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17 janvier 2024 3 17 /01 /janvier /2024 10:39

XXVIII. Les informations précieuses de Josselin.

Josselin se souvient de Robic et Le Guillou. Ils étaient dans la même classe. Ils avaient été renvoyés une semaine pour avoir voulu prendre l’argent d’un garçon. Puis ils s’en étaient pris à un chien dont ils avaient coupé la tête en obligeant une vieille gardienne à assister au spectacle. Josselin avoue que ses balades quotidiennes n’ont pour but que de les surveiller. Il louait des voitures pour les suivre, le maire lui remboursait les locations. Josselin l’a suivi jusqu’à un hangar, il y a deux ans. Il distribuait les rôles à ses complices : le Tombeur, le Lanceur, Jeff, le Prestidigitateur, le Joueur, le Poète, le Ventru, Domino, Gilles et le Muet, son chauffeur. Josselin connaît les adresses des planques. Josselin reconnaît Gilles sur une photo de la classe de terminale du lycée de Rennes en 1986 : Hervé Pouliquen, 33 rue de la Verrière à la Barrière.

XXIX. Robic veut faire tuer Adamsberg par le Prestidigitateur.

Robic déteste les fêtes que sa femme organise tous les dimanches pour exhiber sa richesse. Il l’a épousée à Sète pour profiter de sa fortune mais il voudrait divorcer. Sauf qu’elle en sait trop et menace de tout dire. Robic est content de s’être débarrassé du docteur Jaffré. Il lui a donné rendez-vous à l’aquarium de Saint-Malo pour le payer. Adamsberg commence à le gêner. Il veut l’éliminer en recourant au Prestidigitateur.

XXX. Arrêter Gilles.

La soirée dure longtemps dans l’auberge de Johan. Adamsberg complimente Josselin. Il y a désormais un lien entre le tueur de Louviec et la bande de Robic. Les hommes repèrent la maison de Pouliquen sur le plan cadastral. Adamsberg va aller méditer sous le grand dolmen. Johan est tétanisé par la vue d’un papillon de nuit.

XXXI. Instructions pour arrêter Gilles.

Adamsberg donne ses instructions pour arrêter Gilles chez lui. Retancourt se présentera avec des formulaires de la mairie. Ils feront irruption derrière elle.

XXXII. Arrestation et interrogatoire de Gilles.

Retancourt se présente chez Gilles pour le recensement. Il la fait entrer. Adamsberg et Matthieu font irruption dans la maison. Mais Gilles prend Retancourt en otage en la menaçant de son revolver. Les deux commissaires déposent leurs armes. Et soudain Retancourt abat sa main sur le poignet gauche de l’homme et le tord. Il lâche son pistolet. Elle le soulève et le fait passer au-dessus d’elle. Adamsberg lui passe les menottes. La perquisition commence. Dans le garage, ils trouvent la voiture : les pneus ont été nettoyés mais ils trouvent quelques particules de liège. Les commissaires ont trouvé 3 passeports, 3 pièces d’identité et 5 permis de conduire, dont un au nom d’Hervé Pouliquen.

Au commissariat de Rennes, l’interrogatoire de Gilles Lambert – Hervé Pouliquen commence pour l’assassinat du Dr Loig Jaffré dans la soirée du 5 mai. Ils ont été ensemble au collège de Combourg et au lycée de Rennes. On l’a retrouvé à Los Angeles il y a 26 ans sous le nom de René Genêt, puis en France avec l’identité de Paul Merlin. Il est rentré des Etats-Unis 17 jours après Pierre Robic. Ses comptes ont été épluchés. On a retrouvé 4 pistolets.  Matthieu revient sur les épisodes de Sète où Robic se faisait appeler Bordeaux, et de Los Angeles avec l’héritage de l’Américain.

XXXIII. Attentat sur Adamsberg et arrestation des tireurs.

A l’aquarium de Saint-Malo, Robic ne trouve pas Gilles. Il veut menacer Adamsberg pour obtenir la libération de son complice. Le ministre de l’Intérieur ne pourra pas se permettre de perdre un homme comme Adamsberg. Pour ce tir sur le commissaire, il décide de changer de tireur : ce sera le Joueur.

A l’auberge, Adamsberg s’éloigne de deux mètres pour prendre un appel. Soudain un coup de feu retentit. Adamsberg porte la main à son bras en se pliant en deux. Son sang coule. Retancourt rattrape le tireur et l’immobilise ainsi que le chauffeur qui l’attendait. Josselin reconnaît les deux hommes de main de Robic : le Prestidigitateur est Yvon Le Bras et le chauffeur « Domino », Jean Gildas. Ils ont déjà identifié cinq personnes de la même classe. Le tireur habite Louvigné et le chauffeur Bois-sur-Combourg. Ils vont faire des perquisitions.

XXXIV. Perquisition chez Le Bras et Gildas. Deuxième attentat contre Adamsberg.

Le divisionnaire leur a donné l’autorisation de perquisitions. Adamsberg est à l’hôpital. Dans un des coffres, on trouve des faux papiers de Le Bras aux noms de Jérôme Verteuil, Georges Charron, Roger Fresnes et Martin Serpentin ! Le père de la Serpentin a divorcé et s’est remarié avec une femme qui avait déjà un fils, Alain Joumot. Joumot est donc le frère « adoptif » de la Serpentin. Chez Gildas on trouve deux petits coffres. Robic est informé de l’arrestation des deux hommes mais il n’entend pas abandonner ses projets.

Adamsberg reçoit un message : « faites relâcher Gilles, le Prestidigitateur et Domino sur l’heure avec immunité ou vous le paierez de votre vie. L’agression d’hier n’était qu’un premier avertissement. Vous en recevrez un deuxième. Si ces hommes ne sont pas libres d’ici demain, vous mourrez. » (364) Adamsberg transmet l’avertissement à Matthieu, à l’attaché ministériel et au divisionnaire de Paris. Le divisionnaire lui répond de prendre des gardes du corps.

A 19h, tout le monde se réunit à l’auberge pour faire le point. Adamsberg est là, avec le bras en écharpe. L’État ne cède pas à la menace, répond le ministère. Gildas n’a pas suivi Gildas à Los Angeles. On attend 22h30 pour organiser la sortie d’Adamsberg. On éteint les lumières, huit hommes l’encadrent mais le Joueur réussit à atteindre le commissaire à la cuisse gauche. Et il grimpe en haut de l’arbre.

XXXV. Organisation de la protection d’Adamsberg. Arrestation de Grossman et de Verdurin.

Les médias se font l’écho des deux attentats et de la pression pour libérer les détenus. Toute l’équipe de Matthieu est mobilisée à Rennes pour les interrogatoires. On a fourni de nouveaux boucliers pour protéger Adamsberg et deux véhicules à vitres pare-balles. On gare l’ambulance devant la porte et on adopte la formation en tortue. Le tueur est déjà en place sur le haut de son arbre. On attend qu’il fasse nuit pour l’attraper. Johan propose une chambre à Adamsberg. A 22h15, les policiers installent les projecteurs. Le Joueur accepte de descendre.

Mais, arrivé à 12m, il saute et tente de s’enfuir. Retancourt le rattrape, l’écrase et s’en prend au chauffeur. Les hommes sont arrêtés et reconnus : le chauffeur, « Jeff » s’appelle Karl Grossman et le « Joueur » ou « Sauteur » Laurent Verdurin. Le Joueur avoue qu’il est « resté coincé avec eux ». Il est soulagé d’être libéré de Robic.

XXXVI. Enlèvement de Rose, la fille de Johan.

Les perquisitions commencent aux domiciles de Grossman et de Verdurin. Josselin vient pour leur donner une information : la veille à 12h30, à Montfort-la-Tour, il a croisé Pierre Le Guillou en moto. Il l’a suivi jusqu’à une maison au 7 rue du Cormier à la sortie de Montfort. Selon Mercadet la maison appartient à Yannick Flennec. Le Guillou est le « Tombeur ».

A 12h30, Adamsberg reçoit un nouveau message : « nous détenons la fillette de Johan, Rose. Sa vie contre les cinq prisonniers, sans condition. En absence de résultat, la gosse mourra demain, à treize heures. » (391) Adamsberg est prêt à se livrer ; Il prévient Johan qui s’effondre. Robic a reconnu la fillette qui était à la Une de Sept jours à Louviec pour un prix de dessin. Il faut faire venir 20 gendarmes supplémentaires. Adamsberg appelle Mme Kerbrat au sujet de Rose. Elle leur reproche d’être toujours fourrés chez Johan.

10 policiers de Combourg et 20 hommes de Dol-de-Bretagne et de Rennes arrivent. Il y a 14 planques et 5 maisons à visiter. Faute de réponse du ministère, Adamsberg envoie l’information aux médias. Vers 17h, ils reviennent, les mains vides.

A 18h, Maël arrive. Il était déjà venu la veille mais n’avait pas pu entrer. Il a appris la disparition de la petite par son patron, le comptable, ami de la maîtresse d’école. Il a demandé son après-midi et il est allé chez Le Guillou, installé derrière la haie. Il a vu des gars entrer avec des paquets : jouet, habits, matelas. Ils sont quatre à l’intérieur.

Adamsberg obtient l’intervention du divisionnaire. Les consignes d’intervention sont données : « Elle a 8 ans, donc très capable de défoncer une fenêtre avec une chaise » (406).

XXXVII. Rose libérée de la planque de Le Guillou.

A 19h15 les voitures démarrent, suivies d’une ambulance. 20 minutes plus tard, ils sont devant la maison de Le Guillou. On donne de la viande pour les chiens. A 20h, la serrure saute. Ils voient Le Guillou et Robic et demandent où est la petite. Par un soupirail, ils aperçoivent l’enfant allongée sur un matelas.

Mais Robic marchande la remise des clés de la porte blindée contre l’effacement de sa condamnation personnelle. Ce qui provoque la colère de Le Guillou. Adamsberg demande à Mercadet de fabriquer un faux message d’amnistie. Robic accepte ainsi de libérer Rose. Elle a été droguée avec un barbiturique. Heureusement, l’ambulance est là.

XXXVIII. Retour au calme. Des nouvelles de Rose.

Tout danger est écarté pour Rose. Grâce à Josselin et Maël. Les blessures d’Adamsberg sont désinfectées.

Demain, Robic sera libéré pour faire croire au message. La Brigade risque gros. Mercadet efface le faux message. Rose a ouvert les yeux. Elle pourra parler le lendemain.

XXXIX. Les autres complices identifiés.

Quatre hommes restent à identifier. Le « muet » : Claude Berthou, le « Lanceur » : Germain Cléach, le « Ventru » : Félix Hénaff, le « Poète » : Robin Corcuff. Six perquisitions à faire. Robic essaiera de quitter le territoire. Sa photo est diffusée à toutes les polices.

XL. Le témoignage de Rose et les perquisitions.

A 8h, Adamsberg est dans la chambre de Rose. Elle raconte son enlèvement et reconnaît les hommes qui l’ont tenue prisonnière. Puis Johan entre.

A midi, les perquisitions sont terminées. Le Ventru et le Lanceur n’étaient pas à Los Angeles. Ils n’étaient pas au courant du barbiturique donné à l’enfant. Ils dénoncent 22 méfaits de leur chef. Les vrais tueurs de la bande sont Le Guillou, Le Bras et Pouliquen. Chez Robic, ils finissent par découvrir les coffres.

XLI. Médiatisation. Interrogatoires de Robic, Le Guillou, du Muet et du Poète.

Les médias régionaux et nationaux s’intéressent désormais aux affaires de Louviec. Mais personne n’est au courant de l’enlèvement de Rose.

On interroge Robic et Le Guillou. Le premier se sent protégé, le second est rageur. Les deux hommes sont devenus des ennemis farouches. Le Guillou dit que c’est lui qui a tué le Bourlingueur qui avait assassiné Jameson. Le Guillou n’était pas au courant du projet de tuer Rose.

Le Poète et le Muet prétendent ne pas être au courant du kidnapping. C’est Robic qui est descendu à la cave avec les barbituriques. Ils devaient la libérer le samedi. Ils révèlent où sont leurs coffres.

XLII. Le dolmen et l’âne du garde du corps.

Un quart d’heure plus tard, on évacue Robic à l’abri de la presse. Un homme de Louviec a observé la scène et reconnu Robic. Robic est rentré chez lui. Sa femme n’est pas là. Il s’en tirera bien au procès. Il n’a pas une pensée pour ses dix hommes.

A 19h, Adamsberg se hisse sur la plate-forme de son dolmen. Puis il discute avec un de ses gardes du corps. Il voudrait avoir un ânon mais n’a pas de terrain. Peut-être que Chateaubriand serait d’accord pour le mettre dans son pré avec son cheval. Il doit d’abord convaincre sa femme.

XLIII. Surveillance de Robic qui prépare son évasion.

A l’auberge, on apprend la composition de la potion de la Serpentin : une escroquerie. Six hommes sont chargés de surveiller Robic chez lui. Adamsberg n’a pas prévenu le ministère de la libération de la petite.

Le lendemain, Adamsberg revient sur son dolmen. On a surpris Robic en train de passer onze appels. Il organise probablement son évasion. Il faut être prêt à resserrer les mailles.

Robic passe son dernier appel. A 3h30 une voiture l’attendra sur le chemin de la Malcroix, il pénètrera dans son entreprise par la porte latérale. A 19h30, il reçoit un message : l’annulation de liberté est à craindre. On lui donne rendez-vous près de son cellier à 21h.

Les hommes continuent de réfléchir aux hypothèses à l’auberge. Maël les rejoint. Il leur parle d’une ancienne porte de cave qui donne sur un tunnel débouchant sur le chemin de la Malcroix. Josselin les rejoint. Tout Louviec est au courant que Robic est libre. A 21h30, les policiers se mettent en place.

XLIV. Mort de Robic et de sa femme.

Vers 7h45, le jardinier découvre le corps de Robic, son patron couvert de sang. Il appelle la gendarmerie de Combourg : il a un couteau planté dans les poumons et de nombreuses blessures. Il a les yeux crevés. Il n’y a pas de couteau Ferrand, pas d’œuf. Il a été frappé 40 fois. Il y avait 35 invités le soir quand le jardinier est parti. Le jardinier n’aimait pas son patron. Avec sa femme, c’était la guerre. M. Robic voulait divorcer mais ne voulait pas lui laisser la moitié de l’argent. Berrond et Retancourt interrogent la domestique. Mme Robic était ivre. Elle est montée pour vomir mais n’est pas redescendue. Robic a dit qu’il fallait la laisser se reposer. Sur son téléphone, on découvre qu’une voiture devait venir le chercher à 3h30, il a aussi reçu un message lui donnant rendez-vous devant le cellier à 21h.

Berrond monte pour prévenir Mme Robic. Il la découvre étranglée. Robic l’a tuée. Adamsberg prévient le légiste qu’il y a un second cadavre. Dans la chambre de Robic, ils découvrent un sac à dos et un passeport au nom de Jacques Bontemps.

La femme du garde du corps est d’accord pour l’ânon.

XLV. ATTENTION : CES DEUX CHAPITRES RÉVÈLENT QUI EST LE TUEUR DE LOUVIEC !!! 

C’est le tueur de Louviec qui a massacré Robic qui avait l’intention de fuir. Les coups ont été portés de la main droite sans dévier : 39 blessures. La mort est située entre 21h et 21h30. Il y a trois piqûres de puces. Aucune sur sa femme.

Le maître d’hôtel est scandalisé par les questions de la police sur l’hygiène des chiens. Il n’avait pas d’œuf sous la main. Le meurtre était imprévu. Il lui restait bien un quatrième couteau Ferrand mais celui-ci était prévu pour quelqu’un d’autre.

L’auberge se remplit dès 12h30. Sept jours à Louviec parle de la mort du couple Robic. Le ministre de l’Intérieur est furieux qu’on ait laissé Robic en liberté. Adamsberg invente des excuses. Danglard le prévient que le cambrioleur à la cagoule a été identifié et arrêté. La presse se déchaîne contre la police. Johan veut leur rendre justice en parlant de sa fille libérée. Maël est là. Il parle d’un homme qui est passé devant lui. Il a relevé la plaque RSC.

(SPOILER)  arrête ton baratin, Maël […] on connaît le tueur […] c’est toi, Maël » (489)

XLVI. ATTENTION : CES DEUX CHAPITRES RÉVÈLENT QUI EST LE TUEUR DE LOUVIEC !!! 

Tout le monde est stupéfait. Maël s’insurge. Adamsberg explique : Maël ne supportait pas qu’on lui « tape » dans le dos, même « cordialement ». Mais il y a une autre raison plus essentielle à côté de laquelle ils sont passés. Adamsberg décode le message de Gaël : « vic…oss…ta…pé… jou…mo…est…mor… », « laissons…gar… ».

(SPOILER)  Vic » et « oss » ne désignent pas Josselin mais « Yvig » (nom de famille de Maël – « ig » se prononce « ic » en breton) : « Yvig… bosse… tapée ». Et ce n’est pas « Joumot » mais « jumeau » : « Yvig bosse tapée jumeau est mort ». « Il arrive, très rarement, qu’un embryon se fixe sur un autre embryon et s’y développe en partie. Cela peut-être n’importe où sur le futur enfant, sur son front, dans l’abdomen, sur son dos. Et en effet, il s’agit d’un jumeau. Une fois l’enfant né, le fœtus inachevé qu’il porte en lui, inaperçu à la naissance, peut croître durant des années, permettant l’apparition d’un crâne, de cheveux, d’éléments de torse, de fractions de membres. Ce fœtus incomplet, non viable, peut prendre l’aspect d’une bosse à l’endroit où il s’est fixé, et donner une impression solide au toucher. » (494) Maël s’est attaché à ce jumeau inachevé, il a appris qu’il portait un frère et non une bosse. Il ne tolérait pas qu’on frappe sa bosse, au risque d’abîmer son jumeau. Il a fait croire qu’il était bossu alors que c’était tout autre chose. On lui a expliqué que ce jumeau risquait de le faire dépérir. Il a refusé de se faire opérer. Il risquait de le perdre à cause des claques. Gaël en donnait beaucoup. Anaëlle, très cordiale, tapait sans retenue. Le maire également. Le médecin et la psychiatre voulaient le faire opérer, parce qu’ils savaient. L’embryon est mort. Il risquait une septicémie. Le docteur l’a emporté de force. Le jumeau lui a été enlevé à l’hôpital de Rennes. Cela lui a sauvé la vie mais cette perte a été le déclencheur des meurtres. Il a joué au Boiteux pour emmerder les gens. Et il a élaboré un plan pour se venger de ceux qu’il considérait comme responsables de la mort de son frère. Pour le docteur, il a délégué son meurtre à Robic en lui donnant la marche à suivre.

Avec son plâtre au bras gauche, Maël était insoupçonnable. Adamsberg enlève alors la bande qui entoure la partie supérieure du plâtre, une large en taille en V était pratiquée dans le haut du plâtre. Un faux plâtre, facile à fabriquer pour un maçon, un plâtre pratique pour cacher le couteau avant le meurtre ainsi que le sachet servant à cacher les plastiques pour protéger les chaussures. Robic, il fallait l’éliminer à son tour. Il lui avait sans cesse tapé sur l’épaule. Il fallait frapper. Il a donné rendez-vous à Robic. Les œufs ? il fallait donner un sens. La victime avait provoqué le mort d’un embryon, d’un fœtus. Le maire avait su par le docteur que ce n’était pas un fœtus : « Prévenez le docteur du danger qu’il court ». La mallette qu’il a confiée à sa sœur contenait les restes de son frère. (502) Il a tout fait pour faire accuser Josselin… pour le protéger. Lui aussi souffre de ne pas être comme les autres. Le dernier couteau devait servir à tuer le chirurgien qui lui a ôté l’embryon mortel. Maël est menotté.

XLVII. Épilogue.

Les médias sont informés de la conclusion de l’enquête. L’équipe d’Adamsberg à Paris est tenue au courant. On adresse des félicitations à la Brigade. Après avoir appris la nouvelle de l’enlèvement de Rose, on porte aux nues les policiers qu’on critiquait la veille. L’équipe reprend le train. Johan embrasse Retancourt sur les deux joues.

XLVIII. L’ânon Vicomte.

Mardi vers 11h, Adamsberg attend avec Josselin. Le garde du corps arrive. Il remercie Josselin pour l’ânon et lui paye les 320 €. L’ânon « Vicomte » est mis dans le pré avec le cheval de Josselin. « C’est tout de même quelque chose un dolmen » dit Adamsberg.

            2. Critique.

Il est peu de dire que le nouveau « rompol » de Fred Vargas, six ans après Quand sort la recluse (2017) était attendu, tant la romancière jouit d’une grande réputation dans le monde des lettres, et en particulier du roman policier. D’autant qu’avec Sur la dalle, elle renouait pour la dixième fois avec son héros Adamsberg, présent dans les romans suivants :

  • L’Homme aux cercles bleus (1991), Prix du festival de Saint-Nazaire 1992.
  • L’Homme à l’envers (1999), Grand prix du roman noir de Cognac 2000, Prix Mystère de la critique 2000.
  • Pars vite et reviens tard (2001), Prix des libraires 2002, Grand prix des lectrices de Elle 2002, Deutscher Krimipreis.
  • Sous les vents de Neptune (2004)
  • Dans les bois éternels (2006)
  • Un lieu incertain (2008)
  • L’Armée furieuse (2011)
  • Temps glaciaires (2015), Prix Landerneau polar 2015.
  • Quand sort la recluse (2017)
  • Sur la dalle (2023)

A la rentrée 2023, le roman trônait en bonne place à la devanture des librairies à côté des futurs prix littéraires. L’élégance de la couverture, en noir et blanc ajoutait au prestige de la signature. On achète un Vargas comme on achète une berline allemande, sur le prestige du logo et la confiance de la marque : élégant, sobre, fiable, durable. Un roman de 509 pages. Quand on aime, on ne compte pas. Et on en redemande…

Je me suis offert l’Audi du polar, avec le souvenir vivace du plaisir de lecture de Pars vite et reviens tard, devenu un classique. Je suis un lecteur persévérant et tolérant, ne demandant qu’à être « embarqué » et « convaincu » par les romans, en connaissant l’effort que l’écriture représente. Je ne cède pas aux emballements ou aux dénigrements grégaires et je tiens à me faire un avis personnel en allant jusqu’au bout de la lecture. Et, en général, le plaisir de valoriser les œuvres dans mes commentaires s’ajoute à celui de la lecture. Je n’aime guère les critiques qui exécutent les livres en cinq minutes, sans parfois même les avoir lus. Et je préfère choisir de bons livres qui me permettront de faire des critiques enthousiastes. C’est que j’avais l’intention de faire en ouvrant ce livre.

Or, il faut que j’admette que Sur la dalle m’a laissé sur ma faim (même si on passe son temps à table), et ce n’est pas un mauvais jeu de mots. Je situe ma crise de foi à peu près à la fin du chapitre XXIII, à la page 261, c’est-à-dire à peu près à la moitié du roman. Jusque-là, l’enquête d’un Maigret-Adamsberg en Bretagne progressait certes lentement (à sauts de puces) mais dans une certaine cohérence et homogénéité thématique : des meurtres mystérieux dans le vieux Louviec. Et puis le polar à la Simenon tourne subitement au mauvais western-film de série B avec l’apparition d’une bande de mafieux assez grotesques dont on se demande pourquoi ils sont revenus s’installer à Louviec après Los Angeles. A partir de là, on a bien du mal à suivre cette intrigue souvent invraisemblable qui part dans tous les sens et semble oublier son propos initial. Voilà le mot. Le roman n’est certes pas le réel mais il suppose un minimum de complicité entre l’auteur et le lecteur. Il faut y croire. Ce pacte de lecture se lézarde ici et introduit des fissures dans l’ensemble de l’édifice, qui irisent jusqu’aux premières fondations.

L’addiction aux romans de Fred Vargas tient au plaisir de retrouver la galerie des personnages « particuliers » de la Brigade auxquels on pardonne en général tout par le brio de la narration. Sur la dalle nous prive d’emblée de l’érudit Danglard, de Mordent, de Froissy, de Voisenet dans son exil breton. Restent l’hypersomniaque et féru d’informatique Mercadet qu’on croirait ici être le double de Pénélope Garcia dans Esprits criminels, la caricaturale et herculéenne Retancourt, croisement entre Rambette, Schwarzie et Wonderwoman, capable de briser des menottes et d’immobiliser trois malfaiteurs au chapitre VI, deux au chapitre XIII, puis un autre au chapitre XXXII et encore quatre autres aux chapitres XXXIII et XXXV ! Bien la peine de mobiliser autant de policiers et de gendarmes avec cette héroïne de Marcel ! Veyrenc semble à peine là, à part pour apprécier les talents de baryton de Johan. Quant à l’omniprésent Adamsberg, il semble surtout briller par ses absences et ses élucubrations. Passons sur ses lubies de marcher dans la rivière ou de s’allonger sur le dolmen. Il est surtout très bavard et son talent de policier semble être dans l’imagination et l’élucubration que dans l’anticipation et l’organisation.

Mais que diable la Brigade a-t-elle été faire dans cette galère ? Qu’est-ce qui justifie qu’une brigade parisienne aille enquêter en Bretagne ? Si l’on en croit la narratrice, rien ne se passe vraiment à Paris et les rares affaires se résolvent si facilement que chacun a le temps de s’adonner à ses loisirs (chapitre VI) et de faire du tourisme policier. La Bretagne, donc. Pourquoi pas ? comme dans une série du samedi soir sur France 3 : Meurtre à Louviec. Et Fred Vargas n’y va pas avec le dos de la cuiller dans le cliché bretonnant. D’abord avec les noms : Gaël Leuven, Malo-Auguste de Coëtquen, Gaël, Maël Yvig, Jean Armez, Kemener, Erwann, Anaëlle Briand, Le Floch, Gwenaëlle, Yvon Briand, Jeslin Cozic Kristen Le Roux, Hervé Kerouac, Tristan Cloarec, Mikaël Le Bihan, Corentin Le Tallec, Alban Rannou, Katell Menez, Pierre Robic, Pierre Le Guillou, Yann Radec, Hervé Pouliquen, Yvon Le Bras, Jean Gildas, Yannick Plennec, Mme Kerbrat, Félix Hénaff, Germain Cléach, Robin Corcuff…  toute une liste de noms trouvés apparemment dans un dictionnaire des patronymes bretons. Le brassage des populations et le métissage des noms semblent avoir épargné cette contrée reculée. Faire couleur locale peut confiner à la condescendance parfois. D’autant que ne manquent aucun élément du folklore local : chouchen, crêpes et dolmen. Il fallait d’ailleurs une figure tutélaire et un monument au milieu de ce Puy du Fou breton : François-René de Chateaubriand, son château de Combourg et son clone touristique Josselin de Chateaubriand, habillé à la mode du XIXe siècle : « pantalon serré, chemise blanche, gilet, veste noire » (28). Page 98, Adamsberg dit d’ailleurs à ses hommes qui s’apprêtent à partir en mission dans la lande bretonne : « pas de costume, des pantalons simples, vagues, des chemises larges, à carreaux s’il vous plaît, des pulls peu usagés, des sweat-shirts, rien de serré, rien détroit, rien de particulièrement à la mode ». Tout juste s’il ne recommande pas les chapeaux ronds et les coiffes bigoudènes et de danser la gavotte Le ministre de l’Intérieur lui-même intervient quand il apprend qu’on s’en prend à Josselin de Chateaubriand.  Il faut sauver le soldat Chateaubriand, qui fait la fierté de la France ! Pour cela, on congédie le commandant divisionnaire Le Floch (tant pis pour Jean-François Parrot) et on dépêche l’unité d’élite à Louviec. Bizarre. Cette vision de la Bretagne paraît finalement assez méprisante et jacobine.

Outre les patronymes et les clichés régionaux, la Bretagne semble une région bien arriérée dans ce roman si l’on en croit Fred Vargas. On croit aux superstitions, aux escroqueries médiévales de la Serpentin, au combat entre les Ombreux et les Ombristes. Dans l’internat, on faire souffrir les chats et il y a une suspicion d’inceste entre Joumot et la Serpentin. Pire encore, à la fin du XXe siècle ou au début du XXIe siècle, Anaëlle, Jeannette, la fille de Kristen Le Roux ont recours à des « arrangeuses » c’est-à-dire à des faiseuses d’anges. « Cette ordure de Gaël aurait mis enceinte une femme d’ici, il y a bien six ans de cela. […] Il l’a obligée à se débarrasser du fœtus ni vu ni connu » (189).  La légalisation de l’avortement votée à Paris en 1975 semble ne pas avoir franchi les limites de la Bretagne. Et on ne parle pas des puces qui infestent la population. Il fallait des symboles. Tant pis si c’est aux dépens des Bretons qui font le dos rond. Et on comprend la réaction du commissaire Matthieu qui se sent évincé au chapitre VIII par des collègues venus de Paris. La femme de Berrond n’est-elle pas une de ces « arrangeuses » ?

Les exagérations, les caricatures et les invraisemblances se multiplient dans le roman. « Il nous faudrait quelque chose comme cinquante hommes. […] je peux te fournir environ vingt-deux hommes de Rennes et vingt des gendarmeries locales. Plus nous huit. […] Égale cinquante hommes » (219) Le ministre de l’Intérieur promet d’envoyer soixante hommes et dix hélicoptères p. 227, en mélangeant d’ailleurs allègrement gendarmes et policiers, p. 230, il est question de l’arrivée de cent deux policiers dans le village et de trois camions-cantines, cinquante flics patrouillent dans Louviec, soixante assurent le cordon du périmètre (249) ce qui n’empêche pas d’ailleurs le meurtre du docteur Jaffré…. On fait repartir les hommes puis on les convoque à nouveau : dix policiers de Combourg et vingt hommes de Dol-de-Bretagne et de Rennes p. 395. On se croirait à Paris au moment des attentats.

On a déjà parlé de l’irruption incongrue de Pierre Robic au chapitre XXIV et du déraillement narratif de cette nouvelle histoire dans la logique du récit. Mais cette histoire de mafia bretonne tient plus des Pieds Nickelés ou de la 7e compagnie que du Parrain ou de Scarface. A en juger d’abord par les noms des acolytes :  le Tombeur, le Lanceur, Jeff, le Prestidigitateur, le Joueur, le Poète, le Ventru, Domino, Gilles et le Muet, son chauffeur. Escrocs et gangsters à l’insu de leur plein gré qui ont des scrupules de gazelles dès qu’on leur apprend que Robic était un criminel, un kidnappeur d’enfants. « Ah bon ? je ne savais pas, Excusez-moi monsieur l’agent ! » Ces surnoms de bande dessinée à bon marché sont à la mesure de ces bras cassés que Retancourt aplatit comme une crêpe. On croit à peine à cette arnaque de Robic qui parvient à détourner l’héritage d’un millionnaire américain célibataire, sans enfant, superstitieux et naïf. On a du mal à croire que ce Robic puisse être chef d’entreprise de « Votre logis de A à Z », à moins qu’il ne soit spécialisé en « casseroles ». On comprend encore moins pourquoi cette bande de zozos revienne s’installer à Louviec où ils sont connus depuis l’enfance ! Ridicule aussi d’envisager que tous ces escrocs étaient ensemble sur les bancs du collège à Combourg et du lycée à Rennes, y compris le muet !  Bac techno, section perçage de coffres ? Josselin et Maël, leurs camarades de classe n’ont pas de mal à les reconnaître. Le grand méchant Robic, comme on n’en fait plus, cumule tous les stigmates de la noirceur : il martyrise les chiens (dont il coupe la tête au chapitre XXVIII), il tue sa femme, le Bourlingueur, veut tuer Rose, Adamsberg, il se désintéresse du sort de ses collaborateurs, le notaire américain véreux meurt dans l’explosion de son avion (rien que ça !). Robic multiplie les chantages avec Adamsberg pour obtenir la libération de ses hommes ou sa propre immunité. Et pour avoir les clés de la cave, le commissaire imite un mot du ministre et on laisse partir l’assassin dont on devine qu’il va chercher à s’enfuir. Grotesque. Mais il y a une justice : il finit lui-même par être tué. Comme si ça ne suffisait pas dans cet empilement d’histoires enchevêtrées, il faut évoquer l’intrigue de Sim l’anguille avec les deux sbires Longevin et Desmond qui poursuivent Adamsberg et Retancourt jusqu’au fond de la Bretagne et l’attaque de la bijouterie (avec un autre clown cambrioleur à la cagoule à grosses mailles tricotée). Fred Vargas veut-elle empiler dans ce roman toutes les histoires qu’elle n’a pas écrites pendant six ans ?

Dans la série des invraisemblances, notons encore cette phrase : « Elle a huit ans, donc très capable de défoncer une fenêtre avec une chaise » (406) Après Retancourt Robocop, l’auteure ne semble pas choquée d’affirmer qu’une petite fille de huit ans puisse défoncer une fenêtre. Pas plus d’ailleurs que de justifier que Robic ait pu reconnaître Rose parce que sa photo était à la Une d’un journal pour un concours de dessin à l’école ! Tout aussi curieux de voir l’Auberge des Deux écus de Johan se transformer en auberge espagnole où tout le monde entre et sort, à commencer par Josselin et Maël qui sont tenus informés de tous les secrets de l’enquête. Maël l’ex-Bossu et Josselin le pseudo-cossu en savent souvent bien plus sur les événements que les policiers. Chateaubriand feint d’aller aux champignons mais suit la bande à Robic en louant des voitures qu’il se fait rembourser par le maire ! Il connaît les noms des complices de Robic, les adresses des planques. Maël, de son côté, avertit les hommes de l’enlèvement de Rose ce qui lui vaut la gratitude de Johan ! Et ne parlons pas de Johan le cuistot Caruso qui fait la cuisine pour un régiment et pour tout Louviec ! On ne fait que manger dans ce roman sans qu’il ne soit jamais question de factures et de notes de frais. Et l’on parle beaucoup. Les dialogues répétitifs alourdissent beaucoup le roman. On soupire.

Pour en revenir à la résolution de l’énigme policière, rappelons aux lecteurs qu’on dévoile de nouveau dans les lignes suivantes le nom du coupable. Passez donc votre chemin si vous comptez lire le roman. En tuant Robic, Maël ferme la longue parenthèse du blockbuster Robic and Co. Et, in extremis, Adamsberg nous donne une solution pour le moins surprenante. Sa validité scientifique est largement douteuse. Sa crédibilité romanesque assez farfelue, surtout au bout de cinq cents pages d’approximations. Avant une ultime farce : les restes du jumeau dans la mallette remise à sa sœur.

C’est vrai, on cherche la petite bête. Mais c’est un peu la méthode d’Adamsberg qui aime les araignées, les puces ou les hérissons. Cet inventaire est pesant à la manière de ce roman qui en fait trop pour être au net. Qui trop embrasse, manque le train. C’est dommage. Pour se consoler, lisons ou relisons les premiers romans de Fred Vargas en attendant le prochain qu’on espère meilleur.

PARS VITE ET REVIENS TARD de Fred Vargas, éditions Viviane Hamy, 2001.

           « Cito, Longe, Tarde », « CLT » : c’est le conseil de celui qui trace ces initiales sous des quatre à l’envers peints sur les portes des maisons pour conseiller aux habitants de fuir. Fuir quoi ? La peste ! diffusée dans Paris à l’aide de puces à rats envoyées dans des enveloppes pour infecter des victimes ciblées. Incroyable ? Pendant que, place Edgar-Quinet dans le XIVe arrondissement, Joss Le Guern, l’ancien marin devenu Crieur, annonce d’étranges messages en ancien français et en latin, des hommes commencent à mourir dans la ville. Et quand les médias s’emparent de l’affaire, la psychose de la « Mort noire » se répand. Grâce à Decambrais, un conseiller en « choses de la vie » que les messages intriguent, le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg et son adjoint Adrien Danglard vont se mettre sur la piste. Ils apprennent « qu’en gage d’amour les hommes fortunés prirent l’habitude d’offrir un diamant à leur fiancée, pour les protéger du fléau », de la peste. La dernière en France date du XVIIIe siècle, à moins que  ce soit 1920… On ne vous en dira pas plus car on vous en dirait trop sur cette intrigue complexe et inquiétante qui réserve bien des surprises. On saura la vérité mais on retiendra surtout les portraits de toute une série de personnages étranges : Marc, l’homme de ménage-médiéviste, Lizbeth, l’ex-prostituée américaine noire et chanteuse, Bertin le Normand patron du Viking, Damas, le marchand de rollers amoureux de Lizbeth, Ferez le médecin-psychiatre, Adrien le flic qui élève seul ses cinq enfants et noie sa solitude dans la bière, Clémentine Courbet, une vieille dame de quatre-vingt-six ans qui fait de bonnes galettes, Antoine Hurfin,  de Romorantin et Camille, la fille de la Reine Mathilde… ah ! Camille ! qui fait tourner la tête d’Adamsberg et qui un soir… part vite et loin : « cito, longe, tarde ». Si vous vous grattez, ce ne sont pas les « nosopsyllus fasciatus », les puces à rats, c’est seulement la curiosité, le plus beau défaut quand on aime les livres.

            Et puis après, jetez-vous sur les autres romans de Fred Vargas, de son vrai nom Frédérique Audouin-Rouzeau : Fred comme diminutif de Frédérique et Vargas comme pseudonyme (le même que sa sœur jumelle Joëlle, peintre contemporaine connue sous le nom de Jo Vargas). Fred Vargas, chercheuse en archéologie, écrit ses « rompols » (romans policiers sans sexe ni sang) par plaisir, par érudition mais aussi par amour : des gens et de Paris qui est le personnage principal de cette énigme. Peu importe qui est coupable. Il ne faut pas se fier aux apparences : « la faute et l’apparence de la faute » comme dit Decambrais, qui sait de quoi il parle.

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7 janvier 2024 7 07 /01 /janvier /2024 18:34

Elizabeth Keith, Mariée coréenne, 1938

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6 janvier 2024 6 06 /01 /janvier /2024 17:55

L’expression de « Clochemerle » pour désigner un village ou une petite communauté déchirée par des querelles burlesques sans intérêt ou conséquences pour le reste du monde : « Tout le monde se tire dans les pattes, c’est Clochemerle, ici ! » est passée dans le langage courant. C’est ce qu’on appelle en rhétorique une « antonomase », quand un nom propre devient un nom commun tant il est chargé de symboles (un don juan, un harpagon…). On sait vaguement que ce nom est lié à un roman et à des adaptations cinématographiques et télévisuelles. Mais l’œuvre originelle de Gabriel Chevallier, publiée en 1934, est un peu tombée dans l’oubli après avoir connu un grand succès. Un voyage en Beaujolais en novembre 2023 m’a appris que c’est le village de Vaux-en-Beaujolais qui avait servi de cadre à ce roman populaire. A Vaux, précisément, des fresques de Dubout, un musée Chevallier et un magistral urinoir confirment cette origine romanesque et donnent envie de lire le roman. Ce que j’ai fait.

Attention ! La suite du texte dévoile l’intrigue. Si vous n’avez pas encore lu le roman, passez au 2. Critique.

 1. Résumé détaillé.

  I. UN GRAND PROJET

En octobre 1922, vers 17h, deux hommes discutent sur la grande place de Clochemerle-en-Beaujolais : Barthélémy Piéchut et Ernest Tafardel, instituteur, secrétaire de mairie et lieutenant de Piéchut (interlocuteur à l’haleine fétide). Piéchut, malin, sait tirer parti de la virulence buccale de son secrétaire s’il désire obtenir le consentement de certains conseillers municipaux d’opposition : le notaire Girodot et les viticulteurs Lamolire et Maniguant. Le maire veut trouver quelque chose pour faire éclater la supériorité de la municipalité de gauche. Tafardel fait des propositions (une plaque « Liberté, Égalité, Fraternité » au cimetière, une bibliothèque municipale). Mais Piéchut a une meilleure idée : « Je veux faire construire un urinoir, Tafardel. […] Enfin, dit-il, une pissotière ! » (17) Tafardel approuve cette « idée vraiment républicaine » et demande où on va placer le petit édicule.

     II. CLOCHEMERLE-EN-BEAUJOLAIS

Description de Clochemerle-en-Beaujolais. Explication du nom : quand on sonnait les cloches, les merles nichant dans l’arbre à côté de l’église s’envolaient, d’où « la cloche à merles ». Célèbre pour les événements de 1923 relatés sous le titre « les scandales de Clochemerle » dans la presse. Il faut d’abord entrer dans ce village à l’écart des routes touristiques.

Topographie de Clochemerle. Il faut trouver un lieu central pour l’urinoir. Piéchut n’a pas choisi le lieu par hasard.

Piéchut et Tafardel se retrouvent près de l’église. Et le maire montre l’endroit où il souhaite implanter l’urinoir. Pour l’anticlérical Tafardel, il n’y a pas de meilleur endroit. Les deux hommes décident d’aller boire chez Arthur Torbayon, l’aubergiste.

L’église de Clochemerle est coincée entre deux impasses : l’impasse du Ciel sur laquelle donne le presbytère du curé Ponosse et qui conduit au cimetière et l’impasse des Moines aboutissant à une maison qui abrite la sacristie au rez-de-chaussée et l’appartement de la demoiselle Justine Putet, une vieille fille bigote, au premier étage, qui surveille les allées et venues des fidèles se rendant au confessionnal. Piéchut veut faire construire son urinoir au début de l’impasse des Moines. (33). Tafardel, Piéchut, la baronne Alphonsine de Courtebiche, le curé Ponosse, Jules Laroudelle : les éléments du « scandale de Clochemerle » sont en place.

   III. QUELQUES IMPORTANTS CLOCHEMERLINS

Les familles de Clochemerle en 1922 : le boulanger Farinard, Futaine le tailleur, Frissure le boucher, Lardon le charcutier, Bafère le charcutier, Billebois le menuisier et Boitavin le tonnelier. Presque tous les habitants sont groupés dans la partie haute du bourg. Dans la partie haute habitent Barthélémy Piéchut, le notaire Girodot, le pharmacien Poilphard et le docteur Mouraille. La maréchaussée est conduite par le brigadier Cudoine. La plupart des habitants du bourg sont des vignerons qui cultivent la vigne pour la baronne de Courtebiche, le notaire Girodot et quelques étrangers et châtelains des environs.

Le curé Augustin Ponosse est arrivé de l’Ardèche, trente ans plus tôt pour remplacer un prêtre de 42 ans mort d’une mauvaise grippe. L’ancien curé « s’arrangeait » avec la bonne Honorine pour tromper sa solitude. L’arrangement se perpétue avec le curé Ponosse. Le curé veut se confesser auprès d’un confrère. Il se rend en vélo au village de Valsonnas, à 20 km. L’abbé Jouffe lui apprend qu’il en use de même avec sa servante Josèpha depuis plusieurs années. Les deux prêtres vont s’absoudre mutuellement pendant 23 ans. En 1897, Ponosse ne peut se rendre à Valsonnas à cause de la neige. Ils prennent l’habitude d’échanger leurs absolutions par télégramme. A la mort de Josèpha à l’âge de 62 ans, l’abbé Jouffe cesse de venir à Clochemerle. Les relations entre Honorine et Ponosse se normalisent. En 1922, leurs rapports sont irréprochables. Ponosse s’est converti à la pipe et au Beaujolais et se met à fréquenter l’auberge. Il trouve une autre consolation en fréquentant la baronne qui s’est installée au château en 1917.

La première maison à l’angle de l’impasse des Moines est celle des Galeries beaujolaises, le plus grand magasin de Clochemerle, sur le seuil duquel se tient la rousse Judith Toumignon, la plus belle femme du bourg que toutes les femmes haïssent et que tous les hommes reluquent, comme le dit le garde-champêtre Cyprien Beausoleil. La pire calomniatrice de Judith est Justine Putet qui censure les mœurs du bourg. Judith est mariée à François Toumignon mais elle a surtout comme amant le greffier de justice Hippolyte Foncimagne qui est pensionnaire à l’auberge Torbayon. Partie de Clochemerle à l’âge de 16 ans pour travailler à Villefranche, Judith y est revenue à 22 ans et a épousé François Toumignon, héritier des Galeries beaujolaises qui était sur le point d’épouser Adèle Machicourt qui devait ensuite épouser Arthur Torbayon. L’année du mariage des Toumignon, la mère de François mourut et Judith devint la maîtresse des Galeries. C’est en 1919 que Hippolyte Foncimagne apparut à Clochemerle. Régulièrement, Judith et Hippolyte quittaient séparément Clochemerle et se retrouvaient au bois de Fond-Moussu ou à Lyon. Justine Putet les espionne. Seul Toumignon semble ignorer sa disgrâce ; il a fait de Hippolyte son ami et il l’assure de sa confiance… aveugle.

    IV. QUELQUES IMPORTANTS CLOCHEMERLINS (Suite)

Trente mètres après les Galeries beaujolaises se trouve le bureau de poste tenu par Mlle Voujon, et dix mètres plus haut le bureau de tabac de Mme Fouache et la maison du docteur Mouraille, homme brutal et alcoolique craint par la population. Le médecin est fâché avec le curé Ponosse qui s’est mêlé de la guérison de Sidonie Sauvy (une obscure histoire d’occlusion intestinale que Mouraille pensait fatale et que le curé a purgé par hasard avec de l’huile de salade).

Le pharmacien Poilphard vit toujours dans le désespoir. Rapidement veuf, il a mis sa fille en pension et a chargé un aide de le remplacer à la pharmacie pour se rendre régulièrement à Lyon pour s’adonner à des pratiques étranges en demandant à des prostituées de s’allonger en position morbide pendant qu’il s’agenouillait près de leur faux cadavre. Certaines demoiselles viennent à la pharmacie dans l’espoir d’attirer son attention. Mais elles sont trop « vivantes » pour lui.

A côté de la pharmacie, on trouve le magasin de cycles d’Eugène Fadet, un ancien coureur cycliste et mécanicien d’aviation qui rabâche ses exploits. Léontine Fadet, sa femme assure la direction financière de la firme Fadet et de la maison. Fadet vient se réfugier au café de l’Alouette pour retrouver la « bande à Fadet ».

Dans le coude du grand tournant se situe la plus belle maison bourgeoise de Clochemerle : Le notaire Girodot y habite avec sa femme et leur fille Hortense, qui a 19 ans. Leur fils Raoul est en seconde année de rhétorique à Villefranche après deux échecs au bac. Raoul est un cancre qui a juré de ne jamais être notaire et de vivre aux crochets de la fortune des Girodot. Son rêve : avoir une voiture de course et une maîtresse blonde et grasse. La jeune Hortense en suivant sa nature romanesque tournera mal. Les Girodot sont notaires depuis quatre générations. D’après Tony Byard, Girodot est « un vieux grigou cafard, par-dessus tout grippe-sous et vieux trotte-bidet, avec de sales vices de dégoûtant » (76). Tony grand mutilé de guerre, réformé à 100%, a été durant 10 ans à l’étude Girodot avant 1914. A son retour, le notaire a proposé de le reprendre en le payant à proportion de ses capacités, estimant qu’il s’en était bien tiré avec sa pension. Il lui avait glissé un billet de dix francs. Girodot ne pense qu’à son argent.

Girodot est le premier représentant de la bourgeoisie à Clochemerle entre le clan aristocratique et le reste de la population. Il invite à sa table le curé Ponosse. La baronne veut bien l’inviter mais ne s’abaisse pas à aller chez lui. Le notaire jouit d’une considération auprès des Clochemerlins. Mais souffrant de divers maux, il est à la merci de Mouraille.

     V. INAUGURATION TRIOMPHALE

Le 5 avril 1923, le printemps fait une arrivée prématurée, réveillant les instincts des premiers âges.

Cette amélioration du temps arrive à point pour la fête de l’inauguration, fixée le surlendemain, samedi 7 avril, qui devait affirmer la victoire de Piéchut et de Tafardel. Le maire a organisé la « fête du vin de Clochemerle » mais le véritable motif est l’inauguration de l’urinoir. Il a invité le sous-préfet, le député Aristide Focart, plusieurs conseillers départementaux, plusieurs maires et officiers ministériels, trois présidents de syndicats vinicoles, des érudits régionalistes, le poète Bernard Samothrace (de son vrai nom Joseph Gamel) et le plus célèbre des enfants de Clochemerle, l’ancien ministre Alexandre Bourdillat. Les progressistes approuvent cette manifestation. Les conservateurs la boudent. La baronne fait savoir qu’elle ne se commettrait pas avec des malotrus. Son gendre, Oscar de Saint-Choul est plus circonspect. Il espère faire une carrière politique.

Le matin de cette mémorable journée, Arthur Torbayon va chercher Alexandre Bourdillat en voiture à Villefranche. Au même moment arrive Aristide Focart. Les deux hommes se retrouvent sans plaisir. Mais la politique apprend aux hommes à se dominer. Ils échangent des accolades d’estrade. Bourdillat fait l’éloge de Clochemerle. Puis Piéchut lui présente le poète Samothrace à Bourdillat qui plaisante lourdement (vers de poésie et vers de terre…). Le cortège s’achemine vers la place où la foule se presse.

Après quelques mots de bienvenue et de remerciements, Piéchut attribue le mérite des embellissements de Clochemerle à la municipalité. Puis Samothrace déclame son poème à la gloire de Bourdillat. S’ensuivent les discours de Focart et de Bourdillat. – Histoire de Bourdillat :  monté à Paris, il devint garçon de café, épousa la fille d’un cafetier et s’établit cafetier à Aubervilliers. Durant 20 ans, son établissement fut un centre de propagande électorale. Il finit par avoir envie de devenir député. Il le devint en 1904 à 47 ans. En 1917, Clémenceau l’intégra à son ministère : « Plus j’aurai d’imbéciles autour de moi, plus il y aura de chances qu’on me f… la paix ! » (99). Les discours terminés, ils se dirigent vers le centre du bourg pour l’inauguration de « l’ardoise de Piéchut ».

Judith a été choisie pour baptiser l’urinoir. Tout le monde veut l’embrasser. On inaugure l’urinoir. 80 couverts ont été dressés à l’auberge. Le repas dure 5h. Puis les hôtes de marque repartent.

A l’occasion de cette journée unique, Bourdillat a décerné les palmes académiques à Tafardel avec la permission du ministre. Ivre mort, il rentre chez lui et s’endort tout habillé. Poilphard pleure d’abondance.

   VI. LES HALLUCINATIONS DE JUSTINE PUTET

Piéchut a engagé sa réputation dans cette affaire d’urinoir. Les circonstances lui rendent service. La chaleur, la proximité de l’auberge poussent à boire et… à se soulager. Au passage, on jette un coup d’œil à Judith Toumignon. L’urinoir devient un lieu de rendez-vous. L’allée des Moines sert aussi de lieu de passage aux enfants de Marie qui se rendent à la sacristie : Rose Bivaque, Lulu Montillet, Marie-Louise Richôme, Toinette Maffigue, filles agréables à regarder. Les garçons trouvent en ce lieu l’occasion d’excentricités qui amusent la population. « Ainsi allaient bonnement les choses à Clochemerle, sans inutile hypocrisie, avec plutôt un certain penchant gaulois pour la gaudriole, au printemps 1923. L’urinoir de Piéchut était la grande attraction locale. » (106). De sa fenêtre, Justine Putet observe cet incessant manège d’hommes qui ne prennent pas toutes les précautions qu’eût exigées une scrupuleuse décence.

Durant deux mois, la vieille fille surveille les allées et venues et entreprend de lancer une croisade contre l’édifice. Elle se rend chez Judith Toumignon qui, elle, ne voit pas la nécessité de démolir l’urinoir. Le « scorpion déguisé en bête à bon Dieu » s’en prend alors aux mœurs de Judith. Celle-ci appelle son mari qui chasse la vieille fille. Justine Putet va alors se plaindre au curé Ponosse. Elle lui représente l’urinoir comme un objet de scandale et de corruption détournant de ses devoirs la jeunesse féminine de Clochemerle et dénonce les manœuvres impies d’une municipalité vouée aux châtiments éternels. Le curé Ponosse n’aime pas les conflits et il tergiverse. Elle se fâche alors contre le curé qui encourage le vice. Il lui conseille de détourner le regard.

L’incident est bientôt connu dans tout Clochemerle par les soins de Babette Manapoux et de Mme Fouache qui entretiennent la chronique scandaleuse du bourg. Babette Manapoux est la plus active commère du quartier bas ; Mme Fouache entretient la chronique du quartier haut, par insinuations. La nouvelle de l’altercation entre le ménage Toumignon et Justine Putet est bientôt connue de tous, enrichie de nouveaux détails. Les disciples de Fadet, au café de l’Alouette, décident d’aller narguer la vieille fille sous ses fenêtres. Tout le monde s’amuse de ces blâmables polissonneries. Justine Putet décide de se venger.

    VII. CLOCHEMERLE PREND PARTI

Justine Putet va se plaindre au maire : « il y a des hommes qui font à côté » … « il y a des hommes qui donnent à voir… toute leur boutique ! … Je viens porter plainte, monsieur le maire. C’est scandaleux. Il se commet à Clochemerle des attentats à la pudeur. » Le maire tente de l’apaiser. Elle dénonce les mauvais garnements de l’Alouette : « ils méritent la prison ! » Le maire demande des preuves et des témoins. Il lui conseille d’aller en parler à Cudoine ou d’engager une pétition.

Putet se rend à la gendarmerie. De temps à autre un gendarme passe à l’impasse des Moines mais rien ne change. Cudoine déteste Justine Putet.

Le 2 août 1923, une nouvelle rumeur court dans Clochemerle : Rose Bivaque, une enfant de Marie de près de 18 ans se trouve être enceinte. Les commères se déchaînent. Le responsable, c’est Claudius Brodequin un jeune militaire qui est au régiment qui était là en avril. Justine Putet en profite pour reprendre sa croisade contre les saletés de l’impasse. Le curé est forcé d’accorder son patronage à ces vitupérantes. « La croisade fut prêchée contre l’urinoir, cause de tout le mal qui, en attirant les garçons sur le passage des filles, avait incité ces dernières à commercer hautement avec le diable. » (129) La question de l’urinoir prend de l’ampleur et divise Clochemerle. Les clans se forment. D’un côté, le parti de la cure, les urinophobes conduits par le notaire Girodot et Justine Putet avec la protection hautaine de la baronne de Courtebiche. De l’autre, les urinophiles avec Tafardel, Beausoleil, Mouraille, Babette Manapoux, Piéchut, les ménages Toumignon et Torbayon qui ont des intérêts commerciaux à ce point de passage. Anselme Lamolire fait partie des Phobes par opposition à Piéchut. Mlle Voujon de la poste n’a d’intérêts pour aucun parti. Mme Fouache compatit des deux côtés : le tabac est au-dessus des partis. Poilphard est indifférent, tout à ses fantasmes érotiques morbides. Rose Bivaque dont le ventre s’arrondit attend son Claudius.

   VIII. ARRIVÉE DE CLAUDIUS BRODEQUIN

Vers 16h, un seul passager descend du train à la gare de Clochemerle : un militaire en uniforme de chasseur. Il a 5km de marche à faire.

Claudius Brodequin, matricule 1103, est appelé à devenir caporal des chasseurs. Il a demandé une permission pour voir rose Bivaque. Ses parents habitent une maison isolée de l’autre côté de la mairie. Avant d’aller chez eux, il s’arrête à l’auberge pour prendre un verre. Dans sa vie de jeune gars, Adèle a joué un rôle secret d’initiatrice. Il pense encore à elle. Adèle est, après Judith, la femme qui produit le plus d’effets sur les hommes de Clochemerle. C’est une attraction indéniable de l’auberge. Adèle lui parle du ventre de Rose qui se fait voyant. Claudius prétend ne rien savoir.

« Bon Dieu ! Voilà la Rose enceinte ! », se dit Claudius en reprenant son chemin. Il en oublie de s’arrêter au bureau de tabac et de saluer Mme Fouache ; il oublie de rendre le salut de Fadet. Les vieux Bivaque et Brodequin ne sont pas d’accord.

En arrivant chez lui, Claudius trouve Adrienne, sa mère, occupée à préparer la soupe. Elle lui demande s’il va épouser la Rose. La mère serait contente de l’accueillir et Honoré, le père, aussi si le vieux Bivaque voulait donner en dot sa vigne de Bonne-Pente. Le père rentre. Il n’est pas mécontent de l’opportunité. Tout s’arrange finalement.

    IX. LA SAINT-ROCH

Chaque année, le 16 août, on fête Saint-Roch, saint patron de Clochemerle. - Origine de cette fête : peste de 1481, les Clochemerlins font vœu de se consacrer à Saint-Roch qui protège des épidémies si le bourg est épargné. Le lendemain de la procession, la peste fait son apparition à Clochemerle : 986 victimes en quelques mois. Tout le monde s’accorde sur le miracle sauf Renaud La Fourche. Il est condamné au bûcher comme hérétique… -

Le temps est merveilleux à Clochemerle en ce mois d’août 1923. « Ce fut un peu ce qui perdit Clochemerle ».

On fait ripaille dès le matin du 15 août. Le soir, on organise un bal et « la fontaine du vin ». Le titre de « Premier Biberon » sera décerné à celui qui boira le plus. Le record depuis 1887 est détenu par Pistachet avec 321 verres. Il est mort à 44 ans d’une cirrhose du foie. Depuis 1920, le titre appartient au facteur Blazot. François Toumignon rêve de lui prendre le trône. Dans la nuit du 15 au 16 août, les réjouissances se prolongent jusque vers 3h du matin.

A 10h, les femmes sont à la messe. Il y a une grande affluence à l’auberge Torbayon. Toumignon a bu 43 verres, Blazot 50. Vers 10h30, la conversation dévie sur l’urinoir et s’anime. Toumignon veut en découdre avec le curé. Il se rend à l’église accompagné d’Arthur Torbayon, Jules Laroudelle, Benoît Ploquin, Philibert Daubard, Delphin Lagache, Honoré Brodequin, Tonin Mâchavoine, Reboulade, Poipanel et d’autres, largement une vingtaine.

 

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6 janvier 2024 6 06 /01 /janvier /2024 17:47

https://www.chacuncherchesonfilm.fr/film/168150-clochemerle

La place principale de Vaux-en-Beaujolais ou Clochemerle

           X. LE SCANDALE ÉCLATE

  Ponosse fait péniblement son discours pendant la messe quand une voix retentit au fond de l’église « Bon, venez-y donc démolir ! On vous fera courir ! » François Toumignon vient de tenir son pari.

Le suisse Nicolas s’interpose et dit à Toumignon de sortir. Le plateau de la quête tombe et des pièces roulent à terre. Justine Putet s’en mêle : « Arrière Satan ! » Ce cri dicte son devoir au suisse. Il promet de botter les fesses de Toumignon s’il ne sort pas.

Les passions se déchaînent. Nicolas et Toumignon haussent le ton. Les injures et les coups fusent. Nicolas donne un coup de hallebarde sur le crâne de Toumignon ; la hampe se brise. Toumignon réplique en lui donnant des coups de pied dans le bas-ventre. Le suisse s’élance. Une chaise heurte la statue de Saint-Roch, don de la baronne. La statue tombe dans le bénitier. La tête tombe dans une confusion inexprimable. Les femmes se signent. Justine Putet se hisse sur le prie-Dieu et entonne un miserere d’exorcisme. Au fond de l’église, la lutte reprend. Nicolas, aveuglé de colère, fonce sur Toumignon, l’étreignant comme un gorille, Toumignon lui décolle le lobe de l’oreille gauche. Le suisse saigne. On essaie de les séparer. Mais tout le monde est entraîné : Laroudelle s’empale avec un cri de douleur et Benoît Ploquin déchire son pantalon.

Le marguillier[1] Coiffenave qui recouvre l’ouïe à cette occasion débouche en pleine mêlée. Nicolas lui écrase les orteils. Il saute jusqu’à la grande cloche. Le tocsin n’avait pas sonné à Clochemerle depuis 1914. Tout le monde se porte dans la grande rue. Tout le monde s’amasse devant la foule. Les combattants jaillissent de la porte. On les sépare. Enfin paraissent les femmes pieuses prédisant le retour de la peste ou du phylloxéra. L’abbé sort le dernier avec Putet qui tient dans ses bras le chef mutilé de Saint-Roch. Elle essaie de pousser Ponosse à la violence. Mais celui-ci fait preuve d’une apathie savonneuse. Elle veut parler au curé en confession.

  XI. PREMIÈRES CONSÉQUENCES

La foule se disperse par petits groupes dans la grande rue de Clochemerle. Les gens sont pressés de commenter l’événement. Le temps se prête à l’éclosion du scandale. Cela n’aurait pas été le cas pendant les vendanges. La torpeur s’abat sur Clochemerle.

Le suisse a l’oreille gauche et les génitoires endommagés. Les Clochemerlins soutiennent Toumignon mais déplorent la destruction de l’uniforme de Nicolas. Il lui faudra une tenue neuve. Toumignon a l’œil droit monstrueux, il lui manque trois dents. Il a une rotule fêlée et un début de strangulation. Son complet a souffert. Les avis sur les deux combattants sont partagés.

Six des pièces de 2 francs ont disparu du plateau de la quête, 12F de l’épargne de Ponosse. Une initiative privée va donner une nouvelle prise à la calomnie. Clémentine Chavaigne qui rivalise de piété avec Justine Putet suggère d’ouvrir une souscription pour l’achat d’un nouveau Saint-Roch et propose 8F. Putet ricane pour défier sa rivale ; elle l’accuse d’avoir pris l’argent du plateau. Les deux femmes s’insultent. Chez les gens, on discute pour savoir qui a gagné le combat. Tafardel propose que les Toumignon demandent des dommages et intérêts. Cet incident lui fournira la matière de deux colonnes dans le Réveil vinicole de Belleville.

Un seul personnage est introuvable : Piéchut. Il laisse dire et faire. Il a un but ignoré de tous, sauf de Noémie Piéchut sa femme, une femme de bon conseil, toujours prête à brouiller deux familles. Le projet de Piéchut : se porter sénateur dans trois ans à la place de Prosper Louèche. Le personnage est peu recommandable pour son gâtisme et son intérêt pour les fillettes. Il fait du tort au parti. Son confrère de droite, M. Vilepouille fait de même. Piéchut a besoin de Bourdillat et de Focart pour débarquer Louèche. Devenu sénateur, Piéchut mariera sa fille Francine qui a 16 ans. Il pense aux Gonfalon de Bec, une vieille famille noble dont les finances sont en mauvais état. Piéchut a tout en tête.

         XII. INTERVENTION DE LA BARONNE

La baronne Alphonsine de Courtebiche arrive en voiture chez le curé avec sa fille Estelle de Saint-Choul et son gendre Oscar de Saint-Choul. La baronne ne va plus voir à Lyon le R.P. de Latargelle qui a été longtemps son directeur de conscience. Elle met Ponosse au rang de la domesticité. D’habitude, elle envoie chercher le curé. Il vient la confesser dans son château. Jamais elle ne s’est présentée à la cure sans y être attendue. Elle veut être ferme avec le curé.

Histoire de la baronne. - A 20 ans, Alphonsine d’Eychaudailles d’Azin, issue d’une vieille famille de la région de Grenoble a épousé le baron Guy de Courtebiche, son aîné de 18 ans qui menait une vie dispendieuse à Paris où il entretenait une certaine Laura Tolleda avant de rencontrer Alphonsine. Le baron avait des intérêts dans le Lyonnais, un appartement à Paris, un autre à Lyon et le château de Clochemerle. Guy cessa vite d’être un mari efficient. Ses enfants nés, Alphonsine garda son mari pour le titre et les revenus et se mit en quête de satisfactions. Une fois veuve, elle préféra l’indépendance à la soumission et mena grande vie. Avec la guerre, elle commença à connaître des difficultés financières et des complications sentimentales. Elle abandonna son appartement à Paris, réduisit son personnel et passa une partie de l’année à Clochemerle. Ce fut à ce moment-là qu’elle se confia au R.P. Latargelle. Elle s’investit dans des œuvres. Son fils Tristan qui avait passé la guerre dans des états-majors puis était devenu attaché d’ambassade en Europe centrale faisait sa fierté. Mais il n’y avait eu aucune demande en mariage pour Estelle. Oscar de Saint-Choul, un incapable voulut bien d’elle. -

Le curé arrive enfin. La baronne s’étonne qu’il ne les ait pas prévenus pour le tocsin. Ils parlent ensuite du cas de Rose Bivaque et de Claudius Brodequin. La baronne demande d’envoyer Rose au château.

A ce moment-là, on sonne de nouveau à la porte du curé. C’est Tafardel qui vient défendre l’urinoir ; il s’en prend au curé. « Quel est cet abominable foutriquet ! » dit la baronne. L’instituteur s’insurge mais Oscar de Saint-Choul intervient pour calmer le jeu en feignant de traiter Tafardel sur un pied d’égalité. La baronne est bien décidée à prendre en main les affaires de la paroisse.

XIII. INTERMÈDES

Mme Nicolas est venue chercher du tabac chez Mme Fouache qui lui demande des nouvelles de M. Nicolas qui a pris un mauvais coup au mauvais endroit. M. Fouache est mort et une légende s’est répandue sur Mme Fouache comme quoi elle serait d’un bon milieu. Son mari était bien fonctionnaire à la préfecture de Lyon, mais seulement en tant que concierge, occupé à jouer à la manille et à boire de l’absinthe. Puis il tomba dans un delirium tremens ; on donna un tabac à sa veuve. Dès lors, la veuve magnifia son passé et elle reçut en secret les secrets les plus délicats de Clochemerle. Toutes les femmes du bourg apprennent vite la disgrâce de Nicolas.

Rose Bivaque se rend donc au château, pleine d’une soumission ancestrale. La baronne lui demande des comptes. Rose explique le litige entre les deux familles. La baronne promet d’intervenir. Elle sera la marraine de l’enfant à naître. En repartant, Rose retrouve Claudius et lui explique la situation.

Hippolyte Foncimagne a une angine. Il doit garder le lit. Adèle Torbayon décide de lui porter un gargarisme et les deux se laissent aller. Ainsi, Foncimagne est devenu l’amant des deux plus jolies femmes de Clochemerle. Satisfait de lui, le greffier s’endort.

Redescendue en bas, Adèle se poste sur le seuil et défie sa rivale. Judith a le pressentiment de la trahison.

XIV. UN VENT DE FOLIE

Des insultes sont échangées entre Justine Putet et Judith Toumignon. Mme Fouache arrive et Cudoine intervient pour les calmer.

Bientôt une autre dispute éclate dans le bas bourg opposant Babette Manapoux, Toinette Nunant, berthe, Marie-Jeanne. On ne reconnaît plus les Clochemerlins dans ce déclenchement des passions.

On prétend que le notaire Girodot aurait partie liée avec les Jésuites auprès desquels le curé de Montéjour prenait ses directives. La rivalité entre Montéjour et Clochemerle dure depuis 1912. Une nuit, les Montéjourais font une descente à Clochemerle et le matin, on découvre les traces de leur passage sur les portes de la mairie, des Galeries Beaujolaises, du docteur. Des placards municipaux sont lacérés, des vitres de la mairie brisées, le poilu du monument aux morts peint en rouge. Le conseil municipal se réunit. Une nuit, une explosion retentit à Clochemerle. On trouve une cartouche de dynamite sous l’urinoir. Ce vandalisme suscite l’indignation. Deux Montéjourais sont laissés pour morts le lendemain. Les scandales privés se multiplient.

Chez les Girodot, on renvoie Maria Fouillavet, la petite bonne de 19 ans qui s’est compromise avec Raoul, le fils du notaire, 17 ans.

De son côté, on constate la disparition de Clémentine Chauvaigne, la rivale de Justine Putet. Elle n’est pas rentrée chez elle. La veille, elle s’est rendue chez Poilphard pour lui demander un remède pour un malaise. Basèphe, le potard[2] a vu Clémentine entrer mais ne peut pas dire si elle est ressortie. Ils s’approchent de l’appartement de Poilphard. Une voix répond que Basèphe et Clémentine sont morts ! Beausoleil estime qu’il faut appeler le brigadier Cudoine qui revient avec un serrurier. Ils découvrent un spectacle étrange : le lit, des cierges, des pastilles de parfum, Poilphard en posture de détresse, Clémentine inerte sur le lit. Le pharmacien veut l’embrasser et la mettre dans sa vitrine. Poilphard est attaché et descendu au rez-de-chaussée. On court chercher le Dr Mouraille. Clémentine n’est pas morte, seulement plongée en léthargie par un soporifique. Elle se réveille ; elle ne se souvient plus de rien. Clémentine mourra sept ans plus tard des suites d’une opération. Poilphard, lui, suivra une cure de six mois dans une maison de santé qui lui permettra d’identifier l’origine de son trouble. Il finira par s’installer en Haute-Savoie. La réputation de Clémentine est perdue.

XV. UN VENT DE FOLIE (Suite)

Hortense Girodot est la fille de Hyacinthe Girodot et de Philippine née Tapaque, une grande bringue fière de ses origines et dure en affaires. La belle Hortense aime un jeune poète fainéant, Denis Pommier qui fait le désespoir des siens qui s’était fixé l’âge de 25 ans pour connaître la notoriété. Celle-ci n’étant pas venue, il s’est accordé un délai. Il a des projets de romans, de tragédies, de comédies, de roman policier mais attend l’inspiration. Il est à Clochemerle depuis 18 mois et il est considéré comme un propre à rien par sa famille. Les Girodot n’aiment pas ce garçon ; ils pressent leur fille d’épouser Gustave Lagache. Pommier décide d’enlever Hortense. Il lui prend sa virginité un jour où elle allait prendre une leçon de piano à Villefranche. Une nuit de septembre, le haut bourg est réveillé par un coup de feu et le bruit d’une motocyclette. Beausoleil, Mâchavoine et Poipanel vont chez les Girodot. On a vu une ombre se glisser non loin de la mairie. Girodot a tiré au hasard avec son fusil. Soudain, un cri, Mme Girodot apparaît. Le notaire a tiré sur sa fille. Cette alerte attire l’attention sur la maison de Girodot. Hortense et Pommier ont disparu ; le poète est propriétaire d’une motocyclette des stocks américains. Hortense roule vers Paris dans le side-car.

Clochemerle, riante capitale du bonheur, oasis de rêverie, devient démente. Depuis l’exécrable matinée du 16 août, les choses s’aggravent. La presse s’en mêle. Le premier article virulent de Tafardel dans le Réveil vinicole est relayé par Le Grand Lyonnais, organe des partis de gauche. Le Traditionnel riposte. On invente des machinations. Les affaires Maria Fouillavet, Clémentine Chavaigne, la disparition d’Hortense Girodot, l’intervention des Montéjourais achèvent de porter l’opinion au dernier degré d’aveuglement. On brise le second vitrail de l’église. Des pierres sont jetées dans les fenêtres, des inscriptions sont faites sur les portes. Tafardel est giflé par Justine Putet, la glace de la voiture de la baronne est brisée. Blazot distribue des lettres anonymes.

Un soir, Oscar de Saint-Choul vient au lavoir sur une mauvaise monture. Les femmes l’insultent et effraie le cheval qui s’emballe. La baronne est en colère contre son gendre et contre les croquants dont elle promet de se venger.

XVI. DES MESURES S’IMPOSENT

L’archevêque de Lyon Emmanuel Giaccone reçoit la baronne de Courtebiche qui lui expose la situation à Clochemerle. L’archevêque promet de faire intervenir Alexis Luvelat, le ministre de l’Intérieur. Bien que du parti opposé, le ministre a besoin de l’Église pour entrer à l’Académie française. Ils parlent de la fille de la baronne.

Le ministre Luvelat accueille Bourdillat qui veut lui parler de Clochemerle. Focart était là deux heures plus tôt. Les deux hommes échangent des amabilités et des piques.

Luvelat reçoit une troisième visite : celle du révérend chanoine Trude, émissaire de l’archevêché de Paris, venu pour signifier à Luvelat que l’Église s’inquiétait de la situation à Clochemerle et se plaçait sous la protection du ministre. Luvelat réfléchit à ces trois visites et choisit de rallier le camp le plus utile : celui de l’Église. Il veut parler au chef de la police.

Commence alors une chaîne de délégation descendante. Le chef de cabinet expose le dossier au chef du secrétariat particulier qui transmet au premier secrétaire Marcel Choy. Mais celui-ci est trop occupé, il glisse le dossier au second secrétaire qui offre cette distraction à Raymond Bergue. Celui-ci le refile au quatrième secrétaire avant que celui-ci ne parvienne au sous-chef Séraphin Petitbidois, homme morose et falot. Trompé par sa femme, cet employé médiocre, fréquente un café avec Couzinet, expéditionnaire de son service. Les deux hommes jouent aux cartes les décisions. Petitbidois décide de faire envoyer les gendarmes à Clochemerle en 800 points. 24h plus tard, les instructions sont envoyées au préfet du Rhône.

XVII. POUVOIR CENTRAL ET HIÉRARCHIES

Souple d’échine et laborieux, Isidore Liochet, le préfet du Rhône est trompé par sa femme mais elle veut faire de lui un ambassadeur ou un gouverneur colonial. Privé de sa femme, le préfet ne sait à quoi se résoudre. C’est pourtant pendant l’absence de Mme Liochet qu’arrivent les instructions de Petitbidois que le ministre a signées sans les lire. Liochet est embarrassé. Il choisit d’envoyer la troupe plutôt que les gendarmes. Il se fait conduire chez le gouverneur militaire.

Le Général de Laflanel écoute le préfet : « Je les ferai tous barder ! » Le gouverneur se rend à l’archevêché où Mgr de Giaccone l’instruit des affaires de Clochemerle. Le gouverneur comprend tout de travers. Une seconde vague de délégation en cascade recommence : le gouverneur fait appeler son second, le général de cavalerie de Harnois d’Aridel qui mande le colonel Touff qui commande un régiment de coloniaux. Le colonel parle au commandant Biscorne qui délègue au capitaine Tardivaux : « il s’agit d’un micmac à propos d’une pissotière… rien compris à c’t’histoire !... Flanquez-moi de l’ordre là-dedans et rondement. » (296)

La carrière de Tardivaux : à 32 ans sous-officier dans une caserne à Blidah en 1914, il fut mobilisé et conduit au col de la Chipotte. Alcoolisé en permanence il s’endormit dans un trou d’obus à Verdun mais acquis une réputation de héros. Le commandant voulut le proposer à la Légion d’honneur. Tardivaux inventa sa légende. Puis il s’appliqua à se planquer pour le reste de la guerre. Il avait accédé au grade de capitaine.

XVIII. LE DRAME

Le récit des événements suivants, dans le roman, est pris en charge par le garde-champêtre Beausoleil.

Adèle, perturbée par Hippolyte n’est plus à son travail. Judith qui a vite compris lui lance de mauvais regards. Elle envoie. Chercher Foncimagne par son mari. Hippolyte prend peur et va loger dans une maison du bas bourg. Il file doux.

Tout ceci s’est passé trois semaines avant l’arrivée de la troupe à Clochemerle. Adèle s’est consolée mais elle est piquée dans son amour-propre. L’arrivée des jeunes soldats émoustille la population du bourg. D’autant qu’on loge les gradés. La Marcelle Barodet, veuve de guerre est avec un jeune lieutenant. Ça se bouscule dans la boutique de Judith mais elle, reste avec Hippolyte.

Adèle a chez elle le capitaine Tardivaux. Un jour, Beausoleil surprend l’échange de regards entre Adèle et Tardivaux. Deux jours plus tard, les deux quittent le bourg, elle avec son vélo, lui avec son cheval. Beausoleil les suit et les surprend. Il voit aussi rôder Putet. On était à quinze jours des vendanges. « La chaudière a pété avant. » (321)

Le 19 septembre 1923, Beausoleil se trouve encore à l’auberge et observe le manège d’Adèle autour de Tardivaux. Il aperçoit quelqu’un à la porte du corridor de la cour. Soudain, Tardivaux se lève. La porte du corridor s’ouvre. Arthur traverse la salle et sort en écartant Adèle. On entend un bruit dehors et un cri de Tardivaux : « A moi soldats ! » puis un coup de fusil. Adèle tombe, blessé par la balle qu’un abruti de soldat a tiré sans savoir pourquoi (324). Beausoleil saute dehors : on se bat à coups de gourdins, de barres de fer, de baïonnettes, de cailloux. Deux ou trois coups de fusils partent. La bagarre s’arrête.

Ces cinq minutes de bagarre ont fait du malheur : Adèle est blessée à la poitrine, Arthur a reçu un coup de baïonnette dans l'épaule, Tardivaux a la figure en marmelade à cause d’un coup de poing d’Arthur, Tafardel a reçu un coup de crosse sur la tête, le fils Maniguant a un bras cassé, un soldat a reçu un mauvais coup de pioche, deux autres des coups dans le ventre. Plusieurs autres se frottent ou boîtent. Et surtout, il y a un mort : Tatave Saumat dit Tatave-Bêlant, l’idiot de Clochemerle a été tué par une balle perdue.

L’auberge est transformée en hôpital. Mouraille et Basèphe vont de l’un à l’autre. Arthur, Tardivaux et Tafardel gueulent. Adèle fait pitié à entendre. Judith lui pardonne. Dans la rue, les femmes se lamentent et commentent les événements.

Le curé Ponosse et le maire Piéchut viennent à leur tour. Les blessés sont envoyés à Villefranche sauf Tafardel qui veut rester pour rédiger un article. Mouraille conduit lui-même Adèle dans son auto. Cette affaire a commencé par une lettre anonyme avertissant Arthur de son infortune. Beausoleil sait que c’est la Putet qui l’a envoyée. Tout le monde se demande pourquoi les soldats avaient des cartouches.

XIX. PETITES CAUSES, GRANDS EFFETS

Les blessés partis, Tafardel se met en relation avec les correspondants régionaux de la presse parisienne qui téléphonent à Paris. Les nouvelles paraissent dans les journaux du soir, largement amplifiés. Alexis Luvelat qui assure un intérim gouvernemental est stupéfait.

Le Président du Conseil, accompagné du ministre des Affaires étrangères et d’une suite de techniciens, est à Genève où il représente la France pour la Conférence du désarmement. Tout se passe bien jusqu’au moment où le Président du Conseil reçoit un message. Il doit rentrer à Paris : « Le désarmement peut attendre… Mais Clochemerle n’attendra pas » (337). Le chef des experts propose de confier les affaires au ministre des Affaires étrangères mais le Président du Conseil ne veut pas laisser la gloire à Rancourt. « La France… c’est moi ! ». « Ainsi échoua en 1923, la conférence du désarmement. La destinée des nations tient à peu de choses. » (338)

A 6h du soir, ce 19 septembre, un orage violent éclate sur Clochemerle. Tout le monde croit à une punition divine. Il pleut toute la nuit, le lendemain et la nuit suivante. Au troisième matin, le soleil revient. Mais les vignes sont détruites.

Un ultime dénouement se déroule dans la matinée du dimanche 16 octobre. C’est encore Beausoleil qui le relate. Alors que l’auberge est pleine, on entend un cri dans la rue. Alors tout le monde voit la Putet, complètement nue, marcher en racontant des cochonneries. Elle entre dans l’église et monte en chaire. Nicolas veut la déloger mais reçoit des livres de piété sur la tête. On finit par la ramener chez elle avant de la conduire à Villefranche. Elle sera enfermée à Bourg chez les fous.

Novembre est glacial. La troupe est reparti. Adèle, qui guérit lentement, a repris sa place à l’auberge. Tafardel se rétablit. Le plus atteint reste Nicolas que Mme Fouache plaint.

XX. LE TEMPS A FAIT SON ŒUVRE

Le touriste qui visite Clochemerle aujourd’hui serait bien étonné de savoir qu’autant d’événements se sont produits dans ce bourg paisible. La population a un peu changé avec le temps mais le bourg est demeuré le même. Il y a maintenant trois urinoirs à Clochemerle, un contre la mairie et un autre à côté du lavoir en plus du premier. Piéchut a gagné. Il est maintenant sénateur depuis la mort de Prosper Louèche à 73 ans, survenue dans des circonstances scabreuses dans les bras de la fameuse Riri. Piéchut a marié sa fille Francine à Gaëtan Gonfalon de Bec. La vague parenté entre les Gonfalon de Bec et les Saint-Choul a facilité le rapprochement entre Piéchut et la baronne. Oscar est ainsi devenu député.

En 1924, François Toumignon remporte le titre de Premier Biberon. Il meurt trois ans plus tard d’une cirrhose. Judith a eu un enfant dont Hippolyte est le parrain. A la mort de son mari, elle vend les Galeries beaujolaises, va s’installer à Mâcon, épouse son amant et ouvre un café. Elle a deux jumeaux qui ressemblent à leur aîné. Arthur et Adèle se sont réconciliés. Il ferme les yeux sur ses fantaisies. Babette Manapoux est devenue une énorme commère, la reine du lavoir, alors que Mme Fouache est souffrante. Eugène Fadet a monté un garage géré par sa femme. Rose fait des enfants à son Claudius.

La poésie de Pommier ne nourrissant pas le couple, Girodot verse une pension à sa fille. Le poète s’essaie au journalisme mais il est renvoyé. Il écrit un roman de 512 pages qui est tiré à 7 exemplaires puis il se lance dans le roman-feuilleton. Ils mènent une vie modeste jusqu’à la mort de Hyacinthe Girodot en 1928.

A Lyon, Raoul Girodot soutire de l’argent de sa mère et se met en ménage avec une jolie blonde nommée Dady, elle-même entretenue par Achille Muchecoin un homme de 57 ans. Un jour, celui-ci trouve Raoul chez Dady. Il leur coupe les vivres. Six mois plus tard, un usurier débarque à Clochemerle pour réclamer 50.000 F au notaire. Girodot décide d’aller à Lyon mais quand il aperçoit Dady, il reconnaît en elle une fille qui a été l’objet de ses charités secrètes. En deux ans, Girodot paiera encore 250.000f au titre des dettes de son fils. Girodot meurt à 56 ans. L’étude est vendue. La famille Girodot quitte Clochemerle. Pommier a enfin fait fortune avec ses romans-feuilletons. Dady se fait épouser par Raoul et devient une femme respectable. Elle fait des scènes à Raoul qui a pris une autre maîtresse. Philippine Girodot a trouvé refuge à Dijon.

A Clochemerle, le curé Ponosse a vieilli.

Au mois d’octobre 1932, deux hommes se promènent sur la place de Clochemerle : Barthélémy Piéchut et Tafardel. Tafardel a encore le projet de deux ou trois réformes. « C’est fini les réformes » dit Piéchut. A part la rosette pour Tafardel.

2. Critique.

Clochemerle est donc un roman satirique français de Gabriel Chevallier, publié en 1934 qui a connu un succès immédiat et durable avec un tirage à plusieurs millions d’exemplaires et des traductions dans vingt-six langues. L’ouvrage fut récompensé par le Prix Courteline en 1934. Clochemerle a été adapté au cinéma (Clochemerle, 1948) et à la télévision. Le toponyme, inventé par Gabriel Chevallier est, aujourd’hui, entré dans la langue courante et sert à désigner une localité « déchirée par des querelles burlesques ». Une édition de ce roman a été illustrée par Albert Dubout, une autre par Siné. Cette satire est si bien accueillie que plusieurs villages revendiquent avoir servi de modèle à « Clochemerle-en-Beaujolais ». Mais c’est dans la commune française de Vaux-en-Beaujolais que Gabriel Chevallier dévoilera, en , une plaque attribuant son nom à l’ancienne grande rue. En 1944, Raymond Souplex écrit, d’après le roman, une opérette, sur une musique de Fernand Warms : création le  au Théâtre Moncey avec Nina Myral et Viviane Gosset. Gabriel Chevallier écrit deux suites à son roman, Clochemerle Babylone en 1951 (le réalisateur Jean Boyer en fit un film en 1957 : Le Chômeur de Clochemerle avec Fernandel) et Clochemerle-les-Bains en 1963. Enfin, en 1966, il donne pour titre à son autobiographie L’envers de Clochemerle.

Entre Gargantua et Don Camillo, Molière et Labiche, les farces médiévales et les vaudevilles du XIXe siècle, Marcel Pagnol et René Fallet, Pierre Perret et Georges Brassens, les romans de Paul de Kock et le théâtre de Guignol,  le village d’Astérix et les romans de Marcel Aymé, Clochemerle se rattache à toute une tradition comique romanesque et théâtrale relayée par le cinéma populaire. L’humour possède une vaste palette de l’humour le plus graveleux à l’ironie la plus grinçante en passant par la douce plaisanterie, la franche rigolade et le second degré subtil. Le théâtre classique a d’ailleurs distingué le comique de mots, de gestes, de situation, de caractère. Le rire est toujours contextuel et culturel. On ne rit ou ne sourit que par une certaine complicité entre le locuteur et le récepteur en fonction des tolérances de transgression et d’impudeur tolérées par l’époque. Tantôt défouloir ou échappatoire aux rigueurs morales du temps, tantôt arme de satire et de contournement des sérieux officiels, le rire est un sable mouvant dangereux où l’on peut se perdre. Pire encore, il est souvent marqué du sceau d’infamie des instincts zygomatiques populaires et des réjouissances les plus sommaires.  Nul doute à ce titre que les parangons de vertu, les passionarias de la bien-pensance, les hérauts de la moralité chatouilleuse ne jugent, en cette époque contemporaine, Clochemerle comme une œuvre à mépriser, à bannir, à interdire ou pour le moins à réécrire, à aseptiser. Les hommes y sont souvent machos, obsédés, ivrognes, violents, grégaires, volages et les femmes mégères, hypocrites, méchantes, tout aussi tracassées par la chair quand elles ne sont pas confites en bigoteries. La gaudriole s’y déverse à proportion du vin qu’on ingurgite, de la nourriture qu’on avale, la chaleur estivale exacerbe les effusions, les confusions, les éliminations, les contusions. L’urinoir, objet fétiche du roman et déclencheur des querelles picrocholine concentre à lui seul toute la symbolique nauséabonde, triviale et vulgaire qui provoque dans le roman l’ire de l’hystérique Justine Putet et soulèverait aujourd’hui le cœur des hygiénistes de la pensée, les puritains de l’ordre nouveau. Incitation à la débauche, apologie de la luxure, complaisance pour le stupre, les gauloiseries truculentes et paillardes de Gabriel Chevallier choqueraient aujourd’hui autant de bonnes âmes que la vespasienne municipale ne heurtait le clan de la cure. Âmes prudes s’abstenir. Surtout celles qui sont hermétiques au second ou au dixième degré. Au début de Gargantua, Rabelais nous prévient :

« Amis lecteurs qui ce livre lisez,

Despouillez vous de toute affection.

Et le lisants ne vous scandalisez,

Il ne contient mal ne infection.

Vray est qu’icy peu de perfection

Vous apprendrez, si non en cas de rire.

Aultre argument ne peut mon cueur elire.

Voiant le dueil qui vous mine & consomme,

Mieulx est de ris que de larmes escrire,

Pour ce que rire est le propre de l’homme. »

Mais laissons-là ces tentations de censure plus ou moins hypocrites et souvent très idéologiques pour revenir au fond. Sans la gravité d’un Zola ou d’un Balzac, Gabriel Chevallier nous dresse néanmoins un tableau très complet d’un microcosme rural très symbolique d’une époque : à Clochemerle, les républicains laïcards de gauche s’opposent à l’Église, alliée à l’aristocratie dans la continuité de 1789 et des changements de régime du XIXe siècle : le roué maire Piéchut et le hussard noir (souvent gris) Tafardel vs la hautaine baronne de Courtebiche et le couard curé Ponosse. On devine un peu où vont les préférences de Chevallier (l’urinoir étant le summum du progressisme face aux réticences archaïques du clergé et de la noblesse d’Ancien Régime : on pense au baron Thunder-ten-Tronckh dans Candide de Voltaire) mais personne n’échappe au trait sardonique de l’auteur, aussi caricatural que celui de Dubout. Ce qui n’empêche pas, en définitive, Piéchut de se réconcilier avec la baronne, une fois sénateur quand sa fille épouse un Gonfalon de Bec. Avec le sexe, l’argent est l’autre grande obsession de cette société néo-bourgeoise comme le symbolise le notaire Girodot qui finira pourtant ruiné par son fils. Gabriel Chevallier ratisse large : au-delà des Clochemerlins bagarreurs, ivrognes, ripailleurs, infidèles, bavards, jouisseurs, curieux, tout le monde en prend pour son grade : l’administration, les politiques, les militaires, le haut clergé. A deux reprises en montrant comment les politiciens puis la hiérarchie militaire se « refilent la patate chaude de l’affaire Clochemerle » en toute incompétence et en toute irresponsabilité, l’auteur dresse un portrait grinçant des rouages de la société. La bêtise ne règne pas qu’à Clochemerle. L’épisode de la guerre où brille Tardivaux par son alcoolisme et sa lâcheté alors que les généraux français et allemands envoient leurs soldats à la mort nous fait penser aux premières pages du Voyage au bout de la nuit, autre héritier de la verve rabelaisienne. « Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer » semble dire Chevallier, auteur de La Peur, comme le Figaro de Beaumarchais dans Le Barbier de Séville. D’une simple querelle de clocher ou plutôt de « pissotière », la situation s’amplifie au point de compromettre la conférence sur le désarmement à Genève ? Exagération bien sûr mais le rire passe souvent par le gros, le gras, le gris, le grivois et le grandiloquent. « La destinée des nations tient à peu de choses ». Chez Rabelais, il était déjà question de Gargantua pissant du haut de Notre-Dame, de cloches et de réactions de la population :

CHAPITRE XVII : COMMENT GARGANTUA PAYA SA BIENVENUE ÈS PARISIENS, ET COMMENT IL PRIT LES GROSSES CLOCHES DE L’ÉGLISE NOTRE-DAME.

       Quelques jours après qu’ils se furent rafraîchis, il visita la ville, et fut vu de tout le monde en grande admiration, car le peuple de Paris est tant sot, tant badaud et tant inepte de nature, qu’un bateleur, un porteur de rogatons, un mulet avec ses cymbales, un vielleur au milieu d’un carrefour, assemblera plus de gens que ne ferait un bon prêcheur évangélique. Et tant molestement le poursuivirent qu’il fut contraint soi reposer sur les tours de l’église Notre-Dame, auquel lieu étant, et voyant tant de gens à l’entour de soi, dit clairement :

« Je crois que ces maroufles veulent que je leur paye ici ma bienvenue et mon proficiat. C’est raison. Je leur vais donner le vin, mais ce ne sera que par ris. »

Lors, en souriant, détacha sa belle braguette, et, tirant sa mentule en l’air, les compissa si aigrement qu’il en noya deux cents soixante mille quatre cents dix et huit, sans les femmes et petits enfants.

Quelque nombre d’iceux évada ce pissefort à légèreté des pieds, et quand furent au plus haut de l’Université, suants, toussants, crachants et hors d’haleine, commencèrent à renier et jurer, les uns en colère, les autres par ris : « Carimari, Carimara ! Par sainte Mamie, nous sommes baignés par ris, » dont fut depuis la ville nommée Paris, laquelle auparavant on appelait Leucèce, comme dit Strabo, lib. IV, c’est-à-dire en grec Blanchette, pour les blanches cuisses des dames dudit lieu. Et par autant qu’à cette nouvelle imposition du nom tous les assistants jurèrent chacun les saints de sa paroisse, les Parisiens, qui sont faits de toutes gens et toutes pièces, sont par nature et bons jureurs et bons juristes, et quelque peu outrecuidés, dont estime Joaninus de Barranco, libro de Copiositate reverentiarum, que sont dits Parrhésiens en grécisme, c’est-à-dire fiers en parler.

Ce fait, considéra les grosses cloches qui étaient ès dites tours, et les fit sonner bien harmonieusement. Ce que faisant lui vint en pensée qu’elles serviraient bien de campanes au col de sa jument, laquelle il voulait renvoyer à son père, toute chargée de fromages de Brie et de harengs frais. De fait, les emporta en son logis.

Cependant vint un commandeur jambonnier de saint Antoine, pour faire sa quête suille, lequel, pour se faire entendre de loin et faire trembler le lard au charnier, les voulut emporter furtivement, mais par honnêteté les laissa, non parce qu’elles étaient trop chaudes, mais parce qu’elles étaient quelque peu trop pesantes à la portée. Cil ne fut pas celui de Bourg, car il est trop de mes amis.

Toute la ville fut émue en sédition, comme vous savez qu’à ce ils sont tant faciles que les nations étranges s’ébahissent de la patience des rois de France, lesquels autrement par bonne justice ne les refrènent, vus les inconvénients qui en sortent de jour en jour. Plût à Dieu que je susse l’officine en laquelle sont forgés ces schismes et monopoles, pour les mettre en évidence ès confréries de ma paroisse ! Croyez que le lieu auquel convint le peuple, tout folfré et habaliné, fut Sorbonne, où lors était, maintenant n’est plus, l’oracle de Lutèce. Là fut proposé le cas, et remontré l’inconvénient des cloches transportées.

Après avoir bien ergoté pro et contra, fut conclu en baralipton que l’on enverrait le plus vieux et suffisant de la Faculté vers Gargantua, pour lui remontrer l’horrible inconvénient de la perte d’icelles cloches, et nonobstant la remontrance d’aucuns de l’Université, qui alléguaient que cette charge mieux compétait à un orateur qu’à un théologien, fut à cet affaire élu notre maître Janotus de Bragmardo.

            Le roman de Chevallier est d’une certaine façon un conte des années folles. Après les horreurs de la première Guerre mondiale, la France retrouve le bonheur et les plaisirs de l’existence. Après La Peur, l’ivresse de vivre avec un sentiment d’urgence et de faim. Dans ce coin reculé du Beaujolais, pourtant, le monde semble n’avoir pas changé depuis des millénaires. On vit au rythme de la nature et des vendanges. Le style de Chevallier excelle particulièrement à dresser cette galerie de portraits dont la liste serait trop longue à faire ici : la belle Judith Toumignon et sa rivale Adèle Torbayon, le pharmacien Poilphard et le docteur Mouraille, le poète Bernard Samothrace et l’écrivaillon Denis Pommier, la naïve Rose Bivaque et son galant Claudius Brodequin, le ministre Bourdillat et le député Adrien Focart, les curés Ponosse et Jouffe, le garde-champêtre Beausoleil et le brigadier Cudoine, le greffier Foncimagne et le capitaine Tardivaux, les rivales Justine Putet et Clémentine Chavaigne, la baronne Alphonsine de Courtebiche et son gendre Oscar de Saint-Choul… quelques mots suffisent à croquer ces personnages du théâtre clochemerlin. Dans les descriptions, Chevallier se laisse aller à un lyrisme plus emphatique mais la caricature est percutante. Ne boudons pas notre plaisir mais si celui-ci est peu honteux.


[1] Laïc chargé de l’entretien d’une église.

[2] Potard : pharmacien.

Photo du film Clochemerle de Pierre Chenal, 1947.

Photo du film Clochemerle de Pierre Chenal, 1947.

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30 décembre 2023 6 30 /12 /décembre /2023 10:14

     Dans Le Club des Incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia, en 2009, un dialogue a lieu entre le héros, Michel Marini et son grand-père Enzo : « Un dimanche où nous traînions au Louvre, je lui fis part de mon trouble. Je venais de découvrir que Jules Verne était un anticommunard hystérique et un antisémite forcené. Il haussa les épaules et me montra les toiles qui nous environnaient. Que savais-je des peintres dont on admirait le travail ? Si je connaissais vraiment Botticelli, le Greco, Ingres ou Degas1, je fermerais les yeux pour ne plus voir leurs toiles. Devrais-je me boucher les oreilles pour ne plus entendre la musique de la plupart des compositeurs ou de ces chanteurs de rock2 que j’aimais tant ? Je serais condamné à vivre dans un monde irréprochable où je mourrais d’ennui. Pour lui, et je ne pouvais le soupçonner de complaisance, la question ne faisait pas débat, les œuvres étaient toujours ce qu’il y avait de plus important. Je devais prendre les hommes pour ce qu’ils faisaient, pas pour ce qu’ils étaient. Comme je n’avais pas l’air convaincu, il me dit avec un petit sourire :

- Lire et aimer le roman d’un salaud n’est pas lui donner une quelconque absolution, partager des convictions ou devenir son complice, c’est reconnaitre son talent, pas sa moralité ou son idéal. Je n’ai pas envie de serrer la main d’Hergé mais j’aime Tintin. »

   Doit-on, en effet s’interdire de lire Le Tour du Monde en quatre-vingts jours ou les Bijoux de la Castafiore en considération des idées de Verne ou d’Hergé ? Ce débat entre l’œuvre et l’auteur s’est toujours posé et revient sur le devant de l’actualité avec le souhait émis par certains d’interdire la projection des films Cyrano de Bergerac, Danton, Le Dernier métro, Tous les matins du monde, Camille Claudel, Germinal, Le Colonel Chabert, La femme d’à côté, etc. et de tous les films de Gérard Depardieu au regard des accusations qui pèsent sur lui, comme d’autres souhaitent interdire les films de Roman Polanski, de Luc Besson ou de Woody Allen.

             Il faudrait dans cette logique retirer des bibliothèques et des librairies :

  • Voyage au bout de la nuit ou Mort à Crédit : Louis-Ferdinand Destouches, alias Céline est sinistrement connu pour son antisémitisme et sa collaboration active avec l’occupant nazi. Proche des milieux collaborationnistes et du service de sécurité nazi, il rejoint en 1944 le gouvernement en exil du Régime de Vichy à Sigmaringen. Le , dans le cadre de l’épuration, il est condamné définitivement par contumace par la chambre civique de la Cour de justice de Paris pour collaboration, à une année d'emprisonnement, 50.000 francs d’amende, la confiscation de la moitié de ses biens et à l’indignité nationale. Le , Jean-Louis Tixier-Vignancour, son avocat depuis 1948, obtient son amnistie de Céline au titre de « grand invalide de guerre » (depuis 1914) en présentant son dossier sous le nom de Louis-Ferdinand Destouches sans qu’aucun magistrat n’ait fait le rapprochement.
  • Charlie et la chocolaterie : Obsédé sexuel, raciste, menteur et parfois brutal, l’immense écrivain pour enfants Roald Dahl avait tout d’un salaud, à en croire plusieurs témoignages, et notamment celui de la femme qui a partagé sa vie pendant trente ans, l’actrice américaine Patricia Neal, décédée en 2010, avait notamment fait état de la double vie de Roald Dahl avec Felicity d’Abreu, une décoratrice de cinéma, que le romancier avait fini par épouser après leur divorce. Opposé à Salman Rushdie au moment de la publication des Versets sataniques, il tient également des propos antisémites dans les années 80 et 90.
  • David Copperfield et Oliver Twist : Charles Dickens était un sale type, égoïste et insensible, qui a abandonné sa première épouse et gâché sa vie. A l’âge de 45 ans, le romancier a chassé Catherine Hogarth, la mère de ses dix enfants, pour vivre avec une actrice de près de trente ans sa cadette. Il justifia sa décision dans la presse en accusant sa femme de souffrir de « troubles mentaux »
  • Mrs Dalloway, La Promenade au phare et Les Vagues : Virginia Woolf pouvait être odieuse, snob et même antisémite. Elle avait comparé sa rivale Katherine Mansfield à un chat de gouttière qui se prendrait pour un chat de salon. Elle déplorait le judaïsme de sa belle-mère et disait que son mari Leonard venait d’une famille de « neuf Juifs, qui tous, à l’exception de Leonard, auraient pu périr noyés sans que le monde ne s’en porte plus mal. » 
  • A la courbe du fleuve et Une Maison pour M. Biswas : À en croire tous ceux qui l’ont approché, le Prix Nobel de littérature 2001 V.S. Naipaul était un infâme salaud. Il trompait régulièrement sa femme avec des prostituées. Et quand elle est tombée malade d’un cancer, il lui a reproché de ne pas mourir assez vite – il voulait passer à autre chose et épouser sa maîtresse. Tous ces épisodes ont été relatés dans une biographie autorisée signée Patrick French, non traduite en français. Naipaul était aussi d’un snobisme répugnant « Je ne connais pas La Guerre des étoiles, le cinéma ne m’intéresse pas », a-t-il lancé à George Lucas lors d’une soirée.
  • Monsieur Ripley ou L’Inconnu du Nord-Express : La publication posthume des journaux intimes ainsi que des biographies les plus récentes de Patricia Highsmith la dépeignent comme étant furieusement antisémite, ce qui ne l’empêcha pas d'avoir comme amantes des partenaires d’origine juive.
  • Le Festin nu : Le 6 septembre 1951, en voyage à Mexico, l’auteur de la beat generation, William Burroughs ivre, tua sa femme d’une balle en pleine tête, alors qu’il essayait de reproduire la performance de Guillaume Tell, qui fendit d’une flèche la pomme posée sur la tête de son fils. Burroughs fut inculpé pour homicide involontaire. Il fut arrêté et passa un court séjour en prison avant d’être relâché.
  • Lire Marx ou L’avenir dure longtemps : Le 16 novembre 1980, après trente ans de relation et alors qu’elle a décidé de le quitter, le philosophe Louis Althusser étrangle son épouse, la sociologue Hélène Rytmann, dans leur appartement de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Le 23 janvier 1981, le juge d’instruction clôt par une ordonnance de non-lieu l'information ouverte pour meurtre contre Louis Althusser du fait que les trois experts psychiatres désignés par le juge avaient conclu que le meurtrier se trouvait en état de démence au moment des faits, et en vertu de l'article 64 du code pénal, en vigueur à cette date, suivant lequel « il n’y a ni crime ni délit lorsque l’accusé était en état de démence au moment des faits ».
  • Ballade des pendus, Ballade des dames du temps jadis ou Le Testament : À 24 ans, François de Montcorbier, dit Villon tue un prêtre dans une rixe et fuit Paris. Amnistié, il s’exile de nouveau, un an plus tard, après le cambriolage du collège de Navarre. Emprisonné à Meung-sur-Loire, libéré à l’avènement de Louis XI, il revient à Paris après quelque six ans d’absence. De nouveau arrêté lors d’une rixe, il est condamné à la pendaison. Après appel, le Parlement casse le jugement mais le bannit pour dix ans ; il a 31 ans.
  • Notre-Dame-des- Fleurs ou Journal du voleur : Né de père inconnu en 1910, Jean Genet, abandonné à sept mois par sa mère, Camille Gabrielle Genet, est envoyé dans une famille nourricière du Morvan. A dix ans, il commet son premier vol. En , l’Assistance publique le sépare d’office de sa famille d’adoption et l’envoie à l’École d’Alembert, un centre d’apprentissage de Seine-et-Marne, pour suivre une formation d’ouvrier typographe dans l’imprimerie. Se sentant une vocation d’artiste, il fugue le . Arrêté pour vagabondage, il enchaîne fugue sur fugue. En , il est placé chez le compositeur aveugle René de Buxeuil. Lorsqu’il est finalement arrêté en  dans un train entre Paris et Meaux sans billet, il est incarcéré quarante-cinq jours. Le , il est confié par les tribunaux jusqu’à sa majorité à La Paternelle, colonie pénitentiaire agricole de Mettray. Il quitte les lieux à dix-huit ans en  et s’engage pour deux ans dans la Légion étrangère. Durant les six années de sa carrière militaire, il est envoyé en Syrie et au Maroc. En , il déserte l’armée et se réfugie à Brno en Tchécoslovaquie pour échapper aux poursuites. À partir de , revenu à Paris, vivant de petits larcins, Genet passe presque quatre ans dans des prisons pour adultes, pour l’essentiel à la Santé et à la maison d’arrêt.
  • Le malheur indifférent ou La femme gauchère : Le dramaturge autrichien Peter Handke, Prix Nobel de littérature 2019, est connu pour son soutien à l’ancien dictateur serbe, politicien ultranationaliste, Slobodan Milošević, visé par des accusations de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide auprès du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye. L’auteur autrichien de Mon année dans la baie de Personne (Gallimard, 1997) s’est rendu en 2006 aux funérailles de Milošević décédé lors de la cinquième année de son procès sans qu’aucun jugement n’ait été rendu.  Lors de son procès, le dirigeant serbe avait cité Peter Handke comme témoin pour sa défense. Même si Handke refusa de répondre à cette demande, il écrit un essai s’intitulant Les Tables de Daimiel portant comme sous-titre Un rapport testimonial détourné pour le procès contre Slobodan Milošević.

Il faudrait aussi supprimer des cinémathèques et des télévisions :

  • Les Enfants du Paradis, Les Visiteurs du soir ou Hôtel du Nord. Léonie Bathiat, connue sous le nom d’Arletty a été accusée de « collaboration horizontale ». Arletty est enceinte d’un officier allemand, Hans Jürgen Soehring, l’un des hommes de confiance de Hermann Göring à Paris, le 25 mars 1941, présentés par Josée de Chambrun, fille de Pierre Laval et épouse de l’avocat René de Chambrun. Soehring est, à l’époque assesseur au conseil de guerre de la Luftwaffe à Paris. Arletty avorte pendant le tournage des Enfants du paradis. Le , elle est arrêtée et internée quelques jours à Drancy, puis quelques semaines à Fresnes, avant d’être astreinte à la résidence surveillée pendant 18 mois. Prise à partie par l’un des FFI lors de son arrestation, elle répond : « Si mon cœur est français, mon cul, lui, est international ! », phrase qui lui avait été suggérée par Henri Jeanson, mais qui est peut-être apocryphe. Elle répond à une détenue qui lui demande des nouvelles de sa santé : « Pas très résistante ». Elle parle de sa propre situation en ces termes : « Après avoir été la femme la plus invitée de Paris, je suis la femme la plus évitée. » Symbolisant la « collaboration horizontale », elle aurait répondu à ses juges : « Si vous ne vouliez pas que l'on couche avec les Allemands, fallait pas les laisser entrer ».
  • Dans Paris ville des plaisirs voulue par les Allemands, la Continental financée par Berlin produit une centaine de films avec Fernandel, Raimu, Danielle Darrieux, Michel Simon… « La Libération, j’en ai été le premier prévenu. » Sacha Guitry n’a jamais été avare d’un bon mot, même à ses pires moments. Le 23 août 1944, à 10 heures, il est arrêté chez lui. Il a fait la grasse matinée, il porte un pyjama. Guitry a bien vécu sous l’Occupation. Il produit six pièces et cinq films. On retrouve dans les journaux collaborateurs des annonces de ses conférences parisiennes sur l’âme de la nation française. En pleine insurrection, à deux jours de la Libération, le voilà traîné dans les rues jusqu’à la mairie du VIIe arrondissement dans son fameux pyjama. Il passera soixante jours en prison, mais échappera à toute condamnation. Le commissaire du gouvernement rend une décision de non-lieu. Acteur français remarqué pour ses seconds rôles dans les films français des années trente et quarante, dont La BanderaLe Quai des brumes, Goupi Mains Rouges ou Golgotha, Robert le Vigan  est condamné, à la Libération, à la dégradation nationale et à dix ans de travaux forcés pour son implication dans la collaboration . Bénéficiant d’une libération conditionnelle après trois ans de travail dans un camp, il passe en Espagne puis s’exile en Argentine où il meurt dans le dénuement.

    Lors d’un voyage à Berlin en 1941, des acteurs, des écrivains et des peintres – Derain, Vlaminck, Van Dongen – se compromettent avec l’Occupant.

Il faudra donc décrocher des musées :

  • Les tableaux de Derain, Vlaminck, Van Dongen : En échange de la promesse de libération de prisonniers français et de récupérer sa maison de Chambourcy, André Derain accepte une invitation d’artistes français pour une visite officielle en Allemagne en 1941, avec notamment Paul Landowski et son ami Maurice de VlaminckKees van Dongen, André Dunoyer de Segonzac  ou encore les sculpteurs Louis-Aimé Lejeune et Paul Belmondo, vice-président de la section des arts plastiques du groupe Collaboration, avec lequel il est au comité de l’exposition « Arno Breker », inaugurée le  à l’Orangerie de Paris. C’est Jean Cocteau qui ouvre par un discours cette exposition. Ce voyage organisé par la propagande allemande eut un grand retentissement et sera reproché à ses participants. Selon Breker, Derain et Maillol auraient reçu des commandes de Berlin auxquels les artistes n’avaient pas donné suite. L’architecte Albert Speer précise dans ses mémoires, Au cœur du Troisième Reich qu’il a aidé Derain, Vlaminck et Despiau à plusieurs reprises, en leur passant différentes commandes. Pour Jean Hélion, Derain donnait dans « la sénilité, la platitude et le léchage de botte des nazis ». Derain apparaît ainsi sur une liste noire de collaborateurs français qui devaient être assassinés ou jugés après la Libération, avec Céline, Jacques Chardonne, Jean Luchaire, Pétain, Pierre Laval, etc. liste publiée par Life Magazine aux États-Unis, le . À la Libération, Derain fut mis en cause en raison de sa participation au voyage de 1941. Le , un collectif de « juges improvisés » se réunit sous la présidence de Picasso. Derain est exonéré des accusations portées contre lui. En revanche, un an plus tard, en juin 1946, le Comité national d’épuration des artistes peintres, dessinateurs, sculpteurs et graveurs institué par les pouvoirs publics frappa Derain, Vlaminck, Van Dongen d’une interdiction professionnelle d’exposer et de vendre pendant un an à compter, rétroactivement, du 1er septembre 1944. Derain n’acceptera jamais cette décision et se retirera dans sa maison de Chambourcy.
  • La tentation de Saint-Antoine ou La Persistance de la Mémoire : Salvador Dalí était misogyne et admirateur du Général Franco. Comme le rapporte l’historien Ian Gibson3, le peintre disait de Franco qu’il était « l’homme politique clairvoyant qui a imposé la vérité, la lumière et l’ordre dans le pays, dans un moment de grande confusion et d’anarchie dans le monde ». En 1975, il déclarait encore à l’AFP que Franco « est le plus grand héros vivant de l’Espagne », que « c’est un homme merveilleux ». Sa muse Amanda Lear a témoigné de son machisme.
  • Les Tricheurs ou Judith décapitant Holopherne : Souvent mêlé à des rixes, Michelangelo Merisi da Caravaggio dit le Caravage finit au moins onze fois au tribunal et plusieurs fois en prison. Le 19 novembre 1600, un homme porte plainte contre l’artiste de 29 ans pour coups et blessures au bâton et à l’épée ! En 1601, il blesse un garde du château Saint-Ange. Le 28 août 1603, un peintre rival, Giovanni Baglione le poursuit pour diffamation, le Caravage ayant écrit et diffusé à son sujet des poèmes grossiers, truffés d’insultes carabinées ! Ce qui lui vaut un emprisonnement. Plus incongru, le 24 avril 1604, un garçon d’auberge lui reproche de lui avoir lancé un plat d’artichauts brûlants à la figure ! Quelques mois plus tard, le peintre est incarcéré pour insulte à la milice urbaine, puis arrêté le 28 mai 1605 pour port d’arme illégal. En juillet 1605, le voilà accusé par un notaire de l’avoir blessé à la tête d’un coup d’épée à cause de la belle Lena Antognetti, une courtisane qui a posé pour Caravage à plusieurs reprises, et que son interlocuteur a qualifiée avec mépris de prostituée L’affaire est grave : le multirécidiviste se réfugie à Gênes pendant deux mois, jusqu’au retrait de la plainte. Condamné à mort par contumace par le pape, l’artiste est en cavale. Dès son retour à Rome, sa logeuse l’accuse d’avoir démoli ses volets à coup de pierres. Excédée, elle venait de le mettre à la porte pour six mois de loyers impayés, et pour avoir troué son plafond à des fins d’éclairage artistique ! Mais les frasques du Caravage ne s’arrêtent pas là. L’historien de l’art américain Felix Witting rapporte qu’il aurait, « par jalousie », « menacé gravement le peintre Guido Reni », et même, « envoyé un tueur à gages sicilien pour blesser au visage le peintre Niccolò Pomarancio », qui avait réussi à obtenir la commande d’une grande fresque ! Le 28 mai 1606, les choses se corsent. Alors que toute la ville fête le couronnement du pape Paul V, le Caravage, accompagné d’amis, se querelle en pleine rue avec un jeune noble à la réputation sulfureuse, Ranuccio Tomassoni… et le tue. Le conflit ayant dégénéré en duel à quatre contre quatre, le peintre lui aurait mortellement transpercé la cuisse. Selon certains, le différend aurait eu pour objet une prostituée du nom de Fillide. Pour Baglione, il s’agit d’une partie de jeu de paume – une dette de match de 10 écus, précise en 1672 un autre biographe, Giovanni Bellori.

Il faudrait encore ne plus considérer

  • Les réalisations architecturales de Le Corbusier : Les biographies de l’architecte, urbaniste et décorateur Le Corbusier ont mis à jour un antisémitisme de jeunesse, des liens avec des membres du groupe fasciste français Le Faisceau, son voyage dans l’Italie de Mussolini en 1934, les propos laudatifs qu’il a pu tenir sur Hitler dans les années 1930, son choix de s’installer à Vichy entre janvier 1941 et juillet 1942. Soutenu par Eugène Claudius-Petit et André Malraux, il échappe à l’épuration et engrangera des commandes architecturales…

    La liste n’est pas exhaustive de toutes les œuvres littéraires, picturales, architecturales, musicales, cinématographiques que l’on pourrait avoir la tentation d’interdire ou de supprimer au nom de l’impossibilité de dissocier l’auteur de son œuvre. Au risque de priver l’humanité d’un vaste patrimoine culturel et de faire des amalgames dommageables. Mais les autodafés et les comités de salut public ne nous rappellent rien de bon. Les films, les pièces de théâtre, les réalisations architecturales n’engagent d’ailleurs pas que le travail d’un réalisateur, d’un acteur ou d’un architecte mais la collaboration de toute une équipe qui ne peut subir les conséquences d’une condamnation individuelle. Ensuite, il faut faire la part des choses dans le jugement porté sur les œuvres. Le Voyage au bout de la nuit n’est pas Bagatelles pour un massacre, Le Tambour n’est pas « Ce qui doit être dit », poème du Prix Nobel 1999 Gunter Grass à la gloire de l’Iran des mollahs. Dans le roman ou le théâtre, l’auteur invente des personnages auxquels il peut faire dire (parfois pour les dénoncer) des paroles totalement contraires à ce qu’il est ou ce qu’il pense. Les essais et les autobiographies sont plus problématiques quand ils engagent un devoir de vérité et d’argumentation. On sera là plus à même de demander des comptes à l’auteur. Ainsi quand Jean-Jacques Rousseau, l’auteur d’Émile ou de l’éducation et abandonne ses cinq enfants, ou Paul Éluard quand il écrit en 1950 son « Ode à Staline ». Le « Journal » de Gabriel Matzneff l’engage comme une déposition judiciaire dans son comportement social.

Les écrivains, les peintres, les artistes ne bénéficient d’aucun statut d’immunité et d’impunité pour leurs actes individuels sous prétexte qu’ils seraient reconnus pour leur talent, voire récompensés. L’art n’est pas une extra-territorialité.  Mais à l’inverse, on ne peut en faire des boucs émissaires sous prétexte de leur expression artistique ou d’un quelconque devoir d’exemplarité. « Ne tuez pas le messager » dit Sophocle dans Œdipe roi (- 420 av. JC). Un artiste n’est ni un législateur qui dit la loi, ni un théologien qui dit le bien et le mal ou un éducateur qui dit la morale. Un artiste est un créateur de beauté et un éclaireur de vérité et celle-ci est parfois dans les côtés les plus obscurs de l’âme humaine comme le disait Baudelaire dans Les Fleurs du Mal. Pour Oscar Wilde, d’ailleurs : « Il n’existe pas de livre moral ou immoral. Les livres sont bien ou mal écrits. Voilà tout. » Ainsi, « Lire et aimer le roman d’un salaud n’est pas lui donner une quelconque absolution, partager des convictions ou devenir son complice, c’est reconnaitre son talent, pas sa moralité ou son idéal » comme le dit le grand-père de Michel Marini dans le Club des Incorrigibles optimistes. Et Louis Calaferte ajoute dans Septentrion, à propos de l’écrivain : « tant pis si vous vous trompez du tout au tout sur cet homme qui n’est peut-être en fin de compte qu’un joyeux luron mythomane ou un saligaud de la pire espèce toujours prêt à baiser en douce la femme de son voisin. Qu’il ait pu écrire les deux cents pages que vous avez sous les yeux doit vous suffire. Qu’il soit l’auteur d’une seule petite phrase du genre : « A quoi vous tracasser pour si peu, allez donc faire un somme en attendant », le désigne déjà en nous comme un miracle vivant. » Concernant le peintre Paul Gauguin, accusé de pédophilie et de racisme par certains, un professionnel de l’art tente une approche plus mesurée : « Je peux totalement abhorrer ou détester la personne, mais l’œuvre reste l’œuvre », explique au Times Vicente Todolí, qui fut directeur du Tate Modern et mit en scène une grande exposition sur le peintre en 2010. « Une fois qu’un artiste crée quelque chose, cela n’appartient plus à l’artiste, mais au monde. » « L’histoire de l’art grouille de salopards qui sont aussi de grands artistes, et la morale n’a pas à s’immiscer dans la création », a tranché le critique Pierre Jourde en défense de Polanski. 

Il paraît donc important sinon indispensable de connaître les failles et les gouffres de certains créateurs, ne serait-ce que pour éviter de tomber dans l’adulation naïve qui est l’autre face de la haine primaire. Les artistes ne sont admirables que parce qu’ils sont humains ; mais l’humanité va parfois avec son « misérable petit tas de secrets » comme disait Malraux en refusant d’écrire ses Mémoires. Et les vices des artistes sont parfois proportionnels à leur génie. Depuis la tragédie grecque, on connaît la vertu cathartique de l’exposition des passions humaines : les montrer dans leur expansion permet au spectateur de s’en purger. Il faut aussi se méfier, dans ce débat, des jugements anachroniques, de cette illusion rétrospective qui consiste à juger le passé en fonction du présent. La cancel culture contemporaine voudrait ainsi expurger toute la culture au nom de valeurs qu’elle érige comme absolue au risque de se voir contredite rapidement (les principes définitifs étant eux aussi guettés par l’obsolescence). La gauche libertaire qui applaudissait à la transgression des Valseuses de Bertrand Blier en 1974 n’est-elle pas l’ancêtre de cette gauche woke et féministe qui voue aujourd’hui aux gémonies son acteur principal ? Comme Junie dans Britannicus de Racine, Acte II, scène 4, l’artiste aux abois au moment de l’hallali peut s’écrier :

« J’ose dire pourtant que je n’ai mérité

Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. »

Mais puisque nous voici revenus à notre point de départ : il faut rendre à Apollon5 ce qui est à Apollon et à Thémis6 ce qui est à Thémis, rendre à l’art ce qui appartient à l’art, et à la justice ce qui appartient à la justice. La sociologue Nathalie Heinich, spécialiste de l’art contemporain résume ainsi bien les choses : « L’œuvre enfreint-elle une loi ? Il est juste d’en empêcher ou d’en sanctionner la diffusion. Enfreint-elle la morale ? Alors la sanction ne devrait relever que du libre choix du lecteur, qui choisira de consommer ou pas ce qui heurte ses convictions. Est-ce l’auteur qui a enfreint une loi ? Alors c’est à la justice de sanctionner, et si elle l’a déjà fait, rien n’autorise quiconque à entraver la diffusion de l’œuvre : tout au plus peut-on s’abstenir de la cautionner ». Seules la qualité et la postérité feront le tri de ce qui relève de l’art et du bavardage ou de l’éclat. La justice a aussi sa temporalité, ce n’est pas celle des emballements médiatiques, des lynchages grégaires, des conjurations informatiques, des concerts d’injures, des pétitions et contre-pétitions.  Mais la justice a son autorité pour protéger les victimes, condamner les coupables et disculper les innocents. « Et tout le reste est littérature » comme disait Paul Verlaine qui fut condamné à deux ans de prison pour avoir tiré sur Arthur Rimbaud.


1. « Botticelli est une girouette, il doit sa carrière aux Médicis qu’il trahit pour se rallier à Savonarole et il applaudit aux exécutions et aux autodafés auxquels il participe avant de retourner sa veste après l’arrestation de Savonarole et de retourner vers les Médicis. Le Gréco n’est pas seulement un grand peintre mais un courtisan frénétique, qui dit ce que son maître veut entendre et se dit prêt à effacer les fresques de la Chapelle Sixtine de Michel-Ange auxquelles on reproche leur nudité. Il passe sa vie à flatter le roi d’Espagne qui ne l'aime pas, et à dire du mal de tous les autres peintres. Ingres lui ressemble. Il change d’opinion à chaque changement de gouvernement, sans vergogne, tournant le dos à ceux qui étaient ses amis. » J.- M. Guenassia (correspondance privée). Comme Auguste Renoir, José-Marie de Hérédia, Auguste Rodin, Paul Cézanne, Henri de Toulouse-Lautrec ou Paul Valéry, Edgard Degas était anti-dreyfusard.

2. John Lennon, l’auteur d’Imagine, frappait sa première femme Cynthia et faillit battre un homme à mort parce qu’il avait suggéré qu’il pouvait être homosexuel. Elvis Presley commença à fréquenter sa future femme Priscilla Ann Wagner alors qu’elle avait 14 ans et lui 24. Michaël Jackson a été accusé d’abus sexuels sur mineurs. R. Kelly, l’interprète de I Believe I can fly a été arrêté en 2019 et inculpé pour des crimes perpétrés entre 1994 et 2018, dont trafic et exploitation sexuelle de mineurs, extorsion, corruption et travail forcé. Reconnu coupable d’agressions sexuelles sur mineurs, il est condamné, en juin 2022, à trente ans de réclusion criminelle. D’autres procès sont en cours.

3. Ian Gibson,  The Shameful Life of Salvador Dali, Faber & Faber, 1997.

4. En 1923, accompagné de sa femme Clara et d’un ami, André Malraux, encore inconnu, monte une expédition au Cambodge pour voler des statues d’Angkor et les revendre. L’aventure tourne au fiasco : prison pour le futur ministre de la Culture du Général de Gaulle.

5. Dieu des arts et de la beauté.

6.  Déesse de la justice.

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14 décembre 2023 4 14 /12 /décembre /2023 11:55

Fils d’émigrés italiens installés en France, Michelangelo Vitaliani, surnommé « Mimo » est renvoyé en Italie en 1916, à la mort du père, pour être apprenti sculpteur chez Alberto, un cousin alcoolique et brutal installé d’abord à Turin puis à Pietra d’Alba. Le sculpteur de petite taille fait la connaissance des Orsini, les hobereaux du village et en particulier de Viola qui a le même âge que lui, une jeune fille hypermnésique et farouchement indépendantes. Le destin de Mimo et de Viola sera irrémédiablement liés malgré les différences sociales et la montée des périls dans cette Italie qui se livre aux chemises noires de Mussolini.  Le roman entrecroise l’autobiographie chronologique de Mimo et un récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur qui commence par les derniers jours de Michelangelo Vitaliani, reclus dans un monastère avec la statue qui a fait sa réputation et sa malédiction. Succès littéraire de l’année 2023, Veiller sur elle a été récompensé par le Prix du roman Fnac et par le Prix Goncourt.

 

 

Attention ! La suite du texte dévoile l’intrigue. Si vous n’avez pas encore lu le roman, passez au 2. Critique.

1. Résumé détaillé.

A. Récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

1. Le trente-deuxième moine

Ils sont trente-deux à habiter encore à l’abbaye en ce jour d’automne 1986. Dans quelques heures, il y en aura un de moins, le seul à ne pas avoir prononcé ses vœux. Ils lui ont permis de rester là pendant quarante ans. « Il est là pour veiller sur elle. Elle qui attend, dans sa nuit de marbre, à quelques centaines de mètres de la petite cellule. Elle qui patiente depuis quarante ans. Tous les moines de la Sacra l’ont vue une fois. Tous aimeraient la revoir. » (10) Il suffirait de demander l’autorisation du père Vincenzo, le supérieur, mais ils ont peur de leurs pensées impures.

2. « Je suis mort depuis longtemps »

Le reclus de quarante ans semble répondre aux interrogations des moines sur sa mort imminente.

I. Analepse (autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

3. « Il Francese »

Michelangelo Vitaliani est né en France en 1904. Ses parents avaient quitté la Ligurie quinze ans plus tôt, en quête de fortune. Ils avaient été traités de Ritals et son père avait échappé aux émeutes racistes d’Aigues-Mortes en 1893. Ce qui ne l’avait pas empêché d’être enrôlé dans l’armée française en 1914 et de mourir d’un obus pour la France. Quand un gendarme était venu un jour à l’atelier où ils habitaient dans la Maurienne pour les avertir, sa mère, Antonella, avait décidé de l’envoyer en Italie. « Il sera sculpteur ! » (17)

4. L’oncle Zio Alberto et Mimo

Il découvrit donc l’Italie en octobre 1916. Un ami de son père, l’ingeniere Carmone qui rentrait chez lui le déposa chez Zio Alberto. Carmone, communiste, avait le projet de bâtir une tour pour loger des prolétaires. L’enfant de douze ans, qui voulait qu’on l’appelle « Mimo » fut mal accueilli par cet « oncle » qui ne voulait pas de lui et rajouta « personne ne m’avait dit que c’était un nabot » (29).

5. L’achondroplasie

Mimo souffrait en effet, d’achondroplasie depuis la naissance. Alberto s’apprêtait déjà à claquer la porte quand Carmone lui offrit toutes les économies que les Vitaliani destinaient à leur fils et une pipe. Et Carmone reprit son chemin.

6. Le maître brutal et son souffre-douleur

Zio Alberto n’était pas vraiment l’oncle de Mimo. Son grand-père avait une dette envers celui de Mimo : un prêt non remboursé. Il avait accepté de l’accueillir dans son atelier dans les faubourgs de Turin. Analphabète, Alberto était le fils d’une prostituée du port de Gênes dont il parlait avec respect. A trente-cinq ans, il était célibataire et paraissait vieux et fréquentait toujours le même bordel de Turin. « Zio Alberto était un enfoiré. Pas un monstre, juste un pauvre type… Je repense à lui sans haine mais sans tristesse. » (36) Il traita Mimo comme un larbin, lui interdisant d’utiliser ses outils. Un jour que Mimo avait repris un bénitier mal taillé par son oncle, Alberto le roua de coups.  Le travail se fit plus rare en 1917. Mimo fut mêlé aux émeutes de Turin. Et puis un soir, Alberto annonça qu’il avait vendu l’atelier de Turin pour s’installer à Pietra d’Alba grâce à un mandat de sa mère.

B. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

7. Le père Vincenzo et la captive de la Sacra

Le padre Vincenzo va se rendre au chevet de l’homme qui agonise. Quinze ans plus tôt, un Américain avait feint de s’être perdu pour s’approcher du socle de la Sacra di San Michele. Il avait dû entendre la rumeur. Cinq ans plus tard, il était revenu avec une autorisation du Vatican. Le professeur Leonard B. Williams de l’université de Stanford avait consacré sa vie à la captive de la Sacra et avait publié ses travaux. L’abbé est le seul qui a le droit de voir la statue. Il en connaît tous les détails. « On l’enferme pour la protéger. L’abbé soupçonne que ceux qui l’ont mise là ont tenté de se protéger eux. » (45)

II. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

8. Arrivée d’Alberto et de Mimo à Pietra d’Alba

Le matin du 10 décembre 1917, Alberto et Mimo arrivèrent à Pietra d’Alba, un village à trente kilomètres au nord de Savone, remarquable pour deux bâtiments, l’église San Pietro delle Lacrime et la villa Orsini. En juin 1983, Mimo avait accordé un entretien au magazine FMR.

9. Alinéa, Emmanuele et les Orsini

Le vieil Emiliano avait vendu son atelier à Alberto pour une bouchée de pain. Mimo dormait dans la grange quand il entendit un cri : Alberto était sur le point de se battre avec « Vittorio, alinéa 3 du contrat » de vente. Son père, un agronome suédois de passage avait engrossé une fille du village. Emiliano avait toujours permis à Vittorio de dormir dans la maison. Alberto regrettait de ne pas avoir bien lu l’acte de maître Dordini, le notaire : il ne savait pas lire. De fait, Vittorio faisait partie des murs comme le confirmait l’alinéa 3. Il devint un second esclave pour Alberto.

Alberto avait deux clients : l’église et les Orsini. Il se présenta au palais Orsini comme maître Alberto Susso, repreneur de l’atelier d’Emiliano. On lui fit savoir que le marquis et la marquise ne recevaient pas les artisans, qu’il devait voir avec l’intendant. Une banderole rappelait une fête en l’honneur du départ du jeune marquis pour le front. Mimo se mit à pleurer : « Je voudrais qu’il revienne » (57) au grand embarras du secrétaire et d’Alberto. De fait, il était déjà mort depuis deux jours, ce jour-là

La semaine suivante, les funérailles du jeune marquis Virgilio Orsini furent célébrées. Il avait péri dans un accident de train. Au fond de l’église, Mimo ne voyait rien. Il regardait une statue de pietà.

Le nouveau curé de San Pietro, Dom Anselmo interpella Mimo qui fit des commentaires sur les défauts de la statue. Le curé lui proposa de se confesser pour ce blasphème. En sortant, Mimo remarqua une fontaine et fit un vœu : il voulait grandir. Le curé demanda si Alberto pouvait faire le quatrième angelot pour terminer la fontaine. Mimo eut la mauvaise idée d’en parler à Alberto. Il reçut une gifle, suivie d’un défi : « Puisque tu es si doué, vas-y sculpte-le, ton putain d’angelot ». (63) Mimo commença à travailler le marbre.

La statue était terminée quand Alberto revint d’un voyage de plusieurs jours. Il fut surpris du résultat et s’attribua la statue en apposant son monogramme sur la première œuvre de Mimo, Ange tenant une amphore.

Alinéa proposa à Mimo de faire un tour au cimetière. Celui qui se dégonflerait devrait embrasser la fille de Giordano l’aubergiste. En chemin, une forme sortit d’un buisson : c’était Emmanuele le frère jumeau d’Alinéa. La mère les avait baptisés Vittorio et Emmanuele en l’honneur du roi d’Italie. Mais Emmanuele avait gardé les stigmates de sa naissance difficile : il parlait difficilement. Il avait deux passions : les romans d’aventure et les uniformes. Mimo entra dans un mausolée et il la vit. Quand la forme se leva, il s’évanouit.

10. L’accident chez les Orsini

Mimo se retrouva seul à son réveil ; Alinéa et Emmanuele avaient disparu. En rentrant, il demanda à Alinéa s’il avait vu la morte sortir d’une tombe. Alberto le réveilla le lendemain matin : le vent avait détruit une statue du toit de la villa Orsini. Il fallait remonter la statue. Il découvrit enfin la villa. - Origine mystérieuse des Orsini. - La statue fut remise sur son piédestal. Mais distrait par le passage du facteur à vélo suivi par Emmanuele, Mimo chuta dans dix mètres de vide et percuta la façade. Il parvint à agripper l’appui de la fenêtre et s’affala à l’intérieur d’une chambre. Sur la table de chevet, il y avait une carte d’anniversaire. Il huma le parfum de ce mot.

C.  Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

 11. Padre Vincenzo dans la cellule de Vitaliani

Padre Vincenzo pénètre dans la cellule de Michelangelo Vitaliani. Il y a quelques jours, il portait encore bien ses quatre-vingt-deux ans mais en une nuit, l’agonie a creusé ses joues. Il lui demande s’il a quelque chose à dire. Un frère a cru l’entendre dire « violon ».

III. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

12.Viola, la jeune fille en robe verte

Mimo s’était endormi dans le lit des Orsini. A son réveil, il la vit, la jeune morte qui le hantait. « C’est donc toi que j’ai vu au cimetière hier », dit-elle (85). Il manqua de s’évanouir à nouveau : « Tu ferais mieux d’avoir peur des vivants ». Elle lui demanda comment il était entré et elle lui sourit. « Un sourire qui dura trente ans, au coin duquel je me suspendis pour franchir bien des gouffres ». Au moment où elle lui tendit une orange, la porte s’ouvrit. La marquise fut abasourdie de la présence de Mimo. Elle tira un cordon et demanda à un domestique de le reconduire, tout en lui arrachant le fruit. Mimo regagna le toit et s’empressa d’aider Alinéa à réparer la statue. Il lui dit qu’il avait vu son frère avec le facteur. Au coucher du soleil, ils descendirent du toit et en faisant un dernier tour de la villa, Mimo se retrouva avec la fille en robe verte.

« Désolée, ma mère ne veut plus que je te parle. Une jeune fille bien élevée ne fréquente pas les ouvriers. Elle dit que j’ai eu de la chance de ne pas avoir été violée. » (89) Ils ne pouvaient pas être amis… mais elle lui donna rendez-vous le soir-même au cimetière, à dix heures. Et lui demanda son nom, en ajoutant : « Moi c’est Viola ». (90) Mimo regagna la charrette d’un pas de somnambule.

13. Les rendez-vous au cimetière avec Viola

A neuf heures et demie, Mimo se mit en route. Viola le rejoignit dans la forêt. Elle se dirigea vers le caveau de la famille Orsini. Elle connaissait beaucoup de choses grâce à la lecture des journaux que le jardinier lui mettait de côté. Elle proposa à Mimo de lui prêter des livres. Puis elle dut rentrer pour aller à la messe de minuit. Ils parlèrent des cadeaux qu’ils avaient demandés. Puis elle demanda à Mimo de la raccompagner et lui tendit sa main qu’il prit : « C’est à cet instant précis que je devins sculpteur […] c’est à ce moment […] que me vint l’intuition qu’il y avait quelque chose à sculpter. » (96)

Ils convinrent d’un signal : une souche creuse leur servirait de boîte aux lettres, une lanterne couverte d’un voile rouge à sa fenêtre permettrait de donner un rendez-vous, ils se retrouveraient au cimetière en pleine nuit. Chaque jour avant de se coucher, Mimo guetta la villa Orsini mais la fenêtre restait vide. Dom Anselmo qui avait été ravi de l’angelot leur avait confié d’autres travaux entre Noël 1917 et janvier 1918.

La fenêtre de Viola resta muette jusqu’en février. Il vit enfin le signal. Dans la souche, il y avait une lettre et un livre sur Fra Angelico. Mimo devait l’avoir lu pour leur rendez-vous le jeudi à onze heures. Il fut pris d’un malaise en ouvrant ce livre et jalousa ce Fra Angelico. Viola l’interrogea sur sa lecture. Et elle reprocha à Mimo de ne pas lui avoir dit au revoir.

Écouter les morts était le passe-temps favori de Viola depuis qu’elle s’était endormie sur une tombe pendant l’enterrement d’une aïeule quand elle avait cinq ans. Elle s’était réveillée la tête pleine d’histoires. Le prédécesseur de Dom Anselmo avait parlé de « possession démoniaque ». Un médecin de Milan avait diagnostiqué une « hystérie de l’enfant ». Il avait recommandé des bains glacés. Après le premier, elle avait déclaré être guérie et avait commencé à sortir la nuit. Elle s’allongeait sur les tombes. Ce soir-là, elle s’allongea sur la tombe de Tommaso Baldi. - La légende de Tommaso Baldi. – Au moment de partir, Viola demanda l’âge de Mimo. Ils avaient tous les deux treize ans et étaient nés le même jour, le 22 novembre (en fait Mimo avait menti, il était né le 7 novembre mais s’était rappelé la date sur la carte d’anniversaire). Ils étaient « jumeaux cosmiques » ! (105)

14. Viola hypermnésique

Les commandes étant assurées, le travail se fit difficile et Alberto repartit sur les routes pour démarcher de nouveaux clients. Alinéa et Mimo se trouvèrent désœuvrés. Le premier s’avérait plus doué pour la menuiserie que pour la sculpture. Mimo revit Viola trois fois au printemps 1918, toujours au cimetière. Elle ne parvint pas à le convaincre de participer à des activités nécromantiques. Viola était la cadette d’une famille de quatre enfants : Virgilio, l’aîné, mort dans un accident de train à vingt-deux ans, Stefano, vingt ans, favori de leur mère, fort en gueule, passionné de course et de chasse et Francesco, dix-huit ans, jeune homme grave, destiné à la prêtrise. A dix ans, Viola avait failli mettre le feu à la villa à l’occasion d’une expérience ratée. Elle était passée à d’autres expérimentations.

Viola était en fait hypermnésique et retenait tout ce qu’elle lisait. Alinéa qui avait demandé à Mimo d’où venaient tous les livres que lisait Mimo lui raconta toutes les rumeurs qui couraient sur Viola : elle se changeait en ourse… c’était une sorcière… deux chasseurs qui l’avaient suivie dans une forêt étaient tombés sur une ourse… l’animal portait encore la robe de Viola. L’ourse avait égorgé un chasseur, l’autre avait couru jusqu’au village. D’ailleurs, il y avait un ours sur le blason des Orsini. Mais les Orsini étaient les plus gros employeurs de la région.

Zio revint après deux semaines d’absence. A Sassello, il avait décroché quelques travaux pour l’Immacolata Concezione (quatre anges et deux urnes à refaire ainsi qu’un ex-voto). Ils se remirent au travail.

Le 24 juin 1918, Viola qui venait de découvrir qu’elle pouvait voyager dans le temps, donna rendez-vous à Mimo le 24 juin 1928, dix ans plus tard. Mimo lui demanda si elle se pouvait se changer en ourse. Elle confirma. Il fallut quatre-vingt-deux ans à Mimo avant de reconnaître ce qu’il savait déjà : « Il n’y a pas de Mimo Vitaliani sans Viola Orsini. Mais il y a Viola Orsini, sans besoin de personne. » (121)

D. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

15. Les classeurs sur la Pietà Vitaliani

Le père Vincenzo hésite devant l’armoire qui contient tous les documents. Il s’étonne qu’ils aient été transférés à la Sacra plutôt que conservés au Vatican. Il ouvre l’armoire. Elle est presque vide. Quelques classeurs contiennent tout ce qui a été écrit sur la Pietà Vitaliani : les premiers témoignages, des rapports officiels, l’étude du Pr. Williams. A lui, la statue ne faisait rien jusqu’au jour où il avait entendu le nom maudit de Laszlo Toth, nom qui troublerait désormais ses nuits et lui ferait toucher dix fois par jour l’endroit sur sa poitrine où reposait, attachée à un cordon de cuir, la clé infalsifiable.

IV. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

16. La mère d’Alberto et le désir de voler de Viola

A la fin du mois de juillet 1918, la mère d’Alberto débarqua à Pietra d’Alba avec une automobile Züst 25/35. La guerre avait fait d’elle la reine d’un demi-monde. Elle apportait un véritable festin et de l’argent pour son fils plus quelques billets pour Mimo et Alinéa que Zio s’empressa de leur reprendre après son départ.

Mimo et Viola se voyaient de plus en plus souvent, parfois deux ou trois fois par semaine. Mimo était étonné de sa facilité à sortir. Personne ne faisait attention à elle : son père était occupé par la gestion du domaine, sa mère par la cartographie de la famille Orsini. Francesco était au séminaire à Rome. Les livres continuaient d’affluer. L’univers de Mimo s’élargissait. Mimo accepta de s’allonger sur les tombes avec Viola. Dom Anselmo avait dit à Francesco que Mimo était doué, « anormalement doué ». « J’ai de grands rêves pour toi, Mimo. Je voudrais que tu fasses quelque chose d’aussi beau que Fra Angelico ou que Michelangelo, puisque tu t’appelles comme lui. Je voudrais que tout le monde connaisse ton nom » dit Viola. Viola, elle, voulait faire des études.

Dans la malle de Mimo, à l’intérieur du numéro de FMR, il y avait l’article de la Stampa du 10 août 1918 relatant le vol de Gabriele d’Annunzio jusqu’à Vienne pour lâcher des tracts incitant à la capitulation. Viola voulait voler elle aussi.

Elle voulait fabriquer une aile volante et elle avait besoin de l’aide de Mimo et d’Alinéa. Il prit la main de Mimo et la posa sur son cœur :

« - Mimo Vitaliani, jurez-vous devant Dieu, s’il existe, d’aider Viola Orsini à voler, et de ne jamais la laisser tomber ?

- Je le jure.

- Et moi, Viola Orsini, je jure d’aider Mimo Vitaliani à devenir le plus grand sculpteur du monde, à l’égal du Michelangelo dont il porte le nom, et de ne jamais le laisser tomber. » (138)

A presque quatorze ans, ils avaient presque la même taille. Ça ne durerait pas.

17. Anna Giordano, les Gambale et les coups de trique

Le lendemain, Mimo rencontra Alinéa et Anna, la fille Giordano. Alinéa ayant traité Mimo de « Francese », les deux hommes se battirent puis ils se dirigèrent vers le lac. Chaque 15 septembre, les Orsini invitaient les villageois à s’y baigner. Le lac appartenait aux Orsini mais les champs alentour étaient la propriété des Gambale. Les deux familles étaient ennemies depuis longtemps et les Gambale empêchaient les Orsini d’accéder à leur plan d’eau. Le jour de la baignade, plusieurs membres du clan Gambale patrouillaient avec des fusils sous la surveillance d’hommes des Orsini, eux aussi armés. La sécheresse de 1918 aggravait les choses. La résurgence des Orsini était tarie. Les deux parties se faisaient la guerre. Mimo avait plongé dans l’eau quand Alberto se présenta au marquis. Il avait trouvé un livre qui devait appartenir au marquis dans les affaires de Mimo.  Après discussion, il fut décidé que Mimo recevrait vingt coups de trique. Stefano lui en donna vingt-cinq. Mimo jura de se venger. « Il n’est pas impossible que je doive ma carrière, au fond, au fait d’avoir montré mon cul à Pietra d’Alba » (149).

E. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

18. La statue vandalisée par Laszlo Toth

Le 21 mai 1972, Laszlo Toth, un géologue hongrois, regarde la Pietà dans la pénombre du Vatican. Il a tenté d’obtenir une audience avec le pape Paul VI. Il prétend être le Christ ressuscité. Avec un marteau de géologue il saute sur la statue vieille de 473 ans et lui assène quinze coups. Laszlo déclaré irresponsable sera extradé après deux ans dans un hôpital italien. Laszlo était en Italie depuis le 10 mars. Il a longtemps erré dans le nord, visitant les églises des environs de Turin. Il tournait autour de la Sacra di San Michele comme s’il cherchait quelque chose, comme s’il avait entendu parler d’elle. La Pietà du Vatican fut restaurée et protégée par une vitre blindée. Les mieux informés soupçonnent qu’elle n’était pas la cible originale. Toth avait voulu s’en prendre à la Pietà Vitaliani. Ne la trouvant pas, il s’est rabattu sur celle de Buonarroti. « Si c’est bien le cas, s’il existe sur terre une œuvre plus divine encore que celle de Michelangelo, alors cette œuvre est une arme. Et les hommes du Vatican songent sans doute : nous avons bien fait de la cacher. » (153)

V. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

19. Premier vol de l’aile et émeute des journaliers

Viola et Mimo avaient quinze ans, Alinéa et Emmanuele dix-huit. L’heure était venue du premier vol de leur aile. Mimo ayant refusé que Viola l’essayât elle-même, elle avait accepté de céder sa place à Hector, un mannequin.

Après la raclée du lac, la souche était restée vide quelques jours puis s’était remplie à nouveau. Il ne fallait plus laisser les livres chez Zio. Viola conduisit Mimo jusqu’à une grange abandonnée en pleine forêt qui deviendrait leur QG, le lieu où Mimo laisserait ses livres. Alinéa avait ouvert son atelier de menuiserie dans la grange de Zio contre le versement d’un pourcentage. Mimo exécutait la majorité des travaux de sculpture. Alinéa avait d’abord été réticent de travailler avec Viola qu’il craignait puis il avait fini par se prendre au jeu. Viola se chargerait de la théorie, Mimo des dessins, Alinéa et Emmanuele de l’exécution. Les connaissances de Viola les sidéraient. Elle avait lu en particulier le livre d’Otto Lilienthal sur une machine volante inspirée des oiseaux.

Un jour, Emmanuele arriva en criant : « La guerre est finie ! » (160) et tous coururent au village pour danser malgré le froid de novembre. Mais il y avait le feu du côté de la villa Orsini. Des journaliers avaient entraîné les paysans contre leur employeur en réclamant un partage des terres et de meilleurs salaires. Le marquis était prêt à des concessions mais Stefano se montrait plus intransigeant. Au petit matin, les Gambale voulurent se proposer comme négociateurs quand une colonne d’une dizaine de véhicules arriva. Des hommes vêtus de chemises sombres bondirent des véhicules, l’un des premiers squadre d’azione avec lesquels Stefano avait noué des amitiés. Le lendemain, on murmura qu’il y avait eu huit morts chez les journaliers. Il n’y eut jamais de suite.

Dès son envol, l’aile se retourna et Hector se fracassa. Mais Viola ne se découragea pas.

20. La mort de Damiano le jardinier et d’Annunziata Susso, l’aile et l’ourse

Mimo travaillait peu pendant les premiers mois de 1920. Les tensions politiques étaient fortes entre revendications et répression. Un jour, le marquis surprit les ébats de Damiano, le jardinier avec la marquise. Sa réaction parut maîtrisée mais la semaine suivante, Damiano avait été retrouvé pendu à un oranger avec une lettre justifiant son geste pour des problèmes d’argent ; il ne savait pas écrire. « Ne fais jamais confiance à un Orsini », dit Viola à Mimo.

Ils essayaient d’inventer une aile alternative. Viola s’allongeait sur la tombe de Tommaso Baldi, accompagnée désormais de Mimo. Viola grandit brusquement cette année-là, elle dépassait désormais Mimo de deux têtes. Mais elle était d’humeur sombre : « J’ai bientôt seize ans. Et je ne vole toujours pas. Je ne serai jamais Marie Curie. » (170)

La situation de l’atelier se compliquait. Alberto était bien décidé à s’y mettre. Il écrivit une nouvelle fois à sa mère pour lui demander de l’aide et deux semaines plus tard, il reçut une lettre l’informant du décès de madame Annunziata Susso à l’âge de soixante-treize ans, le 21 septembre 1920. Elle l’avait désigné comme seul héritier. Mammina avait été renversée par un tramway en revenant de son établissement au petit jour.

Alberto partit le lendemain pour Gênes. Le soir-même, Viola déboula dans la grange. Sa nouvelle idole était Fausto Veranzio qui avait conçu un Homo volans, un parachute sommaire, en 1616. Elle souhaitait combiner les modèles de Lilienthal de de Veranzio. La mère des jumeaux prêta sa machine à coudre pour assembler les tissus pris dans la cave des Orsini. A la mi-octobre, Alinéa cessa de venir : Anna était jalouse. Viola lui parla et elles se réconcilièrent. Début novembre, alors qu’Alberto n’était toujours pas revenu, Mimo reçut une lettre de sa mère : elle s’était remariée et habitait désormais en Bretagne.

Un soir, en rentrant du cimetière, Mimo remarqua une lumière rouge et trouva une enveloppe dans la souche avec un message fixant un rendez-vous le lendemain midi au chêne des Pendus. Ce jour-là, Mimo s’évanouit pour la deuxième fois : Viola s’était changée en ourse.

21. L’ourse Bianca, la statue de l’ours, les fiançailles et la chute de Viola

Après son évanouissement, Viola aida Mimo à se relever : « Je ne pensais pas que tu marcherais à ce point. […] Tu ne croyais quand même pas que je me transformais en ourse ? » (181) Viola entraîna Mimo dans la forêt jusqu’à la grotte de l’ourse : « Rien n’approche le spectacle de cette gamine incandescente entre les pattes d’une ourse. – Je te présente Bianca. Bianca va dire bonjour à Mimo » (181). L’ourse s’avança vers Mimo puis retourna à l’entrée de sa grotte. Viola raconta alors à Mimo l’histoire de Bianca : à l’âge de huit ans, Viola avait trouvé l’oursonne seule, sa mère avait été tuée par un chasseur une semaine plus tôt et son frère jumeau était mort de faim. Elle avait élevé l’animal, l’habillant avec de vieilles robes. Puis elle avait espacé ses visites pour ne pas la mettre en danger. C’est à l’une de ces occasions, trois hivers plus tôt, que la légende était née. Viola lui avait passé une vieille robe. Des chasseurs avaient essayé d’attraper l’ourse qui avait tué l’un d’entre eux. « Comme dans tout grand tour de magie, nous ne regardons pas au bon endroit. » (183) Viola mit les mains autour du cou de l’animal. « Viola… Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi… Je t’aime beaucoup. » (184) « Nous sommes jumeaux cosmiques. Ce que nous avons est unique, pourquoi le compliquer ? Je n’ai pas le moindre intérêt pour les choses auxquelles mène normalement cette conversation. Tu as vu l’air crétin de Vittorio quand Anna entre dans la pièce ? Tu as vu les yeux qu’il ouvre quand elle tire sur les lacets de son décolleté ? La chose doit être agréable bien sûr, pour abêtir à ce point. (184) mais je ne veux pas devenir bête, justement. J’ai des choses à faire. Toi aussi. Un grand destin nous attend.  […] Je voulais te montrer qu’il n’y a pas de limites. […] Toute frontière est une invention. Qui comprend ça dérange forcément ceux qui les inventent, ces frontières, et encore plus ceux qui y croient, c’est-à-dire à peu près tout le monde ». Mimo répondit qu’il préférait plaire à tout le monde. « C’est pour ça qu’aujourd’hui tu n’es rien. » (185)

Le soir-même, Mimo se mit à sculpter le bloc de marbre de Zio. Pendant dix jours, il dormit à peine pour pouvoir terminer la statue avant l’anniversaire de Viola le 22 novembre : un ours. Il n’avait sculpté que la moitié supérieure du bloc.

Le 21 novembre, on annonça le retour d’Alberto. Mimo demanda à Alinéa d’avertir le marquis que Zio avait un cadeau pour l’anniversaire de sa fille. Mais il ne pouvait venir que le lendemain matin. Trop tard ! Zio arriva en voiture et se mit en colère en voyant la statue. Il s’apprêtait à la frapper à coups de marteau quand le marquis se présenta avec Viola et Francesco, accompagné de Monseigneur Pacelli, un évêque qui demanda l’âge de Mimo : seize ans. « Prodigieux ! », dit l’évêque qui parla de la perfection des formes, de la modernité de l’œuvre. « Bravo, jeune homme. Vous irez loin. Et nous vous y aiderons peut-être, qui sait. » (194) Ils enverraient des hommes chercher la statue, Viola pourrait admirer son cadeau ; Maître Susso serait récompensé. Et Viola demanda à son père d’inviter Mimo à la fête.

Le 22 novembre 1920, Mimo pénétra triomphalement dans la villa Orsini, sa statue avait été livrée. Et installée près du bassin. Stefano l’appela « Gulliver » et lui rappela de ne pas oublier l’incident du lac. Viola entraîna Mimo dans les couloirs et le remercia pour l’ours : « C’est le plus beau cadeau qu’on m’ait jamais fait ». (198) et elle l’avertit : « Ce que tu vas entendre… ça ne va pas se passer d’accord ? Ce sera toujours toi et moi, Mimo et Viola. Mimo qui sculpte, et Viola qui vole » (198). Elle partit en courant. Mimo rejoignit la salle où se pressaient les invités. « Nous célèbrerons dans six mois les fiançailles de Viola et d’Ernest Erzenberg ! » annonça le marquis. Mimo s’insurgea de ce projet auprès de Francesco. Le marquis parla ensuite de la venue prochaine de l’électricité à Pietra d’Alba. Mimo sortit dans le jardin. Viola avait disparu. Soudain, on la vit sur le toit. Elle sauta et la toile de son parachute se mit en torche. Elle tomba et disparut dans les arbres.

F. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

22. Vie de Michelangelo Vitaliani

Les classeurs Pietà Vitaliani dans l’armoire blindée de Padre Vincenzo : l’affaire Laszlo Toth (1 classeur), témoignages (2), La Pietà Vitaliani, une monographie, Leonard B. Williams, Ed. de l’Université de Stanford (1), le rapport Candido Amantini, exorciste en chef du Vatican.

Les éléments biographiques donnés par Williams sont succincts : Michelangelo Vitaliani est né en France, le 7 novembre 1904, son père était sculpteur. A la mort du père, Michelangelo Vitaliani est arrivé à Turin où il a été recueilli par un oncle. Il a effectué la majorité de sa carrière à Pietra d’Alba à deux exceptions : un séjour à Florence (on ne sait rien) où il a fréquenté Filippo Metti et un séjour à Rome (on sait beaucoup). Il y a une rumeur de séjour aux Etats-Unis (aucune preuve). Il était atteint d’achondroplasie. Il a peu produit. Moins de quatre-vingts œuvres recensées ; la majorité ont disparu en raison du climat politique. Il ne fait partie d’aucun mouvement, aucune tendance. On le décrit comme un artiste instinctif au talent inouï et inné. Son art n’a jamais été théorisé à l’inverse de Giacometti avec lequel il eut une dispute célèbre. Il disparaît à partir de 1948. Monographie publiée en 1972 et revue en 1981 avant la mort du Pr. Williams. Nul ne sait s’il est encore en vie où s’il se cache.

Padre Vincenzo connaît la réponse. Il est en vie dans la cellule droite de l’escalier au premier étage de l’annexe. Il ne dira rien.

VI. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

23. Florence, le cirque Bizzaro et Filippo Metti

Viola avait été ramené, les invités reconduits. Les Erzenberg étaient partis aussitôt après l’accident : leur fils Ernst n’épouserait pas une cinglée. Viola n’avait pas repris connaissance ; elle avait été transférée à l’hôpital de Gênes. Tout passait désormais par Silvio l’intendant. Le marquis et la marquise s’occupaient à restaurer leur prestige. Un matin, Zio dit à Mimo d’aller choisir deux blocs de marbre à Florence chez Filippo Metti. Zio le déposa à la gare de Savone Letimbro et repartit après lui avoir confié une enveloppe pour Metti : un mandat à donner en paiement. A Florence, personne n’attendait Mimo. Devant le Grand Hôtel Baglioni un homme lui demanda s’il cherchait du travail. Il se présenta, Alfonso Bizzaro, bâtard d’un père espagnol et d’une mère italienne, directeur artistique et interprète principal du cirque Bizzaro dont le chapiteau était derrière la gare. Il avait besoin de gens comme moi pour un spectacle : un combat entre hommes et dinosaures. Mimo lui répondit qu’il était là pour le travail et pour voir les fresques de Fra Angelico. « Si tu changes d’avis, tu sais où me trouver » (216). Bizzaro le laissa régler le serveur. Mais Mimo n’avait pas d’argent.

C’est à cet instant qu’arriva Metti qui paya. Les deux hommes partirent pour l’atelier de Metti mais quand Mimo lui parla des blocs de marbre, Metti ne comprit pas de quoi il parlait. « Je loue tes services à son atelier, car j’ai besoin de bras pour le chantier du Duomo. Il continuera à verser ton salaire comme avant. » (219) Zio s’était débarrassé de Mimo. Mimo voulut partir. Dans l’enveloppe, il trouva son nom et le dessin d’un doigt d’honneur. Florence, années noires.

24. L’enfer de la découpe, Metti et Neri

Le lendemain matin, Mimo se rendit à l’atelier de découpe à 7h. Six employés et un chef, Maurizio. Il ne vit pas Metti de la semaine. Metti avait décroché le contrat de la rénovation du Duomo, il embauchait jusqu’à l’étranger. Mimo écrivit à Alinéa et à la famille Orsini pour avoir des nouvelles de Viola.  La découpe, c’était l’enfer. Un jour, Mimo rencontra Neri, un jeune qui dirigeait les apprentis. Il avait sculpté deux oiseaux de pierre pour la statue de Saint-François. Mimo lui fit des compliments mais avoua ensuite à Metti qu’il avait menti et il critiqua la sculpture. Mimo prétendit qu’il pouvait faire mieux. Metti lui proposa d’essayer sur un échantillon.

Mimo devait tout à son père et se rappelait ce conseil : « Imagine ton œuvre terminée qui prend vie. Que va-t-elle faire ? Tu dois imaginer ce qui se passera dans la seconde qui suit le moment que tu figes, et le suggérer. Une sculpture est une annonciation. » (229) Mimo s’attaqua au bloc dans un coin de l’atelier et dégagea l’oiseau qui s’y cachait. Metti vint voir la statue avec Maurizio et fit des compliments à Mimo. Il promit de le payer davantage. De quoi acheter des timbres pour écrire à Pietra d’Alba.

Admis à l’atelier, Mimo dut subir l’inimitié de Neri et de nombreuses humiliations. Mais sa colère était surtout dirigée contre les Orsini qui le laissait sans nouvelles. Trois mois après l’accident, il reçut enfin une lettre de Francesco : Viola s’était fracturé le crâne, une vertèbre, trois côtes, les clavicules, les deux jambes et s’était perforé un poumon. Elle avait passé trois semaines dans le coma. Elle s’était réveillée un matin avec pour seule séquelle une amnésie totale de l’accident et un léger zozotement qui s’estompait. Rapatriée à Pietra d’Alba, elle ne souhaitait voir personne. Il était trop tôt pour dire si elle pourrait remarcher.

Mimo écrivit à Viola toutes les semaines du printemps 1921. Le chantier du Duomo occupait tout l’atelier. Metti finit par confier à Mimo des éléments d’architecture plus importants. Mais les brimades continuaient : un matin, il trouva la statue sur laquelle il travaillait décapitée. Mimo se battit avec un homme. Metti les sépara. « Tu ne perds rien pour attendre » dit Neri. « Fais-moi encore un sale coup, un seul et je te tue. » Quelques jours après, Metti lui fit visiter le Duomo. Et ils firent le point : Neri était un Lanfredini, un des familles les plus puissantes de la région, son père était un des principaux contributeurs à la rénovation du Duomo, c’est grâce à lui que Metti avait eu ce marché. Et Neri était stable. Mimo avait peur de ne plus progresser à ce poste : « L’important n’est pas ce que tu sculptes. C’est pourquoi tu le fais », lui dit Metti. « Le jour où tu auras compris ce que c’est que sculpter, tu feras pleurer des hommes avec une simple fontaine » (240). Metti lui conseilla d’être patient comme l’Arno. Le 4 novembre 1966, l’Arno fracasserait ses digues.

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14 décembre 2023 4 14 /12 /décembre /2023 11:48

VEILLER SUR ELLE de Jean-Baptiste Andrea, L’iconoclaste, 2023. (suite)

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25. Mussolini, le départ de chez Metti, l’agression, le cirque Bizzaro, la visite du musée, la bagarre et la fermeture du cirque

Avec le retour de l’été, Mimo fréquenta de plus en plus les milieux interlopes de la ville avec les gars de la découpe où régnaient les bagarres et les trahisons. Cette vie nocturne lui évitait de penser dont il n’avait pas de nouvelles. Alinéa, de retour à Pietra d’Alba et Anna n’en avaient pas davantage. Deux femmes de chambre s’occupaient d’elle. Mimo essaya quand même de lui transmettre un message par leur intermédiaire. Dans les lieux mal famés qu’il fréquentait avec Maurizio, il rencontra un nouvel habitué surnommé Cornutto, « le cocu » qui chante des chansons d’immigrant.

Deux événements concomitants à l’automne 1921 firent de nouveau exploser sa vie. Le 7 novembre, jour de ses dix-sept ans, Mussolini créa le Parti national fasciste. Mimo continuait d’être la victime d’humiliations dans l’atelier. Finalement, il reçut une lettre de Viola : Mimo ne devait plus lui écrire, il fallait abandonner ces jeux d’enfants. Mimo était persuadé que cette lettre était un faux. C’est à ce moment-là qu’intervint Neri qui lui parla de sa lettre. Mimo lui mit un coup de tête en plein visage.

Mimo se présenta à Filippo Metti avec sa valise. Il était décidé à rentrer à Pietro d’Alba. Au moment de partir, Metti lui remit une enveloppe avec quelques billets. Il passa dire au revoir à ses amis de la découpe et sortit dans la nuit glaciale en attendant l’ouverture de la gare quand soudain cinq hommes au visage masqué lui tombèrent dessus et le dépouillèrent de son argent.

Mimo marcha alors jusqu’au cirque Bizzaro et se présenta à Alfonso qui comprit qu’il cherchait du travail mais Mimo ne voulait pas participer à son spectacle dégradant pour les nains : « mais se moquer le premier, c’est la garantie que personne ne se moquera de toi ensuite, sous peine de passer pour un idiot. » (254) Mais Mimo n’avait guère le choix. Sarah soigna son œil tuméfié. Sarah, surnommée Signora Kabbala, la soixantaine, était diseuse de bonne aventure le jour et faisait le même métier que la mère de Zio la nuit. Elle joue parfois le rôle d’Eve dans le spectacle la Création. Mimo appréciait la présence apaisante de Sarah : un jour, elle lui offrit des dattes et lui parla de la mort.

L’année 1921 passa au rythme de l’Arno. Mimo accompagnait Bizzaro dans ses virées nocturnes. Il écrivit une lettre d’insultes à Viola qu’il regretta aussitôt. Il se remit à la sculpture pour offrir une statue à Bizzaro le jour de son anniversaire.

Parfois, les carabiniers faisaient une descente au cirque mais Sarah offrait ses charmes au capitaine et ils repartaient sans rien dire. Le 28 octobre 1921, des hommes marchèrent sur Rome, bien décidés à intimider le gouvernement. Mussolini avait préféré rester à Milan, prêt à décamper en Suisse si ça tournait mal. Le planqué de Milan se retrouva à la tête du gouvernement à cause de la lâcheté du gouvernement et du roi. « Je n’imaginais pas encore l’impact durable de ce jour sur mon destin » (269). Le soir du dix-huitième anniversaire de Mimo, Bizzaro l’entraîna dans un musée qu’il avait fait ouvrir grâce à un homme vêtu en noir, Walter, qui avait jadis travaillé pour lui. Mimo put admirer des tableaux, notamment ceux de Fra Angelico. Mais la situation se gâta quand Bizzaro évoqua son nanisme. Ils en vinrent aux mains. Quatre hommes en noir arrivèrent qui reprirent le qualificatif de nain. Bizzaro sortit une lame et frappa un de ces hommes. Là-dessus, des carabiniers se présentèrent et tout le monde finit au poste. Mimo sortit le matin mais Bizzaro fut gardé en prison. Au retour, Sarah soigna Mimo et lui fit cadeau d’une initiation sexuelle.

Le milicien n’était pas mort et le capitaine des carabiniers minimisa les faits mais le constat était sans appel : le cirque devait fermer. Un mois après l’arrestation de Bizzaro, Francesco vint chercher Mimo au cirque pour le ramener à Pietra d’Alba : « Ton oncle Alberto t’a légué son atelier » dit-il (283). Les Orsini souhaitaient l’employer. Grâce à Mgr Pacelli, Francesco était devenu minutante à la curie. Une grande campagne de rénovation de la Casina Pio IV au cœur des jardins du Vatican allait être lancée et ils avaient besoin de lui. Il pourrait travailler à Pietra d’Alba ou à Rome avec des apprentis et un contrat d’un an renouvelable à deux milles lires par mois, plus quelques commissions privées. En contrepartie, Mimo devait s’abstenir de certaines mauvaises habitudes florentines. Mimo partit le lendemain sans dire au revoir à Sarah.

G. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

26. La Pietà Vitaliani

En soustrayant la Pietà Vitaliani aux regards, le Vatican en a fait un mythe. C’est dans le noir que fermentent les fièvres. Description de la statue. Williams avait examiné beaucoup d’œuvres. Aucune n’avait produit un tel effet sur lui.

VII. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

27. Retour à Pietra d’Alba

Mimo revint à Pietro d’Alba après deux ans d’absence. Il fut accueilli par Alinéa et Anna qui s’étaient mariés trois mois plus tôt. Anna était enceinte. Mimo et Alinéa seraient associés. Mimo écrivit à sa mère qui habitait à Plomodiern. Emmanuele les rejoignit à dîner et ils discutèrent : les Orsini et les Gambale se disputaient toujours, Viola n’était pas reparue en public, Mimo présenta une version édulcorée de son séjour florentin, oubliant Bizzaro et Sarah.

En fin de matinée, le lendemain, le secrétaire de Francesco apporta deux lettres à Mimo. La première contenait une avance de deux mille lires et la seconde une invitation à dîner chez les Orsini le 3 janvier 1923 à 8h30. Il mit Mimo au courant des projets qui l’attendaient et lui donna l’adresse de son atelier à Rome ainsi qu’un costume à sa taille. Le secrétaire revint le chercher à 8h.

Giandomenico et Massimilia Orsini, marquis et marquise de Pietra d’Alba firent une entrée remarquée. Stefano présenta Mimo aux autres invités : un duc et une duchesse, deux employés du ministère, un général, un avocat milanais et Carmen Boni, une actrice et un ou deux autres invités. Viola ne serait pas présente ce soir-là. Mimo dîna face à l’avocat, Rinaldo Campana qui lui parla de l’acteur Bartolomeo Pagano.

Au moment de partir, Mimo essaya de se glisser sous les fenêtres de Viola. En vain. L’ancien atelier de Zio était en cours de rénovation. Deux blocs de marbre arrivèrent pour la première commande de Mgr Pacelli, la statue de Saint Pierre recevant les clés du Paradis : Pacelli voulait l’offrir à la résidence des papes à Castel Gandolfo. Le soir, alors qu’il fumait la pipe avec Alinéa, Mimo aperçut une lueur rouge à la fenêtre de Viola.

L’enveloppe de la souche lui donnait rendez-vous le jeudi soir au cimetière. On était le mercredi. Mimo demanda alors à Alinéa de le conduire à la gare de Savone. Il lui faudrait 1.991 jours et 17h pour revenir à Pietra d’Alba.

28. Mimo à Rome : succès et débauche, le mariage de Viola

« Plus je m’en voulais, plus j’en voulais à Viola de me forcer à m’en vouloir » (308). L’atelier de Mimo se situait au 28 via dei Banchi Nuovi, à quinze minutes à pied du Vatican. Francesco vint deux jours plus tard, surpris de la décision de Mimo. Il se mit à la statue de Saint Pierre avec l’aide de Jacopo, un gamin de quatorze ans. Son appartement était au-dessus de l’atelier. Il supervisa les travaux de rénovation de la Casina Pio IV. Un an après son arrivée à Rome, Mimo fut en mesure de livrer son Saint Pierre recevant les clés du Paradis.

En février 1924, Mgr Pacelli vint voir la statue. Il ne pouvait pas offrir une telle statue subversive à Castel Gandolfo. Il la garderait pour lui. « Moi je la comprends. Je vous comprends, monsieur Vitaliani. » (313)

Le carnet de commandes de Mimo explosa. Sa cote montait ; il était devenu désirable. Un jour, Francesco vint lui offrir une voiture, une Alfa Romeo RL avec un chauffeur, Livio. Un cadeau des Orsini. Mimo se remit à lire des livres, plutôt que la presse. Les élections d’avril 1924 portèrent une immense majorité fasciste à l’Assemblée. Le député Matteoti qui avait l’annulation des élections disparut fin juin. A la mi-août, on retrouva son cadavre pétrifié dans les environs de Rome. Durant cette période, Mimo connut de nombreuses femmes : Annabella, Carolina, Anna-Maria, Lucia et une ou deux autres.

Un jour d’août 1925, Francesco l’emmena dîner au Gran Caffè Faraglia avec une dizaine de convives. Soudain, ils portèrent un toast à la mariée ! Viola allait se marier avec Rinaldo Campana, l’avocat milanais, amateur de cinéma, qu’il avait rencontré chez les Orsini deux ans plus tôt. Stefano travaillait désormais à la Sécurité publique, pour Cesare Mori, préfet chargé par Mussolini d’éradiquer la mafia. Francesco voulut partir, il avait une messe à célébrer le lendemain et proposa à Mimo de l’emmener. Mais il décida de rester. Stefano sortit alors de la cocaïne de sa poche. Puis ils partirent mettre le feu à Rome.

29. La fête à Rome (août 1925-21 juin 1928)

Au bureau des Postes, Mimo téléphona à Viola qui finit par lui répondre. Elle était en pleins préparatifs de son mariage et n’avait guère de temps à lui consacrer.

Rome fut la ville des premières fois pour Mimo : première séance de cinéma, premier opéra, première prise de cocaïne, première commande d’une autorité laïque (une statue de Romulus et Rémus pour la mairie de Rome). Viola s’était mariée début 1926 mais n’était pas encore partie en voyage de noces ; les affaires de son mari l’avaient appelé aux Etats-Unis. Stefano gravit les échelons du gouvernement entre 1926 et 1928. Au début 1927, Mimo livra son Romulus et Rémus qui ne plut pas et provoqua le renvoi du commanditaire. Mais Margherita Sarfatti, la maîtresse et égérie de Mussolini déclara : « Tout l’homme nouveau, l’artiste fasciste est là-dedans » (327). Le fonctionnaire fut réintégré et décoré.

Lors de ses soirées de débauche, Mimo fit la connaissance de la princesse Alexandra Kara-Petrović. Ses excès atteignirent un point de non-retour en 1928 au cours d’une soirée où Stefano lui demanda de montrer ses fesses. Il se réveillait dans divers endroits de Rome. Une nuit, où il cherchait le cirque Bizzaro, il fut passé à tabac par trois hommes. Francesco lui fit des reproches : il devait représenter dignement les Orsini. De retour chez lui, Mimo renvoya Livio le chauffeur qui caftait et engagea Mikael, un Éthiopien. Au cours d’une soirée, Mimo se battit en duel contre un baron : une décharge accidentelle toucha la maîtresse d’un important ministre au bras. Mimo avait du retard dans ses commandes : le commanditaire à Palerme était un homme ombrageux. Deux jours avant la livraison, Mimo sermonna Jacopo comme Zio l’avait fait avec lui. Mimo présenta ses excuses à Jacopo. Le 21 juin 1928, Mimo s’enfuit de Rome.

30. Pietra d’Alba

Mikael avait occupé un poste important dans l’administration de Ménélik II, négus d’Éthiopie avant de quitter son pays pour une histoire d’adultère. Arrivés à Savone le 24 juin 1928, ils repartirent en direction de Pietro d’Alba. A 23h05, Mimo s’effondra devant le cimetière. Viola arriva dix minutes plus tard. Ils ne s’étaient pas vus depuis huit ans.

  • « Je ne savais pas si tu viendrais, dit-elle enfin.
  • Je n’ai pas oublié. Tu m’as donné rendez-vous, le 24 juin 1918. Je reconnais que tu as raison. Tu voyages dans le temps.
  • - Oui, mais j’ai cru que ça prendrait dix ans. […]
  • Ça a pris dix minutes. Et pendant ces dix minutes, tu es devenu un homme. » (339)

A Pietra d’Alba, Mimo fit la connaissance de Zozo, le fils d’Alinéa et d’Anna, quelques instants avant leur fille Maria. Anna avait vingt-quatre ans, l’âge de Mimo, Alinéa en avait vingt-huit. Alinéa et Anna s’étaient construits une maison derrière le bâtiment principal. Mimo voulut aller chez les Orsini. On le prévint que le marquis avait fait une attaque cérébrale deux semaines plus tôt. A la villa, Mimo rencontra la marquise et demanda à téléphoner à Francesco qui reprocha à Mimo son départ de Rome. Mimo avait décidé de travailler depuis Pietra d’Alba. Il avait besoin de Jacopo et d’un apprenti. Ils parlèrent du marquis.

Viola attendait Mimo dans le grand salon. Onze ans après leur première rencontre, c’était la première fois qu’il se montrait en public avec elle. Les oranges ne rapportaient plus, c’est le mari de Viola qui apportait l’argent au domaine. « Rinaldo est gentil » dit Viola. Il passait son temps aux Etats-Unis ou à Milan et venait seulement le week-end. Ils essayaient d’avoir un enfant. « Ça ne te ressemble pas tout ça… » dit Mimo (347). « Je n’ai pas besoin que tu critiques mes choix, Mimo. J’ai besoin que tu me soutiennes ou, tout le moins que tu fasses semblant » (348). Dans la forêt, elle montra à Mimo l’arbre qui lui avait sauvé la vie. Le premier nom qu’elle avait prononcé était celui de Mimo. Francesco était à son chevet ce jour-là. Viola n’avait pas revu Bianca depuis cinq ans.

  • « J’aimerais que tout redevienne comme avant.
  • Nous ne sommes plus comme avant. Tu es un artiste respecté, je suis une femme mariée. Mais nous pouvons voyager côte à côte. Sans héroïsme, cette fois.
  • - Qui veut d’une vie sans héroïsme ?
  • - Tous les héros, en général. (351) […]
  • - Tu m’as manqué Viola.
  • - Toi aussi. »

L’année 1929 s’annonçait, une nouvelle décennie que Mimo espérait plus calme que la précédente.

H. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

31. Padre Vincenzo et le novice

Padre Vincenzo lève la tête quand un novice vient lui annoncer que frère Vitaliani s’est mis à rire. Il n’a pas repris connaissance pour autant. Padre Vincenzo congédie le novice et ouvre le dossier « Témoignages ».

VIII. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

32. Dîner à la villa Orsini

Après avoir parlé des finances de la paroisse avec Dom Anselmo, Mimo entendit arriver Emmanuele qui était devenu le facteur de Pietro d’Alba. Un mois plus tard, l’électricité arriva dans le village. On alluma l’unique lampadaire le 20 janvier 1929 à 16h22. Le marquis apparut en public en fauteuil roulant.

Lors d’un dîner à la villa, Mimo eut l’occasion de revoir l’avvocato Rinaldo Campana qui venait de rentrer des Etats-Unis et détaillait ses rencontres. En plus de Stefano et Francesco, il y avait deux autres invités en chemise noire. L’un d’eux, Luigi Freddi, s’enthousiasmait pour les projets de Campana : l’Italie pourrait s’inspirer de l’Amérique pour glorifier l’homme fasciste. Viola s’étonnait de voir boire Mimo et frissonnait en entendant les propos de Freddi. Au salon, Stefano et Campana parlèrent avec grossièreté de Viola ; ils n’arrivaient pas à avoir d’enfants. Mimo s’indigna : ils devaient parler de Viola avec plus de respect. « Tu as des vues sur elle, petit homme ? » répondit Campana. Les tensions s’apaisèrent et Freddi interpella Mimo : « Vous pourriez, vous aussi, contribuer au rayonnement du pays. Ça vous intéresserait de travailler pour nous ? Le Duce sait se montrer généreux avec ses scientifiques et ses artistes. » « - Pourquoi pas ? » répondit Mimo. (365)

Viola vint voir Mimo le lendemain et celui-ci fit des excuses à Campana.

33. Les faisceaux et autres commandes

Luigi Freddi tint sa promesse. En mai 1929, il vint voir Mimo dans son atelier romain avec Stefano pour lui passer commande d’un faisceau de licteur de cinq mètres pour le Palazzo delle Poste. Mimo proposa d’en faire trois de vingt mètres. Après en avoir parlé à qui de droit, Freddi accepta.

Francesco ne fut guère enthousiaste de cette commande. Mgr Pacelli avait été nommé cardinal et les relations entre le Saint-Siège et le régime étaient délicates. Mimo rentra à Rome et mit en place son mode de fonctionnement des années à venir entre Rome et Pietra d’Alba. Mikael était devenu son bras droit. Il mit quatre mois à sculpter les trois faisceaux en modèle réduit d’un mètre et envoya les maquettes à Rome avec des instructions pour les coupes des faisceaux de vingt mètres. Les faisceaux annonçaient une période plus lucrative que les commandes de Francesco.

Mimo voyait Viola régulièrement. Elle disparut quelques mois en 1930 pour un long traitement milanais destiné à stimuler sa fertilité. Elle reprocha à Mimo sa collaboration avec Freddi.

  • « Tant que tu ne travailles plus pour ces salauds après Palerme… (371)
  • Ce ne sont pas tous des salauds, loin de là. Le gouvernement fait des choses très bien.
  • Oui, comme assassiner ceux qui s’opposent à lui. »

En 1929, le régime avait créé l’Académie royale d’Italie et en avait confié la direction en 1930 à Guglielmo Marconi : « Je revendique l’honneur d’avoir été le premier fasciste en radiotélégraphie, le premier à reconnaître l’utilité de réunir en faisceau les rayons électriques, comme Mussolini a reconnu le premier dans le domaine politique la nécessité de réunir en faisceau les énergies saines du pays pour la grandeur de l’Italie ». Mimo avait appris par cœur cette phrase pour la servir à Viola, elle qui adorait la science. « Et si le fascisme était bon pour Marconi, il l’était pour moi, d’autant que Luigi Freddi me souffla que mon nom avait été mentionné comme candidat potentiel, qu’à vingt-six ans j’étais encore trop jeune mais qu’un jour, si je jouais bien mes cartes, on m’inviterait à rejoindre l’Académie royale. Moi, qui était si petit. » Viola expliqua à Mimo qu’il était un imbécile, Marconi un crétin et qu’à eux deux ils faisaient baisser l’intelligence collective de la nation. Mussolini n’avait créé l’Académie royale que pour concurrencer l’Académie des Lynx et ses esprits brillants, selon Viola. Les inondations de Palerme du 21 février 1929 qui noyèrent le Palazzo delle Poste manqueront de provoquer l’effondrement du premier faisceau.

Il y eut d’autres femmes dans la vie de Mimo. Son travail occupait la majeure partie de son temps. Viola le reste. Elle suivait d’autres traitements et paraissait distante. Campana venait de plus en plus souvent passer les fins de semaine avec sa sœur et ses trois neveux, des gamins insupportables, pour inspirer son épouse. Ils finirent par renoncer à avoir un enfant. Selon certains médecins, sa chute l’avait endommagée. Campana devint désagréable. Les faisceaux valurent de nouvelles commandes à Mimo. A son retour de Palerme, les Orsini organisèrent un dîner en l’honneur de Mimo. Le pape s’était réconcilié avec le Duce. Durant le repas, Mimo émit le souhait d’aller à l’opéra. Huit jours plus tard, ils étaient à la Scala. Après le spectacle, au lieu de rentrer, Mimo entraîna Viola dans des bars pendant que Campana était avec sa maîtresse.

Le lendemain, Campana appela les Orsini pour se plaindre de lui. Viola fut malade pendant deux jours. Il traita Mimo de « nain dégénéré » (381), ce que Stefano s’empressa de répéter. Au début 1935, Mimo accepta une série de commandes pour les cinq années suivantes. Le cardinal Pacelli souhaitait offrir une statue à un ami cardinal, un architecte du Palazzo della Civiltà Italiana à Rome lui commanda une dizaine de statues. Il rentra à Pietra d’Alba à la fin du printemps débarrassé de tout souci financier. Il soutint à Viola qu’il ne travaillait pas pour les fascistes. Elle lui parla du problème des Juifs en Allemagne.

34. Séparations, disputes et retrouvailles.

Un matin de juillet 1935, cinq camions arrivèrent à Pietra d’Alba. En moins de trois semaines, un aqueduc traversa les champs de Gambale et une fontaine jaillit sous la supervision de Stefano et des squadristes. En septembre, les orangers et les citronniers reprirent de la vigueur. En arrivant à l’atelier, Mimo trouva l’atelier désert. Anna était partie chez des cousins à gênes, elle comptait trouver un logement près de Savone. Elle reprochait à Alinéa de manquer d’ambition. Mimo se rendit à Gênes pour essayer de lui faire changer d’avis. Il se fit rembarrer : il ne savait rien d’eux et… Vittorio détestait que Mimo l’appelle Alinéa. Mimo rentra décidé à ne plus se mêler des affaires des autres. Le lendemain, Viola refusa la promenade. Mimo lui fixa un rendez-vous. Elle se présenta avec un bleu sur la joue. Ils s’étaient disputés : Viola ne supportait plus qu’il se montrât en public avec ses maîtresses. Campana était reparti à Milan. « Je vais tuer ce salopard » dit Mimo. « - Je suis assez grande pour me défendre. » (390)

  • « Je ne comprends pas comment tu en es arrivée là, mariée à ce crétin. […]
  • J’en suis arrivée là, Mimo, exactement comme toi tu en es arrivé à travailler pour une bande de salauds. Parce qu’il faut bien planter des lampadaires et des orangers.
  • Mais tu pourrais le quitter.
  • Ça ne marche pas comme ça. » (391)

Vittorio les rejoignit. Ils parlèrent tous les trois. « Je suis un dodo, Mimo », un oiseau qui ne vole pas.

Soudain des portes claquèrent : c’était la mère de Mimo.

35. Antonella Vitaliani, Rinaldo Campana

La mère de Mimo refusa de s’installer chez lui. Elle accepta de prendre les rênes de l’atelier de Vittorio. Son second mari était mort usé par les champs. Antonella Vitaliani ou Antoinette Le Goff avait les moyens de subvenir à ses moyens. Ils passèrent quelques semaines à refaire connaissance. Il lui présenta Viola et il partit pour Rome où il arriva début 1936. Le cardinal Pacelli examina son Saint François. Il lui demanda son âge.

Ce soir-là, Mimo but beaucoup. Francesco remarqua qu’il n’allait pas bien. Mimo resta à Rome jusqu’au printemps. Il gagnait beaucoup mais dépensait autant.

Quelques jours avant son retour programmé à Pietra d’Alba, fin avril, on frappa à sa porte à 4h du matin. Francesco lui demandait de venir chez Stefano. Mikael était parti trois mois plus tôt suite à l’attaque de l’Éthiopie par l’Italie. La police était venue s’enquérir de lui à l’atelier après une bagarre.

Mimo se rendit à pied chez Stefano : Campana avait passé la soirée avec une femme rencontrée dans un bar, le jeu avait mal tourné, la femme avait été blessée. Campana s’était enfui mais avait laissé son portefeuille sur place. Mimo suggéra d’appeler la police mais les Orsini voulaient éviter le scandale et Mimo devait donc lui servir d’alibi. « Je ne veux pas être vulgaire, Mimo, mais tu nous dois bien ça », dit Francesco. Francesco apprit alors à Mimo qu’Alberto ne voulait absolument vendre son atelier à Mimo, les Orsini l’ont acheté pour lui. Le lendemain, Mimo dit à la police qu’il avait passé la soirée avec Campana. « J’étais devenu un Orsini. » (408)

I. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

36. Témoignages et plaintes

Témoignage de Nicola S. Florence, 24 juin 1948 : « Je l’ai trouvée belle, donc, mais plus je la regardais, plus je me sentais chose, et j’ai dû sortir respirer. » (409) les autorités religieuses ont recueilli deux cent dix-sept plaintes et presque le double de témoignages après l’ouverture de l’enquête officielle de la congrégation du Saint-Office. L’immense majorité du public défilant devant la Pietà Vitaliani n’y ont vu qu’une statue. Mais on ne peut ignorer les témoignages de six cents personnes qui rapportent toutes les mêmes symptômes : une vive émotion, une forme d’oppression, de la tachycardie, des vertiges, tristesse profonde, proche de la dépression. Le plus troublant dans ces témoignages : un comptable romain dit avoir ressenti une forme d’excitation. Le diocèse de Florence a cru d’abord à un canular d’anciens rivaux. On a pensé à un phénomène d’hystérie collective. Après une quarantaine de plaintes après l’exposition de la Pietà, on l’a déménagée dans les collections du Vatican. Les plaintes ont recommencé, y compris de la part de touristes étrangers. Après quelques mois, l’œuvre a été descendues dans les réserves. On a mandaté des experts. Les résultats ont été compilés par Williams ; les autorités ecclésiastiques ont aussi fait appel à Candido Amantini, exorciste officiel du Vatican.

IX. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

37. Francesco évêque, Cinecittà, Florence

Le 9 septembre 1938, Francesco Orsini fut ordonné évêque de Savone.

Le soir, la famille se réunit dans le salon de l’Hôtel d’Inghilterra. Stefano arriva avec son costume noir des Moschettieri del Duce. A la fin du repas, Viola interpella le serveur, un Allemand : « Vous n’êtes pas juif par hasard ? […] tant mieux. Parce que mon frère ici présent […] est un membre influent du gouvernement. Et ce même gouvernement a signé hier et avant-hier des décrets contre les juifs, et particulièrement les Juifs étrangers, puisqu’ils cumulent deux tares. Voyez-vous, ce même gouvernement nous explique que la race sémite est inférieure à la nôtre. Mais tout va bien, puisque vous n’êtes pas juif. » (416) Stefano, furieux, agrippa Viola. Francesco lui dit de se rasseoir. Mais Viola insistait. « Voyons, ma chérie, tu ne connais rien à la politique » dit Campana. Stefano ajouta que les Italiens n’avaient rien contre les Juifs, d’ailleurs Margherita Sarfatti, l’ancienne maîtresse du Duce était juive. Viola les accusa de mentir puis la conversation porta sur les Etats-Unis. Viola voulait y aller avec Mimo. Avant de partir, Viola donna à Mimo les journaux qui parlaient des lois contre les Juifs.

Deux jours plus tard, alors qu’ils pensaient partir pour les Etats-Unis, une voiture les conduisit … aux studios de cinéma de Cinecittà où ils retrouvèrent Campana et Freddi. Viola ne décolérait pas. De retour à Rome, Viola dîna avec sa famille et Mimo avec sa princesse serbe. Mais dans la soirée, Viola vint frapper à la porte de Mimo : elle partirait le lendemain aux États-Unis, seule. Mimo décida de partir avec elle.

Ils prirent le train le lendemain matin, direction Florence, après un changement à Pise. Ils descendirent à l’Hôtel Baglioni puis retrouvèrent Metti et allèrent voir L’annonciation de Fra Angelico. Viola le remercia.

Ils rentrèrent à l’hôtel et Mimo ressortit pour rechercher le cirque Bizzaro. Mais il n’osa pas s’approcher. A 3h du matin, Viola vint dans la chambre de Mimo et s’allongea à côté de lui.

  • « Tu m’as trahie, n’est-ce pas ? […] Quand rentrons-nous à Pietra d’Alba ? reprit Viola
  • Demain. » (436)

Ils attendirent l’aube avant de rentrer à Pietra d’Alba.

          J. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

38. Candido Amantini, l’exorciste et les experts

Perdo Vincenzo se souvient de Candido Amantini, le premier homme appelé par la congrégation du Saint-Office. Il s’était enfermé pendant douze heures avec la statue et avait conclu qu’elle n’était pas possédée. Mais elle était dangereuse. Si quelqu’un peut approcher le divin alors à quoi sert l’Église ? « Le Pietà, d’un point de vue artistique, est une œuvre majeure. D’un point de vue théologique, elle constitue une inexplicable hérésie » (438). Il avait recommandé que la statue ne soit plus montrée. Williams a mis sur une note : l’Inquisition avait fait comparaître Véronèse en 1573 pour avoir peint des nains dans Cena in casa di Simone. « Presque quatre cents ans plus tard, cette même Inquisition reprochera donc à un nain d’être trop divin. » (439)

Les experts, les scientifiques et les historiens avaient débarqué, la statue avait été passée aux rayons x, sans résultat. Et Williams avait avancé sa théorie. Il était mort en 1981.

X. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

39. Pie XII, journaux, Paris, Brancusi

Le 10 février 1939, Pie XI mourut d’une crise cardiaque. Des rumeurs coururent sur un empoisonnement, le médecin du pape était le père de Clara Petacci, la dernière maîtresse du Duce. Le 2 mars 1939, Eugenio Pacelli devint pape sous le nom de Pie XII.

Mimo s’était remis au travail. Viola ne lui adressait plus la parole depuis l’épisode de Florence. Elle lui faisait néanmoins passer des coupures de journaux faisant état des persécutions contre les Juifs. Francesco était devenu le secrétaire de Pie XII. On parlait de nouvelles expérimentations scientifiques pour la fertilité de Viola.

En 1940, alors que la guerre avait recommencé, un fonctionnaire apporta une commande à Mimo, une statue de L’Homme nouveau pour la place centrale de Predappio, ville natale du Duce. Mimo commença une esquisse. « Je ne veux pas que tu fasses cette sculpture » dit Viola. « Va au diable, Viola » (446).

Mimo partit pour la France où il était invité à l’ambassade d’Italie dans un Paris occupé. Il s’attendait à rencontrer Elsa Schiaparelli, on lui présenta Brancusi avec lequel il noua une amitié. Il resta un mois à Paris. Un matin, un soldat allemand lui demanda s’il était Toulouse-Lautrec. Il ne démentit pas et lui donna un autographe à ce nom. A son retour, au début 1941, on lui apprit que Viola avait disparu.

40. Viola disparue et retrouvée, le coup de couteau

Quelques jours plus tôt, Campana était venu de Milan avec sa sœur et ses trois neveux. Ils avaient l’intention d’aller à Gênes et comme Viola ne voulait pas y aller, ils avaient décidé de lui laisser les enfants. Mais à leur retour, ils les retrouvèrent seuls. Viola avait disparu depuis deux jours quand Mimo revint. On la chercha partout.

C’est à ce moment-là que Mimo pensa au chêne des Pendus. Elle était là, près du cadavre de Bianca dont elle avait entendu l’appel. Personne ne devait savoir.

  • « C’est ridicule tout ça.
  • Qu’est-ce qui est ridicule, Mimo ?
  • Toi, moi. Notre amitié. Un jour on s’aime, le lendemain on se déteste… Nous sommes deux aimants. Plus nous nous approchons, plus nous nous repoussons.
  • Nous ne sommes pas des aimants. Nous sommes une symphonie. Et même la musique a besoin de silences. » (458)

Mimo accepta d’enterrer l’ourse. Viola resta trois jours au lit. Mimo fut incapable de sculpter pendant le reste de la semaine. Le samedi suivant, Campana revint de Milan et les Orsini de Rome. Mimo fut invité à dîner.

Au fromage, Campana déclencha les hostilités en insultant Viola : « elle est cinglée », « elle ne peut avoir d’enfant, probablement parce qu’elle a sauté du toit » (460) … « Madame écrit des poèmes maintenant ». Campana commença à lire le texte que Viola avait écrit à l’âge de seize ans. Elle le supplia d’arrêter mais comme il continuait, elle s’empara du couteau à fromage et le planta de toutes ses forces dans son mari.

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14 décembre 2023 4 14 /12 /décembre /2023 11:40

VEILLER SUR ELLE de Jean-Baptiste Andrea, L’iconoclaste, 2023. (suite)

La Pietà de Michel-Ange, 1499, Basilique Saint-Pierre (Vatican)

41. L’annulation du mariage de Viola, le couvent

 Campana avait été touché à l’épaule, sa blessure n’était pas mortelle. Francesco fit appeler un médecin qui donna un calmant à Viola. « Cette fois, j’en ai soupé. C’est allé trop loin. Cette folle stérile doit aller en taule. Ou à l’asile. » dit Campana. Stefano s’énerva et Francesco le calma : « Nous n’avons jamais cru que vous serez Roméo et Juliette, certes, mais il est temps que vos chemins se séparent ». (467) Campana blêmit. Il espérait devenir l’héritier des Orsini, il se vantait d’être bien avec le pape et le Duce et pour lui, il n’était pas question d’envisager une séparation.

- « Il n’y aura pas de divorce, vous m’entendez. Pas avec ce que j’ai investi dans cette famille. Où seraient vos agrumes, vos foutus champs, vos précieuses oranges, sans moi ?

- Il n’y aura pas de divorce, confirma Francesco. Mais une annulation. Viola avait encore des séquelles psychologiques dues à sa chute lorsqu’elle a accepté de t’épouser. En conséquence de quoi elle n’était pas en état de le faire. Le mariage est invalide, l’annulation sera arrangée en haut lieu. Tu n’auras à t’occuper de rien. Viola ira en maison de repos quelques mois, pour les apparences. » (469)

Mimo s’insurgea. Francesco lui assura que Viola était d’accord et qu’elle irait dans une maison de sœurs en Toscane. Campana manifesta son mécontentement. Alors Francesco lui rappela l’épisode de la femme blessée.

- « Vous êtes une sacrée bande de salopards, lâcha-t-il. […]

- Non. Nous sommes les Orsini. » (471)

L’annulation du mariage fut réglée en un temps record. Ils n’entendirent plus jamais parler de Campana. Mimo accompagna Viola au couvent au printemps 1941. La mère supérieure leur fit visiter les chambres et parla de douches glacées et de nuits de prières. Mimo monta chercher Viola et informa la mère supérieure qu’ils ne resteraient pas. Francesco fit des reproches à Mimo.

Mimo vit peu Viola pendant les deux années suivantes. Celle-ci changea, soigna son apparence et accompagna sa mère dans ses soirées amicales. L’année 1941 avançait. L’Exposition universelle n’aurait pas lieu. Le Palazzo della Civiltà Italiana n’ouvrit jamais. Mimo se retrouva avec dix statues sur les bras. Il dut renvoyer la moitié de son personnel et mettre les bouchées doubles pour honorer ses commandes. Il parvint à stabiliser sa situation financière. Il eut un nouveau client : un ancien prêtre qui avait fait fortune dans l’aviation. Il voulut se faire construire un mausolée dans le Cimitero Monumentale di Staglieno à Gênes. Il s’écrasa quelques mois plus tard dans la Méditerranée. Heureusement, l’aviateur avait payé d’avance. Mimo avait l’impression qu’on le suivait.

42. L’Académie royale d’Italie, Sarah prisonnière

La mère de Mimo était malade. Vittorio s’occupa d’elle. Anna et Vittorio étaient officiellement séparés depuis l’année précédente.

Mimo fut invité au réveillon. Viola tenait son rôle de marquise à merveille. Stefano remit une enveloppe à Mimo : une invitation à une soirée de l’Académie royale d’Italie le 23 mars 1943. Un décret du 21 décembre admettait Mimo en tant que membre plénipotentiaire de l’académie royale sur recommandation du ministre de la Culture populaire. On déboucha le champagne. Une fois les invités partis, Mimo se retrouva seul avec Viola. Ils parlèrent de cette promotion que Mimo estimait mériter.

La mère de Mimo se remit. Il repartit vers Rome après une semaine. La sensation d’être suivi revint. Il en parla à Stefano. Mimo organisa une soirée à l’Hôtel de Russie en son honneur avec plusieurs cardinaux, la princesse serbe Kara- Petrović, Stefano avec quelques amis plus ou moins recommandables, Luigi avec une jeune actrice. Le concierge vint avertir Mimo que la sécurité avait intercepté un individu qui tentait de s’introduire.

Rentré chez lui, Mimo fut surpris par Bizzaro qui l’avait suivi depuis plusieurs jours pour voir qui il fréquentait. Bizzaro avait besoin de son aide… pour sa sœur Sarah. Première surprise : Mimo ne savait pas que Sarah était sa sœur. Sarah avait été arrêtée et transférée au camp Ferramonti di Tarsia où elle était depuis six mois. Deuxième surprise : ils étaient juifs Bizzaro révéla son vrai nom Isaac Saltiel, né près de Tolède. Bizzaro voulait que Mimo fasse libérer Sarah. « Je suis le Juif errant, j’ai deux mille ans » dit Bizzaro. (496)

43. Libération de Sarah

Mimo alla voir Stefano. Le 3 mars 1942, descendit du train de Naples en gare de Rome-Prenestina. Mimo et Bizzaro l’attendaient sur le quai. Bizzaro prit sa valise et ils embarquèrent dans un autre train.

44. Le scandale à l’Académie royale

Deux semaines plus tard, la foule des grands soirs se pressait à la villa Farnesina, siège de l’Académie royale d’Italie. Les frères Orsini, Luigi Freddi étaient là. Pas Viola. Au cocktail, Mimo croisa Neri qui était devenu prospère. Mimo lui rappela qu’il lui devait de l’argent et le força à rembourser ses dettes. Le dîner fut servi. Mimo vit Bartolomeo Pagano. Il se rendit aux toilettes pour répéter son discours. Le président de l’Assemblée saluait les personnalités. Mimo commença son discours en rendant hommage à Pagano et à son père. Puis soudain, il osa : « Et c’est justement avec un message des Orsini, et de moi-même bien sûr, que je conclurai, en empruntant les mots d’un ami : « Ikh darf ayer medalye af kapores… in ayer tatns tatn arayn ! » Pardonnez la prononciation, c’est du yiddish. Littéralement : « Cette médaille, placez-la dans le père de votre père. » Ou en italien plus moderne, mais moins poétique : « Vous pouvez prendre votre médaille, et vous la fourrer dans le cul. » » Un tonnerre de protestations et de sifflets se fit entendre. « Mimo Vitaliani et les Orsini vous saluent bien, chers amis ! […] Jamais plus nous ne travaillerons pour ce régime d’assassins ! » (507) Mimo et Stefano furent arrêtés.

45. Mimo et Stefani prisonniers

L’idée venait de Viola. Si Mimo voulait se racheter, il devait agir. De tous les grands coups politiques de l’Histoire, celui de Viola avait été le plus génial. Elle dévorait tous les journaux et avait expliqué à Mimo que les Alliés débarqueraient bientôt en Italie. Il ne serait pas bon, à ce moment-là, d’être fasciste. Elle avait tenté de l’expliquer à Stefano. Viola avait demandé à Mimo de s’exprimer au nom des Orsini. En février 1943, l’invasion de la Sicile commença. Toute l’Italie du Sud fut bientôt occupée. Mussolini fut destitué, emprisonné et libéré par les Allemands qui envahirent le pays jusqu’à Rome. Le pays fut divisé en trois. Stefano et Mimo furent incarcérés à Regina Coeli et les Orsini assignés à résidence par les Allemands. Francesco faisait le dos rond. Les Gambale réapparurent et détruisirent l’aqueduc. Stefano fut libéré trois mois plus tard. Il rentra à Pietra d’Alba, auréolé d’une réputation d’antifasciste farouche.

On fit de Mimo un exemple. Il redevint le Francese, un agent de l’étranger. Ses sculptures furent détruites, démontées ou vendues, ses ateliers vidés ou saccagés. Heureusement, il avait payé six mois de salaire à ses employés et mis en lieu sûr des blocs de marbre. Dans sa prison, il était protégé à distance par Francesco. Il échappa ainsi aux massacres des Fosses ardéatines organisés par Pietro Caruso, chef de la police. Après l’invasion allemande, les camps se durcissaient : la Risiera di San Sabba ou le Stalag 39 à Trieste n’avaient rien à envier aux camps de Pologne. Mimo reçut la visite de Pankratius Pfeiffer, « l’Ange de Rome » qui sauva de nombreux Juifs. Pie XII fut accusé de ne pas avoir assez pris la défense des Juifs. Il œuvra pourtant à sauver le plus de victimes possibles.

          K. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

46. La Pietà Vitaliani transportée à la Sacra

La Pietà Vitaliani fut transportée à la Sacra dans les six derniers mois de 1951, emballée dans trois caisses. C’est une des rares œuvres de Vitaliani à avoir survécu. Les portes du souterrain se refermèrent sur l’œuvre. Son histoire s’arrête là. Padre Vincenzo range les derniers documents, les replace dans l’armoire. Il remet la clé autour de son cou. Il éteint la lumière. Les frères veillent sur Mimo. Il partira quand il voudra.

XI. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

47. Mimo libéré, Viola candidate aux élections

Mimo fut officiellement libéré fin avril 1945. Il sortit en fait un mois plus tard. Mussolini avait été arrêté, exécuté et pendu sans une station-service de Milan. Francesco attendait Mimo devant la prison. Il était devenu cardinal. Il hébergea Mimo dans des appartements du Vatican. Il avait perdu quinze kilos. L’épuration antifasciste allait bon train. Des élections furent fixées au 2 juin 1946 : une assemblée reprendrait les rênes. Les Italiens seraient appelés à choisir entre le régime monarchique et la république. Mimo incarnait maintenant l’antifascisme : on lui demandait son avis. Il n’avait plus envie de sculpter. Il rentra à Pietra d’Alba où il arriva en mars 1946. Vittorio l’accueillit. Sa mère était toujours vaillante à soixante-treize ans. Il vit la lumière rouge.

Et trouva un mot dans la souche : « Je t’attends ». Il retrouva Viola et ils s’allongèrent sur la tombe de Tommaso Baldi. Elle le mit au courant des derniers événements. Les routes n’étaient pas sûres. Des partisans autoproclamés traquaient les fascistes, pillaient, rançonnaient. Les Gambale s’étaient acoquinés avec ces gens. Stefano faisait le coup de poing.

Le lendemain matin, Mimo rencontra Zozo qu’il n’avait pas vu depuis cinq ans. Il aidait désormais son père à l’atelier. Le soir, il rendit une visite de courtoisie aux Orsini. L’un des fils Gambale comptait se présenter aux élections. C’est alors que Viola créa la surprise : « Je me présente aux élections constituantes. Si je suis élue, je serai votre représentante à l’Assemblée » (528) Stefano s’étrangla. La marquise accusa sa fille d’avoir perdu la tête.

Le lendemain, Mimo et Stefano étaient sur les routes conduits par Zozo. Viola était sûre de sa victoire. Enfin quelqu’un parlait aux gens de leur vie. Le fils Gambale s’énervait et les coups bas se multipliaient. Un autre jour, en campagne dans un village, Viola prit le parti d’un homme qui refusait qu’une autoroute traversât son champ.

48. L’attentat contre Emmanuele, fissure dans l’église

En rentrant de Gênes où la candidature de Viola, ils entendirent des cris : des partisans qui avaient vu Emmanuele avec son uniforme l’avaient pris pour un fasciste et l’avaient pendu à un chêne. Heureusement, il survécut. Le village organisa une battue et se fit justice au grand dam de Dom Anselmo. Pendant la messe, un craquement se fit entendre : la coupole de San Pietro delle Lacrime venait de se fissurer. Une pierre tomba sur la pietà. Pour Dom Anselmo, dieu avait envoyé un signe, l’heure d’expier était arrivée.

La nouvelle se propagea. Des journalistes débarquèrent de Gênes, de Milan et de Rome. Le cardinal Francesco Orsini appela à la réconciliation et proposa l’aide du Vatican pour les réparations. Mimo serait chargé de sculpter la nouvelle pietà.

Milo arriva à Florence deux jours plus tard par le train de 17h56. Meri était venu l’attendre à la gare, il avait gardé le bloc de marbre. Mais Mimo était devenu aveugle. Il demanderait à Jacopo de s’en charger. Il annonça la nouvelle à Francesco. Il ne dit rien de sa cécité à Viola.

49.Réconciliation sur le dos de Viola

Depuis la fissure de la coupole, le marquis n’était plus le même. Viola avait changé, elle ne parlait plus. Anna et Vittorio ont pris l’habitude de se revoir à Gênes. La mère de Mimo et Emmanuele partirent avec eux. Une voiture s’arrêta près de Mimo pour le conduire chez les Orsini. Les familles Orsini et Gambale s’étaient réconciliées. Les Gambale cédaient les terres qui séparaient les champs du lac. L’aqueduc serait reconstruit. En échange Viola devait se retirer des élections au profit d’Orazio Gambale. Viola n’était pas d’accord mais Francesco soutenait ce compromis : « Campana avait raison, au fond. Vous êtes vraiment une sacrée bande de salopards. [….] Je ne sculpterai pas votre pietà. Trouvez-vous quelqu’un d’autre. » (556)

Mimo monta voir Viola :

  • « Bon sang, tu ne peux pas être normale ? Juste normale, une fois dans ta vie ? […] Je suis désolé. Je ne voulais pas dire ça.
  • Non, Mimo, c’est vrai. Toute ma vie, j’ai eu besoin de toi pour être normale. Tu es mon centre de gravité, raison pour laquelle tu n’es pas toujours drôle. Mais il y a en moi une anormalité que même toi, tu ne soigneras jamais : c’est que je suis une femme et que je n’en ai rien à faire. » (558)

Personne, disait-elle, ne pouvait rien faire pour elle. Sa chute avait duré vingt-six ans. Elle lui donna une enveloppe à ouvrir s’il lui arrivait quelque chose.

Mimo partit avec Zozo en direction du Nord. Il ne put résister à la tentation d’ouvrir la lettre : « Je sais qu’à chaque fois que tu m’as trahie, à Florence, ce soir encore en me demandant de renoncer puis en ouvrant cette lettre, tu l’as toujours fait par amour. Je ne t’en ai jamais voulu. » (561)

Mimo avertit Zozo. Il rentrerait le lendemain. Soudain, ils entendirent une déflagration. On était le 1er juin 1946.

L. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

50. Échelle de Mercalli

Échelle mesurant l’intensité des séismes.

XII. Retour au récit analeptique (reprise de l’autobiographie chronologique prise en charge par Michelangelo Vitaliani dit « Mimo »)

51. Le séisme du 1er juin 1946 et la destruction de Pietra d’Alba

Le 1er juin 1946, à 3h42, un séisme de degré XI sur l’échelle de Mercalli frappa Pietra d’Alba et sa région. Il n’ y eut pas de victimes à l’auberge où étaient Mimo et Zozo. A 5h, ils repartirent vers Pietra d’Alba où ils arrivèrent au coucher du soleil. Il n’y avait plus de village, juste un bout d’église. La moitié de la maison mitoyenne de l’atelier était tombée. La villa Orsini n’existait plus. Viola fut trouvée la première avant midi le lendemain. Stefano et sa mère furent extraits des décombres en fin de journée avec Silvio et les employés de la villa. Le marquis ne fut jamais retrouvé. Zozo et Mimo descendirent à gênes où ils furent accueillis par Vittorio, et Anna. Après avoir été gardé en observation, Mimo repartit à la gare. Filippo Metti fut surpris de le voir. Il se mit à sculpter sa pietà.

52. Bilan du séisme

Le séisme avait fait 472 victimes, quasiment toute la population de Pietra d’Alba. La famille Orsini avait été décimée, sauf Francesco qui était reparti à Rome. La fissure du dôme avait été un signe avant-coureur de la catastrophe. Un scientifique avait écrit au maire pour le mettre en garde. Le courrier était peut-être dans la sacoche volée d’Emmanuele ? Le cimetière fut le seul site épargné. Orazio Gambale fut élu aux élections. Le projet d’autoroute fut abandonné. Le 2 juin, on vota pour la république. Umberto II partit en exil.

Mimo ne quitta pas Florence pendant plus d’un an. Il finit la statue un jour d’hiver 1947. A un apprenti, il dit : « Sculpter c’est très simple. C’est juste enlever des couches d’histoire, d’anecdotes, celles qui sont inutiles, jusqu’à atteindre l’histoire qui nous concerne tous, toi et moi cette ville et le pays entier, l’histoire qu’on ne peut plus réduire sans l’endommager. Et c’est là qu’il faut arrêter de frapper. » (574)

La Pietà de Mimo fut exposée à Florence, dans le Duomo. Francesco prononça un discours. Au début tout alla bien. Puis, les premières réactions arrivèrent. La statue fut déplacée au Vatican qui étouffa l’affaire. On accorda à Mimo la faveur de vivre auprès d’elle à la Sacra où ils la cachaient. Milo y a passé les quarante dernières années de sa vie. Sa mère mourut en 1971 à 98 ans. Vittorio et Anna vivaient dans la région de Gênes, en compagnie d’Emmanuele. Le scandale provoqué par la Pietà ne rendit pas service à Francesco qui échoua à devenir pape.

A l’exception de Metti, personne n’avait compris Mimo. Williams s’était approché de la vérité : « affirmant que j’avais connu Marie. Ce qui est vrai. Mais comme les autres, il était victime du plus beau tour que m’avait appris Viola quand elle était changée en ourse. » Marie n’était pas Viola, il s’était plutôt servi d’Anna, mais il avait sculpté le Christ tel qu’il avait vu Viola dans les décombres. C’est une femme qui gisait là. Certains spectateurs ne l’acceptèrent pas. « Vous m’aviez commandé une pietà, pour vous réconcilier. La Vierge pleure le corps meurtri du Christ. Mais voilà : si le Christ est souffrance, alors ne vous en déplaise, le Christ est une femme. » (577)

53. Le passage

Mimo se demandait comment se passerait le passage. Il avait aimé sa vie, sa vie de lâche, de traître et d’artiste.

M. Retour au récit cadre pris en charge par un narrateur extérieur

54. La mort de Vitaliani

Vincenzo tient la main de Michelangelo Vitaliani. L’étreinte se relâche. Plus tard, Vincenzo reviendra voir encore la Pietà.

 

2. Critique.

Veiller sur elle est un roman stendhalien. L’Italie, l’amour, les arts, sont les thèmes principaux des romans et des œuvres critiques et autobiographiques de Stendhal, notamment la Chartreuse de Parme. Comme Henri Beyle, Michelangelo Vitaliani a quitté la France pour (re)venir en Italie. :« Je viens d’une terre où la beauté est toujours aux abois. » (14) Comme Jean-Baptiste Andrea, dont la grand-mère était italienne, qui avoue que « le spectacle du beau est une immense source d’inspiration et le beau je l’ai appris en Italie », lui. Dans la Grande Librairie, il précise sa pensée : « J’ai eu envie de me reconnecter avec l’Italie et d’y vivre. C’est en Italie que j’ai été sensibilisé à l’art quand j’étais enfant, quand j’étais adolescent. Je crois que c’est là que j’ai découvert le beau. J’ai découvert une dimension supérieure du monde que je ne connaissais pas. J’ai découvert quelque chose de surhumain, quelque chose qui me connectait à plus grand que moi qui était l’art, l’art de la Renaissance notamment puisque la première ville que j’ai explorée, que j’ai découverte en Italie était Florence ».  « La beauté n’est que la promesse du bonheur » écrivait déjà Stendhal dans De l’amour. Fabrice del Dongo fait un aller-retour en France et finit cloîtré dans la chartreuse de Parme, comme Mimo, qui reste enfermé pendant quarante ans dans la Sacra di San Michele, sur le mont Pirchiriano, au terme d’un amour impossible pour Clélia Conti, la fille de son geôlier. Fabrice était le fils d’une marquise amoureuse d’un officier français. Le marquis s’est rallié aux Autrichiens. Viola est la fille d’une marquise, son frère Stefano fréquente d’un peu trop près les fascistes en chemises noires de Mussolini. Clelia Conti- Viola Orsini, il y a presque une proximité homonymique entre les deux femmes. Viola n’aura pas d’enfant, Sandrino, le fils de Clelia meurt très jeune. Entre le prisonnier de la forteresse et la fille du gouverneur de la forteresse, entre l’ouvrier sculpteur nain et la fille du marquis Orsini, aucun amour possible évidemment.

Quête du bonheur et amour passionné de l’art se retrouvent bien sûr dans le fameux « syndrome de Stendhal » : « J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur [...] la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber ». (Rome, Naples et Florence) Les experts du Vatican ne s’y sont pas trompés dans leur enquête : « Six cents personnes de plus, qui rapportent toutes les mêmes symptômes. D’abord une vive émotion, une forme d’oppression. Tachycardie, vertiges, des témoins affirment « avoir rêvé d’elle », d’autres avoir été atteints d’une tristesse profonde, proche de la dépression. Le plus troublant, parmi ces témoignages […] est de lire entre ces lignes qu’un seul témoin, un comptable romain, ose formuler à voix haute. Il affirme avoir ressenti une forme étrange d’excitation. » (410) La fin du roman nous apprend d’ailleurs le scandale de la Pietà : pour sculpter le Christ douloureux dans les bras de sa mère, Mimo s’est inspiré du cadavre de Viola gisant dans les ruines de la villa Orsini après le tremblement de terre du 1er juin 1946. Ne peut-on pas d’ailleurs voir un autre clin d’œil à Stendhal dans les chemises noires de Stefano et le rouge cardinalice de Francesco, ces deux figures de l’ambition.

Le roman est donc très stendhalien, mais il rappelle aussi par son personnage principal le célèbre Tambour de Günter Grass, publié en 1959. Oscar Matzerath est un homme qui a décidé de cesser de grandir et qui est doté d’un don particulier : il a le talent de pousser un cri strident de haute fréquence qui casse le verre alentour. Mimo Vitaliani est atteint d’achondroplasie depuis la naissance et malgré sa petite taille, il a la capacité de faire éclater, c’est-à-dire de sculpter le marbre. Dans le roman de Grass, Oscar est engagé par le nain Bebra dans une troupe de nains lilliputiens déguisés en officiers allemands. Ils doivent réjouir, lors de leurs représentations, les soldats et les officiers nazis, jusqu’à Paris. Oscar en devient l’attraction exceptionnelle, on le surnomme « Oscar le vitricide ». Dans Veiller sur elle, Mimo est engagé par Alfonso Bizzaro pour jouer dans le spectacle La Création qui met en scène un combat entre les hommes et les dinosaures.  Mimo fait ainsi le portrait de Bizzaro lors de leur première rencontre : « C’était un homme d’une cinquantaine d’années, dont la barbe grisâtre et rare couvrait mal de cicatrices d’acné. Mais surtout il était comme moi. Un dieu farceur avait posé un doigt sur lui, à sa naissance, pour l’empêcher de grandir » (214).  Sarah, la sœur de Bizzaro offre à Mimo sa première expérience sexuelle comme Maria le fait pour Oscar dans Le Tambour. Oscar traverse l’Allemagne nazie comme Mimo traverse l’Italie fasciste : le scandale de l’Académie royale d’Italie ressemble aux éclats d’Oscar. Tous les deux sont confrontés à l’antisémitisme.

Mimo, Viola et Campana nous font également penser à Quasimodo, Esméralda et Frollo, les personnages de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Quasimodo est un être difforme, bossu, borgne et sourd. Secrètement amoureux d’Esméralda, il la protège contre ses ennemis, notamment le concupiscent Frollo. Nain et provisoirement aveugle, Mimo défend Viola contre la brutalité de Campana. Esméralda est accusée de sorcellerie, Viola est considérée comme folle. Esméralda et sa chèvre Djali, Viola et son ourse Bianca. Hugo toujours. A la scène 2 de l’acte II de Ruy Blas, le héros éponyme, simple valet écrit à la Reine d’Espagne :

« Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là

Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;

Qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ;

Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ;

Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. »

 

Mais est-ce de l’amour qui unit Mimo et Viola ?  Viola répond plusieurs fois à la question :

    • « C’est ridicule tout ça.
    • Qu’est-ce qui est ridicule, Mimo ?
    • Toi, moi. Notre amitié. Un jour on s’aime, le lendemain on se déteste… Nous sommes deux aimants. Plus nous nous approchons, plus nous nous repoussons.
    • Nous ne sommes pas des aimants. Nous sommes une symphonie. Et même la musique a besoin de silences. » (458)

Ce n’est certainement pas le désir, l’attraction physique qui poussent Vittorio et Anna l’un vers l’autre comme Viola l’analysait déjà quand ils avaient seize ans, en 1920 : « Viola… Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi… Je t’aime beaucoup. » (184) « Nous sommes jumeaux cosmiques. Ce que nous avons est unique, pourquoi le compliquer ? Je n’ai pas le moindre intérêt pour les choses auxquelles mène normalement cette conversation. Tu as vu l’air crétin de Vittorio quand Anna entre dans la pièce ? Tu as vu les yeux qu’il ouvre quand elle tire sur les lacets de son décolleté ? La chose doit être agréable bien sûr, pour abêtir à ce point. (184) mais je ne veux pas devenir bête, justement. J’ai des choses à faire. Toi aussi. Un grand destin nous attend. » Le pacte qui les unit est plus un pacte de gémellité géniale qu’un pacte d’amants. Leur serment est plus haut que les contingences sentimentales et physiques :

« - Mimo Vitaliani, jurez-vous devant Dieu, s’il existe, d’aider Viola Orsini à voler, et de ne jamais la laisser tomber ?

- Je le jure.

- Et moi, Viola Orsini, je jure d’aider Mimo Vitaliani à devenir le plus grand sculpteur du monde, à l’égal du Michelangelo dont il porte le nom, et de ne jamais le laisser tomber. » (138)

Dans le roman d’ailleurs, les amours humaines sont marquées par la fragilité et la stérilité. Le mariage entre Viola et Campana est annulé après s’être heurté à l’impossibilité d’avoir un enfant. Vittorio et Anna se séparent. La marquise a un amant, Campana de nombreuses maîtresses et le corps de Mimo exulte, selon la formule de Brel, dans les bras de femmes de passage.

Sébastien Dubos l’écrit dans La Dépêche du 22 octobre : « Entre Mimo l’héroïque et Viola la superbe, les sentiments se transcendent dans quelque chose qui touche au sacré ! » Comme le prouve la révélation finale de la Pietà où le Christ est explicitement identifié à Viola, ces deux personnages ne sont pas totalement humains.  Viola est une Icare qui veut voler. Mimo ressemble à Pygmalion. Dans la mythologie, ce descendant d’Athéna et d’Héphaïstos est sculpteur à Chypre. Révolté contre le mariage à cause de la conduite répréhensible des Propétides (femmes de Chypre), il se voue au célibat. Il tombe cependant amoureux de Galatée, une statue d’ivoire, ouvrage de son ciseau. Obtenant d’Aphrodite qu’elle donne vie à la statue, il l’épouse en présence de la déesse.  La vérité est que Viola fait peur dans un monde d’hommes misogynes et phallocrates. Les Erzenberg ne veulent pas qu’Ernest épouse une cinglée qui saute du toit, Alinéa a peur de cette sorcière dont on dit qu’elle se change en ourse. « Elle est cinglée » dit encore Rinaldo Campana (460), « cette folle stérile doit aller en taule. Ou à l’asile » (467). La famille essaie d’ailleurs de la faire soigner, non seulement pour sa stérilité mais pour son « anormalité ». Mimo lui-même en convient :

    • « Bon sang, tu ne peux pas être normale ? Juste normale, une fois dans ta vie ? […] Je suis désolé. Je ne voulais pas dire ça.
    • Non, Mimo, c’est vrai. Toute ma vie, j’ai eu besoin de toi pour être normale. Tu es mon centre de gravité, raison pour laquelle tu n’es pas toujours drôle. Mais il y a en moi une anormalité que même toi, tu ne soigneras jamais : c’est que je suis une femme et que je n’en ai rien à faire. » (558)

Viola revendique sa féminité dans un monde où selon ses frères une femme ne connaît rien à la politique. Mais elle est plus encore : hypermnésique, intelligente, lucide, passionnée, sensible, visionnaire, sensible elle est celle qui sauve l’ourse Bianca et qui comprend le génie de Mimo. A sa façon, elle est comme lui un monstre, c’est-à-dire, un être différent, supérieur à la normale. Elle est la muse de Mimo mais aussi sa déesse : « Il n’y a pas de Mimo Vitaliani sans Viola Orsini. Mais il y a Viola Orsini, sans besoin de personne. » (121) Si l’amour est un lien divin de deux êtres faits l’un pour l’autre et qui les transcendent, alors c’est bien de l’amour qui unit Viola et Mimo.

Veiller sur elle. Le titre n’est-il pas une fausse piste ? On pense spontanément à Mimo qui veillerait sur Viola quand elle s’écrase avec son aile volante, quand elle subit les violences de son mari, quand sa famille veut l’envoyer dans un couvent qui ressemble à un hôpital psychiatrique. Certes. Mais on vient de le prouver, « Viola n’a besoin de personne ». Et c’est plutôt elle qui veille sur Mimo et qui l’élève, fait de lui un géant. L’explication est donnée dès le début du roman, au premier chapitre : « Il est là pour veiller sur elle. Elle qui attend, dans sa nuit de marbre, à quelques centaines de mètres de la petite cellule. Elle qui patiente depuis quarante ans. Tous les moines de la Sacra l’ont vue une fois. Tous aimeraient la revoir. » (10) C’est Padre Vincenzo qui veille sur la Pietà qui est enfermée dans l’abbaye. Mais c’est aussi Mimo qui veille sur elle puisqu’il est enfermé dans cette même abbaye. Les hommes veillent sur la statue mais la statue veille aussi sur eux.

 

Pris dans l’étau de deux temporalités et de ceux narrativités entremêlées, ce roman nous propose une vision stéréoscopique du destin de Michelangelo Vitaliani et Viola Orsini. Déroulant l’autobiographie à la première personne dans son déroulement chronologie (texte en noir), le premier récit, à la première personne, nous introduit dans l’intimité de Mimo sur le mode rétrospectif. Le second texte (en bleu dans notre résumé) part de la fin, l’agonie de Vitaliani dans une cellule de l’abbaye et impose d’emblée le glacis du mystère, du tabou, du scandale, de l’hérésie, de la déflagration sur l’ensemble du roman comme une irradiation radioactive ou comme les ondes de choc d’un séisme. Le Professeur Williams, historien et Padre Vincenzo, gardien du temple, voire Candido Amantini, l’exorciste du Vatican, sont ainsi les doubles de Jean-Baptiste Andrea. Ainsi la Pietà Vitaliani devient-elle présente dès le début du roman alors qu’elle n’est sculptée qu’à la fin. Et le lecteur assiste patiemment à la longue gestation de cette œuvre. Et ce n’est pas la moindre qualité de cette œuvre que d’éclairer ces vies d’une lumière sacrée venue du fond du mystère d’un couvent.

Reste une question que les historiens trancheront. Au chapitre 45, le narrateur (Mimo) dédouane le pape Pie XII de toute responsabilité pendant la période de la Seconde Guerre mondiale : « On accusa plus tard Pie XII de ne pas avoir pris la défense des Juifs, trop attaché à la neutralité du Vatican, mais je vécus au milieu de ces drames, pas loin du Saint-Siège, et j’avance que Pacelli œuvra activement, en coulisses, à sauver le plus de victimes possibles. Peu de pape auraient offert leur propre chambre à Castel Gandolfo à des réfugiés juifs. Mais justement, Pacelli n’en parla jamais. » (514) Plus largement, il peut paraître étrange ou pour le moins léger de considérer la façon dont Stefano et dans une moindre mesure Mimo sont lavés aussi facilement de tout soupçon de sympathie ou de proximité avec le régime de Mussolini. « Stefano fut libéré trois mois plus tard à peine. Il rentra à Pietra d’Alba, auréolé à point nommé d’une réputation d’antifascisme farouche. » (511) Le roman présente pourtant un Stefano Orsini très zélé à suivre les théories et les méthodes des chemises brunes dès l’après-guerre. Il fait venir à Pietra d’Alba l’un des premiers squadre d’azione pour mater les révoltes. Il travaille ensuite à la Sécurité publique, pour Cesare Mori, préfet chargé par Mussolini d’éradiquer la mafia et gravit les échelons du gouvernement entre 1926 et 1928. C’est autour de lui que gravitent des individus come Luigi Freddi et autres nervis du pouvoir.  Mimo est moins idéologue et/ou voyou que Stefano mais sa naïveté confine parfois à la complaisance pour ce régime qui lui donne du travail.  Quand Freddi propose à Mimo, celui-ci n’hésite pas longtemps : « Vous pourriez, vous aussi, contribuer au rayonnement du pays. Ça vous intéresserait de travailler pour nous ? Le Duce sait se montrer généreux avec ses scientifiques et ses artistes. » « - Pourquoi pas ? » répond Mimo. (365). Viola, pourtant essaie d’ouvrir les yeux à Mimo :

    • « Tant que tu ne travailles plus pour ces salauds après Palerme… (371)
    • Ce ne sont pas tous des salauds, loin de là. Le gouvernement fait des choses très bien.
    • Oui, comme assassiner ceux qui s’opposent à lui. »

Quand il sort de prison en 1945, Mimo semble blanchi de toutes présomptions de collaboration : « j’incarnais l’antifascisme. On me demandait mon avis. » (520). Entre-temps, il y a eu le fameux discours de l’Académie royale d’Italie : « Et c’est justement avec un message des Orsini, et de moi-même bien sûr, que je conclurai, en empruntant les mots d’un ami : « Ikh darf ayer medalye af kapores… in ayer tatns tatn arayn ! » Pardonnez la prononciation, c’est du yiddish. Littéralement : « Cette médaille, placez-la dans le père de votre père. » Ou en italien plus moderne, mais moins poétique : « Vous pouvez prendre votre médaille, et vous la fourrer dans le cul. » » Un tonnerre de protestations et de sifflets se fit entendre. « Mimo Vitaliani et les Orsini vous saluent bien, chers amis ! […] Jamais plus nous ne travaillerons pour ce régime d’assassins ! » (507) Derrière ce discours, il y a encore Viola qui apparaît décidément comme LA conscience de tous ces hommes qui lui disent pourtant qu’elle « ne connaît rien à la politique ». Et c’est elle qui sauve sa famille de l’opprobre.

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22 novembre 2023 3 22 /11 /novembre /2023 13:19

Nous étions quatre et plus, en pleine adolescence,

Jouissant de la vie en toute ingénuité,

Pédalant et marchant, de l’hiver à l’été,

Et les rires fusaient aux moindres circonstances.

 

Sans drogue, ni tabac, ni la moindre arrogance,

On vivait sainement l’indicible amitié

Qu’on mesure aujourd’hui par son ancienneté,

Et l’on forgeait nos vies sans en avoir conscience.

 

Quelques photos jaunies disent ces souvenirs

D’un temps de l’insouciance et de cette euphorie

Contagieuse, alentour, dans nos plaisanteries,

Réunir nous seyait bien plus que d’agonir.

 

Penchés sur nos vélos sur les voies du partir

On arpentait les routes aux parfums de prairies

Et cette liberté devenait griserie,

Cette émancipation initiant l’avenir.

 

Loin des joutes oratoires et des amères pensées

Des crises adolescentes on dansait follement

Dans nos boums joyeuses à crever le tympan

Jusqu’aux matins frileux aux aubes irisées.

 

Mais l’on était candides malgré nos logorrhées,

Méfiants des sentiments dont on souffre souvent

En préférant l’humour à l’amour isolant

Car nos alacrités étaient alors sacrées.

 

Notre jeunesse fut un moment d’exception

Préservé des tourments qui déchirent les vies,

Un cadeau du hasard, source d’ataraxie

Fort de cette confiance pour nos évolutions.

 

Amis de cinquante ans, copains d’expéditions,

Je vous salue bien bas en toute sympathie

Comme les Mousquetaires vivant en synchronie

Cette part d’enfance résiste aux dilutions.

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16 novembre 2023 4 16 /11 /novembre /2023 15:03

Au milieu des tempêtes, l’école est un navire,

Une arche de Noé, sauvant l’humanité

De toutes faims du monde en ces temps alités,

Elle doit garder le cap, pour éviter le pire.

 

Mes amis, capitaines et vaillants matelots,

Veillez aux passagers que le voyage élève

Ils doivent à bon port constituer la relève,

Souquez, chers professeurs, du fond de vos canots.

 

L’école doit rester, au risque des naufrages,

Un sanctuaire de paix, de bien et de savoir,

Un lieu d’éducation, comme un tremplin d’espoir,

Protégés des pirates déclencheurs d’orages.

 

Notre école amirale, navire des océans,

Doit être protégée des périls du monde

Qui fracassent sa coque dans le tourment des ondes,

Grâce à l’effort commun de tous les enseignants.

 

Et l’on verra un jour, des horizons d’azur

Émerger des ténèbres, du sommet de la hune

Des lycéens heureux, compagnons de Neptune

Construire un avenir et plus sûr et plus pur.

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