine. Dans On ne badine pas avec l’amour, Perdican considère Camille comme sa sœur, ce qui ne l’empêche pas de l’aimer passionnément. Il la traite même comme Rosette3.
Mais c’est un passé beaucoup plus proche que nous devons interroger, pour comprendre dans quel climat fut rédigée cette pièce. Écrite quelques semaines après le retour d’Italie, l’histoire emprunte maints éléments au souvenir de George Sand et aux épisodes successifs des relations de Musset avec elle. Des rapprochements s’imposent entre On ne badine pas avec l’amour et Indiana4 ou André5. Selon Mme Dussane6, Musset aurait transposé dans l’évocation de l’aventure malheureuse de sœur Louise par Camille un des souvenirs de Sand à l’institution des Dames Augustines Anglaises.
Pour Paul de Musset, « la pièce […] porte en quelques passages des traces de l’état moral où était l’auteur ». En pleine rédaction d’On ne badine pas avec l’amour, Musset reçoit de George Sand une lettre dans laquelle on peut lire ces lignes qui seront reproduites textuellement à la scène 5 de l’acte II : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »
On peut encore relever dans la correspondance de Musset en avril, mai ou juin 1834, des phrases qui témoignent d’une confiance en l’amour assez étrangère à l’esprit de Lorenzaccio mais bien présente dans On ne badine pas avec l’amour, en dépit même des raisons qui condamnent à l’échec meurtrier l’aventure de Camille et de Perdican. Naturellement, cette renaissance, qu’il tâche d’éprouver en lui, ne le rend pas oublieux des souffrances, des tourments qui ont marqué la fin du séjour à Venise. De ces souffrances, les lettres à George Sand encore contiennent l’écho, comme la pièce. Musset incline à s’en déclarer responsable. Dans la pièce, Perdican est prêt, lui aussi à reconnaître une responsabilité, mais il suggère que Camille, de son côté, pourrait en avoir une :
« Insensés que nous sommes ! nous nous aimons. Quel songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles, quelles misérables folies ont passé comme un vent funeste entre nous deux ? Lequel de nous a voulu tromper l’autre ? » Acte III, scène VIII.
A juste titre, Maurice Allem écrit : « C’est Perdican qui parle à Camille ; c’est aussi Alfred de Musset qui médite sur le drame de ses amours avec George Sand. »
Il faut se garder toutefois de pousser l’identification trop loin. Sand est bien différente de Camille. Et c’est plutôt le problème du jeune homme qu’il est devant la jeune fille que pose Musset, énigme qui tout à la fois l’attire, le déconcerte et l’effraie. Musset a conscience qu’il ne saurait remplacer une maîtresse come George Sand, qu’il ne retrouvera jamais réuni au même degré en une même personne la beauté, la flamme, la générosité, l’humanité, le génie ; il se souvient aussi qu’il a vingt-trois ans et George Sand, près de trente ; elle a été pour lui une grande sœur, presque une mère, et elle l’a traité en enfant ; il rêve désormais d’autre chose et se sent attiré vers les jeunes filles. Il se révèle fort exigeant mais il a, désormais, une telle réputation de libertinage que les femmes se méfient de lui. Cette réputation va le poursuivre et souvent il devra protester, sans convaincre, de la pureté de ses intentions, en jurant, peut-être avec sincérité sur le moment, mais contre toute vraisemblance que le libertin était mort en lui. Perdican est sincère à la façon de Musset, lorsqu’il exalte l’amour comme un élan de toute l’âme et comme un hommage à la vie ; mais pas plus que Musset, il n’est homme à jurer de bon cœur une fidélité éternelle ; peut-être aurait-il convaincu Camille s’il avait pu tenir un autre langage. Ainsi Musset fut-il victime de ce personnage de libertin qu’il tenait avec éclat certes, sans pour autant qu’il s’y reconnaisse entièrement, en tout cas sans qu’il s’en satisfasse.
Biographie d’Alfred de Musset
Enfance
Né sous le Premier Empire, le 11 décembre 1810, dans la rue des Noyers (incorporée au boulevard Saint-Germain au milieu du XIXe siècle), Alfred de Musset appartient à une famille aristocratique, affectueuse et cultivée, lui ayant transmis le goût des lettres et des arts. Il prétend avoir pour arrière-grand-tante Jeanne d’Arc (son ancêtre Denis de Musset ayant épousé Catherine du Lys) et être cousin de la branche cousine de Joachim du Bellay. Une de ses arrière-grand-mères est Marguerite Angélique du Bellay, femme de Charles-Antoine de Musset. Son père, Victor Donatien de Musset-Pathay, est un haut fonctionnaire, chef de bureau au ministère de la Guerre, et un homme de lettres né le 5 juin 1768 près de Vendôme. Aristocrate libéral, il a épousé le 2 juillet 1801 Edmée-Claudette-Christine Guyot des Herbiers, née le 14 avril 1780, fille de Claude-Antoine Guyot des Herbiers (dit Guyot-Desherbiers). Le couple a eu quatre enfants : Paul-Edme, né le 7 novembre 1804, Louise-Jenny, née et morte en 1805, Alfred, né le 11 décembre 1810 et Charlotte-Amélie-Hermine, née le 1er novembre 1819. Son grand-père était poète, et son père était un spécialiste de Jean-Jacques Rousseau, dont il édita les œuvres. La figure de Rousseau jouera en l’occurrence un rôle essentiel dans l’œuvre du poète. Il lui a rendu hommage à plusieurs reprises, attaquant au contraire violemment Voltaire, l’adversaire de Rousseau. Son parrain, chez qui il passe des vacances dans la Sarthe au château de Cogners, est l’écrivain Musset de Cogners. L’histoire veut que lors d’un de ses séjours dans le château de son parrain, la vue qu’il avait depuis sa chambre sur le clocher de l’église de Cogners lui ait inspiré la très célèbre Ballade à la Lune. Par ailleurs, il retranscrira toute la fraîcheur du calme et de l’atmosphère de Cogners dans ses deux pièces de théâtre On ne badine pas avec l'amour et Margot. En octobre 1819, alors qu'il n’a pas encore neuf ans, il est inscrit en classe de sixième au collège Henri-IV – on y trouve encore une statue du poète –, où il a pour condisciple et ami un prince du sang, le duc de Chartres, fils du duc d’Orléans, et obtient en 1827 le deuxième prix de dissertation latine au Concours général.
Scolarité
Après son baccalauréat, il suit des études, vite abandonnées, de médecine, de droit et de peinture jusqu’en 1829, mais il s’intéresse surtout à la littérature. Il fait preuve d’une grande aisance d’écriture, se comportant comme un virtuose de la jeune poésie. Le 31 août 1828 paraît à Dijon, dans Le Provincial, le journal d’Aloysius Bertrand, Un rêve, ballade signée « ADM ». La même année, il publie L’Anglais mangeur d’opium, une traduction française peu fidèle des Confessions d'un mangeur d’opium anglais de Thomas de Quincey. Grâce à Paul Foucher, beau-frère de Victor Hugo, il fréquente dès l’âge de 17 ans le « Cénacle », ainsi que le salon de Charles Nodier à la Bibliothèque de l’Arsenal. Il témoigne de la sympathie pour Sainte-Beuve et Vigny, et se refuse à aduler le « maître » Victor Hugo. Il moquera notamment les promenades nocturnes du « cénacle » sur les tours de Notre-Dame. Il commence alors à mener une vie de « dandy débauché ».
Poète
Il publie en 1829 son premier recueil poétique, les Contes d’Espagne et d'Italie, salués par Pouchkine. Il est d’ailleurs le seul poète français de son temps que le poète russe apprécie vraiment. En 1830, à 20 ans, sa notoriété littéraire naissante s’accompagne déjà d'une réputation sulfureuse alimentée par son côté dandy et ses débauches répétées dans la société des demi-mondaines parisiennes. La même année, la révolution et les journées des Trois Glorieuses donnent le trône au duc d’Orléans et son ancien condisciple, le duc de Chartres, devient prince royal.
Auteur de théâtre
En décembre 1830, il écrit sa première pièce de théâtre (seul ce genre littéraire apporte alors argent et notoriété aux auteurs) : sa comédie en un acte, La Nuit vénitienne, donnée le 1er décembre 1830 à l’Odéon, est un échec accablant. L’auteur déclare « adieu à la ménagerie, et pour longtemps », comme il l’écrit à Prosper Chalas. S’il refuse la scène, Musset n’en garde pas moins le goût du théâtre. Il choisit dès lors de publier des pièces dans la Revue des deux Mondes, avant de les regrouper en volume sous le titre explicite Un Spectacle dans un fauteuil. La première livraison, en décembre 1832 se compose de trois poèmes, d'un drame, La Coupe et les Lèvres, d'une comédie, À quoi rêvent les jeunes filles ? et d'un conte oriental, Namouna. Musset exprime déjà dans ce recueil la douloureuse morbidité qui lie débauche et pureté, dans son œuvre. À 22 ans, le 8 avril 1832, Musset est anéanti par la mort de son père, dont il était très proche, victime de l’épidémie de choléra.
George Sand
En novembre 1833, il part pour Venise, en compagnie de George Sand, dont il a fait la connaissance lors d’un dîner donné aux collaborateurs de la Revue des deux Mondes le 19 juin. Mais Musset fréquente les grisettes pendant que George Sand est malade de la dysenterie et lorsqu'elle est guérie, Musset tombe malade à son tour, George Sand devenant alors la maîtresse de son médecin, Pietro Pagello. Ce voyage lui inspirera Lorenzaccio, considéré comme le chef-d’œuvre du drame romantique, qu’il écrit en 1834.
Chefs-d’œuvre
De retour à Paris, le , il publie la deuxième livraison de son « Spectacle dans un fauteuil », comprenant Les Caprices de Marianne, parue en revue en 1833, Lorenzaccio, inédit, André del Sarto (1833), Fantasio (1834) et On ne badine pas avec l’Amour (1834). Le Chandelier paraît dans la Revue des deux Mondes en 1835, Il ne faut jurer de rien en 1836 et Un caprice en 1837. Il écrit également des nouvelles en prose et La Confession d’un enfant du siècle, son autobiographie à peine déguisée dédiée à George Sand et dans laquelle il transpose les souffrances endurées. De 1835 à 1837, Musset compose son chef-d’œuvre lyrique, Les Nuits, rivales de celles d’Edward Young, James Hervey ou Novalis. Ces quatre poèmes : la Nuit de mai et la Nuit de décembre en 1835, puis La Nuit d’août en 1836 et La Nuit d’octobre en 1837 – sont construits autour des thèmes imbriqués de la douleur, de l’amour et de l’inspiration. Très sentimentaux, ils sont désormais considérés comme l’une des œuvres les plus représentatives du romantisme français. En 1836 il publie son roman autobiographique La Confession d’un enfant du siècle.
Vie sentimentale
Après sa séparation définitive d’avec George Sand, en mars 1835, il tombe amoureux de l’épouse d'un juriste et sœur de son ami Edmond d’Alton-Shée, pair de France, Caroline Jaubert, qu’il appelle « la petite fée blonde ». Leur liaison dure trois semaines avant de reprendre à la fin de 1835 ou au début de 1836. Hôte assidu de son salon, il en fera sa « marraine » et sa confidente, notamment tout au long de leur correspondance, qui s’étend sur vingt-deux ans. C’est chez elle qu’il fait la connaissance, en mars 1837, d’Aimée-Irène d’Alton, sa cousine, avec laquelle il entame une liaison heureuse et durable. Elle lui propose même de l’épouser. Abandonnée par Musset pour Pauline Garcia, qui se refuse à lui, elle épousera son frère Paul le 23 mai 1861. Alfred rencontre, le 29 mai 1839, à la sortie du Théâtre-Français, la comédienne Rachel, qui l’emmène souper chez elle, ils ont une brève liaison en juin. En 1842, la princesse Christine de Belgiojoso, amie de Caroline Jaubert, lui inspire une passion malheureuse.
Retour au théâtre
De 1848 à 1850, il a une liaison avec la comédienne Mlle Despréaux, qui avait découvert Un caprice dans une traduction russe de Alexandra Mikhaïlovna Karatiguine à Saint-Pétersbourg, et l’avait créé au théâtre Michel, le théâtre français de Saint-Pétersbourg, en 1843, dans le rôle de Mme de Léry. Elle reprend la pièce au Théâtre-Français en 1847. C’est grâce à cette pièce que Musset rencontre enfin le succès au théâtre, Théophile Gautier qualifie la pièce, dans La Presse, « tout bonnement de grand événement littéraire. »
Bibliothécaire
Grâce à l'amitié du duc d'Orléans, il est nommé bibliothécaire du ministère de l’Intérieur le 19 octobre 1838. Le duc d’Orléans meurt accidentellement en 1842. Après la Révolution française de 1848, ses liens avec la monarchie de Juillet lui valent d’être révoqué de ses fonctions par le nouveau ministre Ledru-Rollin, le 5 mai 1848. Puis, sous le Second Empire, il devient bibliothécaire du ministère de l’Instruction publique, avec des appointements de trois mille francs, le 18 mars 1853. Nommé chevalier de la Légion d’honneur le 24 avril 1845, en même temps que Balzac, il est élu à l’Académie française le 12 février 1852 au siège 10 du baron Dupaty, après deux échecs en 1848 et 1850. La réception a lieu le 27 mai suivant. Il fête le même jour sa nomination comme chancelier perpétuel au bordel et ses débordements alcooliques lui valent, de la part d'Eugène de Mirecourt, la formule de « chancelant perpétuel » au « verre qui tremble ». Ces crises convulsives, associées à des troubles neurologiques, font penser à une syphilis au stade tertiaire qu’il aurait contractée dans un bordel à 15 ans. En 1852, il a quelque temps, une liaison avec Louise Colet, la maîtresse de Flaubert.
Décès
De santé fragile, mais surtout en proie à l’alcoolisme, à l'oisiveté et à la débauche, il meurt de la tuberculose le 2 mai 1857 à 3h15 du matin à son domicile du 6 rue du Mont-Thabor - Paris 1er, quelque peu oublié. Cependant Lamartine, Mérimée, Vigny et Théophile Gautier assistent à ses obsèques en l’église Saint-Roch. On n’a révélé la mort de son fils à sa mère, qui était partie vivre chez sa fille Hermine à Angers, qu’après son enterrement. Le poète est inhumé à Paris, au cimetière du Père Lachaise (4ème division), où son monument funéraire se dresse sur l’avenue principale. En 1859, George Sand publie Elle et Lui, roman épistolaire d’inspiration autobiographique. Elle y révèle en particulier l’héautoscopie dont souffrait Musset, forme de dépersonnalisation qui explique le caractère hallucinatoire de La Nuit de décembre. Jugeant son frère calomnié par l’ensemble du roman, Paul de Musset lui réplique, six mois plus tard, en faisant paraître Lui et Elle.
1. Le drame intime d’Alfred de Musset, étude psychanalytique de l’œuvre et de la vie d’Alfred de Musset, Pierre Odoul, La Pensée universelle, Paris 1976, p. 155 à 176.
2. Biographie d’Alfred de Musset, Paul de Musset, Charpentier, Paris,1877.
3. Pierre Odoul montre ailleurs (ouvrage cité p. 290) que le personnage de Rosette est à rapprocher de la jeune paysanne des Adieux à Suzon que Musset connaissait depuis 183 » et avec laquelle il se consola en partie de ses malheurs avec George Sand.
4. Noun, sœur de lait et femme de chambre d’Indiana, se donne la mort, désespérée de voir son amant préférer Indiana.
5. Jean Pommier observe que le nœud est ici et là, « la séduction d’une fille de condition inférieure par un jeune seigneur savant, orphelin de mère, qui vit avec un père dans un château de province. », Variétés sur Alfred de Musset son théâtre, Nizet, Paris, 1944.
6. Voir Les Héroïnes de Musset, à la suite de Le Comédien sans paradoxe, Plon éditeur, p. 276.