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15 mars 2024 5 15 /03 /mars /2024 13:51

         Pour se libérer de l’emprise de l’État californien et de l’État fédéral américain, des patrons libertariens du numérique, dont Marvin Glowic, fondateur du moteur de recherche Golhoo, font appel à un ancien barbouze qui leur propose un « coup d’État clefs en main ». Après une « étude de marché », l’agence de Ronald Daume, ancien camarade d’adolescence de Marvin, recrute son équipe de spécialistes et jette son dévolu sur l’État de Brunei, sur l’île de Bornéo. Flora, la petite-fille d’un mercenaire et Jo le Gitan partent en éclaireurs à Bandar Seri Begawan. La machine (et le roman aussi) est lancée et rien ne pourra l’arrêter. Ancien médecin, diplomate et écrivain, auteur de Rouge Brésil, Prix Goncourt 2001, Jean-Christophe Rufin nous offre avec D’or et de jungle, un roman d’aventures contemporain totalement fictif mais terriblement vraisemblable. Un coup d’État et un coup d’éclat.

Attention ! La suite du texte dévoile l’intrigue. Si vous n’avez pas encore lu le roman, passez au 2. Critique.

1. Résumé détaillé.

Prologue : Flora et le requin-baleine.

Sur le navire de croisières Prairial, Flora, 32 ans, ancienne championne de plongée, anime, depuis six mois, des conférences sur la faune marine et des plongées découvertes avec cinq ou six passagers. Son titre remonte à plus de dix ans et on ne lui a heureusement posé aucune question sur ce qu’elle a fait depuis. « Si elle avait dû tout raconter, il est plus que probable qu’ils ne l’auraient pas engagée. » (11) Elle loge à l’étage du personnel, au ras de l’eau. Pendant quatre ans, elle a partagé sa cabine avec Judy, une danseuse australienne avec qui elle s’entendait bien. Mais Judy a quitté le navire à Valparaiso avec un officier mécanicien. Depuis, elle cohabite avec Marika, une Polonaise nettement moins sympathique. Au large des Galapagos, Flora effectue une nouvelle sortie avec des passagers. En plongée, le groupe rencontre un énorme requin-baleine. Les touristes paniquent, se blessent en remontant pendant que Flora se met à chevaucher l’animal inoffensif. « Elle ignorait encore de quel prix elle allait payer ces inoubliables moments de bonheur. » (14)

Chapitre 1. Retrouvailles entre Ronald Daume et Marvin Glowic à Santa Monica.

Ronald Daume, la cinquantaine élégante, est introduit par deux gardes du corps dans le salon d’une des plus grandes propriétés de Santa Monica. Rigoberta, une femme de chambre vénézuélienne, originaire de Maracaibo, lui propose, pour patienter, un verre qu’il refuse. Mais à ce moment précis, le propriétaire des lieux pénètre dans le salon : Marvin Glowic, créateur du moteur de recherche Golhoo, est un des personnages les plus puissants et les plus respectés de Californie et du monde entier. Les deux hommes qui se connaissent depuis l’adolescence, s’embrassent chaleureusement. Ronald lui a écrit un mot pour s’annoncer (heureusement car Marvin ne lit jamais ses mails et ses appels sont filtrés). Les deux hommes montent sur la terrasse et ils évoquent leurs souvenirs communs, l’arrivée de Ronald à la Darwin School de San Francisco. Auparavant, il avait vécu en Arizona et au Nebraska où son père lui apprenait à tirer. Ses parents, hippies, vivaient dans une caravane et changeaient souvent de ville. Son père, originaire du Midwest, avait perdu un œil au Vietnam. Quand il avait eu 14 ans, sa mère, fille de bourgeois, avait hérité de la maison de son oncle Benjamin à Frisco et elle avait emmené Ronald en ville, loin d’un père camé et violent. L’arrière-grand-père de sa mère était arrivé de Bretagne au moment de la ruée vers l’or, d’où le surnom de Ronald, « le Français », qui porte toujours le nom de sa mère. Le grand-père de Marvin, lui était un tailleur juif arrivé de Pologne. Marvin propose à Ronald de dîner avec lui : « tu vas m’expliquer ce que tu as fait pendant toutes ces années et pourquoi tu nous as abandonnés comme ça… » (24)

Chapitre 2. Destins croisés de Marvin, le magnat de la tech et de Ronald, le barbouze.

Les deux hommes traversent plusieurs salons et une salle à manger d’apparat pour s’installer dans une pièce plus petite où une table a été dressée avec deux couverts. Outre cette maison à Los Angeles, Marvin a d’autres résidences à Cape Code, aux Bahamas, en Suisse et quelques autres où il ne va jamais. Un serveur philippin leur sert un vin français dont Ronald reconnaît le millésime, ce qui impressionne Marvin car son ami a été « élevé au fond des bois ». Depuis, Ronald a appris à soigner son apparence, comme un animal qui revêt sa parure pour combattre. Marvin aurait aimé lui présenter son épouse Katleen qui enseigne la physique à Stanford, mais elle est prise par des conseils de classe. De fait, Ronald a préparé sa rencontre, une semaine plus tôt, en lisant tout ce qu’il y avait à savoir sur Marvin : son mariage, le 13 octobre 1995, l’âge de ses deux enfants : Sandy, 26 ans et Matthew, 24 ans (qui a échappé à une tentative d’enlèvement) … tout en s’efforçant de garder le caractère « spontané » de ces retrouvailles. A son tour, Marvin interroge son ami. Il n’est pas marié, n’a pas d’enfants. Quant à ce qu’il a fait depuis trente ans, c’est un point délicat mais Marvin est bien placé pour faire des recherches. Autant dire la vérité : il a d’abord essayé la politique, a étudié dans une université de la côte est, a travaillé avec un congressiste, s’est engagé dans les rangers, au 75e, a été formé au renseignement à Fort Bragg, a effectué des missions extérieures, notamment au Kosovo, puis a été envoyé en Afghanistan pour le fiasco de l’opération Gecko, puis il a quitté l’armée pour travailler dans le privé à l’agence Providence dirigée par Archibald, dit « Archie »… Marvin est admiratif de ce parcours et affirme qu’il aurait aimé travailler dans l’espionnage. « Console-toi. Tu pourrais bien être rattrapé par ce monde-là un jour. […] j’ai ma petite idée sur la manière dont les choses vont tourner pour ta boîte et pour les GAFAM en général. […] Alors je ne serais pas surpris que, d’ici peu, nous ayons l’occasion de travailler ensemble. » (33)

Chapitre 3. Un coup d’État clefs en mains ?

« Nos deux manières de changer le monde sont en train de converger. Jusqu’à présent, toi et tes collègues, les pionniers de la révolution numérique, vous avez pu vous développer sans vous occuper de politique. Vous êtes américains et l’Amérique vous a laissés tranquilles. Elle avait besoin de vous. Ni l’État de Californie ni le gouvernement fédéral ne vous ont trop embêtés. […] Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et cela le sera encore moins demain. Vous étiez hors de l’histoire, à l’abri de votre monde. Maintenant, vous allez être obligés d’y entrer et de vous battre. » (36) Marvin pense que Ronald parle des taxes, il se plaint des démocrates qui ne savent que dépenser et taxer. Il paie des gens pour s’occuper des questions de fonctionnement car lui, ce qui l’intéresse, c’est le développement de la boîte. « J’ai toujours pensé que maîtriser les technologies de l’information était une aventure qui nous conduirait au-delà de l’imagination. Nous y sommes. » (36). Il laisse les petits programmes aux ingénieurs pour s’occuper des projets les plus fous en y mettant de l’argent. Son domaine, ce sont les biotechs : la santé, la biologie, le corps humain (Mars pour Musk, le métavers pour Zuckerberg) … à cause de son petit-cousin schizophrène. « Mon truc à moi, c’est la vie, la maladie, la mort, l’intelligence, la souffrance » (37). Ronald reprend son argumentation : dès lors qu’ils s’attaquent à l’essentiel, l’humain et ses limites, l’État va se dresser devant eux. Ronald a travaillé le sujet, il cite les exemples de la société Altos Labs de Jeff Bezos qui veut lutter contre le vieillissement et les projets d’implants bioniques dans le cerveau ou de manipulation du génome. L’État était jusqu’à présent leur allié, il va devenir leur pire ennemi. Ronald raconte comment l’Amérique s’’st fait voler sa technique de transplantation cardiaque par l’Afrique du Sud à cause de lois frileuses… « La seule façon, demain de vous protéger contre l’État, ce sera d’en avoir un. » (40)

Ce paradoxe excite la curiosité de Marvin. Il confie à Ronald qu’il participe à un petit groupe informel à Palo Alto. Ces libertariens convaincus croient à la liberté absolue, que l’État n’a pas le droit de la limiter. Il faut le contrôler pour l’empêcher de nuire. Depuis la défaite de Trump, les participants abattus sont convaincus qu’ils ont perdu la dernière chance de changer le rapport de force avec l’État fédéral. Il y a 4-5 ans, deux de leurs membres ont imaginé que la solution pouvait être l’indépendance de la Californie. D’autres se sont groupés pour acheter des terrains dans le comté de Solano… pour construire une ville à eux. Pour Ronald, ni l’un ni l’autre ne sont la solution. « Votre problème, c’est l’État. Aussi bien la Californie que l’État fédéral. Et pour se soustraire à l’État, il faut en avoir un. » (42) Marvin veut qu’il s’explique. Le chiffre d’affaires de Golhoo équivaut au budget de nombreux États, et même de la plupart si on prend en compte tous les GAFAM. Mais ces États possèdent une chose qu’ils n’ont pas : la souveraineté. Par plaisir rhétorique, Marvin objecte qu’une entreprise ne peut posséder un Etat. « Tout le monde peut posséder un État. Une mafia […], un groupe terroriste […] même un service de renseignement ». « En somme, tu me conseilles d’acheter un État ? » dit Marvin (44). Ronald tempère son enthousiasme. « Prendre le contrôle d’un pays, c’est un métier. Il faut choisir judicieusement sa cible, analyser les forces en présence et mettre en œuvre toutes sortes de techniques de subversion. Dans notre jargon, on appelle ça un coup d’État clefs en main. » (44) Marvin est emballé. « C’est ce que vous faites, alors, dans votre officine, à Providence ? » Ronald lui avoue qu’il a quitté Providence pour monter sa propre agence. Il ne veut pas que son ami croie qu’il est venu pour lui vendre ses services. Mais celui-ci le rassure. Il aime les conversations stimulantes. Il va en parler à ses amis quand il les verra.

Les deux hommes parlent encore longtemps de leurs amis communs. Puis Marvin propose de le faire raccompagner par un de ses chauffeurs. Ronald lui laisse sa carte de visite. A 3h du matin, le chauffeur le dépose à cent mètres d’un hôtel minable.

Chapitre 4. Ronald retrouve Flora, débarquée par le Prairial à Iquique, au Chili.

Après son escapade avec le requin-baleine, Flora a été crachée sans ménagement par le Prairial à la première escale sur sa route vers le cap Horn, à Iquique, port chilien où de rares bateaux font halte en logeant la cordillère des Andes. Le directeur de la croisière a même refusé de lui remettre sa paie en affirmant qu’elle serait versée en France par la compagnie. Deux semaines plus tard, elle n’avait encore rien touché. Son dernier salaire remontait à cinq mois quand elle était employée dans un magasin d’articles de plongée, à Toulon. Elle a tout dépensé. Pour payer sa chambre d’hôtel, elle a dû trouver du travail rapidement. Elle parle anglais (son père est américain, de Caroline du Nord), allemand (sa mère est allemande, de Prusse) et français (ses parents se sont installés sur la Côte d’Azur quand elle avait 13 ans. Mais il n’y a aucun emploi de guide touristique ici. Sa beauté ne lui ayant valu que des ennuis, elle cache son corps mais le patron du restaurant où elle travaille comme serveuse veut qu’elle porte un mini-short et un béret.

Elle entame son deuxième mois quand un client se présente : Ronald Daume : la dernière personne qu’elle s’attendait à voir ici. Elle le croyait en prison. « Apparemment, j’y serais encore, s’il ne tenait qu’à toi. » (52) Il a eu du mal à la retrouver. Flora s’installe en face de lui. Le patron du restaurant n’est pas content de Flora mais Ronald lui donne un billet de 50 $. Il est rentré de Madagascar il y a deux mois. Archie ne l’a pas laissé tomber. « Il est bien généreux, Archie, dit Flora, après ce que tu as fait à Providence. […] tu lui as forcé la main sur cette opération à Madagascar. Il n’en voulait pas et il te l’avait dit. » (54) Pendant trois mois, Ronald a pensé que Flora avait été enfermée. Il n’a pas su comment elle avait réussi à s’en sortir.  Quand elle avait appris son arrestation, elle avait rejoint la côte, s’était réfugiée dans une ferme puis un pêcheur l’avait conduit jusqu’à la Réunion. Pour venir jusque-là, Ronald a pris deux avions et trois cars. Flora lutte pour ne plus l’admirer : elle l’a payé cher. Elle lui demande ce qu’il veut. Il lui apprend qu’il a monté son agence à Nice et va démarrer un très gros projet. Flora essaie de se montrer dure mais une pensée révoltante la traverse : « En fait, je l’attendais. Comment est-il possible d’être aussi faible ? » (57) Elle n’a pas envie mais… finit par jeter son béret : « Tirons-nous d’ici. » (57)

Chapitre 5. Ronald et Flora rencontrent Ray au Parc national de Joshua Tree.

En attendant le car pour Valparaiso, Ronald troque son costume pour un survêtement ample. Flora se souvient de l’assaut du bateau de pirates somaliens au cours de l’opération à Bahreïn. Ils arrivent à Santiago au petit matin après avoir changé de bus et pris un taxi pour l’aéroport. Ronald achète des billets d’avion pour Los Angeles. Ils ont rendez-vous à Palm Springs. Après, ils partiront en France. A l’aéroport international de Los Angeles, ils passent les contrôles d’immigration avec deux passeports américains. Ils resteront deux jours avant de repartir à Palm Springs. Ils font quelques courses et déposent leurs affaires dans un hôtel modeste de Downtown, puis ils vont dans un magasin de sport, section « montagne » pour acheter du matériel d’escalade. Lors du dîner dans un restaurant indien, Ronald explique à Flora qu’ils rencontreront, le lendemain, un type qui représente ses clients. Officiellement, elle est la responsable des opérations de l’agence. Elle pourra parler de son expérience de nageuse de combat et de son passage à Providence mais pas de Madagascar. Flora aime cette concision et cette clarté : elle a choisi l’armée pour ça. Mais elle ajoute : « si tu m’embarques dans une aventure que je ne sens pas, je te lâche. » (62)

Le lendemain, après leur arrivée à Palm Springs, Ronald prend livraison du van de camping qu’il a réservé et ils s’enfoncent dans le paysage aride de Joshua Tree. Ils entrent dans le Parc national jusqu’au point indiqué par le GPS, près d’un pick-up avec deux hommes. L’un d’eux s’éloigne pour aller faire le guet sur un promontoire. L’autre accueille Ronald et s’inquiète de la présence de Flora. Ray est le patron d’un fonds d’investissement dans les nouvelles technologies, c’est un proche de Marvin Glowic qui lui a parlé de son projet. « Les rapports entre le gouvernement fédéral et les GAFAM sont tendus en ce moment, comme vous le savez. Nous sommes surveillés. Vous l’êtes peut-être aussi. Nous essaierons de nous voir à l’étranger par la suite, si nécessaire. Comme je pratique régulièrement l’escalade à L.A., j’ai eu recours à cette petite mise en scène pour cette première rencontre. Désolé pour le déguisement. » (67) Ils se sont renseignés sur Ronald mais apparemment n’ont rien appris sur Madagascar. Archie l’a couvert.

Chapitre 6. Discussion avec Ray sur les modalités du coup d’État.

Ray veut en savoir plus sur l’agence. Ronald donne des explications que Flora ne comprend pas : un réseau diffus et discret, un concours de compétences autour d’un projet… pour qu’on ne puisse déterminer quel est le donneur d’ordres. Ray veut parler de la cible. Tout dépend des critères, répond Ronald. Il faut choisir un état stable, autoritaire, riche. « Mais quelle raison un Etat riche aurait-il de nous confier le pouvoir ? Ce que nous voulons, c’est un contrôle complet du système législatif, fiscal, douanier, etc. » demande Ray. Nous sommes des professionnels, répond Ronald. « Professionnel » était le mot fétiche pour Ray et « amateur » l’injure suprême. Il cédait. « Soumettez-nous des propositions quand vous aurez défini une cible. Nous vous dirons si elle nous convient. » (72) Il lui conseille, néanmoins, de ne pas viser trop grand. Puis il aborde la question des moyens. Une grande partie de l’opération reposera sur leur supériorité en matière numérique. Pour la rémunération, ils verront après la prise de contrôle du pays et de ses ressources. Avant, ils factureront seulement leurs frais. Le problème n’est pas tellement l’argent mais les moyens pour le faire transiter : ils monteront des sociétés-écrans qui disparaîtront à la fin de l’opération. Pour régler les frais d’étude, Ronald demande un acompte de 300.000. La fondation pour la recherche sur les fonds marins aux Maldives, financée par Marvin Glowic pourra confier un contrat d’expert à sa collaboratrice. A la sortie du parc, Flora couvre Ronald de claques et s’insurge : « Salaud ! Dans quoi tu m’embarques encore ? Je ne veux pas. Tu comprends ? Jamais plus. C’est clair ? » (74)

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