Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 mars 2024 5 15 /03 /mars /2024 13:37

         Chapitre 20. Flora, Ismail, Yohann et le capitaine Shankar.

En accord avec Ronald, Flora et Jo ont décidé de continuer leurs recherches chacun de leur côté. Jo a rendez-vous avec Kiu pour visiter le musée archéologique et en savoir plus sur la communauté chinoise. Flora est chargée de collecter des informations sur le palais. Le lendemain matin, elle appelle Yohann qui meurt d’envie de la revoir mais n’a pas osé lui proposer une rencontre. Elle lui dit qu’elle veut visiter le palais sans attendre la fin du ramadan. En fin de matinée, il lui rappelle qu’il n’est pas en mesure de la faire entrer à l’Istana mais il va en parler à un ami et il se propose d’organiser une rencontre pour les présenter l’un à l’autre.

Dans la journée, Flora se présente à l’association de plongée dont elle a entendu parler. Elle y trouve un jeune malais, Ismail, qui est moniteur du club. Ils parlent de leur goût commun pour la plongée. Né dans un petit kampong dans la vallée de la Belait, Ismail a commencé par l’apnée et la chasse sous-marine. Il a été formé à la plongée au sultanat d’Oman puis a vécu pendant deux ans à Mascate. Il a servi deux ans comme moniteur sur le Nipple II, un des yachts du sultan. Le sultan ne fait pas de plongée mais plusieurs de ses enfants en font, notamment le Prince Mateen. Ils restent toute la matinée à bavarder en évitant le sujet de la famille royale. Flora part à l’heure du déjeuner. Un taxi la reconduit à l’hôtel. Elle appelle Ronald.

Yohann passe la chercher à 19h. Un coup de canon annonce la rupture du jeûne et des voitures se pressent devant les hôtels déversant des familles malaises. Ils arrivent dans le quartier de Kampong Tanjong Nangka, à l’Ouest de Bandar, un peu au sud de Jérudong. Yohann ralentit pour montrer l’usine à Flora. Ils sont une quinzaine à travailler là, tous Sud-Africains, la nuit, il n’y a que deux hommes. Ils continuent la route et, deux cents mètres plus loin, ils entrent dans un condominium gardé par un vigile indien. Il gare sa voiture dans une allée et ils pénètrent dans la villa d’expatrié de Yohann, à la décoration minimaliste. Sur le mur, une carte est punaisée : un dédale de tuyaux et de réservoirs, le plan de la centrale, une installation qui commence à dater. Pendant que Yohann va à la cuisine, Flora s’empresse de prendre le plan en photo. De Miri, première ville de Malaisie après le poste frontière sur la côte, Yohann a rapporté de l’alcool. Il propose un Martini à Flora.

C’est à ce moment qu’arrive l’invité de Yohann, le capitaine Shankar, ancien soldat népalais du 4e Gurkhas de l’armée britannique. Des Gurkhas sont installés à Seria, près de la Belait River. Flora discute avec lui. Shankar a quitté le service actif pour intégrer la garde personnelle du sultan (30 anciens Gurkhas, une centaine de gardes malais et un millier de personnes travaillent au palais). Flora lui dit qu’elle aimerait visiter le plan sans attendre la fête de Hari Raya. Le capitaine Shankar ne peut pas mais Yohann évoque le nom de Greta, la cheffe du personnel qui donne les accréditations. Elle sera ravie de parler allemand avec Flora. Son père était le psychiatre du sultan. Après le dîner, le Gurkha propose à Flora de la déposer à son hôtel, à la grande déception de Yohann.

ci-dessous: Le sultan de Brunei célébrant ses 50 ans de règne en octobre 2017.  Roslan Rahman, AFP

Chapitre 21. Ronald rencontre Nurul Azahari à Toronto.

Depuis deux jours, l’entreprise Kota Transport, à Toronto, au Canada, est à l’arrêt à cause d’une panne d’internet et d’une coupure téléphonique. Seul un jeune Afro-Américain intérimaire peut se servir de son portable. Bill, le patron le lui emprunte pour appeler la hotline de l’agence en conseil informatique qui a installé les systèmes et en assure la maintenance. Quelqu’un rappelle Bill dans l’après-midi pour lui dire qu’un technicien passera le lendemain entre 21h et 22h. D’ici là, rien ne fonctionnera et le personnel peut rester chez lui. En attendant, seul, dans les bureaux de l’entreprise se rappelle les événements désagréables qui l’ont affecté : des menaces reçues par téléphone, quatre ans plus tôt, visant ses deux enfants, de 3 et 5 ans. Pendant un mois, il avait dû les accompagner à l’école, avec son arme dans sa poche. La plainte à la police n’avait pas abouti. L’année suivante, il avait reçu la visite de deux agents fédéraux qui avaient fait état de pressions diplomatiques du sultanat de Brunei sur le Canada. Il n’avait pas pris ces menaces au sérieux. Il n’avait pas renoncé à son engagement militant, d’autant qu’il en avait fait la promesse à son père sur son lit de mort.

Le pseudo-agent de maintenance arrive à 21h30 et tout de suite il appelle Bill… Nurul. Celui-ci fait un geste pour s’emparer de son arme. « Inutile de sortir votre arme. Je n’en ai pas. Et ma visite est tout à fait pacifique, monsieur Azahari. » (230). Le visiteur du soir se présente. Son nom est Ronald, son avion vient d’atterrir à Toronto. Il connaît tout des engagements du père de Nurul, de son rôle dans les événements de 1962, du prestige dont il jouit dans le monde asiatique. Et il félicite Nurul de poursuivre son combat avec courage tout en reconnaissant que ce combat est purement symbolique car le sultan contrôle tout le pays. Nurul lui demande s’il est venu pour qu’il renonce à ses activités politiques et le menacer. « Bien au contraire », dit Ronald. L’atmosphère se détend entre les deux hommes et Nurul, le laïque, sert un verre de scotch à Ronald. Le père de Nurul refusait l’idée d’un pays replié sur lui-même, isolé dans sa richesse, il était partisan d’un grand État de Nord-Bornéo avec Sarawak et Sabah. « Je viens vous proposer de renouer avec cet idéal d’ouverture au monde. Il est temps de briser la dictature qui a fait de ce pays la propriété privée d’une famille, si royale soit-elle », propose Ronald qui se présente comme « facilitateur » (233). Nurul a reçu une proposition de ce genre il y a quelques années. Une officine de paramilitaires sud-africains lui a proposé de le porter au pouvoir par les armes, moyennant une part des revenus pétroliers. « Arrêtez de rêver, Nurul. Brunei n’est plus le pays que votre père a quitté. Le pétrole, c’est fini, et le gaz ne vaut guère mieux. Les fonds qui auraient dû être mis de côté pour prendre le relais ont disparu dans la poche du sultan et de son frère. Je ne vous parle pas de vous installer dans leurs fauteuils pour vous en mettre plein les poches. » Nurul ne comprend pas. « Je vous parle de sauver un pays qui sera ruiné d’ici peu. D’arriver en lui proposant un avenir, en amenant avec vous des investisseurs des gens puissants qui y installeront des activités de pointe. Qui en feront une nouvelle Californie, un dragon économique, la capitale de l’intelligence artificielle et de la tech, le foyer mondial de l’innovation et de la recherche. » – Et pourquoi des investisseurs choisiraient-ils Brunei pour réaliser ces projets ? – Pourquoi ? Mais pour ne plus avoir à subir les scrupules moraux et le carcan des lois américaines. Pour ne pas être entravés par les contraintes politiques de la Chine. Pour ne pas voir leurs efforts ruinés par la fragilité de pays instables. Brunei, vous le savez au fond de vous, a les potentialités de Singapour. Le pétrole, comme d’habitude, a tout gâché dans ce pays. Mais c’est son heure, maintenant. […] Vous pouvez être le Lee Kuan Yew de votre pays. » (234) Nurul se lève, leur sert deux whiskys et demande à Ronald ce qu’il doit faire. « Rien. Nous nous occupons de tout. […] sans un coup de feu. » « –Vous êtes des magiciens, alors ? – Non des professionnels. » Avant de partir, Ronald dépose une petite carte avec son numéro. Nurul allume son ordinateur. La panne est réparée.

Chapitre 22. Effervescence à l’agence : Emma, Harvey Robson et les autres.

Quand Ronald rentre à Nice après quatre jours d’absence, il trouve l’agence en pleine effervescence. Selma est mécontente qu’il ait confié l’intérim à Hakim. Elle a recruté Emma, une spécialiste dont la mère était originaire de Hong Kong et qui parle mandarin et cantonnais. La plupart des Chinois de Brunei étant issus de familles réfugiées de Quemoy et Matsu, deux îles du détroit de Taïwan bombardées par les Chinois en 1958, il faudra rédiger les messages dans leur langue. La veille, ils ont fait un dernier point géopolitique. La situation mondiale offre une fenêtre d’opportunité pour lancer l’opération. La Chine est trop occupée par l’affaire de Taïwan et a obtenu la concession d’une île située à l’embouchure de la rivière Brunei et y a délocalisé une usine de fabrication de plastique très polluante. S’ils les rassurent sur cette concession, ils ne bougeront pas. La Malaisie et l’Indonésie ont leurs préoccupations. Les Gurkhas britanniques, basés à Brunei, n’oseront pas intervenir au risque d’être taxés de néocolonialistes.

Selma demande à Ronald de lui parler de sa rencontre avec Nurul. Après leur rencontre, Nurul a rappelé Ronald à 6h du matin et ils se sont revus à deux reprises dans la journée. Nurul a demandé des garanties pour sa femme et ses gosses : ils iront s’installer en Hongrie où le frère de Mme Azahari est installé. L’agence s’occupera de leur trouver une maison et une école pour les enfants ; ils rachèteront aussi la boîte de Nurul et prendront la main sur le site internet.  Nurul attendra les instructions à Kuching, au Sarawak. Il faut garder une très grande discrétion sur cette affaire.

Ronald descend à l’étage des opérations. L’ambiance est tendue : d’un côté, Hakim et les responsables logistiques, de l’autre, les deux hackeurs qui leur tournent le dos. Ils sont difficiles à gérer, dit Hakim, mais ils obtiennent de bons résultats. Ioura s’occupe des contenus, va chercher des informations sur le Dark Web et elle prépare les séquences dont ils auront besoin dans la phase 1. Imre, lui, infiltre les réseaux. Hakim montre à Ronald des cartes de Brunei affichées au mur : sur l’une, ils ont noté les coordonnées GPS des zones d’entraînement de l’armée anglaise, sur l’autre le camp de l’armée singapourienne. Hakim montre à Ronald le plan détaillé du palais du sultan que les hackeurs ont obtenu en piratant l’ordinateur de la veuve de Ricardo Locsin, l’architecte philippin qui a construit le palais en 1984. Sur un autre mur, deux logisticiens s’appliquent à compléter le planning détaillé phase par phase de l’opération. Hakim ramène Ronald vers son bureau pour lui parler plus discrètement. Ils ne pourront pas se passer de quelques actions de force. Mais ils ne peuvent pas intervenir directement, objecte Ronald. Ils sous-traiteront cette partie à Harvey Robson, un ancien d’artificier de Providence remercié quand Archie a mis fin à la branche « sécurité privée » et aux activités paramilitaires de l’agence. Robson a créé sa société, officiellement chargée de la faune et de la lutte contre le braconnage. Le gros du personnel se trouve en Afrique du Sud et le siège social au Canada. Ronald est passé le voir et il a demandé cher mais Ronald a accepté. Harvey et quatre de ses gars seront là mercredi, dans trois jours. Le ramadan se termine dans 9 jours et la fête de Hari Raya aura lieu deux jours plus tard. En attendant, ils vont lancer la phase préparatoire virtuelle après-demain.

Ronald se rend chez Delachaux qu’il trouve particulièrement nerveux. Le vieil homme se demande dans quoi il les a embarqués. Ronald lui demande de rentrer au bureau.

Chapitre 23. Flora rencontre Greta au palais.

Flora a trop bu chez Yohann. Elle s’endort au petit matin et quand elle descend, la salle du petit-déjeuner est fermée. Elle frappe à la porte de la chambre de Jo et, en le voyant torse nu, remarque l’étendue de ses tatouages (« toute ma vie est sur ma peau », dit-il) et une cicatrice (une balle entrée par le cou et sortie de l’autre côté). Pendant que Jo lui prépare un café, Flora observe la douzaine de photos sur sa table de nuit. Jo est très attaché à sa famille. Flora promet de lui parler de son grand-père. Tout sera bien bientôt prêt, ils vont lancer la première phase de l’opération. Il leur reste deux jours de tranquillité. Jo a prévu un voyage à Temburong, de l’autre côté de la baie, il a réservé un lodge pour la nuit. Un quart d’heure plus tard, Flora revient. Elle a eu Hakim au téléphone : ils ont trouvé des informations sur l’Allemande et veulent que Flora aille la voir. Flora appelle alors le capitaine Shankar. Greta la recevra le lendemain.

Greta a passé une matinée difficile avec un certain nombre de problèmes en régler : une fuite d’eau dans les sanitaires en or et diamants à l’étage des princesses, une gaffe d’une femme de ménage qui a fait tomber un objet sacré (omoplate de chameau avec une inscription coranique) et un accident au parking des voitures (un chauffeur novice a arraché l’aile d’une Ferrari en faisant une manœuvre). Elle est pressée de rentrer chez elle. Le capitaine Shankar lui a recommandé une jeune Allemande impatiente de la rencontrer. Un taxi dépose Flora devant un portail discret, à 50m de l’entrée principale où Greta vient l’accueillir. Elle l’amène chez elle et lui sert du sirop de menthe. Flora se présente comme une ancienne sportive qui cherche à visiter les palais dans tous les pays où elle passe. Greta parle d’elle. Née à Brunei, elle est allée en Allemagne pour la première fois quand elle avait 20 ans ; c’est à ce moment-là qu’elle a rencontré son mari qui terminait alors ses études de médecine en Allemagne. Il a accepté de la suivre. Greta rappelle à Flora qu’elle pourra visiter le palais le jour de la fête de Hari Raya, dans dix jours. Mais Flora dit qu’elle doit partir pour Jakarta dans deux jours et qu’elle espère une faveur. Greta se montre intraitable. Flora n’insiste pas mais en profite pour poser des questions sur le palais.

Greta se montre intarissable. Flora l’amène progressivement sur les sujets qui l’intéressent. Le sultan passe généralement le ramadan à l’étranger chez d’autres souverains musulmans. Il sera là le jour d’Hari Raya. Le prince héritier séjourne cette année aux États-Unis. Quant au Prince Mateen, il est parti la semaine précédente en Angleterre ou dans un autre pays pour jouer au polo. L’heure passe. Flora écoute encore quelques histoires et prend congé de l’intendante en promettant de venir lui dire au revoir avant son départ.

Chapitre 24. Flora et Jo à Temburong rencontrent Kim, leur guide ibane.

Le chauffeur malais qui emmène Flora et Jo à Temburong est peu habitué au contact des Occidentaux et ne parle aucune langue étrangère. Pour rejoindre le grand pont, ils doivent traverser le quartier résidentiel de Kota Batu où habite Kiu. Jo demande à Flora ce qui s’est passé à Madagascar. Un certain André Ritamansoa avait payé l’agence Providence pour le mettre au pouvoir à la place du président. Les mercenaires de Providence devaient aider le groupe de factieux à prendre la radiotélévision et les aider à neutraliser la garde présidentielle et quelques ministres. Mais les partisans d’André avaient un peu trop parlé et la police avait coffré tout le monde la veille du jour J. Flora avait échappé de justesse à l’arrestation, d’autant que les putschistes s’étaient empressés de tout mettre sur le dos de l’agence en criant au complot étranger. La voiture s’engage sur le pont. A l’autre bout, l’unique route grimpe dans la jungle. Au bout d’une demi-heure, ils atteignent le lodge. Deux cars de touristes vietnamiens et japonais s’apprêtent à repartir.

L’arrivée de Flora et Jo passe inaperçue. Une jeune femme souriante, tête nue, vient s’assoir à leur table de façon familière. Elle s’appelle Kim. C’est elle qui les guidera le lendemain quand ils remonteront la rivière en pirogue pour aller voir la canopée. Son côté sympathique et sa décontraction la rendent d’emblée sympathique et forment contraste avec la réserve hautaine des Malais de Bandar. Flora les présente comme français. « Je suis ibane, annonce Kim, […] les Ibans sont un des peuples de Bornéo. Il y en a à Brunei mais aussi au Sarawak et en Indonésie. Ils étaient là bien avant que l’île ne soit découpée en États indépendants. […] Ils nous appellent des indigènes. […] Des Dayaks aussi. [….] Si on se convertit à l’islam, on devient malais. Sinon, on reste dayak. » (264) La jeune ibane, fille des propriétaires de l’établissement, parle librement. Elle veut suivre des études pour être professeure. Elle décrit la discrimination dont sont victimes les peuples indigènes dans la société brunéienne. Elle leur parle des coutumes des Ibans. Ils ne sont pas très liés au reste du pays. Par les chemins de la jungle, ils passent facilement dans les États voisins, l’Indonésie au sud, mais aussi le Sabah, province de Malaisie, située à l’est de Temburong. En tant que gitan, Jo se sent solidaire de ce peuple nomade. Kim dénonce les Malais qui construisent des mosquées à Temburong pour y installer des fanatiques. Flora est surprise. Elle n’a pas eu cette impression à Bandar. La jeune fille explique qu’il y a pourtant de plus en plus de barbus et de femmes couvertes dans les kampongs et que le sultan en a peur. Pour les fanatiques, les Ibans sont des sauvages : ils boivent de l’alcool, les femmes sont libres et ils prient les divinités de la forêt.

Dans l’obscurité, quelques personnes ont allumé un feu. Jo sort sa guitare et commence à jouer un air de flamenco. On se tourne avec lui avec une admiration teintée d’épouvante. Quand il s’arrête, l’assistance applaudit et lui demande de continuer. Flora est bouleversée par cette métamorphose de Jo. Dès qu’ils se retrouvent seuls près des hamacs, Flora s’abandonne.

Chapitre 25. Veillée d’armes.

Jeudi 9 mai, province de Temburong, sultanat de Brunei.

Dans la longue pirogue jaune, Flora, Jo, Kim et le batelier remontent le fleuve. Le temps semble suspendu. Tout est anéanti par la force de l’instant et l’éternité immobile de la forêt.

Jeudi 9 mai, Los Angeles, Californie.

Marvin, seul dans le sous-sol qu’il a fait aménager au sous-sol de sa maison de Santa-Monica, contemple les cartes du sultanat de Brunei et le tableau des opérations que lui a transmis Ray, son intermédiaire auprès de Ronald. Il n’a pas ressenti une telle excitation depuis longtemps. Une compétition personnelle l’oppose à ce sultan qu’il n’a jamais rencontré. Un jour, il est entré dans le Beverly Hills Hôtel, comme un défi symbolique. L’heure est venue. C’est à lui de donner le signal.

Jeudi 9 mai, Nice, France.

Harvey est arrivé la veille du Canada, ses trois hommes d’Afrique du Sud. Ils ont commencé à prendre connaissance des opérations et à élaborer les scénarios pour leur propre intervention. Hakim a fait remonter les hackeurs au 5e étage. Vers 14h, Ronald convoque une réunion générale dans la salle de conférence. Il n’y a pas assez de place autour de la longue table, certains doivent rester debout. Après avoir félicité tous les participants pour leur implication, Ronald annonce officiellement le lancement de la première phase le lendemain à 10h, en temps universel. Il explique les nouvelles règles de travail applicables immédiatement : fonctionnement de l’agence 24h/24 et 7j/7, interdiction de communiquer avec l’extérieur, obligation de déposer les portables à l’entrée de chaque étage, réunion quotidienne des chefs de service.

Jeudi 9 mai, Nice, France.

Selma a passé la nuit avec Emma. Elles ont sympathisé avec les deux hackeurs. Après la réunion générale dirigée par Ronald, Selma s’éclipse discrètement. Elle prend un taxi et s’installe à la terrasse d’un café de la place Masséna, à Nice et compose un numéro de téléphone.

Vendredi 10 mai, Nice, France, 8h.

Ronald va chercher Delachaux chez lui. Les deux hommes arrivent à l’agence. Marvin a donné le signal en envoyant un message vide sur le portable de Ronald. Le départ est prévu pour 10h. Ioura est chargée d’incarner le bras du destin… en cliquant sur sa souris. « C’est le nouvel effet papillon, dit Delachaux […]. Un petit clic de souris ici. Et un tremblement de terre à l’autre bout du monde. » (275)

Chapitre 26. Début de la réaction en chaîne.

Li Wang habite Sydney, en Australie depuis plus de dix ans. Il est bien intégré mais n’a pas oublié d’où il vient et ce qu’il a subi. Chinois né à Brunei, il est resté apatride pendant 25 ans. Marié sur place à Jane, jeune professeur d’anglais australienne, il a encore attendu 5 ans pour obtenir son passeport et quitter le pays. Longtemps, il s’est contenté de suivre les nouvelles du sultanat pour ne pas exposer sa famille. Depuis deux ans, tout a changé : sa mère est morte et sa sœur est partie en Europe pour travailler au siège de la Shell. Il n’a plus de scrupules à critiquer le règne du sultan d’autant qu’il est devenu rédacteur en chef des pages Asie-Pacifique dans un des plus grands quotidiens de la Nouvelle-Galles du Sud. Ce 10 mai, il reçoit un fichier inconnu sans nom d’expéditeur. Il ouvre la pièce jointe le lendemain : la vidéo d’une vingtaine de secondes montre le prince héritier de Brunei en train de boire du champagne et entouré de deux filles presque nues qui lui prodiguent des faveurs. En arrière-plan de la vidéo, on peut comprendre qu’elle a été tournée huit jours plus tôt, en plein ramadan. Li Wang est d’abord tenté de diffuser la vidéo immédiatement mais il préfère la faire vérifier par Dave, le responsable informatique du journal. Rien ne semble faire penser à une fake news. Li Wang décide alors de rédiger un article et de mettre la vidéo en ligne. Les lecteurs australiens seront peu intéressés par ce type d’information, alors il l’envoie à Al Jazeera, en comptant sur la rivalité entre le Qatar et Brunei. Puis il arrose les agences de presse du Golfe et du Moyen-Orient. Il envoie aussi le fichier aux journaux chinois et à la presse malaise : le sultan de Johor, un des leaders de la fédération malaise a des comptes à régler avec le sultan. Enfin, il publie un post sur son compte Reddit, en sachant très bien que la police bloquera vite le compte. Mais d’ici là quelques personnes auront lu le message.

A Nice, après l’excitation du lancement de l’opération, la tension est retombée. Ronald a laissé Delachaux rentrer chez lui. Il y a 6h de décalage horaire entre la France et Brunei. C’est dans la nuit du deuxième jour, celle du samedi au dimanche que parviennent les premiers frémissements de la vague. Tout commence par une séquence dans le journal du soir d’Al Jazeera en arabe. Il n’y a pas de traduction et la vidéo a été floutée mais elle est explicite… en plein ramadan. Quand le gros de l’agence débarque le matin, les reprises se sont multipliées en malais, anglais et chinois. Le post de Li Wang sur Reddit a été consulté plus de 2 000 fois avant de disparaître. Un site djihadiste appelle à faire tomber les imposteurs. Ronald réunit l’équipe du 5e étage pour faire le point. Delachaux arrive en retard et adresse ses félicitations à l’équipe. Le choix de Li Wang était judicieux. Emma a épluché la biographie de dizaines de journalistes et influenceurs chinois avant de trouver la perle rare. Imre a fabriqué une contrefaçon indétectable grâce à de nouveaux logiciels de création d’images très performants. Ronald est dépassé. L’autre message, concernant le pétrole, mettra plus de temps à faire effet, explique Jasper, un jeune garçon travaillant pour Selma. Il faudra attendre la réaction des médias économiques. Hakim donne des nouvelles d’Azahari : il s’est installé à Kuching, capitale du Sarawak d’où il envoie des textes pour nourrir le site ouvert par l’agence. Les gars d’Harvey sont arrivés à Kota Kinabalu, la capitale de la région de Sabah. Pour Delachaux, le processus enclenché ressemble à la réaction en chaîne d’un réacteur nucléaire. Le pouvoir s’en prendra aux laïcs, aux mécréants, aux païens… aux Chinois et aux étrangers. « Attendons de voir. Nous avons quatre jours devant nous avant de lancer la deuxième phase. Et là, ce sera une autre histoire », dit Delachaux.

Chapitre 27. Plan B pour la centrale de Brunei.

Imre est effondré : le sabotage contre la centrale électrique de Brunei n’a pas fonctionné. C’est un vieux modèle ne contenant que très peu d’informatique. Ronald regrette de ne pas avoir été prévenu plus tôt mais Hakim lui propose un plan B. Il en a parlé avec Harvey avant qu’il parte pour Kota Kinabalu. D’après les plans photographiés par Flora chez Yohann, la centrale est composée de deux parties. La centrale, proprement dite, qui alimente le palais et un hôpital, est très bien gardée. La citerne de carburant qui alimente les brûleurs de la centrale, au contraire, n’est pas protégée. Il propose de poser une mine magnétique sur la canalisation qui alimente la centrale et de la faire sauter à distance. Faute de fuel, la production d’électricité s’arrêtera. Et Hakim rassure Ronald, il n’y aura pas de victimes, le réservoir est entouré d’une zone inhabitée. Ronald s’inquiète du délai : ils n’ont plus que deux jours et demi. Selon Harvey, c’est faisable. Il y a deux avions par jour entre Kota Kinabalu et Brunei. En arrivant dès demain, il aura le temps d’agir. La mine, de la taille d’une trousse de toilettes passera facilement. Ronald donne son feu vert.

Chapitre 28. Tout se dérègle à Brunei.

Le séjour à Temburong a été un moment de grâce pour Flora et Jo. Au retour de la balade en pirogue, ils restent une deuxième nuit au lodge. Le lendemain, ils rentrent à la capitale. Dans la voiture, Jo taquine Flora sur leur relation mais celle-ci veut qu’ils se reconcentrent sur leur mission. Ils doivent réfléchir à leur couverture. Jo doit rester en contact avec Kiu, la meilleure source dont ils disposent dans la communauté chinoise. Ils arrivent à l’hôtel et Flora téléphone à l’agence pour prendre les consignes. Elle redescend deux heures plus tard. Le hall est rempli de Malais venus pour la rupture du jeûne. Elle retrouve Jo dans la salle du petit-déjeuner transformée en restaurant indien. Flora informe Jo : Hakim veut qu’ils restent et qu’ils les tiennent au courant. Il a parlé de « réaction en chaîne ». Jo a eu Kiu, ils ont prévu de se voir chez une de ses amies. Flora a téléphoné à Yohann pour aller boire un verre avec lui en fin de journée. Elle passera voir Greta pour lui dire qu’ils seront là pour la fête. Ils mangent indien. Trois hommes regardent Flora de manière insistante. Ils montent se coucher, ils ont du sommeil à rattraper ; Flora ferme sa porte au nez de Jo.

 La matinée commence doucement avant que ne surviennent les premières alertes. Il est trop tard pour déjeuner. Jo commande deux cafés et des gaufres au room-service. Le portable de Jo sonne : c’est Kiu qui appelle pour annuler leur rendez-vous, elle semble bouleversée. Puis, c’est Flora qui reçoit un appel de Yohann : il lui dit de ne pas bouger et de ne pas se balader à pied dans les rues. Flora joue les naïves pour lui soutirer des informations et feint l’affolement. Il passera à 18h et lui expliquera les choses de vive voix. Mais au lieu de rester à l’hôtel, Flora décide d’aller au restaurant chinois. Dès le palier du deuxième étage, ils comprennent que la situation n’est pas normale. La grille est à moitié tirée, ils ne voient presque aucun Chinois. Au vu de leurs passeports, on les laisse rentrer. Dans le restaurant, Jo reconnait un jeune garçon déjeunant seul. Marc est fiancé à une amie de Kiu. Il travaille à l’Alliance française et ils lui demandent ce qui se passe. Il leur explique que le restaurant est illégal et que beaucoup de gens voudraient le voir fermer. Ce matin, ils ont peur d’une descente de police. Marc ne veut pas en dire plus. Il leur propose de passer à l’Alliance le lendemain matin. L’entrevue avec Yohann est plus éclairante. Il passe chercher Flora à l’hôtel et lui parle de la vidéo avec le prince. Tout le monde a été surpris par sa diffusion rapide, la censure des réseaux est un des rares services qui fonctionne dans le pays. La vidéo, dit-il, aurait été envoyée par un Chinois brunéien vivant en Australie. Voilà pourquoi les Chinois ont peur. Par ailleurs, il y a eu des réactions violentes dans le monde arabe et des menaces de la part de Daech. Yohann veut aller au yacht-club mais en arrivant, ils voient des voitures de police. Ils se dépêchent de faire demi-tour. Yohann ramène Flora à l’hôtel.

Le lendemain matin, Flora découvre en gros titre du Brunei Herald : « Coup de filet parmi les étrangers qui se croient autorisés à violer les lois. » Ils ont saisi de l’alcool au yacht-club et deux Hollandais vont être expulsés. En allant à l’Alliance française, Flora tient Jo au courant de la vidéo du prince. Jo se plaint de l’agence. « L’idée c’est qu’on en sache le moins possible », dit Flora.  Ils trouvent Marc en train de ranger des livres dans la bibliothèque. Ils vont dans le jardin pour discuter. Le sultan fait profil bas après la vidéo, le prince héritier va s’absenter longtemps Ils ont serré la vis sur l’alcool pour rassurer les conservateurs. Marc pense que cette affaire va se tasser mais d’autres mauvaises nouvelles inquiètent le palais. Un document interne de la Shell révélé par Bloomberg affirme que les réserves de pétrole sont pratiquement à sec. Shell a démenti mais tout le monde est inquiet. Les Malais sont presque tous dans la fonction publique. Tout ceci ravive le souvenir des années 2000. C’est la première fois, ajoute Marc qu’on entend parler d’une opposition sérieuse. Le fils Azahari est réapparu. Il a ouvert un nouveau site internet qui a déjà des milliers de followers. Le gouvernement va en interdire l’accès mais c’est révélateur de la grogne. « En somme, résume Flora, les Chinois sont inquiets, les barbus sont furieux et les Malais se sentent trahis. » (304). Marc espère que tout le monde se détendra avec la fin du ramadan et la fête d’Hari Raya.

Chapitre 29. Jim pose la mine à la centrale électrique.

Harvey et ses hommes disposent de nombreux contacts en Malaisie. Sa société de lutte contre le braconnage y a déjà été employée deux ans plus tôt. Quand elle propose aux autorités de Sabah un relevé préventif de la faune sauvage, ils n’ont aucun mal à obtenir les autorisations. L’hélicoptère de la société est stationné sur le tarmac de l’aéroport de Kota Kinabalu. Les quatre hommes de l’équipage sont à peine contrôlés. Pour l’intervention sur la centrale électrique, Harvey a choisi Jim. Petit, fluet avec ses fines lunettes, ce jeune homme de 28 ans n’a rien d’un commando. Fils d’un oto-rhino-laryngologiste de Londres, il a étudié à Cambridge où il a commencé une thèse sur Norman Mailer. La lecture de Les Nus et les morts lui a donné envie de découvrir la vie militaire. Il a alors rejoint les forces spéciales et intégré la 1st Intelligence Surveillance and Reconnaissance Brigade. L’expérience l’a conduit en Libye et au Ghana. L’université ayant attribué sa place à quelqu’un d’autre, il a alors rejoint la nouvelle entreprise créée par Harvey. Avec le costume bleu déniché dans un supermarché de Kota Kinabalu, Jim a tout d’un cadre commercial en tournée. Pour détourner l’attention à la douane, il apporte trois bouteilles de gin : on lui en confisque une sans trouver la mine dans ses bagages. A Brunei, Jim loue une voiture et arrive au réservoir en fin d’après-midi après avoir acheté une pince coupante. Mais il constate que la conduite d’alimentation de la centrale est enterrée. Il doit renoncer provisoirement.

Comme Marc l’avait espéré, les deux jours suivant la publication de la vidéo sont calmes. Tout le monde attend la fête de Hari Raya. Mais les tensions entre les communautés sont perceptibles. Les Malais tiennent les Chinois pour responsables de l’outrage fait à la Couronne. Flora et Jo attendent de nouvelles instructions à l’hôtel. Flora a appelé Greta pour lui dire qu’elle serait là le jour de la fête et viendra avec un ami. Greta promet de les faire entrer.

Jim ayant renoncé à poser la mine est rentré à son hôtel (pas le Radisson). Pendant la nuit, les recherches se poursuivent pour trouver les différents montages de l’installation. La conduite ne doit pas être enterrée très profondément. Jim met à profit sa journée pour acquérir plus de matériel et le moment venu, il se rend à la centrale. Il commence à creuser et au bout d’un quart d’heure, il perçoit un bruit métallique. Il dégage le tuyau et pose la mine. Tout est prêt pour la fête.

Chapitre 30. Panique au palais du sultan.

La célébration d’Hari Raya, organisée deux jours après la fin du ramadan, permet de rompre la monotonie. La foule se met en marche vers le palais dès l’aube. La file des visiteurs s’allonge. Pourtant, une tension palpable parcourt le rassemblement : il y a moins de Chinois et plus de croyants rigoristes en tenue pieuse. Grâce à Greta, Flora et Jo ont dépassé toute la queue. Une fois les portes franchies, ils marchent jusqu’à l’entrée monumentale. Jo suit la foule dans le salon d’apparat pendant que Flora reste avec Greta qui lui fait visiter les jardins. Elles empruntent une voiturette électrique et s’éloignent du palais quand retentissent les premiers cris à l’intérieur du bâtiment. Les lampadaires s’éteignent et en bas de l’avenue, les gardes repoussent brutalement les visiteurs et s’efforcent de refermer les lourdes grilles. Au niveau du perron monumental, d’autres gardes ont eu le même réflexe, empêchant la sortie de la foule vers l’extérieur. Flora s’enquiert de la situation. Un garde avertit Greta de la panne générale d’électricité. Jo est toujours à l’intérieur. Greta veut passer par une porte de service quand ils entendent des coups de feu. Deux camions militaires s’arrêtent sur l’avenue et déposent une trentaine de soldats. Flora propose de trouver le capitaine Shankar. Greta veut ouvrir la porte avec son badge mais le système reste bloqué faute de courant. De nouveaux coups de feu se font entendre.

Pendant quelques minutes tout semble figé puis la situation se dénoue. L’hélicoptère royal se met en vol stationnaire au-dessus du bâtiment puis les portes principales se rouvrent lentement. La foule se précipite à l’extérieur et Flora aperçoit Jo. Elle se jette dans ses bras. L’hélicoptère repart. Jo raconte ce qu’il a vu à l’intérieur alors qu’il n’était qu’à 50 places du trône. Les gardes ont dû exfiltrer le sultan. Pour reprendre le contrôle de la situation, quelqu’un a ordonné de tirer. Les militaires se déploient dans le parc cet tout le monde est invité à sortir. Flora a eu peur pour Jo.

Chapitre 31. Jim bloqué sur la route.

Delachaux qui a tenu à rentrer chez lui tous les soirs pendant la préparation, entend maintenant dormir au bureau. L’explosion a eu lieu à 12h30, heure de Bandar, 6h30, heure de Nice. Les premières nouvelles tombent sur le fil des agences de presse à 10h30 : elles ne mentionnent d’abord que l’incendie de la centrale et se veulent rassurantes (aucun dégât humain). La coupure de courant au palais et la panique ne commencent à filtrer dans les médias que vers midi. Le bilan provisoire fait état de deux morts et 12 blessés piétinés dans la bousculade. Un communiqué annonce que le sultan est à Singapour où il possède une résidence. Les informations sont peu relayées dans les médias. Ce qui se passe dans ce petit état n’inspire que l’ironie ou la condescendance.

A l’agence, on discute de la réaction de Flora et de Jo qui ont été très mécontents de ne pas être tenus au courant. De toute façon, il est trop tard, explique Delachaux. « On ne va plus rien maîtriser. Dans les heures qui viennent, tout va s’accélérer. […] C’est le principe de la réaction en chaîne dont je vous ai parlé. Au début, il faut faire démarrer le processus. Ensuite, il se développe tout seul. » Plus tard, ajoute-t-il, viendra le temps de « diriger la réaction et la canaliser vers notre but. Pour l’instant, on ne peut toucher à rien. » (323) De plus, ils auront besoin de Flora et Jo sur place quand le pays sera bloqué et sous black-out. Une autre nouvelle inquiétante arrive vers 18h. Jim n'a pu être récupéré par l’hélicoptère.

Il a été convenu que Jim actionnerait le détonateur entre midi et 13h. La foule qui se presse vers le palais lui rappelle son enfance quand il partait avec son père et sa mère (qui depuis 5 ans le trompait avec le dentiste). A midi, il se gare sur la bande d’arrêt d’urgence et appuie sur la télécommande. Rien ne se passe. Il essaie une seconde fois, en vain. C’est à ce moment que s’approche la voiture de sécurité dans son rétroviseur. Mais elle le dépasse sans s’arrêter. Jim comprend qu’il doit ouvrir sa vitre pour que la télécommande fonctionne. Le bruit de camionnettes passant au même moment masque celui de l’explosion. Jim reprend sa place dans la circulation. Le plan prévoit qu’il bifurque vers la colline et rejoigne le pont vers Temburong. Mais en atteignant l’embranchement vers le palais, il se retrouve coincé dans un embouteillage. Au bout de quelques heures d’immobilisation, il décide d’aller à l’hôtel où il est descendu à Kota Kinabalu. Il parvient à joindre Hunter, le quatrième de l’équipe et lui demande d’annuler l’hélicoptère. Il donnera des nouvelles dès qu’il aura réussi à s’extirper de ce piège.

Chapitre 32. Déchaînement des barbus fanatiques contre les Chinois.

Flora et Jo rentrent à l’hôtel en revenant du palais et s’abandonnent dans les bras l’un de l’autre. Puis Flora appelle l’agence pour manifester son mécontentement. A la tombée de la nuit, ils prennent conscience que des événements graves se déroulent dans la ville. La circulation sur l’avenue s’est totalement arrêtée et des camions arrivent de la campagne, chargés de barbus en djellabas avec des fourches et des fusils. Le hall de l’hôtel est vide et les lumières sont presque toutes éteintes. Des soldats gardent l’entrée et la réceptionniste avertit Flora et Jo qu’il est interdit de sortir. Flora essaie d’appeler Yohann mais il ne répond pas. Il la rappelle vers 20h et il l’informe de la situation : l’hôtel est gardé par l’armée pour éviter que les étrangers soient attaqués, Yohann est rentré chez lui après avoir été arrêté avec tous les hommes de la centrale… ils ont besoin d’eux pour la remettre en service… c’est un sabotage mais les autorités ne sont pas équipées pour mener une enquête… le bruit court que ce sont des Chinois. Depuis l’affaire de la vidéo, les barbus les ont dans le collimateur. Tout devient sujet à soupçon : l’absence des Chinois à la fête par exemple, et puis, il y a l’affaire de Nan Hsiao, du nom du grand industriel qui intrigue depuis des mois pour se faire attribuer la concession de la centrale… des soi-disant témoins racontent qu’ils ont vu deux jeunes Chinois rôder autour de la centrale les jours précédents. Et des sites djihadistes mettent de l’huile sur le feu et appellent à la vengeance. Le sultan et le prince héritiers étant absents, il n’y a personne pour donner des ordres à la police et à l’armée qui se contentent de sécuriser les domiciles des ministres et les grands hôtels. Les barbus vont s’en prendre aux Chinois, à côté de chez Yohann, ils ont pillé la maison de plus grand concessionnaire de voitures, chef d’une famille chinoise présente sur l’île depuis deux siècles. Cela va mal finir. Les fanatiques n’en ont jamais assez.

Une fois la conversation avec Yohann terminée, Flora conseille à Jo de téléphoner à Kiu. Elle s’est mise en sécurité avec ses parents chez un cousin médecin qui a un logement de fonction protégé par l’armée à l’hôpital de Jérudong. Ces derniers temps, sa famille a reçu des messages anonymes et des menaces. Kiu ne sait pas trop s’il y a des victimes mais ils ont déjà pillé et brûlé pas mal de maisons. La plupart des Chinois ont pris la fuite mais certains ont organisé la résistance en sortant des armes (pourtant interdites à Brunei). Flora s’indigne : « Je ne sais pas s’ils se rendent compte à l’agence de ce qu’ils ont déclenché ». (334)

Chapitre 33. Dégâts collatéraux.

L’agence s’est adaptée au décalage horaire avec Bandar Seri Begawan : les effectifs se réduisent dans la journée mais tout le monde est à son poste la nuit. La veille avec l’équipe d’Harvey est assurée par Dave, un Écossais, membre de son équipe. Ils n’ont toujours pas de nouvelles de Jim mais Harvey reste confiant, du moins en apparence. Les premières informations sur les pogroms antichinois leur parviennent à 3h du matin. La situation sur place reste instable. La plupart des pigistes des agences de presse sur place sont chinois et leur travail est devenu dangereux même avec un brassard de presse. Un bilan provisoire fait état de 12 morts et de plusieurs dizaines de maisons brûlées ou dévastées. Les victimes commencent à s’armer. A 5h, les chefs des principaux services se réunissent. Delachaux prend la parole. Il est conscient de leur inquiétude car ils se sont engagés à ne pratiquer aucune violence. Cyniquement, il confirme qu’ils ont tenu leur engagement : ils n’ont tiré aucun coup de feu, leur action s’est limitée à deux fake news et à une coupure de courant. Et plus sérieusement, il ajoute : « Le principe d’un coup d’État, c’est la violence. On ne change pas un pouvoir en frappant gentiment à la porte et en demandant de s’assoir dans le fauteuil du chef que l’on veut renverser. […] Dans toutes les théories classiques du coup d’État, la violence est pratiquée par ceux qui se lancent à l’assaut du pouvoir. Cette méthode-là est sanglante et même criminelle. Nous, nous sommes en train de faire l’expérience, pour la première fois au monde, notez-le, d’un autre type de processus. Nous nous contentons de révéler la violence interne d’une société, de la faire apparaître au grand jour. » (337) Cette violence mise en branle existait déjà, ajoute Delachaux. Tôt ou tard, les fondamentalistes auraient fini par passer à l’offensive. Il y aura d’autres dérapages dans les heures à venir. Après les attaques antichinoises, il y aura une répression antimusulmane. « Nous devons considérer ces dégâts collatéraux comme inévitables et même nécessaires » … « Si nous croyons que le choix est bon […] alors nous devons accepter les désordres actuels. Il faut garder nos nerfs et tenir bon la barre. » Les réticences de l’assistance ne sont pas vaincues mais personne ne se sent de taille à discuter avec le professeur. Et certains sont même gagnés par ses arguments.

L’embouteillage dans lequel est coincé Jim ne se démêle que vers 22h. Il est trop tard pour qu’il s’engage sur le pont de Temburong. Il retourne à l’hôtel prétextant qu’il a raté son avion et il reprend sa chambre. Au petit matin, en descendant à la réception, il voit des employés s’affairer autour d’une Chinoise, d’âge mûr, qui a la tête en sang. Cette femme qui habite à un pâté de maisons de l’hôtel s’y est réfugiée après l’attaque de sa maison. La femme de chambre conseille à Jim de ne pas sortir mais il décide de partir avec sa voiture. Bientôt, il s’engage sur le pont mais, au moment où il s’apprête à appeler Harvey, il perçoit un attroupement. Il a le réflexe de jeter la télécommande par-dessus le pont. A la sortie du pont, un soldat malais, à un barrage, s’avance vers lui, son arme pointée sur lui.

Chapitre 34. Réactions internationales et nouvelle vidéo.

Au lever du jour et toute la matinée, les informations parvenant à Nice parviennent de dresser un tableau plus complet de la situation. Une réunion est fixée à midi pour une nouvelle synthèse. La Chine a réagi mollement, l’essentiel pour elle étant de préserver la sécurité de ses investissements sur l’île-usine de Muara concédée par le sultan. La réaction de Singapour a été plus ferme d’autant que le sultan y est réfugié et que le dollar brunéien est indexé sur celui de Singapour. Flora a appelé Hakim deux fois pour informer l’agence de la proclamation du sultan à la télévision, appelant au calme et donnant des instructions à l’armée pour rétablir l’ordre et d’arrêter les fauteurs de trouble. Quelques extrémistes pakistanais et indonésiens ont été arrêtés avant leur expulsion. Les Brunéiens vont essayer de faire porter le chapeau aux étrangers. Ronald et Hakim pensent à Jim. Flora signale qu’il y a davantage de véhicules de police. C’est à ce moment-là que Delachaux bondit : c’est par là que tout va dégénérer. La police et l’armée de Brunei ne sont pas à la hauteur. Jasper, le garçon chargé de la veille internet signale que les sites djihadistes ont continué toute la journée à lancer des appels pour « punir les mécréants idolâtres qui avaient souillé les fêtes de l’Aïd à Brunei » (346). De son côté, Azahari continue à alimenter son site de textes pertinents. « On entre dans la zone citrique, conclut Delachaux. Je ne sais pas comment, je ne sais pas comment, je ne sais pas où, mais la situation va dégénérer cette nuit. La tentative de reprise en main va entraîner un chaos plus grave encore, car l’État va s’y trouver mêlé. Le sultan n’aura bientôt plus qu’un choix. Faire appel à la garnison des Gurkhas. » (346) Il faut maintenant diffuser le deuxième document.

Depuis plus de quarante ans, la photo de Sefri n’a jamais quitté l’étagère de la bibliothèque de Harry Thackeray. Ils s’étaient rencontrés en 1983 à Brunei alors qu’Harry faisait son stage de fin d’études auprès du dernier représentant britannique du sultanat. Ils jouaient au polo : le jeune Malais était un très bon cavalier et Harry tombait tout le temps. Mais un jour, le chef de la police l’avait prévenu que Sefri s’était tué dans un accident de voiture. Harry avait alors traversé une longue période de dépression. A son retour à Londres, il s’était dirigé vers le journalisme et était entré à la BBC où il avait fait toute sa carrière. A 65 ans, il a obtenu une prolongation d’un an avant de prendre sa retraite. Son domaine est la politique étrangère. Il est passionné par l’Asie et suit les affaires de Brunei. Il a couvert les scandales de la fin des années 90, les frasques du Prince Jefri et sa disgrâce. Il a été choqué quand le sultan a introduit la charia intégrale prévoyant notamment la peine de morts pour les homosexuels. Il tient la liste des condamnés pour homosexualité restant passibles d’une exécution. Ce matin-là, il reçoit un document anonyme sur WhatsApp avec une vidéo : « Djili M. homosexuel. Exécuté à Bandar Seri Begawan ». (349) La séquence hachée montre le prisonnier dans le couloir de la prison et sur le gibet au moment de sa pendaison. Tout dans cette scène lui rappelle Sefri. En cherchant dans son fichier il trouve le nom de Djili M. 26 ans, arrêté le 19 décembre 2019, à la troisième ligne. Harry fonce au journal où on lui apprend les événements de Brunei (pendant trois jours de congé il n’a pas consulté la presse). Il comprend que la mise en place de la charia contre les homosexuels s’inscrit dans le cadre d’une répression plus vaste. Harry montre la vidéo à sa rédaction. Le sujet fait l’ouverture du grand journal de la BBC et passe en édition spéciale sur BBC World News toute la journée.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de POT ETHIQUE A LENTS TICS
  • : Commentaires sur l'actualité politique et culturelle. Poésie. Parodie. Lettres-philosophie en CPGE scientifiques.
  • Contact

Profil

  • POT ETHIQUE A LENTS TICS

Recherche

Pages

Catégories