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7 février 2025 5 07 /02 /février /2025 16:13

C’est dans l’ultraModem solitude souchonne,

Que Bayrou doit aller arpenter le désert,

Prêcher, pêcher, penser, en gardant son haubert,

Car les archers surveillent la cible matignonne.

La veille de Noël, pour le gouvernement,

Anastasie ressort ses ciseaux de censeure

Sur le nom de Bertrand, une mise en demeure,

L’appétit du molosse s’amplifie en mangeant.

 

Donner un zèbre au lion ne peint pas des rayures,

On attise sa faim par tout l’appât du sang,

Et il faut sans arrêt en remettre un cran

Dans la voracité léonine en pâture.

 

On ressort les grognards, serait-ce Waterloo ?

Dati, Valls, Darmanin, Rebsamen et puis Borne,

Les Cent Jours de Barnier. A l’assaut ! Plaine morne,

Fabrice del Dongo tombé le nez dans l’eau.

Petit Papa Noël, quand tu descendras du

Ciel avec ton budget, délivré par tes rennes,

N’oublie pas de réduire les fractures et les peines !

25 pourrait bien être un millésime ardu.

Quadrature du cercle, par peur de la censure

Et pour draguer la gauche, Bayrou cèdera-t-il

Sur les 64 ans ? Choisir son péril,

Sacrifier la retraite ou acter la rupture ?

 

Quand l’un tire la couette, c’est l’autre qui se plaint,

La couverture à gauche et la droite s’enrhume,

Combats de polochons et nuages de plume,

Qui peut dormir tranquille avec de tels voisins ?

 

L’énergie politique consiste davantage

A trouver des alliés qu’à régler les problèmes

Quel que soit le surcoût de tous ces stratagèmes,

On mettra sur l’ardoise les frais de ces chantages.

 

Suspense ! Suspendus à la suspension,

Au retrait des réformes des lois sur les retraites,

Ceux de Bérézina battent, las, en retraite

Il n’est plus guère épais1, l’espoir de solution.

 

Pas de suspension, ni d’abrogation,

La renégociation ? Bayrou, contorsionniste,

Joue donc sa survie et slalome, en piste,

Entre les portes mines de ses oppositions.

 

Trouver une censure à son pied pour le prendre

Et pour botter les fesses à tout gouvernement,

Le jeu du cordonnier est stérile et méchant

Mais réjouit l’élu qui se mêle d’esclandres.

 

Michel Barnier était RNodépendant,

Bayrou est dans l’attente du choix des socialistes

Qui, ce 16 janvier…, retirent de la liste

Leur poison de censure, du moins en attendant.

 

Le vote2  du PS déclenche le courroux

Du gourou d’LFI qui Faure les vilipende,

Les insoumisdétestent que les liens se détendent

Et veulent des alliés nés muets sous leur joug.

 

Les cigales ayant des pensées quoi qu’il en coûte

Se trouvent bien dépourvues en cet hiver venu

Elles pensent aux fourmis, taxer leurs revenus,

Affable est la fontaine au fluide goût à goutte.

 

Un seul mot « submersion4 » a rallumé le feu,

La politique en France est d’ordre sémantique,

Le mot, ce grain de sable, grippe les dynamiques,
Qu’importe le réel aux linguistes ombrageux.

 

« L’immobilisme en marche, rien ne l’arrêtera »,

Comme disait Edgar, vieille branche de Faure,

Faite en bois d’Olivier, expert en dinosaures5,

Le moonwalk6 politique toujours nous dupera.

 

Syndrome de Stockholm, le PS a trouvé

Dans ce mot le prétexte d’exhiber les menaces,

Qu’on lui a suggérées, pour croire à son audace,

Les ravisseurs ricanent du flou des réprouvés.

 

Le sens de l’intérêt général sacrifié

Au profit des querelles, des idéologies

Et des sombres ambitions d’agitateurs cyniques,

Notre pays se fige en vide pétrifié.

 

La gauche a enfoncé son coindans la fissure

Et le Front populaire se lézarde un peu plus,

Alors que l’abbé Roux compte ses angélus,

Louvoyant8 de tribord jusqu’à bâbord amure.

 

Il a sauvé sa Pau9 et gagné son budget

Évitant la censure, fatale guillotine,

Un Bayrou de secours à force de rustines

Pour reprendre la route jusqu’au prochain rejet.

 

Des couacs et des claques, les cliques du cloaque,

Cloques et cliquetis et que de clics foutraques,

Le Palais embourbé est comme un marigot

Où les Torquemada nouent déjà leurs fagots.

 

Le cabinet Bayrou a gagné un répit,

Juste un cessez-le-feu, le temps que se réarment

Les fusils ennemis et que sonne l’alarme,

Sur les champs de bataille ne pousse aucun épi.

 


1. Comme disait Tolstoï.

2. 58 députés socialistes sur 66 ont refusé de voter la censure du gouvernement Bayrou.

3. Le chef des socialistes Olivier Faure a fustigé mardi 14 « la gauche qui braille », le député LFI Thomas Portes a traité de « collabo » sur X, une députée socialiste, avant de supprimer son message.

4. Invité de LCI lundi 27 janvier, François Bayrou a soutenu qu’il y avait en France « un sentiment de submersion » migratoire. « Les apports étrangers sont positifs pour un peuple, à condition qu’ils ne dépassent pas une certaine proportion », a-t-il développé, provoquant immédiatement l’ire unanime du Nouveau Front populaire.

5. « Ce qui est en train de se produire sous nos yeux, c'est un combat entre tyrannosaure et un diplodocus », déclare Olivier Faure, Premier secrétaire du PS le dimanche 26 janvier sur BFMTV.

6. Dans ce mouvement de dabse popularisé par Michael Jackson, le danseur se déplace à reculons tout en créant l’illusion par ses mouvements corporels qu’il est en train de marcher vers l'avant.

7. Le 3 février, le PS décide de ne pas voter la censure au grand dam de LFI. Le 4 au matin, le RN annonce qu’il ne censurera pas non plus le gouvernement.

8. Louvoyer, c’est, en termes de marine, avancer en zigzag face au vent. On marche alternativement au plus près bâbord amures, puis tribord amures (ou l’inverse) pour gagner dans le vent et se rendre à un point sur lequel on ne peut faire route directement.

9. Le 5 février, la première motion de censure (128 voix pour) et la seconde (122 voix) sont rejetées.

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 14:02

Pierre Corneille

LE MENTEUR

COMÉDIE
1642

Programme national d’œuvres pour l’enseignement de français

pour l’année scolaire 2025-2026

 

Objets d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle.

Pierre Corneille, Le Menteur /

Parcours : mensonge et comédie

***

ÉPÎTRE

Monsieur,

Je vous présente une pièce de théâtre d’un style si éloigné de ma dernière, qu’on aura de la peine à croire qu’elles soient parties toutes deux de la même main, dans le même hiver. Aussi les raisons qui m’ont obligé à y travailler ont été bien différentes. J’ai fait Pompée pour satisfaire À ceux qui ne trouvaient pas les vers de Polyeucte si puissants que ceux de Cinna, et leur montrer que j’en saurais bien retrouver la pompe quand le sujet le pourrait souffrir ; j’ai fait le Menteur pour contenter les souhaits de beaucoup d’autres qui, suivant l’humeur des François, aiment le changement, et après tant de poèmes graves dont nos meilleures plumes ont enrichi la scène, m’ont demandé quelque chose de plus enjoué qui ne servît qu’à les divertir. Dans le premier, j’ai voulu faire un essai de ce que pouvait la majesté du raisonnement, et la force des vers, dénués de l’agrément du sujet ; dans celui-ci, j’ai voulu tenter ce que pourrait l’agrément du sujet, dénué de la force des vers. Et d’ailleurs, étant obligé au genre comique de ma première réputation, je ne pouvais l’abandonner tout à fait sans quelque espèce d’ingratitude. Il est vrai que comme alors que je me hasardai à le quitter, je n’osai me fier à mes seules forces, et que pour m’élever à la dignité du tragique, je pris l’appui du grand Sénèque, à qui j’empruntai tout ce qu’il avait donné de rare à sa Médée : ainsi, quand je me suis résolu de repasser du héroïque au naïf, je n’ai osé descendre de si haut sans m’assurer d’un guide, et me suis laissé conduire au fameux Lope de Vega, de peur de m’égarer dans les détours de tant d’intrigues que fait notre Menteur. En un mot, ce n’est ici qu’une copie d’un excellent original qu’il a mis au jour sous le titre de la Verdad sospechosa ; et me fiant sur notre Horace, qui donne liberté de tout oser aux poètes ainsi qu’aux peintres, j’ai cru que nonobstant la guerre des deux couronnes, il m’était permis de trafiquer en Espagne. Si cette sorte de commerce était un crime, il y a longtemps que je serais coupable, je ne dis pas seulement pour le Cid, où je me suis aidé de don Guillen de Castro, mais aussi pour Médée, dont je viens de parler, et pour Pompée même, où pensant me fortifier du secours de deux Latins, j’ai pris celui de deux Espagnols, Sénèque et Lucain étant tous deux de Cordoue. Ceux qui ne voudront pas me pardonner cette intelligence avec nos ennemis approuveront du moins que je pille chez eux ; et soit qu’on fasse passer ceci pour un larcin ou pour un emprunt, je m’en suis trouvé si bien, que je n’ai pas envie que ce soit le dernier que je ferai chez eux. Je crois que vous en serez d’avis, et ne m’en estimerez pas moins.

Je suis, MONSIEUR, votre très-humble serviteur,

Corneille.

AU LECTEUR.

Bien que cette comédie et celle qui la suit soient toutes deux de l’invention de Lope de Vega, je ne vous les donne point dans le même ordre que je vous ai donné le Cid et Pompée, dont en l’un vous avez vu les vers espagnols, et en l’autre les latins, que j’ai traduits ou imités de Guillen de Castro et de Lucain. Ce n’est pas que je n’aye ici emprunté beaucoup de choses de cet admirable original ; mais comme j’ai entièrement dépaysé les sujets pour les habiller à la française, vous trouveriez si peu de rapport entre l’espagnol et le français, qu’au lieu de satisfaction vous n’en recevriez que de l’importunité.

Par exemple, tout ce que je fais conter à notre Menteur des guerres d’Allemagne, où il se vante d’avoir été, l’Espagnol le lui fait dire du Pérou et des Indes, dont il fait le nouveau revenu ; et ainsi de la plupart des autres incidents, qui bien qu’ils soient imités de l’original, n’ont presque point de ressemblance avec lui pour les pensées, ni pour les termes qui les expriment. Je me contenterai donc de vous avouer que les sujets sont entièrement de lui, comme vous les trouverez dans la vingt et deuxième partie de ses comédies. Pour le reste, j’en ai pris tout ce qui s’est pu accommoder à notre usage ; et s’il m’est permis de dire mon sentiment touchant une chose où j’ai si peu de part, je vous avouerai en même temps que l’invention de celle-ci me charme tellement, que je ne trouve rien à mon gré qui lui soit comparable en ce genre, ni parmi les anciens, ni parmi les modernes. Elle est toute spirituelle depuis le commencement jusqu’à la fin, et les incidents si justes et si gracieux, qu’il faut être, à mon avis, de bien mauvaise humeur pour n’en approuver pas la conduite, et n’en aimer pas la représentation.

Je me défierais peut-être de l’estime extraordinaire que j’ai pour ce poème, si je n’y étais confirmé par celle qu’en a faite un des premiers hommes de ce siècle, et qui non-seulement est le protecteur des savantes muses dans la Hollande, mais fait voir encore par son propre exemple que les grâces de la poésie ne sont pas incompatibles avec les plus hauts emplois de la politique et les plus nobles fonctions d’un homme d’État. Je parle de M. de Zuylichem, secrétaire des commandements de Monseigneur le prince d’Orange. C’est lui que MM. Heinsius et Balzac ont pris comme pour arbitre de leur fameuse querelle, puisqu’ils lui ont adressé l’un et l’autre leurs doctes dissertations, et qui n’a pas dédaigné de montrer au public l’état qu’il fait de cette comédie par deux épigrammes, l’un français et l’autre latin, qu’il a mis au devant de l’impression qu’en ont faite les Elzéviers, à Leyden. Je vous les donne ici d’autant plus volontiers, que n’ayant pas l’honneur d’être connu de lui, son témoignage ne peut être suspect, et qu’on n’aura pas lieu de m’accuser de beaucoup de vanité pour en avoir fait parade, puisque toute la gloire qu’il m’y donne doit être attribuée au grand Lope de Vega, que peut-être il ne connoissoit pas pour le premier auteur de cette merveille de théâtre.

IN PRÆSTANTISSIMI POETÆ GALLICI CORNELII
COMOEDIAM QUÆ INSCRIBITUR MENDAX

Gravi cothurno torvus, orchestra truci

Dudum cruentus, Galliæ justus stupor

Audivit et vatum decus Cornelius.

Laudem poetæ num mereret comici

Pari nitore et elegantia, fuit

Qui disputaret, et negarunt inscii ;

Et mos gerendus insciis semel fuit ;

Et, ecce, gessit, mentiendi gratia

Facetiisque, quas Terentius, pater

Amœnitatum, quas Menander, quas merum

Nectar Deorum Plautus et mortalium,

Si sæculo reddantur, agnoscant suas,

Et quas negare non graventur non suas.

Tandem poeta est : fraude, fuco, fabula,

Mendace scena vindicavit se sibi.

Cui Stagiræ venit in mentem, putas,

Quis qua præivit supputator algebra,

Quis cogitavit illud Euclides prior,

Probare rem verissimam mendacio ?

Constanter, 1645.

À MONSIEUR
CORNEILLE, SUR SA COMÉDIE LE MENTEUR

Eh bien ! ce beau Menteur, cette pièce fameuse,

Qui étonne le Rhin et fait rougir la Meuse,

Et le Tage et le Pô, et le Tibre romain,

De n’avoir rien produit d’égal à cette main,

À ce Plaute rené, à ce nouveau Térence,

La trouve-t-on si loin ou de l’indifférence

Ou du juste mépris des savants d’aujourd’hui ?

Je tiens tout au rebours qu’elle a besoin d’appui,

De grâce, de pitié, de faveur affétée,

D’extrême charité, de louange empruntée.

Elle est plate, elle est fade, elle manque de sel,

De pointe et de vigueur ; et n’y a carrousel

Où la rage et le vin n’enfante des Corneilles

Capables de fournir de plus fortes merveilles.

Qu’ai-je dit ? Ah ! Corneille, aime mon repentir ;

Ton excellent Menteur m’a porté à mentir.

Il m’a rendu le faux si doux et si aimable,

Que sans m’en aviser, j’ai vu le véritable

Ruiné de crédit, et ai cru constamment

N’y avoir plus d’honneur qu’à mentir vaillamment.

Après tout, le moyen de s’en pouvoir dédire ?

À moins que d’en mentir, je n’en pouvais rien dire.

La plus haute pensée au bas de sa valeur

Devenait injustice et injure à l’auteur.

Qu’importe donc qu’on mente, ou que d’un faible éloge

À toi et ton Menteur faussement on déroge ?

Qu’importe que les Dieux se trouvent irrités

De mensonges ou bien de fausses vérités ?

Constanter.

EXAMEN

Cette pièce est en partie traduite, en partie imitée de l’espagnol. Le sujet m’en semble si spirituel et si bien tourné, que j’ai dit souvent que je voudrois avoir donné les deux plus belles que j’aye faites, et qu’il fût de mon invention. On l’a attribué au fameux Lope de Végue ; mais il m’est tombé depuis peu entre les mains un volume de don Juan d’Alarcon, où il prétend que cette comédie est à lui, et se plaint des imprimeurs qui l’ont fait courir sous le nom d’un autre. Si c’est son bien, je n’empêche pas qu’il ne s’en ressaisisse. De quelque main que parte cette comédie, il est constant qu’elle est très-ingénieuse ; et je n’ai rien vu dans cette langue qui m’aye satisfait davantage. J’ai tâché de la réduire à notre usage et dans nos règles ; mais il m’a fallu forcer mon aversion pour les a parte, dont je n’aurais pu la purger sans lui faire perdre une bonne partie de ses beautés. Je les ai faits les plus courts que j’ai pu, et je me les suis permis rarement sans laisser deux acteurs ensemble qui s’entretiennent tout bas cependant que d’autres disent ce que ceux-là ne doivent pas écouter. Cette duplicité d’action particulière ne rompt point l’unité de la principale, mais elle gêne un peu l’attention de l’auditeur, qui ne sait à laquelle s’attacher, et qui se trouve obligé de séparer aux deux ce qu’il est accoutumé de donner à une. L’unité de lieu s’y trouve, en ce que tout s’y passe dans Paris ; mais le premier acte est dans les Tuileries, et le reste à la place Royale. Celle de jour n’y est pas forcée, pourvu qu’on lui laisse les vingt et quatre heures entières. Quant à celle d’action, je ne sais s’il n’y a point quelque chose à dire, en ce que Dorante aime Clarice dans toute la pièce et épouse Lucrèce à la fin, qui par là ne répond pas à la protase. L’auteur espagnol lui donne ainsi le change pour punition de ses menteries, et le réduit à épouser par force cette Lucrèce qu’il n’aime point. Comme il se méprend toujours au nom, et croit que Clarice porte celui-là, il lui présente la main quand on lui a accordé l’autre, et dit hautement, quand on l’avertit de son erreur, que s’il s’est trompé au nom, il ne se trompe point à la personne. Sur quoi, le père de Lucrèce le menace de le tuer s’il n’épouse sa fille après l’avoir demandée et obtenue ; et le sien propre lui fait la même menace. Pour moi, j’ai trouvé cette manière de finir un peu dure, et cru qu’un mariage moins violenté serait plus au goût de notre auditoire. C’est ce qui m’a obligé à lui donner une pente vers la personne de Lucrèce au cinquième acte, afin qu’après qu’il a reconnu sa méprise aux noms, il fasse de nécessité vertu de meilleure grâce, et que la comédie se termine avec pleine tranquillité de tous côtés.

RÉSUMÉ

Acte I

Dans cet acte nous rencontrons Dorante, un jeune homme qui revient à Paris après avoir quitté Poitiers. Désormais cavalier, il se réjouit d’avoir échappé à la carrière juridique que son père souhaitait pour lui. Accompagné de son valet Cliton, il discute des mœurs parisiennes et de la manière de courtiser les femmes. Dorante prétend vouloir simplement une relation légère, mais Cliton devine rapidement que son maître est en quête de conquêtes amoureuses plus sophistiquées.

La scène bascule lorsque Dorante croise deux jeunes femmes, Clarice et Lucrèce. Après avoir aidé Clarice qui a trébuché, Dorante engage une conversation galante avec elle. Il commence à lui déclarer son amour et à inventer des histoires héroïques sur ses exploits guerriers, notamment en Allemagne, alors qu’il n’a jamais quitté Poitiers. Cliton, étonné par ces mensonges, tente en vain d’interrompre son maître.

Peu après, Dorante rencontre deux de ses amis, Alcippe et Philiste, et continue ses exagérations en racontant une somptueuse fête sur l’eau qu’il prétend avoir organisée pour séduire une dame. Alcippe, lui-même amoureux de Clarice, commence à soupçonner Dorante d’être un rival. Cet acte introduit ainsi le personnage menteur de Dorante et le thème central de la pièce : les quiproquos et les mensonges qui le mèneront dans des situations de plus en plus compliquées.

Acte II

Cet acte est centré sur des malentendus et des quiproquos amoureux qui mettent en scène Clarice, Isabelle, Alcippe et Dorante, chacun étant pris dans des jeux d’apparences et d’intentions. Clarice, à qui Géronte veut imposer son fils Dorante comme époux, se montre réticente. Elle souhaite voir Dorante avant d’accepter ce mariage arrangé, mais sans se compromettre aux yeux de la société. Géronte propose de lui présenter Dorante sous sa fenêtre, afin qu’elle puisse l’observer discrètement. Clarice, consciente que l’apparence ne fait pas tout, exprime à Isabelle ses doutes quant aux qualités profondes de Dorante. Isabelle lui suggère un stratagème : demander à leur amie Lucrèce d’écrire à Dorante sous un faux nom, afin que Clarice puisse lui parler en secret et ainsi mieux le juger.

Pendant ce temps, Alcippe, déjà amoureux de Clarice, entre en scène, jaloux et en proie à des soupçons. Il accuse Clarice d’avoir passé la nuit avec Dorante, un malentendu causé par une fausse rumeur. Clarice tente de se justifier, mais Alcippe, aveuglé par la jalousie, refuse de l’écouter et la menace de se venger en défiant Dorante en duel.

La tension s’intensifie lorsque Dorante, ignorant qu’on le promet à Clarice, révèle à son père qu’il est déjà marié, dans des circonstances rocambolesques. Il raconte comment, à Poitiers, il a été contraint d’épouser une jeune femme nommée Orphise après avoir été surpris dans sa chambre par son père, une situation qui aurait pu coûter sa vie.

Cet acte dévoile ainsi les prémices de conflits et de tromperies où les intentions des personnages se confrontent à la réalité de leurs actes et des conventions sociales.

Acte III

Dans l’Acte III du Menteur, plusieurs intrigues se développent autour des malentendus et mensonges de Dorante. La scène commence par une confrontation entre Dorante et Alcippe, qui accuse Dorante d’avoir organisé une fête en l’honneur de la femme qu’il aime. Alcippe, rongé par la jalousie, est persuadé que Dorante a voulu l’humilier en cachant son retour et en courtisant sa bien-aimée. Cependant, Dorante explique que la femme en question est mariée et qu’Alcippe se trompe totalement. Les deux hommes se réconcilient rapidement, bien que les doutes d’Alcippe persistent.

Ensuite, Philiste dévoile à Alcippe la véritable cause de son malentendu : son valet s’est trompé, croyant avoir vu Clarice à un festin sur l’eau. En réalité, c’était une autre femme, ce qui a provoqué l’errance des soupçons d’Alcippe. Philiste promet d’aider à apaiser Clarice, qui a été offensée par cette fausse jalousie.

Dans une autre scène, Clarice et Isabelle discutent de l’identité de Dorante. Clarice découvre que le mystérieux homme qui lui a tant menti est le fils de Géronte, un homme que son père lui a vanté comme un futur époux potentiel. Clarice, blessée par les mensonges de Dorante, réalise également qu’il a manipulé Alcippe en créant de la jalousie entre eux.

Enfin, Dorante rejoint Clarice sous le faux prétexte de courtiser Lucrèce, mais il continue à inventer des histoires pour se justifier. Clarice le confronte avec ses mensonges, mais Dorante, avec son talent pour improviser, invente encore une nouvelle histoire, feignant un mariage pour éviter un autre engagement. Clarice, amusée mais agacée, n’est pas convaincue par ses paroles.

Cet acte met en avant les complexités des relations amoureuses et la manière dont le mensonge peut tout compliquer, révélant la fragilité des sentiments humains.

Acte IV

Dorante continue de tisser son réseau de mensonges tout en essayant de séduire Lucrèce. La scène s’ouvre avec Dorante et Cliton, discutant des stratégies amoureuses à utiliser pour gagner les faveurs de Lucrèce. Dorante croit que la générosité pourrait jouer un rôle, mais Cliton lui rappelle que cette méthode fonctionne surtout avec les femmes plus superficielles. Dorante mentionne ensuite un duel secret qu’il aurait mené contre Alcippe, qu’il croit avoir tué. Pourtant, Alcippe apparaît soudainement en pleine forme, annonçant son mariage imminent avec Clarice. Ce revirement surprend Cliton, qui reste sceptique devant les explications de Dorante, notamment concernant l’usage supposé de la mystérieuse « poudre de sympathie » qui aurait sauvé Alcippe.

Le père de Dorante, Géronte, entre ensuite en scène et insiste pour rencontrer la future épouse de son fils. Dorante, piégé par ses propres mensonges, prétend que sa femme est enceinte et incapable de voyager. Géronte, ravi à l’idée d’un futur petit-enfant, s’en va joyeusement, laissant Dorante soulagé mais conscient que la vérité finira par éclater.

Dans les dernières scènes, Sabine, la servante de Lucrèce, joue un rôle crucial. Elle reçoit un pot-de-vin de Dorante et tente de convaincre sa maîtresse de ses intentions sincères. Lucrèce, cependant, reste méfiante à cause de la réputation de menteur de Dorante, bien que Sabine suggère que Lucrèce soit déjà à moitié conquise. Finalement, Sabine promet de transmettre un message conciliant à Dorante, tout en offrant à Lucrèce des opportunités pour l’observer discrètement et tester ses intentions.

Acte V

Ce dernier acte marque le dénouement des intrigues et révèle les conséquences des mensonges de Dorante. Dès la première scène, Géronte, père de Dorante, tente de vérifier les informations données par son fils. Philiste, un ami, ne reconnaît aucun des noms cités par Géronte, ce qui éveille encore plus ses soupçons. Géronte se montre sévèrement désabusé par le comportement de son fils, qu’il traite de menteur et de manipulateur.

Lorsque Dorante apparaît dans la scène suivante, Géronte le confronte violemment, reprochant à son fils son manque d’honneur. Dorante, pris au piège de ses mensonges, tente de se défendre en expliquant son amour pour Lucrèce, une femme qu’il dit avoir choisi au détriment de Clarice, la prétendante initialement choisie par son père. Géronte doute encore, mais il accepte de vérifier la véracité de cette nouvelle déclaration en allant demander Lucrèce en mariage pour son fils.

Parallèlement, Dorante, en proie au doute et à une certaine confusion, admet à Cliton qu’il est aussi attiré par Clarice, rendant ainsi la situation plus complexe. Sabine, la servante de Lucrèce, informe Dorante que sa lettre a été déchirée, ce qui l’inquiète, mais il garde espoir grâce à quelques signes positifs. La scène se termine par une confrontation entre Clarice, Lucrèce, et Dorante. Clarice et Lucrèce découvrent que Dorante leur a menti à toutes les deux. Clarice, particulièrement blessée, met Dorante face à ses contradictions, tandis que Lucrèce manifeste un désir de vengeance.

Le dialogue final entre Dorante et Cliton révèle que Dorante est toujours partagé entre les deux femmes, mais semble pencher vers Lucrèce. Il conclut en admettant qu’il va devoir jouer un « nouveau jeu » pour démêler cette situation. Cet acte met ainsi en lumière l’art du mensonge et ses répercussions sur les relations humaines, tout en laissant en suspens le sort final des personnages.


ACTEURS.

GÉRONTE, père de Dorante.

DORANTE, fils de Géronte.

ALCIPPE, ami de Dorante et amant de Clarice.

PHILISTE, ami de Dorante et d’Alcippe.

CLARICE, maîtresse d’Alcippe.

LUCRÈCE, amie de Clarice.

ISABELLE, suivante de Clarice.

SABINE, femme de chambre de Lucrèce.

CLITON, valet de Dorante.

LYCAS, valet d’Alcippe.

La scène est à Paris.

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 13:54

ACTE I


ScÈne premiÈre

DORANTE, CLITON.

DORANTE.

À la fin j’ai quitté la robe pour l’épée :

L’attente où j’ai vécu n’a point été trompée ;

Mon père a consenti que je suive mon choix,

Et j’ai fait banqueroute à ce fatras de lois.

Mais puisque nous voici dedans les Tuileries,

Le pays du beau monde et des galanteries,

Dis-moi, me trouves-tu bien fait en cavalier ?

Ne vois-tu rien en moi qui sente l’écolier ?

Comme il est malaisé qu’aux royaumes du Code

On apprenne à se faire un visage à la mode,

J’ai lieu d’appréhender…

CLITON.

                                           Ne craignez rien pour vous :

Vous ferez en une heure ici mille jaloux.

Ce visage et ce port n’ont point l’air de l’école,

Et jamais comme vous on ne peignit Bartole :

Je prévois du malheur pour beaucoup de maris.

Mais que vous semble encor maintenant de Paris ?

DORANTE.

J’en trouve l’air bien doux, et cette loi bien rude,

Qui m’en avait banni sous prétexte d’étude.

Toi qui sais les moyens de s’y bien divertir,

Ayant eu le bonheur de n’en jamais sortir,

Dis-moi comme en ce lieu l’on gouverne les dames.

CLITON.

C’est là le plus beau soin qui vienne aux belles âmes,

Disent les beaux esprits. Mais sans faire le fin,

Vous avez l’appétit ouvert de bon matin :

D’hier au soir seulement vous êtes dans la ville,

Et vous vous ennuyez déjà d’être inutile !

Votre humeur sans emploi ne peut passer un jour,

Et déjà vous cherchez à pratiquer l’amour !

Je suis auprès de vous en fort bonne posture

De passer pour un homme à donner tablature ;

J’ai la taille d’un maître en ce noble métier,

Et je suis, tout au moins, l’intendant du quartier.

DORANTE.

Ne t’effarouche point : je ne cherche, à vrai dire,

Que quelque connaissance où l’on se plaise à rire,

Qu’on puisse visiter par divertissement,

Où l’on puisse en douceur couler quelque moment.

Pour me connaître mal, tu prends mon sens à gauche.

CLITON.

J’entends, vous n’êtes pas un homme de débauche,

Et tenez celles-là trop indignes de vous

Que le son d’un écu rend traitables à tous

Aussi, que vous cherchiez de ces sages coquettes

Où peuvent tous venants débiter leurs fleurettes,

Mais qui ne font l’amour que de babil et d’yeux,

Vous êtes d’encolure à vouloir un peu mieux.

Loin de passer son temps, chacun le perd chez elles ;

Et le jeu, comme on dit, n’en vaut pas les chandelles.

Mais ce serait pour vous un bonheur sans égal

Que ces femmes de bien qui se gouvernent mal,

Et de qui la vertu, quand on leur fait service,

N’est pas incompatible avec un peu de vice.

Vous en verrez ici de toutes les façons.

Ne me demandez point cependant de leçons :

Ou je me connais mal à voir votre visage,

Ou vous n’en êtes pas à votre apprentissage ;

Vos lois ne réglaient pas si bien tous vos desseins

Que vous eussiez toujours un portefeuille aux mains.

DORANTE.

À ne rien déguiser, Cliton, je te confesse

Qu’à Poitiers j’ai vécu comme vit la jeunesse ;

J’étais en ces lieux-là de beaucoup de métiers ;

Mais Paris, après tout, est bien loin de Poitiers.

Le climat différent veut une autre méthode ;

Ce qu’on admire ailleurs est ici hors de mode :

La diverse façon de parler et d’agir

Donne aux nouveaux venus souvent de quoi rougir.

Chez les provinciaux on prend ce qu’on rencontre ;

Et là, faute de mieux, un sot passe à la montre.

Mais il faut à Paris bien d’autres qualités :

On ne s’éblouit point de ces fausses clartés ;

Et tant d’honnêtes gens, que l’on y voit ensemble,

Font qu’on est mal reçu, si l’on ne leur ressemble.

CLITON.

Connaissez mieux Paris, puisque vous en parlez.

Paris est un grand lieu plein de marchands mêlés ;

L’effet n’y répond pas toujours à l’apparence :

On s’y laisse duper autant qu’en lieu de France ;

Et parmi tant d’esprits, plus polis et meilleurs,

Il y croît des badauds autant et plus qu’ailleurs.

Dans la confusion que ce grand monde apporte,

Il y vient de tous lieux des gens de toute sorte ;

Et dans toute la France il est fort peu d’endroits

Dont il n’ait le rebut aussi bien que le choix.

Comme on s’y connaît mal, chacun s’y fait de mise,

Et vaut communément autant comme il se prise ;

De bien pires que vous s’y font assez valoir.

Mais, pour venir au point que vous voulez savoir,

Êtes-vous libéral ?

DORANTE.

                                Je ne suis point avare.

CLITON.

C’est un secret damour et bien grand et bien rare ;

Mais il faut de l’adresse à le bien débiter.

Autrement on s’y perd au lieu d’en profiter.

Tel donne à pleines mains qui n’oblige personne :

La façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne.

L’un perd exprès au jeu son présent déguisé ;

L’autre oublie un bijou qu’on aurait refusé.

Un lourdaud libéral auprès d’une maîtresse

Semble donner l’aumône alors qu’il fait largesse ;

Et d’un tel contre-temps il fait tout ce qu’il fait,

Que quand il tâche à plaire, il offense en effet.

DORANTE.

Laissons là ces lourdauds contre qui tu déclames,

Et me dis seulement si tu connais ces dames.

CLITON.

Non : cette marchandise est de trop bon aloi ;

Ce n’est point là gibier à des gens comme moi ;

Il est aisé pourtant d’en savoir des nouvelles,

Et bientôt leur cocher m’en dira des plus belles.

DORANTE.

Penses-tu qu’il t’en dise ?

CLITON.

                                            Assez pour en mourir :

Puisque c’est un cocher, il aime à discourir.

ScÈne 2

DORANTE, CLARICE, LUCRÈCE, ISABELLE.

CLARICE, faisant un faux pas, et comme se laissant choir.

Ay !

DORANTE, lui donnant la main.

         Ce malheur me rend un favorable office,

Puisqu’il me donne lieu de ce petit service ;

Et c’est pour moi, Madame, un bonheur souverain

Que cette occasion de vous donner la main.

CLARICE.

L’occasion ici fort peu vous favorise,

Et ce faible bonheur ne vaut pas qu’on le prise.

DORANTE.

Il est vrai, je le dois tout entier au hasard :

Mes soins ni vos désirs n’y prennent point de part ;

Et sa douceur mêlée avec cette amertume

Ne me rend pas le sort plus doux que de coutume,

Puisqu’enfin ce bonheur, que j’ai si fort prisé,

À mon peu de mérite eût été refusé.

CLARICE.

S’il a perdu sitôt ce qui pouvait vous plaire,

Je veux être à mon tour d’un sentiment contraire,

Et crois qu’on doit trouver plus de félicité

À posséder un bien sans l’avoir mérité.

J’estime plus un don qu’une reconnaissance :

Qui nous donne fait plus que qui nous récompense ;

Et le plus grand bonheur au mérite rendu

Ne fait que nous payer de ce qui nous est dû.

La faveur qu’on mérite est toujours achetée ;

L’heur en croît d’autant plus, moins elle est méritée ;

Et le bien où sans peine elle fait parvenir

Par le mérite à peine aurait pu s’obtenir.

DORANTE.

Aussi ne croyez pas que jamais je prétende

Obtenir par mérite une faveur si grande.

J’en sais mieux le haut prix ; et mon cœur amoureux,

Moins il s’en connaît digne, et plus s’en tient heureux.

On me l’a pu toujours dénier sans injure ;

Et si la recevant ce cœur même en murmure,

Il se plaint du malheur de ses félicités,

Que le hasard lui donne, et non vos volontés.

Un amant a fort peu de quoi se satisfaire

Des faveurs qu’on lui fait sans dessein de les faire :

Comme l’intention seule en forme le prix,

Assez souvent sans elle on les joint au mépris.

Jugez par là quel bien peut recevoir ma flamme

D’une main qu’on me donne en me refusant l’âme.

Je la tiens, je la touche, et je la touche en vain,

Si je ne puis toucher le cœur avec la main.

CLARICE.

Cette flamme, Monsieur, est pour moi fort nouvelle,

Puisque j’en viens de voir la première étincelle.

Si votre cœur ainsi s’embrase en un moment,

Le mien ne sut jamais brûler si promptement ;

Mais peut-être, à présent que j’en suis avertie,

Le temps donnera place à plus de sympathie.

Confessez cependant qu’à tort vous murmurez

Du mépris de vos feux, que j’avais ignorés.

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 13:44

ScÈne 3

DORANTE, CLARICE, LUCRÈCE, ISABELLE, CLITON.

DORANTE.

C’est l’effet du malheur qui partout m’accompagne.

Depuis que j’ai quitté les guerres d’Allemagne,

C’est-à-dire du moins depuis un an entier,

Je suis et jour et nuit dedans votre quartier ;

Je vous cherche en tous lieux, au bal, aux promenades ;

Vous n’avez que de moi reçu des sérénades ;

Et je n’ai pu trouver que cette occasion

À vous entretenir de mon affection.

CLARICE.

Quoi ! vous avez donc vu l’Allemagne et la guerre ?

DORANTE.

Je m’y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre.

CLITON.

Que lui va-t-il conter ?

DORANTE.

Et durant ces quatre ans

Il ne s’est fait combats, ni sièges importants,

Nos armes n’ont jamais remporté de victoire,

Où cette main n’ait eu bonne part à la gloire :

Et même la gazette a souvent divulgués…

CLITON, le tirant par la basque.

Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez ?

DORANTE.

Tais-toi.

CLITON.

               Vous rêvez, dis-je, ou…

DORANTE.

                                                       Tais-toi, misérable.

CLITON.

Vous venez de Poitiers, ou je me donne au diable ;

Vous en revîntes hier.

DORANTE, à Cliton.

                                     Te tairas-tu, maraud ?

 

Mon nom dans nos succès s’était mis assez haut

Pour faire quelque bruit sans beaucoup d’injustice ;

Et je suivrais encore un si noble exercice,

N’était que l’autre hiver, faisant ici ma cour,

Je vous vis, et je fus retenu par l’amour.

Attaqué par vos yeux, je leur rendis les armes ;

Je me fis prisonnier de tant d’aimables charmes ;

Je leur livrai mon âme ; et ce cœur généreux

Dès ce premier moment oublia tout pour eux.

Vaincre dans les combats, commander dans l’armée,

De mille exploits fameux enfler ma renommée,

Et tous ces nobles soins qui m’avaient su ravir,

Cédèrent aussitôt à ceux de vous servir.

ISABELLE, à Clarice, tout bas.

Madame, Alcippe vient ; il aura de l’ombrage.

CLARICE.

Nous en saurons, Monsieur, quelque jour davantage.

Adieu.

DORANTE.

              Quoi ? me priver sitôt de tout mon bien !

CLARICE.

Nous n’avons pas loisir d’un plus long entretien ;

Et, malgré la douceur de me voir cajolée,

Il faut que nous fassions seules deux tours d’allée.

DORANTE.

Cependant accordez à mes vœux innocents

La licence d’aimer des charmes si puissants.

CLARICE.

Un cœur qui veut aimer, et qui sait comme on aime,

N’en demande jamais licence qu’à soi-même.

ScÈne 4

DORANTE, CLITON.

DORANTE.

Suis-les, Cliton.

CLITON.

                           J’en sais ce qu’on en peut savoir.

La langue du cocher a fait tout son devoir.

« La plus belle des deux, dit-il, est ma maîtresse,

Elle loge à la Place, et son nom est Lucrèce. »

DORANTE.

Quelle place ?

CLITON.

                         Royale, et l’autre y loge aussi.

Il n’en sait pas le nom, mais j’en prendrai souci.

DORANTE.

Ne te mets point, Cliton, en peine de l’apprendre.

Celle qui m’a parlé, celle qui m’a su prendre,

C’est Lucrèce, ce l’est sans aucun contredit :

Sa beauté m’en assure, et mon cœur me le dit.

CLITON.

Quoique mon sentiment doive respect au vôtre,

La plus belle des deux, je crois que ce soit l’autre.

DORANTE.

Quoi ? Celle qui s’est tue et qui, dans nos propos,

N’a jamais eu l’esprit de mêler quatre mots ?

CLITON.

Monsieur, quand une femme a le don de se taire,

Elle a des qualités au-dessus du vulgaire :

C’est un effort du ciel qu’on a peine à trouver ;

Sans un petit miracle il ne peut l’achever ;

Et la nature souffre extrême violence,

Lorsqu’il en fait d’humeur à garder le silence.

Pour moi, jamais l’amour n’inquiète mes nuits ;

Et, quand le cœur m’en dit, j’en prends par où je puis ;

Mais naturellement femme qui se peut taire

A sur moi tel pouvoir et tel droit de me plaire,

Qu’eût-elle en vrai magot tout le corps fagoté,

Je lui voudrais donner le prix de la beauté.

C’est elle assurément qui s’appelle Lucrèce :

Cherchez un autre nom pour l’objet qui vous blesse ;

Ce n’est point là le sien : celle qui n’a dit mot,

Monsieur, c’est la plus belle, ou je ne suis qu’un sot.

DORANTE.

Je t’en crois sans jurer avec tes incartades.

Mais voici les plus chers de mes vieux camarades :

Ils semblent étonnés, à voir leur action.

ScÈne 5

DORANTE, ALCIPPE, PHILISTE, CLITON.

PHILISTE, à Alcippe.

Quoi ? Sur l’eau la musique, et la collation ?

ALCIPPE, à Philiste.

Oui, la collation avecque la musique.

PHILISTE, à Alcippe.

Hier au soir ?

ALCIPPE, à Philiste.

                       Hier au soir.

PHILISTE, à Alcippe.

                                             Et belle ?

ALCIPPE, à Philiste.

                                                              Magnifique.

PHILISTE, à Alcippe.

Et par qui ?

ALCIPPE, à Philiste.

                    C’est de quoi je suis mal éclairci.

DORANTE, les saluant.

Que mon bonheur est grand de vous revoir ici !

ALCIPPE.

Le mien est sans pareil, puisque je vous embrasse.

DORANTE.

J’ai rompu vos discours d’assez mauvaise grâce :

Vous le pardonnerez à l’aise de vous voir.

PHILISTE.

Avec nous, de tout temps, vous avez tout pouvoir.

DORANTE.

Mais de quoi parliez-vous ?

ALCIPPE.

                                              D’une galanterie.

DORANTE.

D’amour ?

ALCIPPE.

                   Je le présume.

DORANTE.

                                            Achevez, je vous prie,

Et souffrez qu’à ce mot ma curiosité

Vous demande sa part de cette nouveauté.

ALCIPPE.

On dit qu’on a donné musique à quelque dame.

DORANTE.

Sur l’eau ?

ALCIPPE.

                    Sur l’eau.

DORANTE.

                                      Souvent l’onde irrite la flamme.

PHILISTE.

Quelquefois.

DORANTE.

                      Et ce fut hier au soir ?

ALCIPPE.

                                                           Hier au soir.

DORANTE.

Dans l’ombre de la nuit le feu se fait mieux voir :

Le temps était bien pris. Cette dame, elle est belle ?

ALCIPPE.

Aux yeux de bien du monde elle passe pour telle.

DORANTE.

Et la musique ?

ALCIPPE.

                          Assez pour n’en rien dédaigner.

DORANTE.

Quelque collation a pu l’accompagner ?

ALCIPPE.

On le dit.

DORANTE.

                 Fort superbe ?

ALCIPPE.

                                         Et fort bien ordonnée.

DORANTE.

Et vous ne savez point celui qui l’a donnée ?

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 13:20

ALCIPPE.

Vous en riez !

DORANTE.

                         Je ris de vous voir étonné

D’un divertissement que je me suis donné.

ALCIPPE.

Vous ?

DORANTE.

              Moi-même.

ALCIPPE.

                                   Et déjà vous avez fait maîtresse ?

DORANTE.

Si je n’en avais fait, j’aurais bien peu d’adresse,

Moi qui depuis un mois suis ici de retour.

Il est vrai que je sors fort peu souvent de jour :

De nuit, incognito, je rends quelques visites ;

Ainsi…

CLITON, à Dorante, à l’oreille.

              Vous ne savez, Monsieur, ce que vous dites.

DORANTE.

Tais-toi ; si jamais plus tu me viens avertir…

CLITON.

J’enrage de me taire et d’entendre mentir !

PHILISTE, à Alcippe, tout bas.

Voyez qu’heureusement dedans cette rencontre

Votre rival lui-même à vous-même se montre.

DORANTE, revenant à eux.

Comme à mes chers amis je vous veux tout conter.

J’avais pris cinq bateaux pour mieux tout ajuster ;

Les quatre contenaient quatre chœurs de musique

Capables de charmer le plus mélancolique ;

Au premier, violons ; en l’autre, luths et voix ;

Des flûtes, au troisième ; au dernier, des hautbois,

Qui tour à tour dans l’air poussaient des harmonies

Dont on pouvait nommer les douceurs infinies.

Le cinquième était grand, tapissé tout exprès

De rameaux enlacés pour conserver le frais,

Dont chaque extrémité portait un doux mélange

De bouquets de jasmin, de grenade et d’orange.

Je fis de ce bateau la salle du festin :

Là je menai l’objet qui fait seul mon destin ;

De cinq autres beautés la sienne fut suivie,

Et la collation fut aussitôt servie.

Je ne vous dirai point les différents apprêts,

Le nom de chaque plat, le rang de chaque mets :

Vous saurez seulement qu’en ce lieu de délices

On servit douze plats, et qu’on fit six services,

Cependant que les eaux, les rochers et les airs

Répondaient aux accents de nos quatre concerts.

Après qu’on eut mangé, mille et mille fusées,

S’élançant vers les cieux, ou droites ou croisées,

Firent un nouveau jour, d’où tant de serpenteaux

D’un déluge de flamme attaquèrent les eaux,

Qu’on crut que, pour leur faire une plus rude guerre,

Tout l’élément du feu tombait du ciel en terre.

Après ce passe-temps, on dansa jusqu’au jour,

Dont le soleil jaloux avança le retour :

S’il eût pris notre avis, sa lumière importune

N’eût pas troublé sitôt ma petite fortune ;

Mais n’étant pas d’humeur à suivre nos désirs,

Il sépara la troupe, et finit nos plaisirs.

ALCIPPE.

Certes, vous avez grâce à conter ces merveilles ;

Paris, tout grand qu’il est, en voit peu de pareilles.

DORANTE.

J’avois été surpris ; et l’objet de mes vœux

Ne m’avait tout au plus donné qu’une heure ou deux.

PHILISTE.

Cependant l’ordre est rare, et la dépense belle.

DORANTE.

Il s’est fallu passer à cette bagatelle :

Alors que le temps presse, on n’a pas à choisir.

ALCIPPE.

Adieu : nous nous verrons avec plus de loisir.

DORANTE.

Faites état de moi.

ALCIPPE, à Philiste, en s’en allant.

                               Je meurs de jalousie !

PHILISTE, à Alcippe.

Sans raison toutefois votre âme en est saisie :

Les signes du festin ne s’accordent pas bien.

ALCIPPE, à Philiste.

Le lieu s’accorde, et l’heure ; et le reste n’est rien.

ScÈne 6

DORANTE, CLITON.

CLITON.

Monsieur, puis-je à présent parler sans vous déplaire ?

DORANTE.

Je remets à ton choix de parler ou te taire ;

Mais quand tu vois quelqu’un ne fais plus l’insolent.

CLITON.

Votre ordinaire est-il de rêver en parlant ?

DORANTE.

Où me vois-tu rêver ?

CLITON.

                                     J’appelle rêveries

Ce qu’en d’autres qu’un maître on nomme menteries ;

Je parle avec respect.

DORANTE.

                                    Pauvre esprit !

CLITON.

                                                             Je le perds

Quand je vous ois parler de guerre et de concerts.

Vous voyez sans péril nos batailles dernières,

Et faites des festins qui ne vous coûtent guères.

Pourquoi depuis un an vous feindre de retour ?

DORANTE.

J’en montre plus de flamme, et j’en fais mieux ma cour.

CLITON.

Qu’a de propre la guerre à montrer votre flamme ?

DORANTE.

Oh ! le beau compliment à charmer une dame

De lui dire d’abord : « J’apporte à vos beautés

Un cœur nouveau venu des universités ;

Si vous avez besoin de lois et de rubriques,

Je sais le Code entier avec les Authentiques,

Le Digeste nouveau, le vieux, l’Infortiat,

Ce qu’en a dit Jason, Balde, Accurse, Alciat ! »

Qu’un si riche discours nous rend considérables !

Qu’on amollit par là de cœurs inexorables !

Qu’un homme à paragraphe est un joli galant !

On s’introduit bien mieux à titre de vaillant :

Tout le secret ne gît qu’en un peu de grimace,

À mentir à propos, jurer de bonne grâce,

Étaler force mots qu’elles n’entendent pas,

Faire sonner Lamboy, Jean de Vert, et Galas,

Nommer quelques châteaux de qui les noms barbares

Plus ils blessent l’oreille, et plus leur semblent rares,

Avoir toujours en bouche angles, lignes, fossés,

Vedette, contrescarpe, et travaux avancés :

Sans ordre et sans raison, n’importe, on les étonne ;

On leur fait admirer les bayes qu’on leur donne,

Et tel, à la faveur d’un semblable débit,

Passe pour homme illustre, et se met en crédit.

CLITON.

À qui vous veut ouïr, vous en faites bien croire ;

Mais celle-ci bientôt peut savoir votre histoire.

DORANTE.

J’aurai déjà gagné chez elle quelques accès ;

Et loin d’en redouter un malheureux succès,

Si jamais un fâcheux nous nuit par sa présence,

Nous pourrons sous ces mots être d’intelligence.

Voilà traiter l’amour, Cliton, et comme il faut.

CLITON.

À vous dire le vrai, je tombe de bien haut.

Mais parlons du festin : Urgande et Mélusine

N’ont jamais sur-le-champ mieux fourni leur cuisine ;

Vous allez au-delà de leurs enchantements :

Vous seriez un grand maître à faire des romans ;

Ayant si bien en main le festin et la guerre,

Vos gens en moins de rien courroient toute la terre :

Et ce serait pour vous des travaux fort légers

Que d’y mêler partout la pompe et les dangers.

Ces hautes fictions vous sont bien naturelles.

DORANTE.

J’aime à braver ainsi les conteurs de nouvelles ;

Et sitôt que j’en vois quelqu’un s’imaginer

Que ce qu’il veut m’apprendre a de quoi m’étonner,

Je le sers aussitôt d’un conte imaginaire,

Qui l’étonne lui-même, et le force à se taire.

Si tu pouvais savoir quel plaisir on a lors

De leur faire rentrer leurs nouvelles au corps…

CLITON.

Je le juge assez grand ; mais enfin ces pratiques

Vous peuvent engager en de fâcheux intriques.

DORANTE.

Nous nous en tirerons ; mais tous ces vains discours

M’empêchent de chercher l’objet de mes amours :

Tâchons de le rejoindre, et sache qu’à me suivre

Je t’apprendrai bientôt d’autres façons de vivre.

ACTE II.


ScÈne premiÈre

GÉRONTE, CLARICE, ISABELLE.

CLARICE.

Je sais qu’il vaut beaucoup étant sorti de vous ;

Mais, Monsieur, sans le voir accepter un époux,

Par quelque haut récit qu’on en soit conviée,

C’est grande avidité de se voir mariée.

D’ailleurs, en recevoir visite et compliment,

Et lui permettre accès en qualité d’amant,

À moins qu’à vos projets un plein effet réponde,

Ce serait trop donner à discourir au monde.

Trouvez donc un moyen de me le faire voir,

Sans m’exposer au blâme, et manquer au devoir.

GÉRONTE.

Oui, vous avez raison, belle et sage Clarice :

Ce que vous m’ordonnez est la même justice ;

Et comme c’est à nous à subir votre loi,

Je reviens tout à l’heure, et Dorante avec moi.

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 13:14

Je le tiendrai longtemps dessous votre fenêtre,

Afin qu’avec loisir vous puissiez le connaître,

Examiner sa taille, et sa mine, et son air,

Et voir quel est l’époux que je vous veux donner.

Il vint hier de Poitiers, mais il sent peu l’école ;

Et si l’on pouvait croire un père à sa parole,

Quelque écolier qu’il soit, je dirais qu’aujourd’hui

Peu de nos gens de cour sont mieux taillés que lui.

Mais vous en jugerez après la voix publique.

Je cherche à l’arrêter, parce qu’il m’est unique,

Et je brûle surtout de le voir sous vos lois.

CLARICE.

Vous m’honorez beaucoup d’un si glorieux choix :

Je l’attendrai, Monsieur, avec impatience,

Et je l’aime déjà sur cette confiance.

ScÈne 2

ISABELLE, CLARICE.

ISABELLE.

Ainsi vous le verrez, et sans vous engager.

CLARICE.

Mais pour le voir ainsi qu’en pourrai-je juger ?

J’en verrai le dehors, la mine, l’apparence ;

Mais du reste, Isabelle, où prendre l’assurance ?

Le dedans paraît mal en ces miroirs flatteurs ;

Les visages souvent sont de doux imposteurs :

Que de défauts d’esprit se couvrent de leurs grâces,

Et que de beaux semblants cachent des âmes basses !

Les yeux en ce grand choix ont la première part ;

Mais leur déférer tout, c’est tout mettre au hasard :

Qui veut vivre en repos ne doit pas leur déplaire,

Mais sans leur obéir, il doit les satisfaire,

En croire leur refus, et non pas leur aveu,

Et sur d’autres conseils laisser naître son feu.

Cette chaîne, qui dure autant que notre vie,

Et qui devrait donner plus de peur que d’envie,

Si l’on n’y prend bien garde, attache assez souvent

Le contraire au contraire, et le mort au vivant ;

Et pour moi, puisqu’il faut qu’elle me donne un maître,

Avant que l’accepter, je voudrais le connaître,

Mais connaître dans l’âme.

ISABELLE.

                                              Eh bien ! qu’il parle à vous.

CLARICE.

Alcippe le sachant en deviendrait jaloux.

ISABELLE.

Qu’importe qu’il le soit, si vous avez Dorante ?

CLARICE.

Sa perte ne m’est pas encore indifférente ;

Et l’accord de l’hymen entre nous concerté,

Si son père venait, serait exécuté.

Depuis plus de deux ans, il promet et diffère :

Tantôt c’est maladie, et tantôt quelque affaire ;

Le chemin est mal sûr, ou les jours sont trop courts,

Et le bonhomme enfin ne peut sortir de Tours.

Je prends tous ces délais pour une résistance,

Et ne suis pas d’humeur à mourir de constance.

Chaque moment d’attente ôte de notre prix,

Et fille qui vieillit tombe dans le mépris :

C’est un nom glorieux qui se garde avec honte ;

Sa défaite est fâcheuse à moins que d’être prompte.

Le temps n’est pas un Dieu qu’elle puisse braver,

Et son honneur se perd à le trop conserver.

ISABELLE.

Ainsi vous quitteriez Alcippe pour un autre

De qui l’humeur aurait de quoi plaire à la vôtre ?

CLARICE.

Oui, je le quitterais ; mais pour ce changement

Il me faudrait en main avoir un autre amant,

Savoir qu’il me fût propre, et que son hyménée

Dût bientôt à la sienne unir ma destinée.

Mon humeur sans cela ne s’y résout pas bien ;

Car Alcippe, après tout, vaut toujours mieux que rien ;

Son père peut venir, quelque longtemps qu’il tarde.

ISABELLE.

Pour en venir à bout sans que rien s’y hasarde,

Lucrèce est votre amie et peut beaucoup pour vous ;

Elle n’a point d’amants qui deviennent jaloux :

Qu’elle écrive à Dorante, et lui fasse paraître

Qu’elle veut cette nuit le voir par la fenêtre.

Comme il est jeune encore, on l’y verra voler ;

Et là, sous ce faux nom, vous pourrez lui parler,

Sans qu’Alcippe jamais en découvre l’adresse,

Ni que lui-même pense à d’autres qu’à Lucrèce.

CLARICE.

L’invention est belle, et Lucrèce aisément

Se résoudra pour moi d’écrire un compliment :

J’admire ton adresse à trouver cette ruse.

ISABELLE.

Puis-je vous dire encor que, si je ne m’abuse,

Tantôt cet inconnu ne vous déplaisait pas ?

CLARICE.

Ah ! bon Dieu ! Si Dorante avait autant d’appas,

Que d’Alcippe aisément il obtiendrait la place !

ISABELLE.

Ne parlez point d’Alcippe ; il vient.

CLARICE.

                                                           Qu’il m’embarrasse !

Va pour moi chez Lucrèce, et lui dis mon projet,

Et tout ce qu’on peut dire en un pareil sujet.

ScÈne 3

CLARICE, ALCIPPE.

ALCIPPE.

Ah ! Clarice ! ah ! Clarice, inconstante ! Volage !

CLARICE.

Aurait-il deviné déjà ce mariage ?

Alcippe, qu’avez-vous ? Qui vous fait soupirer ?

ALCIPPE.

Ce que j’ai, déloyale ! Et peux-tu l’ignorer ?

Parle à ta conscience, elle devrait t’apprendre…

CLARICE.

Parlez un peu plus bas, mon père va descendre.

ALCIPPE.

Ton père va descendre, âme double et sans foi !

Confesse que tu n’as un père que pour moi.

La nuit, sur la rivière…

CLARICE.

                                        Eh bien ! sur la rivière ?

La nuit ! quoi ? Qu’est-ce enfin ?

ALCIPPE.

                                                       Oui, la nuit tout entière !

CLARICE.

Après ?

ALCIPPE.

               Quoi ! sans rougir ?

CLARICE.

                                                 Rougir ! à quel propos ?

ALCIPPE.

Tu ne meurs pas de honte, entendant ces deux mots ?

CLARICE.

Mourir pour les entendre ! Et qu’ont-ils de funeste ?

ALCIPPE.

Tu peux donc les ouïr et demander le reste ?

Ne saurais-tu rougir, si je ne te dis tout ?

CLARICE.

Quoi, tout ?

ALCIPPE.

                     Tes passe-temps de l’un à l’autre bout.

CLARICE.

Je meure, en vos discours si je puis rien comprendre !

ALCIPPE.

Quand je te veux parler, ton père va descendre,

Il t’en souvient alors ; le tour est excellent !

Mais pour passer la nuit auprès de ton galant

CLARICE.

Alcippe, êtes-vous fol ?

ALCIPPE.

                                        Je n’ai plus lieu de l’être,

À présent que le ciel me fait te mieux connaître

Oui, pour passer la nuit en danses et festin,

Être avec ton galant du soir jusqu’au matin

(Je ne parle que d’hier), tu n’as point lors de père.

CLARICE.

Rêvez-vous ? Raillez-vous ? Et quel est ce mystère ?

ALCIPPE.

Ce mystère est nouveau, mais non pas fort secret :

Choisis une autre fois un amant plus discret ;

Lui-même il m’a tout dit.

CLARICE.

                                           Qui, lui-même ?

ALCIPPE.

                                                                       Dorante.

CLARICE.

Dorante !

ALCIPPE.

                 Continue, et fais bien l’ignorante.

CLARICE.

Si je le vis jamais, et si je le connoi… !

ALCIPPE.

Ne viens-je pas de voir son père avecque toi ?

Tu passes, infidèle, âme ingrate et légère,

La nuit avec le fils, le jour avec le père !

CLARICE.

Son père de vieux temps est grand ami du mien.

ALCIPPE.

Cette vieille amitié faisait votre entretien ?

Tu te sens convaincue, et tu m’oses répondre !

Te faut-il quelque chose encor pour te confondre ?

CLARICE.

Alcippe, si je sais quel visage a le fils…

ALCIPPE.

La nuit était fort noire alors que tu le vis.

Il ne t’a pas donné quatre chœurs de musique,

Une collation superbe et magnifique,

Six services de rang, douze plats à chacun ?

Son entretien alors t’était fort importun ?

Quand ses feux d’artifice éclairaient le rivage,

Tu n’eus pas le loisir de le voir au visage ?

Tu n’as pas avec lui dansé jusques au jour,

Et tu ne l’as pas vu pour le moins au retour ?

T’en ai-je dit assez ? Rougis, et meurs de honte.

CLARICE.

Je ne rougirai point pour le récit d’un conte.

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 13:04

ALCIPPE.

Quoi ! je suis donc un fourbe, un bizarre, un jaloux ?

CLARICE.

Quelqu’un a pris plaisir à se jouer de vous,

Alcippe, croyez-moi.

ALCIPPE.

                                    Ne cherche point d’excuses ;

Je connais tes détours, et devine tes ruses.

Adieu : suis ton Dorante, et l’aime désormais ;

Laisse en repos Alcippe et n’y pense jamais.

CLARICE.

Écoutez quatre mots.

ALCIPPE.

                                   Ton père va descendre.

CLARICE.

Non, il ne descend point, et ne peut nous entendre ;

Et j’aurai tout loisir de vous désabuser.

ALCIPPE.

Je ne t’écoute point, à moins que m’épouser,

À moins qu’en attendant le jour du mariage,

M’en donner ta parole et deux baisers en gage.

CLARICE.

Pour me justifier vous demandez de moi,

Alcippe ?

ALCIPPE.

                 Deux baisers, et ta main, et ta foi.

CLARICE.

Que cela ?

ALCIPPE.

                   Résous-toi, sans plus me faire attendre.

CLARICE.

Je n’ai pas le loisir, mon père va descendre.

ScÈne 4

ALCIPPE.

ALCIPPE.

Va, ris de ma douleur alors que je te perds ;

Par ces indignités romps toi-même mes fers ;

Aide mes feux trompés à se tourner en glace ;

Aide un juste courroux à se mettre en leur place.

Je cours à la vengeance, et porte à ton amant

Le vif et prompt effet de mon ressentiment.

S’il est homme de cœur, ce jour même nos armes

Régleront par leur sort tes plaisirs ou tes larmes ;

Et plutôt que le voir possesseur de mon bien,

Puissé-je dans son sang voir couler tout le mien !

Le voici, ce rival, que son père t’amène :

Ma vieille amitié cède à ma nouvelle haine ;

Sa vue accroît l’ardeur dont je me sens brûler :

Mais ce n’est pas ici qu’il faut le quereller.

ScÈne 5

GÉRONTE, DORANTE, CLITON.

GÉRONTE.

Dorante, arrêtons-nous ; le trop de promenade

Me mettrait hors d’haleine, et me ferait malade.

Que l’ordre est rare et beau de ces grands bâtiments !

DORANTE.

Paris semble à mes yeux un pays de romans.

J’y croyais ce matin voir une île enchantée :

Je la laissai déserte, et la trouve habitée ;

Quelque Amphion nouveau, sans l’aide des maçons,

En superbes palais a changé ses buissons.

GÉRONTE.

Paris voit tous les jours de ces métamorphoses :

Dans tout le Pré-aux-Clercs tu verras mêmes choses ;

Et l’univers entier ne peut rien voir d’égal

Aux superbes dehors du Palais-Cardinal.

Toute une ville entière, avec pompe bâtie,

Semble d’un vieux fossé par miracle sortie,

Et nous fait présumer, à ses superbes toits,

Que tous ses habitants sont des dieux ou des rois.

Mais changeons de discours. Tu sais combien je t’aime ?

DORANTE.

Je chéris cet honneur bien plus que le jour même.

GÉRONTE.

Comme de mon hymen il n’est sorti que toi,

Et que je te vois prendre un périlleux emploi,

Où l’ardeur pour la gloire à tout oser convie,

Et force à tous moments de négliger la vie,

Avant qu’aucun malheur te puisse être avenu,

Pour te faire marcher un peu plus retenu,

Je te veux marier.

DORANTE, à part.

                               Oh ! ma chère Lucrèce !

GÉRONTE.

Je t’ai voulu choisir moi-même une maîtresse,

Honnête, belle, riche.

DORANTE.

                                         Ah ! Pour la bien choisir,

Mon père, donnez-vous un peu plus de loisir.

GÉRONTE.

Je la connais assez : Clarice est belle et sage

Autant que dans Paris il en soit de son âge ;

Son père de tout temps est mon plus grand ami,

Et l’affaire est conclue.

DORANTE.

                                        Ah ! Monsieur, j’en frémis :

D’un fardeau si pesant accabler ma jeunesse !

GÉRONTE.

Fais ce que je t’ordonne.

DORANTE.

                                          Il faut jouer d’adresse.

Quoi ? Monsieur, à présent qu’il faut dans les combats

Acquérir quelque nom, et signaler mon bras…

GÉRONTE.

Avant qu’être au hasard qu’un autre bras t’immole,

Je veux dans ma maison avoir qui m’en console ;

Je veux qu’un petit-fils puisse y tenir ton rang,

Soutenir ma vieillesse, et réparer mon sang :

En un mot, je le veux.

DORANTE.

                                      Vous êtes inflexible !

GÉRONTE.

Fais ce que je te dis.

DORANTE.

                                   Mais s’il est impossible ?

GÉRONTE.

Impossible ! Et comment ?

DORANTE.

                                             Souffrez qu’aux yeux de tous

Pour obtenir pardon j’embrasse vos genoux.

Je suis…

GÉRONTE.

                  Quoi ?

DORANTE.

                               Dans Poitiers…

GÉRONTE.

                                                            Parle donc, et te lève.

DORANTE.

Je suis donc marié, puisqu’il faut que j’achève.

GÉRONTE.

Sans mon consentement ?

DORANTE.

                                            On m’a violenté :

Vous ferez tout casser par votre autorité,

Mais nous fûmes tous deux forcés à l’hyménée

Par la fatalité la plus inopinée…

Ah ! si vous le saviez !

GÉRONTE.

                                       Dis, ne me cache rien.

DORANTE.

Elle est de fort bon lieu, mon père, et, pour son bien,

S’il n’est du tout si grand que votre humeur souhaite…

GÉRONTE.

Sachons, à cela près, puisque c’est chose faite.

Elle se nomme ?

DORANTE.

                             Orphise, et son père, Armédon.

GÉRONTE.

Je n’ai jamais ouï ni l’un ni l’autre nom.

Mais poursuis.

DORANTE.

                          Je la vis presque à mon arrivée.

Une âme de rocher ne s’en fût pas sauvée,

Tant elle avait d’appas, et tant son œil vainqueur

Par une douce force assujettit mon cœur.

Je cherchai donc chez elle à faire connaissance ;

Et les soins obligeants de ma persévérance

Surent plaire de sorte à cet objet charmant,

Que j’en fus en six mois autant aimé qu’amant.

J’en reçus des faveurs secrètes, mais honnêtes ;

Et j’étendis si loin mes petites conquêtes,

Qu’en son quartier souvent je me coulais sans bruit,

Pour causer avec elle une part de la nuit.

Un soir que je venais de monter dans sa chambre

(Ce fut, s’il m’en souvient, le second de septembre ;

Oui, ce fut ce jour-là que je fus attrapé),

Ce soir même son père en ville avait soupé,

Il monte à son retour, il frappe à la porte : elle

Transit, pâlit, rougit, me cache en sa ruelle,

Ouvre enfin, et d’abord (qu’elle eut d’esprit et d’art !)

Elle se jette au cou de ce pauvre vieillard,

Dérobe en l’embrassant son désordre à sa vue,

Il se sied ; il lui dit qu’il veut la voir pourvue,

Lui propose un parti qu’on lui venait d’offrir :

Jugez combien mon cœur avait lors à souffrir.

Par sa réponse adroite elle sut si bien faire,

Que sans m’inquiéter elle plut à son père.

Ce discours ennuyeux enfin se termina ;

Le bonhomme partait quand ma montre sonna ;

Et lui, se retournant vers sa fille étonnée :

« Depuis quand cette montre ? et qui vous l’a donnée ?

— Acaste, mon cousin, me la vient d’envoyer,

Dit-elle, et veut ici la faire nettoyer,

N’ayant point d’horlogiers au lieu de sa demeure :

Elle a déjà sonné deux fois en un quart d’heure.

— Donnez-la-moi, dit-il, j’en prendrai mieux le soin. »

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