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8 mars 2019 5 08 /03 /mars /2019 11:13

Juillet 1812. Le chef vénézuélien Francisco de Miranda a été vaincu et capturé dans une suprême bataille, le 11 juillet, par le capitaine général espagnol Domingo Monteverde. Simon Bolivar, lieutenant de Miranda, est en fuite. Caché par des patriotes, il a pu, jusqu’ici, échapper aux recherches. Les Espagnols occupent les trois quarts du pays. La répression est terrible. Massacres et pillages se succèdent. Les trois actes se passent dans la salle de garde de la capitainerie générale, à Valencia du Venezuela.

 

Les références des citations renvoient à l’édition du Livre de Poche n°2570.

 

ACTE I

Scène 1 : Zuazola, Moralès et Antonanzas, officiers espagnols encore vêtus de leur uniforme de campagne, discutent de l’évasion de Bolivar. Il a été prévenu. Izquierdo, le premier lieutenant de Monteverde, a été trop confiant en développant ses plans à table en présence de tous ses convives. Il y a donc un traître dans l’état-major. Ils parlent de la guerre et du sort qu’ils réservent aux femmes, de la colère d’Izquierdo.

Scène 2 : Izquierdo paraît, très en colère, en effet. Il va aller présenter son rapport à Monteverde. Les hommes sont arrivés à la ferme où Bolivar, malade, était caché, mais il a eu le temps de fuir à cause du traître. Izquierdo a envoyé des patrouilles dans les deux directions où le rebelle a pu fuir : Puebla ou Curaçao.

Scène 3 : Montserrat, jeune officier espagnol de vingt-huit ans, parle avec le Père Coronil, moine capucin, chapelain de Monteverde. Comment l’homme d’Eglise peut-il approuver d’un côté la révolte du peuple en Espagne contre les Français et condamner ici ceux qui veulent être libres ? Montserrat évoque tous les massacres et pillages commis par les Espagnols. Le moine lui conseille de repartir à Cadix. Il n’éprouve « aucune pitié pour ces êtres qui s’obstinent à redresser leurs idoles et à les adorer en secret ! Pour tous ces fanatiques qui refusent de confesser sincèrement la gloire de Dieu… » (24). Pour le Père Coronil, les Indiens n’ont pas d’âme, ils sont « possédés par le Damné » (25). Il ne voit donc aucune raison de « s’apitoyer sur ces misérables, puisque, à travers eux, en eux, c’est le Mal qu’on atteint et qu’on tue » (26). Montserrat est prêt à partir mais le Père Coronil dit que la voix de Bolivar est celle du Tentateur.

Scène 4 : Zuazola les informe qu’Izquierdo est en train de faire son rapport à Monteverde. Le moine n’est pas au courant de l’échec de la capture de Bolivar.

Scène 5 : Izquierdo, suivi de Moralès et d’Antonanzas, salue le Père Coronil. Il a obtenu des patrouilles pour traquer Bolivar. Ils ont trouvé dans sa retraite une « ébauche de constitution républicaine avec un président, un sénat, et la réunion de la Nouvelle-Grenade au Venezuela sous le nom de Colombie » (29). Izquierdo parle des massacres accomplis par les rebelles et rappelle qui étaient les convives présents à la table de Son Excellence : le général, Izquierdo, trois chefs de corps, Zuazola, Antonanzas, Moralès et … Montserrat. Il accuse donc directement ce dernier. Deux heures après cette réunion, un homme a demandé un cheval et a prévenu Bolivar qui s’est enfui. Le palefrenier a donné le nom du traître.

Scène 6 : Le Père Coronil est sorti. Izquierdo demande à Moralès de prendre dix hommes et d’arrêter six otages.

Simon Bolivar

Scène 7 : Le bras de fer entre Izquierdo et Montserrat commence. Le lieutenant sait que Montserrat  ne parlera pas sous la torture. Il va le laisser avec les six otages. Si au bout d’une heure, il n’a pas dénoncé l’endroit où se cache Bolivar, les otages seront fusillés : « C’est inhumain ! […] Tu es une bête immonde ! J’aurais dû t’écraser la tête le jour de Gomara quand tu as fait enterrer vivants tous les prisonniers » (36) dit Montserrat  qui demande à être reçu par Monteverde. « Son Excellence me fera fusiller pour avoir trahi, pour avoir préféré la cause des hommes que nous opprimons à la fidélité au Roi. Il me fera fusiller pour tout ce qu’il voudra. Ca m’est égal. Je consens à mourir en traître. Je suis un traître dans ce camp, je l’avoue. Et c’est parce que je suis un homme. Parce que j’ai des sentiments d’homme ! Que je ne suis pas une machine à tuer, une machine aveugle et cruelle !... » (37) Izquierdo le fera parler par tous les moyens : la vie de six innocents contre la vie d’un traître et d’un bandit. « Réfléchis, Montserrat. Six innocents ! Pèse-le bien, ton honneur… » - « S’il ne s’agissait que de mon honneur ! » répond Montserrat (38).

Scène 8 : Les deux premiers otages sont amenés. Salas Ina a trente-cinq ans. Il vend des tissus et de la laine sur la place Royale, il a deux maisons, 1200 têtes de bétail. Marié depuis un an, il est un homme heureux et pressé de rejoindre sa femme qui est très belle et qu’il aime plus que la vie. Arnal Luhan est un potier de cinquante ans qui fabrique des jarres en formes d’animaux et qui imitent le bruit de la bête quand on verse de l’eau. Il veut faire des jarres qui imitent la voix humaine.

Scène 9 : Quatre autres otages arrivent, demandent pourquoi ils ont été arrêtés et clament leur innocence. La mère de trente ans était allée chercher son pain, elle a laissé seuls ses deux enfants de dix mois et de deux ans. Juan Salcedo Alvarez, comédien espagnol de quarante ans, rentrait de chez son ami Roig quand il a été interpellé. Il est arrivé de Cadix il y a six mois avec la troupe de comédiens du Théâtre Royal de Séville. Izquierdo se souvient de l’avoir vu jouer Infante Isabel en rade de la Guayra. Le comédien a joué le rôle d’Ascasio, un homme qui mourait avec noblesse au pied de l’échafaud en pardonnant à ses bourreaux pour rester pur. Avec ironie, Izquierdo lui propose de jouer un rôle à la mesure de son génie : le rôle de… Juan Salcedo Alvarez.

Scène 10 : Le Père Coronil les a rejoints et demande à Izquierdo a réunis tous ces gens qui revendiquent leur innocence : « Je sais que vous n’avez rien fait que vous êtes ici. Vous êtes innocents ! Vous coupables… d’innocence. Et encore je suis indulgent. Si je traduisais la pensée profonde du P. Coronil, je pourrais vous accuser du plus grand des crimes… Celui d’être venus au monde ! N’est-ce pas mon Père…. » (52) Izquierdo change de ton et dit que Montserrat est un traître. Les otages doivent obtenir de lui qu’il désigne l’endroit où s’est réfugié Bolivar. Il est trois heures et demie. Si dans une heure il n’a pas avoué, ils seront fusillés.

 

ACTE II.

Francisco de Miranda

Scène 1 : Montserrat est enfermé avec les six otages qui le pressent de livrer la cachette de Bolivar et l’accusent de traîtrise : « Je suis avec vous contre les miens, répond Montserrat, contre leur oppression, leurs violences, contre cette manière terrifiante qu’ils ont de nier les hommes… Vous le voyez bien que, pour eux, la vie humaine, la dignité humaine ne comptent pas ! » (61) Chacun rappelle ce qu’il a à perdre pour faire pression sur Montserrat. « Si je livre Bolivar, ce n’est pas Bolivar seul que je livre, mais la liberté, la vie de plusieurs millions d’hommes ! » (63) « Bolivar est le seul homme, le seul chef capable […] de créer sur cette terre une nation libre, une grande nation d’hommes libres !... » (64) Il leur rappelle tous les massacres d’Izquierdo. Mais les otages ne le suivent pas dans sa rhétorique : « Tu ne peux tuer six êtres pour en sauver un seul ! » […] – « Ce n’est pas la vie de six êtres contre celle d’un seul ! Mais contre la liberté, la vie de milliers de malheureux ! » répond Montserrat (66). Il est néanmoins ébranlé par leur insistance, surtout quand le comédien fait appel au jugement de Dieu. Montserrat leur avoue qu’après la défaite de Miranda, il avait reçu l’ordre d’arrêter Bolivar. Il l’a trouvé et a parlé avec lui toute la nuit. Il sait qu’il recommencera la guerre. Tous se lamentent mais c’est le comédien le plus habile dans l’argumentation : Bolivar lui, se livrerait. Il n’a plus le droit de se livrer, il ne s’appartient plus, rétorque Montserrat. Le marchand agresse Montserrat mais Ricardo, vingt ans, demande la parole. Son père a été fusillé quand il avait cinq ans et leur maison a été brûlée. Il se souvient des cris des égorgés de Sisisèque, des morts dans les fosses de Cumata, du mépris des Espagnols. « C’est la dernière chance, dit un Montserrat exalté. Si elle s’éteint, si Bolivar est pris ou s’il échoue, alors ce sera la nuit complète et pour toujours sur des millions et des millions d’hommes, d’un bout à l’autre de ce continent. Il faut sauver cette chance. Il le faut. J’ai choisi. Je crois que j’ai raison… Je le crois… Je veux le croire ! » (77). La mère s’inquiète pour ses enfants, le comédien est prêt à lui donner sa fortune. Quant au potier et au marchand, ils veulent le tuer. Ils se jettent sur lui.

Scène 2 : Alertés par le bruit, Moralès fait irruption avec des soldats et leur demande de cesser de se battre. « Il n’a pas encore parlé ! Mais nous avons du temps, monsieur l’officier. Nous allons tout tenter… » supplie le potier qui s’inquiète pour sa vie (79). Moralès leur donne des conseils pour le faire parler : « mettez lui le ventre sous un pied de table et grimpez tous dessus » (80)

Scène 3 : C’est maintenant Izquierdo qui demande, à son tour, à Moralès de faire preuve de retenue. Mais il va raccourcir le délai. A ce moment-là, Izquierdo remarque la plus jeune otage, Eléna. Sa mère était indienne, elle servait chez un Espagnol qui l’a violée. « Ce soir, tu deviendras ma femme… » annonce Izquierdo avec cruauté. La jeune fille réclame d’être fusillée avec les autres. « Je suis sûre qu’il faut à tout prix sauver Bolivar. Et j’ai mes deux frères à Puebla, chez les révolutionnaires. » (83). Cette résistance excite Izquierdo. Il ordonne qu’on commence les exécutions. Le potier qui l’agace sera le premier : « pour mourir […] il n’est pas nécessaire d’avoir commis un crime. […] ce n’est pas moi que tu dois fléchir » (85). Les soldats l’emmènent.

Scène 4 : La mère implore Izquierdo qui prend à témoin Montserrat et annonce qu’elle sera fusillée la dernière.

 

ACTE III

Domingo Monteverde

Scène 1 : Izquierdo demande à Montserrat si la mort du potier ne l’a pas fait changer d’avis. Moralès choisit le marchand comme prochaine victime. Izquierdo fait preuve d’un grand cynisme avec lui, tout en remettant son sort entre les mains de Montserrat. Le marchand dit sa fidélité au roi et propose de céder sa fortune. Izquierdo lui propose un autre marché : « Je te laisse la vie sauve… si tu me livres ta femme » (95) « Tu as bien compris ! Ou tu es fusillé dans quelques minutes, ou tu es libre à la condition que ta femme couche ce soir dans mon lit… Décide toi-même ! Me la donnes-tu ? ». Le marchand a trois secondes pour se décider. Il accepte. Izquierdo a beau jeu de l’enfoncer :  « Tout à l’heure, tu cherchais déjà à me tromper en me faisant miroiter que ta femme était un être sans prix, un joyau inestimable, et tu me la cèdes contre ta vie avec une facilité qui me paraît suspecte » (96) Puis, changeant de nouveau d’état d’esprit, Izquierdo dit au marchand qui s’est avili qu’il refuse sa femme ; des cavaliers s’en occuperont. Le marchand veut se jeter sur lui mais il est entraîné par des soldats.

Scène 2 : Izquierdo se tourne alors vers Montserrat : « Un mot de toi, et cet homme est sauvé ! » (98)  Montserrat ferme les yeux  sans répondre. On entend le bruit de l’exécution du marchand. Izquierdo désigne le prochain fusillé : le comédien. Une conversation sur le théâtre s’engage entre les deux hommes. Il doit se mettre à la hauteur des rôles qu’il joue, notamment celui d’Ascasio. Le Père Coronil se mêle à la conversation : il faut pardonner à ses bourreaux. Izquierdo tourne en dérision la rhétorique chrétienne du moine et demande au comédien de faire preuve de dignité. Le condamné se redresse et va se placer de lui-même entre les soldats. Le Père Coronil sort avec lui.

Scène 3 : Izquierdo oblige Montserrat à regarder dehors le lieu d’exécution des otages. Montserrat continue à défendre Bolivar : « Il s’agit de rendre à des milliers de misérables leur dignité de créatures de Dieu ! » (111) Le comédien est exécuté.

Scène 4 : Le comédien est mort avec noblesse dans le rôle d’Ascasio. Izquierdo raconte sa mésaventure de Sierra-Chavaniz. Enterré jusqu’au cou pendant quatre jours, les partisans de Bolivar lui ont pissé dessus, le contraignant à manger de la terre. Des cavaliers du régiment d’Alora l’ont sauvé. « Voyons, à qui le tour ? » demande alors Izquierdo. Eléna se présente mais Izquierdo veut plutôt Ricardo et veut éprouver son courage. Ricardo est persuadé que Bolivar les vengera. D’après le premier lieutenant, Bolivar aurait sollicité l’autorisation de se réfugier dans l’île de Curaçao auprès du gouvernement anglais. Il veut prouver que Bolivar est un lâche. Montserrat dit que c’était une hypothèse mais quand Bolivar a appris l’existence de la zone insoumise de Puebla, il s’est mis en marche. « Si Bolivar n’est pas capturé ce soir, il sera cette nuit même chez les siens. J’en suis sûr comme je suis sûr de mourir » dit Montserrat (118). Avant d’être emmené par les soldats, Ricardo confie à Montserrat : « Je suis avec toi » (120).

Scène 5 : Montserrat demande à Izquierdo d’arrêter ces crimes. Il n’a qu’à parler pour sauver Ricardo. Izquierdo ironise sur les valeurs choisies par Montserrat : la jeunesse de Ricardo serait-elle plus importante que le talent du comédien ou la richesse et le bonheur du marchand ? Ricardo est fusillé. Izquierdo entend bien faire perdre sa virginité à Eléna.

Scène 6 : Moralès vient expliquer que Ricardo est mort avec courage, en refusant le bandeau et en criant « Vive la liberté ou Vive la Révolution ! » (Il ne sait pas très bien). C’est au tour de la mère maintenant, dit Izquierdo. Elle l’implore. Montserrat est prêt à parler mais Eléna lui demande de se taire et le Père Coronil ordonne qu’on l’emmène. Izquierdo l’embrasse sur la bouche.

Scène 7 : La mère supplie Izquierdo de ne pas tuer Eléna ; elle est certaine que Montserrat va parler. Izquierdo promet d’arrêter les exécutions : Bolivar sera déporté et les deux autres envoyés en Afrique. On entend le peloton qui assassine Eléna. La mère les maudit. Izquierdo ordonne qu’on l’arrête.

Scène 8 : Izquierdo regrette qu’Eléna ait été emmenée et il s’adresse à Montserrat : «  Tu as vraiment une telle confiance dans Bolivar ? Et crois-tu que ce soit vraiment si important, la liberté, pour quelques millions d’Indiens, à demi abrutis et de Nègres pouilleux ? Pour ce qu’ils en feraient de leur liberté !... » (129). « On peut sacrifier, à la libération d’un peuple qu’on aime et qui souffre, plus que sa vie…plus que son honneur » (130). Izquierdo va faire venir six nouveaux otages : « Tu m’as prouvé que tu peux piétiner ta conscience et sacrifier six vies humaines, six vies qui n’appartenaient qu’à Dieu, à ce que tu appelles l’intérêt de plusieurs millions de Vénézuéliens ! » (131) « Tu as fait tuer six malheureux sans que leur mort entraîne automatiquement la libération de leurs millions de compatriotes ! Tu les as sacrifiés à un espoir de libération, à une simple possibilité !... Tu ne trouves pas cela monstrueux ? Et dire que tu viens m’accuser de cruauté, de férocité !... » (132). Lui, se contente d’accomplir son devoir. Pour Montserrat, il fallait sauver l’espoir. Seuls deux otages sur six ont accepté de mourir pour cet espoir lui répond Izquierdo qui se sent capable d’exterminer deux millions de personnes (« Il faudrait qu’on me fournisse une longueur de corde suffisante pour économiser les balles. Sans quoi, je ne vois pas où serait la difficulté… Non. Je ne vois vraiment pas… Et je te signale ces cabanes de bois, faciles à construire, dans lesquelles on peut griller jusqu’à cent cinquante condamnés à la fois ! » (135) : on croirait entendre un théorie de la Solution finale !). S’il était chargé de la répression, Izquierdo procèderait avec méthode. Montserrat lui demande où il puise tant de haine : le lieutenant se souvient des insurgés qui riaient quand il était enterré à Sierra-Chavaniz. Izquierdo ordonne à Moralès de faire venir les nouveaux otages. Montserrat commence à parler : Bolivar est armé, avec trois Indiens… dans une maison isolée… à cinq cents mètres du chemin… Mais il se reprend. Il ne parlera plus.

Scène 9 : Moralès annonce que Bolivar a dépassé Santa-Monica. A midi, Riero et ses cavaliers ont découvert sa cachette mais Bolivar était déjà parti depuis une heure. Ils se sont lancés à sa poursuite, l’ont rejoint mais ont été tués… à cause de Montserrat. Moralès veut s’en prendre à lui mais Izquierdo veut entendre la suite du rapport. Bolivar avait une escorte de vingt hommes armés. Des péons de Puebla. Montserrat ne se réjouira pas longtemps de cette nouvelle. Des hommes armés dont irruption : Antonanzas, Zuazola, quatre soldats de cavalerie du détachement de Riero.

Scène 10 : Antonanzas et Zuazola se jettent sur Montserrat. Tous réclament sa mort. Ils auraient pu capturer Bolivar sans cette trahison. Ils l’entraînent brutalement pour l’abattre dehors sur les marches du palais.

Scène 11 : Le Père Coronil demande si Montserrat a montré du repentir. « Non, il me parlait seulement de la joie des autres ! » (144).

 

Lectures complémentaires :

Aimer la littérature : Montserrat d’Emmanuel Roblès.

Montserrat ou la chance de l’homme de Georges-Albert Astre, Livre de poche p.145 à 158.

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6 octobre 2016 4 06 /10 /octobre /2016 19:40

De et avec Wajdi Mouawad, théâtre de la Colline

Seul dans sa chambre, Harwan, québecois d’origine libanaise, étudiant en sociologie de l’imaginaire, s’entraîne à la soutenance de sa thèse de 1500 pages sur le « cadre comme espace identitaire dans les solos de Robert Lepage » mais il doit convenir qu’il n’arrive pas à conclure. Pourtant son directeur de thèse, Paul Rusenski, lui demande d’avancer sa soutenance après la mort d’un certain Escofié. Harwan doit anticiper sa rencontre avec Robert Lepage pour boucler son travail. On lui dit qu’il est à Saint-Pétersbourg. Un temps, Harwan songe à tout abandonner puis se décide à partir. Il doit acheter un billet et faire des photos pour son passeport. Une explosion se produit dans la cabine du photomaton. Et juste avant de partir, on lui apprend que son père a fait une attaque vasculaire et se trouve dans le coma. A l’hôpital Saint-Luc, les médecins lui ont dit de lui parler et si possible dans sa langue que Harwan ne pratique plus depuis longtemps (« Mon arabe risque d’aggraver son coma ! »). La dernière fois qu’ils s’étaient parlés, la conversation avait mal tourné. Avant, ils ne se parlaient pas beaucoup non plus, seulement pendant les publicités des matchs de hockey. Le père regrettait ses voyages quand il travaillait au Liban, les cafés avec ses clients « moi, je n’aurais pas dû avoir d’enfants… j’ai tout perdu pour le bonheur des enfants ». « A chaque fois, tu me rappelles que je n’ai pas vécu la guerre, dit le fils. Si je pose un geste, ce n’est pas le geste que tu aurais posé. Si je lève un bras j’aurais dû le garder baissé, si je pars, je dois rester si je reste, je dois partir ! Je dis juste qu’il est difficile de poser un geste qui soit précisément à moi tu vois. Qu’est-ce qui est à moi ? » Harwan se rappelle, pourtant, le bonheur au Liban, les odeurs des figuiers sauvages et le bleu étincelant du ciel, quand, près de son chien, il regardait les étoiles et les peignait sur des toiles. Son père avait accroché l’une d’elles au-dessus de son lit et Harwan était fier. Mais ils n’ont emporté aucune de ses toiles en exil. Et depuis il n’a cessé de « régresser » jusqu’à vouloir être professeur d’université. Sa sœur Layla lui a dit d’aller à Saint-Pétersbourg. Robert Lepage est déjà reparti à San Francisco mais Harwan va aller voir le tableau de Rembrandt Le retour du fils prodigue au Musée de l’Hermitage. Et puis, tout bascule, on passe de l’autre côté du miroir. Ce sont Layla et son père qui dans sa chambre d’hôpital viennent voir Harwan qui est dans le coma après l’accident du photomaton et lui derrière son miroir essaie de leur parler, en vain. Le médecin apprend à la famille qu’il s’en sortira mais restera aveugle. Alors Harwan qui n’aimait que le blanc se lance dans un délire créatif où, à la manière d’un Jackson Pollock, il se met à éclabousser de peinture les cloisons de verre de sa prison (mais d’où vient cette valise  pleine de peinture ? Est-ce une erreur  de bagagiste à l’aéroport ?). Finalement, il éventre la toile de Rembrandt pour se lover au cœur artistique du Fils prodigue alors que la voix de Rusenski annonce le couronnement et la conclusion de sa thèse.

Sur la scène du Théâtre de la Colline, l’acteur qui nous nous tient en haleine pendant plus de deux heures à lui Seuls est Wajdi Mouawad, directeur du théâtre de la Colline depuis avril 2016, auteur de la pièce, metteur en scène et comédien. Né au Liban comme Harwan, il a quitté la terre paternelle à cause de la guerre pour passer son enfance en France et son adolescence au Canada où il a connu le théâtre de Robert Lepage. Charlotte Farcet, sa fidèle collaboratrice, est d’ailleurs l’auteur de la véritable thèse sur le « cadre comme espace imaginaire dans les solos de Rober Lepage ». Les solos de l’un répondent aux seuls de l’autre dans une polyphonie où d’habiles montages vidéos dédoublent schizophrénétiquement (Léa n’est plus là) les apparitions du personnage, ramènent à la mémoire des souvenirs d’amour et d’enivrants  fondus musicaux font alterner les airs de musique de l’orient et de l’occident dans une sorte de synesthésie proustienne du temps retrouvé. Mais l’instant de lire bascule dans l’instinct du délire, les mots disparaissent et le corps presque nu se fait brosses et pinceaux pour éructer de couleur comme on explose de sang. Les yeux œdipiens sont aveugles et, comme dans un rite de seppuku japonais, le sabre larde la toile de la vie de giclements de lumières à l’image de ces étoiles filantes dont lui parlait Abou Ghessoune dans les nuits beyrouthines. Dans un geste grandiose, l’art ancien de Rembrandt se fond avec la création contemporaine comme les générations se mélangent dans cette recherche de l’identité. Qui parle à qui au fond de son coma ? « Comment dit-on mémoire en arabe ? » Car il est question d’identité, de père et de fils, d’impairs et de fils qui se défilent. Il faut retrouver le fil de cette vie qui se défile, résoudre l’énigme du Sphinx et en finir avec les laïus. Pour Harwan, l’intellectuel canadien, le père était Robert Lepage, celui qui lui offrait le cadre de son solo identitaire, mais le véritable père est là dans sa gêne, dans ses gènes et comme le fils perdu c’est lui qu’il cherche à retrouver quand il fait le bilan de sa vie aux avis du Liban. Car si le fils n’a pas connu la guerre du père, il vit la sienne dans cette déchirure entre l’apparence et la transparence : « Je tiens à vous remercier de me donner la parole. Elle me permet d’exposer mon point de vue alors que la question de notre capacité à vivre ensemble et de nous accommoder de nos différences se pose avec autant de complexité. Qui sommes-nous ? Et qui croyons-nous être ? » 

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26 janvier 2012 4 26 /01 /janvier /2012 19:38

1. Fin 1932- début 1933, Charlotte Beradt (1901-1986), jeune militante communiste juive allemande, fait un rêve étrange qu’elle retranscrit : « Je me réveillai trempée de sueur, claquant des dents. Une fois de plus, comme tant d'autres innombrables nuits, on m'avait pourchassée en rêve d'un endroit à l'autre - on m'avait tiré dessus, torturée, scalpée. Mais cette nuit-là, à la différence de toutes les autres, la pensée m'est venue que parmi des milliers de personnes, je ne devais pas être la seule à avoir été condamnée à rêver de la sorte par la dictature. Les choses qui remplissaient mes rêves devaient aussi remplir les leurs - fuir par les champs à perdre haleine, se cacher en haut de tours hautes à en donner le vertige, se recroqueviller tout en bas derrière des tombes, les troupes de SA partout à mes trousses. » Ce rêve prémonitoire lui donne l’idée d’interroger son entourage. Patiemment, à la manière d’un analyste et sans dévoiler son projet, elle recueille trois cents rêves d’hommes et de femmes ordinaires qui témoignent sans la nommer de l’emprise progressive et profonde de la propagande nazie sur les cerveaux dès les lendemains de la prise du pouvoir par Hitler jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. En 1939, Charlotte Beradt quitte l’Allemagne pour l’Angleterre puis les Etats-Unis où elle est obligée de travailler comme coiffeuse. Son mari Martin meurt en 1949 et Charlotte reprend ces précieux témoignages qu’elle avait fait passer à l’étranger. Son livre Rêver sous le IIIe Reich, d’abord publié en allemand en 1966 et en anglais en 1968, passe relativement inaperçu dans un après-guerre soucieux de se reconstruire sur les bases d’une certaine amnésie des souvenirs les plus traumatisants. Il faudra attendre 2002 pour que le livre sorte en France aux éditions de l’Arche dans la petite bibliothèque Payot.

rêvez2. Depuis le 9 janvier 2012, le théâtre des Déchargeurs à Paris propose une adaptation théâtrale de ce texte précieux et troublant. Théâtre ? Plutôt huis clos intimiste et oppressant. Petite salle d’une centaine de places, sièges exigus et peu confortables où le spectateur est si près des acteurs qu’il pourrait pratiquement les toucher, qu’il entend leur respiration et qu’il pénètre dans leur intimité et pour tout dire dans leur conscience. Une Marjorie Leblanc protéiforme, tonique et séduisante prête sa voix à Charlotte pour dire ce rêve initial et décisif, et à la narratrice qui explique l’enchaînement de son livre et le contexte de chaque rêve ; puis, à la faveur d’un changement d’accessoire (chapeau, châle, veste) elle incarne ces différents personnages de femmes pendant que Renaud Durand, d’un chapeau l’autre, joue ces multiples personnages masculins qui finissent, peu à peu, par se ressembler comme l’infernale machine de déshumanisation le souhaite. Belles performances de comédiens. Suivons quelques tableaux de cette parabole du processus d’assujettissement de l’être, la mise en œuvre de la vaste centrifugeuse à décoller des cerveaux les derniers restes de personnalité critique.

 3. Au 3e jour de la prise de pouvoir d’Hitler, c’est-à-dire le 2 février 1933, un chef d’entreprise se rêve dans son usine, inspectée par Goebbels. Il lui faut une demi-heure pour faire le salut hitlérien ; il se console en regardant le pied bot de Goebbels. 1934, un médecin rêve que les murs de son appartement disparaissent parce qu’il n’a pas mis un drapeau nazi aux fenêtres. 1933, une femme cultivée voit sur un panneau vingt mots interdits, notamment « Dieu » et « Je » ; elle essaie de rêver en anglais pour avoir le droit de les prononcer. Un deuxième rêve : alors qu’elle est à l’Opéra pour voir son œuvre favorite La Flûte enchantée, la police arrive et des hommes crachent sur elle. L’humiliation comme moyen politique d’asservissement. Vision d’autodafés  de livres : elle veut protéger son Don Carlos de Schiller, c’est son atlas qu’elle cache. 1934, rêves de factures et règlement de comptes privés. Le SchornSteinfeger (qui dans la famille symbolisait le SS à cause de ses initiales), c’est-à-dire le ramoneur noirci  vient demander un prix exorbitant. Il faut payer le bras levé. Pas de l’oie, rêves de plomb ; les gens en plomb ne peuvent pas se lever. 1934, service de surveillance du téléphone et rêve d’atrocités bureaucratiques, longtemps avant l’invention de la carte à puce et de l’espionnage informatique : l’homme n’a plus de joie à rien. 1933, rêve d’un homme âgé : le poêle en faïence de l’appartement où il discute  tous les soirs à la veillée avec ses amis répète systématiquement les phrases qu’ils ont dites contre le régime à un homme des SA. Tout est connu. On l’entraîne avec une laisse à chien. Chez le dentiste un système d’écoute est disposé dans la machine. Instiller la peur pour pousser chacun des hommes à se rendre collaborateurs volontaires du système de terreur. Puis dans une lumière stroboscopique insupportable, la voix nasillarde de la lampe comme le hurlement des nazis et les objets qui disent tout sur Goering qu’on a traité de « gros ». Beaucoup d’autres rêves vont suivre que l’on vous invite à découvrir sur la scène de ce théâtre.

rever-sous-le-IIIe-Reich.gif4. Suffocation, sidération, tétanisation, halètement, comme les deux acteurs qui, au terme d’une performance physique et psychique intense d’une heure vingt, finissent dans une sorte d’œil de cyclone brun, le spectateur reste collé à son siège comme prisonnier de cet espace noir qui symbolise si bien sa conscience qu’il ne sait plus où est le rêve et le réveil, la fiction et la prémonition, la folie et la lucidité. Il fallait que cela cesse pour que cette épreuve initiatique de dessillement n’emprunte les troubles sentiers de la manipulation qu’elle dénonce. On sort sonnés comme d’un ring de boxe, troublés que ces scénarios ne sortent pas des fantaisies d’un scénariste un peu surréaliste (on n’y aurait pas cru)  mais des cauchemars des futures victimes du massacre.  Là est la force de cette pièce : ces rêves sont l’antichambre d’une réalité infernale. Nous pénétrons dans les chambres interdites de l’expérimentation psychique totalitaire.  Bravo à Renaud Durand pour son interprétation à la fois grave et comique (si si), à mi-chemin entre Chaplin et Beckett. Bravo à Marjorie Leblanc qui est non seulement l’interprète polymorphe de ces nombreux personnages féminins tantôt sensuels tantôt fragiles, mais aussi productrice du spectacle. C’est elle qui porte ce projet à bout de bras depuis qu’Augustin Burger a décidé de monter ce spectacle, aujourd’hui mis en scène avec subtilité et vivacité par Laure Godfrin. Les psychanalystes commenteront la signification des rêves, les critiques de théâtre décomposeront la mécanique théâtrale. Pour le spectateur simplement sensible aux courants souterrains de son temps, les fantômes de Freud et de Jung, d’Huxley et d’Orwell, de Beckett et de Brecht, de Jarry et de Kafka continuent d’errer dans l’air de ces rêves nauséabonds. A ces corps qui n’ont pas eu de sépultures, à ces disparus qui n’ont pu témoigner, ces lambeaux de consciences déchirées viennent rendre hommage et nous remobiliser dans la placidité somnolente de nos lendemains de fêtes. Car comme  le dit Bertolt Brecht dans l’épilogue de la résistible ascension d’Arturo Ui « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ». Si le mal a pu s’immiscer au plus profond des âmes il y a soixante-dix ans au point de hanter les nuits les plus inconscientes, rien ne dit qu’il ne peut pas revenir subrepticement.

 

Rêvez !D’après Rêver sous le IIIe Reich de Charlotte Beradt, adaptation d’Augustin Burger et Laure Godfrin, mise en scène Laure Godfrin avec Renaud Durand et Marjorie Leblanc. 19h30 les lundis du 9 janvier au 16 avril 2012 au théâtre des déchargeurs, 3 rue des déchargeurs, 75001 Paris. Co- réalisation les déchargeurs- Bonjour l’humeur

 

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