Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 février 2018 2 20 /02 /février /2018 10:13

The prison : Un ancien policier nommé Song Yoo-Gun (Kim Rae-Won) se fait incarcérer dans une prison en tant que détenu pour rencontrer un prisonnier connu sous le nom du « Roi » afin de savoir la vérité sur la mort de son jeune frère, journaliste qui avait mis à jour un vaste réseau de corruption. Song découvre que Jung Ik-Ho  (Han Suk-Kyu vu dans The President’s Last Bang en 2005 et Shiri en 1999) règne sur la prison comme un véritable chef mafieux et doit donner des gages de violence pour gagner la confiance du parrain. La violence règne dans cet univers marginal jusqu’à la confrontation finale. Ce polar carcéral à l’ambiance très noire est efficace sans être d’une grande originalité même s’il peut se lire comme une parabole sur la corruption de la société coréenne, illustrée par l’inculpation de la Présidente Park Geun-Hye. Réalisé par Na Hyun, auteur de Far away, les soldats de l’espoir et de May 18, The prison, sorti le 23 mars 2017, a fait presque 3 millions d’entrée au box-office coréen 2017.

Tunnel : Alors qu’il rentre chez lui en voiture, Lee Jung-Soo (Ha Jeong-Woo, vu dans The Murderer et The Chaser de Na Hong-Jin, Mademoiselle de Park Chan-Wook et de nombreux films de Kim Ki-Duk), commercial chez Kia Motors, est accidentellement enseveli sous le tunnel Hado qui vient de s’effondrer. Alors qu’une tentative de sauvetage nationale se met en place, suivie et commentée par les médias, les politiques et le public, le représentant joue sa vie avec les rares moyens dont il dispose. Pendant ces 35 jours de réclusion du naufragé de la route en plein cœur de l’hiver coréen, se joue à la fois une course contre la montre à l’intérieur et une comédie grinçante à l’extérieur égratignant le voyeurisme des médias, l’impéritie de l’Etat et l’avidité des promoteurs. Le film, adapté du roman éponyme de So Jae-Won, sorti le 10 août 2016 en Corée, a fait plus de 7 millions d’entrées.

Mademoiselle : En pleine colonisation japonaise en Corée, dans les années 1930, la riche Japonaise Hideko (Kim Min-Hee) embauche la jeune servante coréenne Sook-Hee (Kim Tae-Ri) dans un gigantesque et sombre manoir appartenant à  Kouzuki, son oncle tyrannique, bibliophile et érotomane ; elle ignore que cette dernière ourdit des plans maléfiques avec un escroc (Ha Jeong-Woo) qui se fait passer pour un comte japonais nommé Fujiwara qui veut épouser la jeune héritière pour s’emparer de sa fortune après l’avoir fait internée. Mais les choses ne vont pas se dérouler comme prévu. Park Chan-Wook, le sulfureux réalisateur d’Old Boy en adaptant le roman de la Britannique Sarah Waters, Du bout des doigts (sorti en 2002), signe une nouvelle œuvre subversive à la beauté vénéneuse.

Memories of war : Septembre 1950, la Guerre de Corée fait rage. Pour contrer l’offensive nord-coréenne, le Général MacArthur organise un débarquement sans précédent sur la plage d’Incheon. Sur place, huit soldats infiltrés dans les rangs nord-coréens ont pour mission de voler les plans de bataille afin de déclencher l’attaque. L’opération Chromite est lancée, dont l’enjeu fut de chasser les Nord-Coréens qui ont envahi le port sud-coréen, et le cours de l'histoire est sur le point de changer. Pendant oriental du célèbre jour le plus long, ce film met en lumière un épisode méconnu de la guerre de Corée méconnu en Europe. Sa mise en scène et ses effets spéciaux n’ont rien à envier au meilleur du cinéma hollywoodien tout en faisant la part belle au sacrifice des soldats coréens menés par le capitaine Jang Hak-Soo (Lee Jong-Jae vu récemment dans The Housemaid). Sorti en 2016, le film de Lee Jae-Han a fait 7 millions d’entrée en Corée du Sud.

Partager cet article
Repost0
18 mars 2017 6 18 /03 /mars /2017 09:22

Le film de Denis Villeneuve, sorti en 2010.

En bleu, les différences notables avec la pièce.

1ère partie : Les jumeaux.

Dans une maison, des enfants sont rasés sous la surveillance d’hommes en armes. L’un des enfants a trois tatouages sur le talon droit.

Dans son étude canadienne, le notaire Jean Lebel présente le testament de Nawal Marwan à ses deux jumeaux Jeanne et Simon. Nawal a été la secrétaire de Jean. Il leur remet un passeport et une croix en pendentif.

A l’université, Jeanne est assistante du professeur Niv Cohen. Après avoir continué le cours sur la « conjoncture de Syracuse », elle parle avec lui de sa mère, du village de Der Hom de Fouad, de son père mort pendant la guerre à Daresh. Le professeur lui recommande d’aller voir un de ses amis Saïd Adar à l’université de Daresh. Elle présente une photo de sa mère.

Jeanne est avec sa mère à la piscine.

2e partie : Nawal

Nawal et Wahab fuient dans les montagnes. Deux hommes les rejoignent. Nicolas, le frère de Nawal dit à Wahab de retourner dans son pays. Wahab est tué. La grand-mère leur dit de rentrer à la maison. Elle fait des reproches à Nawal : « tu as sali le nom de la famille ». Nawal dit qu’elle est enceinte. Après la naissance de l’enfant, Nawal devra partir. Elle ira en ville chez son oncle Charbel puis à l’école pour apprendre à lire et penser.

Des avions dans le ciel signalent une menace militaire.

Accouchement de Nawal. La grand-mère marque l’enfant de trois points tatoués sur le talon.

Nawal promet de le retrouver.

L’enfant est emporté par une femme. Nawal quitte la maison : « Un jour, je vais te retrouver mon fils ».

3e partie : Daresh

Jeanne se dirige vers l’Université des Langues Etrangères de Daresh. Elle va voir le professeur qui lui a été recommandé (il a enseigné l’histoire des mathématiques à Paris XI). Elle cherche des informations sur sa mère. Un homme lui dit qu’elle a peut-être travaillé au journal étudiant. Sur la photo, il remarque le nom de Kfar Riyat, une prison au sud.

Photos de manifestations. Les étudiants s’opposent aux Nationalistes qui ont fermé le campus. Les villages chrétiens ont été attaqués. La famille Charbel veut se réfugier à la montagne. Nawal elle va aller chercher son fils dans les orphelinats.

Nawal traverse le pays occupé, croise les troupes et les réfugiés. L’orphelinat a été brûlé. On lui dit que tout le monde est parti vers le camp de Deressa. Chamseddine et ses hommes ont tué tous les chrétiens pour venger les réfugiés.

En cachant sa croix et en mettant un foulard, elle monte dans un bus qui est arrêté par des milices. Le bus est mitraillé puis incendié. Nawal dit qu’elle est chrétienne. Elle essaie de sauver une petite fille qui est tuée en voulant rejoindre sa mère.

4e partie : Le Sud

Jeanne arrive dans le village de sa mère. Le petit Ahmed la conduit chez Souha. Samia l’aide à traduire ses propos de sa grand-mère et des femmes. Mais quand elle dit qu’elle est la fille de Wahab et de Nawal, la réaction des femmes est hostile : sa mère est une honte, la famille Marwan a été frappée par la honte. On ne connaît pas Wahab. « Si tu es la fille de Nawal Marwan, tu n’es pas la bienvenue ici. Retourne chez toi. Tu cherches ton père et tu ne sais même pas qui est ta mère ! »

5e partie : Deressa

Nawal arrive au camp de Deressa après les massacres. Incendies. Elle parle avec un homme. Elle a cherché son fils, ne peut se consoler de ce qu’elle a vu. « Tu es contre notre ennemie, dit l’homme, ça ne fait pas de toi notre amie… Pourquoi Chamseddine te ferait-il confiance ? - Le père de mon fils était un réfugié de Deressa ». Elle hait les Nationalistes. « Ce n’est pas ce que tu écrivais dans le journal de Charbel. – Mon oncle croyait encourager la paix avec des mots et des livres. La vie m’a appris autre chose ». Nawal veut enseigner à l’ennemi ce que la vie lui a appris. Sur les murs, elle voit le portrait du chef des miliciens qu’elle a déjà remarqué sur les t-shirts des assassins du bus.

Elle devient préceptrice des enfants de ce chef de guerre. Elle lui apprend le français.

Un jour, elle reçoit un appel de Nouchine : « Demain, 10h ! »

Nawal tire sur le chef des miliciens. Elle est arrêtée, rasée et mise dans une cellule.

6e partie : Kfar Rayat

Un guide fait visiter la prison de Kfar Riyat condamnée par Amnesty International. Plus de 600 prisonniers politiques ont été enfermés dans cette prison. Elle montre la photo de sa mère et demande si quelqu’un la connaît.

Elle cherche maintenant Fahim Harrsa, qui est devenu concierge dans une école. Il lui parle de la femme qui chante, n°72. C’est elle qui a assassiné le chef des milices de la Droite chrétienne. « Ils lui ont fait payer très cher… quinze ans ! » Fahim a passé treize ans à la surveiller. « Ils ont tout fait pour la faire plier. A la fin, elle se tenait encore debout et elle les regardait. Elle n’a jamais plié ». Il parle d’Abou Tarek. « Vous savez, parfois il vaut mieux ne pas tout savoir. ». Abou Tarek était un spécialiste de la torture. Il l’a violée à répétition pour la briser avant qu’elle sorte et qu’elle arrête de chanter. A force elle est tombée enceinte. Ils ont attendu qu’elle accouche en prison. Puis, ils l’ont laissé partir ». Jeanne demande s’il a vu l’enfant. « Il y avait un médecin parfois qui venait. Je pense qu’il est devenu fou, d’autres disent qu’il a un restaurant à Tel Aviv. Je crois qu’il est devenu fou. L’infirmière, je la connais, elle habite à Daresh. »

Jeanne, en larmes, téléphone à Simon pour lui annoncer les dernières nouvelles. Leur frère est né en prison !

7e partie : La femme qui chante

Nawal Marwan dans la prison de Kfar Rayat. Cris de femmes. Nawal chante.

Au Canada, Lebel parle avec Simon. Il veut aller chercher sa sœur. Lebel partira avec lui : « une promesse pour un notaire, c’est de l’ordre du sacré ! ».

Images de Lebel au chevet de Nawal. Les enveloppes.

8e partie : Sarwan Janaan

Nawal avance dans un couloir avec un sac sur la tête. Elle se retrouve seule dans sa cellule avec Abou Tarek. Suggestion de viol.

Elle est enceinte.

Elle accouche de deux enfants. L’ordre est donné de jeter les enfants à la rivière. L’infirmière va s’occuper d’eux.

Simon se retrouve dans un taxi avec Jean Lebel et Maître Maddad. Retrouvailles avec Jeanne.

Ils retrouvent Maïka,l’infirmière qui a aidé Nawal à accoucher. Elle est à l’hôpital américain. Elle leur explique qu’elle a recueilli les enfants et les a redonnés à la femme qui chante quand elle est sortie de prison. Nawal a accouché de jumeaux.

Les jumeaux se retrouvent à la piscine.

9e partie : Nihad

Dans les ruines d’une ville en guerre. Des enfants avancent sous la menace de tirs. Un des enfants (au pantalon rouge) est tué par un sniper qui a trois points tatoués sur la talon.

Lebel parle à son collègue de Nawal. Elle a travaillé pour lui comme secrétaire pendant dix-huit ans. « Ma femme et moi, on s’était pris d’affection pour elle et ses enfants… Je m’aperçois que je ne la connaissais pas bien. »

Maître Maddad a effectué des recherches. « Pour le père, Abou Tarek, il n’y a pas d’acte de décès. Il est peut-être parti à l’étranger. Nawal vient du village de Der Hom. Elle a remis l’enfant à Elhame, une sage-femme qui l’a remis à l’orphelinat de Kefel Rhut en mai 1970. Il a retrouvé les registres. C’est le seul garçon déposé à l’orphelinat ce mois-là. Il a été enregistré sous le nom de Nihad du mois de mai. Il n’y a pas eu d’adoption durant cette période. L’orphelinat a été détruit quatre ans plus tard. On a perdu sa trace. Il reste une piste à explorer, un peu radicale. Le chef de guerre qui a démoli l’orphelinat à l’époque vit encore. Il sait peut-être ce qui est arrivé à ces enfants. Cette période est une succession de représailles qui s’emboîtaient dans une logique implacable. Il s’appelle Walad Chamseddine. « Comment peut-on le trouver, dit Simon – C’est lui qui vous trouve… On peut essayer quelque chose. Dans un camp de réfugiés de Deressa, vous allez prendre le thé avec le premier qui vous invitera et vous direz que vous êtes le fils de la femme qui chante et que vous cherchez Nihad de mai. Quelqu’un vous accompagnera. »

Un chauffeur de taxi amène Lebel et Simon à Deressa. Un homme les invite à prendre le thé. Simon dit qu’il cherche Nihad de mai et que sa mère vient du village de Der Hom, c’est la femme qui chante.

Quelques temps plus tard, des hommes viennent chercher Simon dans sa chambre d’hôtel. Il sera revenu dans une heure.

A l’intérieur d’une voiture, un homme parle à Nawal : « tu vas quitter le pays. Nous avons des contacts en Amérique. Tu dois partir avec les enfants. – Vous ne pouvez pas me demander ça, répond Nawal. – Tes enfants sont nos enfants Nawal. Je vais vous aider. Je serai là pour toi et les enfants ».

10e partie : Chamseddine

Simon attend dans une chambre d’hôtel, un bandeau sur les yeux. Des hommes entrent. Une conversation commence avec Chamseddine. Simon dit qu’il cherche Nihad de mai… « c’est mon frère ».

« Moi et mes amis, nous avons attaqué les chrétiens du village de Kafal Rut pour répondre aux agressions dont nos frères ont été les victimes. J’ai épargné les enfants de l’orphelinat. Nihad était parmi eux. Nous les avons entraînés pour qu’ils se battent pour nous. Nihad est devenu un tireur redoutable mais il voulait retrouver sa mère. Il l’a cherchée pendant des mois. Il est devenu un fou de guerre. Il voulait être martyr pour que sa mère voie son portrait partout sur les murs du pays. J’ai refusé. Il est reparti à Daresh. Il est devenu un franc-tireur, le plus dangereux de la région, une vraie machine.Il tire sur tout le monde. Et puis, il y a eu l’invasion ennemie. Ils ont capturé Nihad. Il a tué sept tireurs. Ils l’ont envoyé à la prison de Kfar Riyat… comme bourreau… Non, il n’a pas travaillé avec Abou Tarek ».

Jeanne qui a rejoint Simon dans la pièce, pleure. « 1 plus 1 ça fait 2. Ca peut pas faire 1 ».

En sortant de la piscine, Nawal voit le talon d’un homme : il a trois points tatoués. De ce jour, date son mutisme.

« En devenant bourreau, ton frère a changé de nom. Il est devenu Abou Tarek. Nihad de mai est Abou Tarek. Nous savons maintenant qu’il vit au Canada sous une nouvelle identité, Nihad Harmanni ».

Il fait le ménage pour une compagnie de transport.

Jeanne et Simon le croisent dans la rue. Ils lui donnent les deux enveloppes. Il lit la première dans le hall et la seconde dans son appartement.

Lettre du père : Nawal l’a reconnu à la piscine. « Je suis votre n°72. Cette lettre vous sera remise par nos enfants. Vous ne les reconnaîtrez pas. Ils savent qui vous êtes. A travers eux, je veux vous dire que vous êtes encore vivant mais bientôt vous vous tairez je le sais car le silence est pour tous devant la vérité. La pute n°72 ».

Lettre du fils : « Je parle au fils, pas au bourreau. Quoi qu’il arrive, je t’aimerai toujours. C’est la promesse que j’ai faite à ta naissance. Je t’ai cherché toute ma vie. Tu as ton tatouage sur le talon droit, je l’ai vu. Je t’ai reconnu. Console-toi, rien n’est plus beau que d’être ensemble. Tu es né de l’amour, ton frère et ta sœur sont donc nés e l’amour. Rien n’est plus beau que d’être ensemble. Ta mère Nawal. Prisonnière n°72 »

Lettre aux jumeaux : « Le silence sera brisé. Vous pourrez mettre une pierre sur ma tombe et graver mon nom. Où commence votre histoire dans l’horreur ou dans l’amour. Il faut briser le fil de la colère ».

Harmanni se recueille sur la tombe de Nawal.

http://lewebpedagogique.com/hberkane2/files/2016/08/Incendies-de-Denis-Villeneuve.pdf/

http://tropics.univ-reunion.fr/fileadmin/Fichiers/tropics/Numero3/Reecriture/14-Montin-2.pdf/

Dans le mythe originel d’Œdipe, le fils de Laïos et de Jocaste était appelé Œdipais : « Enfant de la mer soulevée (gonflée) ». Il aurait été nommé ainsi en raison de la méthode par laquelle ses parents l’auraient abandonné le plaçant dans un coffre et le jetant dans l'océan. Cette manière d’abandonner un enfant à la mer ou sur un fleuve est bien attestée, par exemple dans les mythes de Persée, Télèphe, Dionysos, Moïse, Romulus et Remus. Au cours des siècles, cependant, le nom Œdipais aurait été corrompu en Oidípous : « pied enflé. » Ce nouveau nom pourrait avoir inspiré l’ajout d’un élément bizarre de l’histoire de l’abandon d’Œdipe sur le mont Cithéron, après lui avoir fait percer les chevilles pour l’accrocher à un arbre, de peur que l’oracle s’accomplisse. « J’ai jeté beaucoup d’enfants dans la rivière, dit le concierge dans Incendies, mais celui-là, je ne l’ai pas jeté. Ses cris m’ont atteint. « L’enfant » de Nawal est censé être noyé dans la rivière lui aussi et les jumeaux Jeanne-Simon ne sont pas sans évoquer Romus et Romulus (dont la mère Rhéa Silvia est violée par Mars, dieu de la guerre, pendant son sommeil). Cet écho est renforcé par le motif du loup récurrent dans la pièce mais aussi perceptible sur la première de couverture. Lino signe là une nouvelle illustration pour Wajdi Mouawad qui sera d’ailleurs utilisée comme affiche lors de la création de la pièce par l’auteur. On pense ici à la célèbre sculpture de la Louve romaine mais sous une forme inversée. Dans le dessin de Lino, un loup rouge (seul élément coloré) s’abreuve au sein d’une femme.

Nawal. Pourquoi tu pleures Simon ?

Simon. C’est comme un loup qui va venir. Il est rouge. Il y a du sang dans sa bouche.

La gémellité est effacée mais l’association fait sens. Les tatouages de Nihab au talon peuvent être vus comme une allusion au « pied enflé » d’Oidípous. Car Nihab-Œdipe qui a été enlevé à sa mère Nawal-Jocaste revient s’unir à Nawal-Jocaste pour donner naissance à une fille Jeanne-Antigone, comme l’affirme Wajdi Mouawad lui-même, et à un fils Simon-Etéocle ou Polynice. Dans la tragédie de Sophocle, cependant, Jocaste est une victime passive de la fatalité tragique et l’accomplissement du mythe est plutôt « vu » du côté d’Œdipe jusqu’à ce qu’il s’aveugle. Dans Incendies, les femmes redeviennent, au contraire, les véritables pièces maîtresses de cet engrenage de l’Histoire qu’elles n’auront de cesse d’enrailler. Nawal Marwan-Juliette Capulet, la chrétienne a transgressé l’ordre de la haine en aimant Wahab-Roméo, le réfugié musulman. Dans la version cinématographique, ce sont les frères de Nawal qui tuent ce Montaigu. Nazira, la grand-mère, contrairement à Jihane-la Géhenne, la mère, encourage Nawal à casser le fil de la malédiction : « Nous, notre famille, les femmes de notre famille, sommes engluées dans la colère depuis si longtemps ; j’étais en colère contre moi tout comme toi, tu es en colère contre ta mère. Toi aussi tu laisseras à ta fille la colère en héritage. Il faut casser le fil. Alors apprends. Puis va-t’en ». Puis, Nawal rencontre Sawda, la femme qui chante avant de devenir le héraut du destin qui par son chant conjure le malheur. Quand Nawal décide de tuer Chad, ce n’est pas pour s’embourber dans une logique de représailles sans fin : « je lui tirerai deux balles. Une pour toi, une pour moi. Une pour les réfugiés, l’autre pour les gens de mon pays. Une pour sa bêtise, une pour l’armée qui nous envahit. Deux balles jumelles. Pas une, pas tris. Deux ». Et chez les jumeaux même, au rationalisme mathématiques et à la persévérance courageuse de Jeanne s’opposent l’impulsivité velléitaire et le prompt renoncement de Simon. Dans la paix canadienne, le descendant mâle est encore boxeur. Il perd plus souvent qu’il ne gagne mais se croit encore obligé de perpétrer une forme de rapport violent à autrui. Nawal en pardonnant à son bourreau est la seule capable d’interrompre le cercle infernal de la violence.

Partager cet article
Repost0
28 février 2016 7 28 /02 /février /2016 18:25

En 2012, des islamistes salafistes des mouvements AQMI et Ansar Dine s’emparent du Nord Mali et de Tombouctou, la « perle du désert ». Ils se lancent dans la destruction systématique des tombeaux des saints musulmans et des mausolées de la ville. Ils bannissent la musique, le football, les cigarettes, procèdent à des mariages forcés, persécutent les femmes et improvisent des tribunaux qui rendent des sentences expéditives, injustes et absurdes. Le réalisateur Abderrahmane Sissako apprend l’histoire vraie d’un couple non-marié qui a été condamné à Aguel’hoc pendant cet été 2012. Dans l’indifférence générale, le couple a été mené au centre de son village, placé dans deux trous creusés dans le sol et lapidé jusqu’à ce que la mort s’ensuive, devant des centaines de témoins. Cet événement tragique et la résistance héroïque des habitants de Tombouctou à l’occupant djihadiste qui impose sa terreur seront à l’origine du très beau film Timbuktu sorti le 10 décembre 2014, un mois à peine avant l’irruption de l’horreur sur la scène parisienne. Dans la ville de Tombouctou réduite au silence et aux voiles noirs des femmes, des porte-parole égrènent le chapelet ininterrompu des interdictions et les djihadistes menacent ou arrêtent tour à tour une poissonnière qui refuse de porter des gants, un homme soupçonné de posséder un ballon, des jeunes gens qui chantent, une jeune fille dans la rue, une mère de famille qui ne veut pas donner sa fille à un combattant étranger. Dans le désert, une famille touarègue paisible qui a refusé de partir va se trouver bientôt mêlée à cette éclipse obscurantiste quand le père cherchera à régler un conflit privé avec un pêcheur qui a tué une de ses vaches.Malgré la couleur du drapeau et la chape de goudron qu’essaient de faire régner ces zélotes aussi bornés que grotesques, cyniques et hypocrites, les couleurs du désert, des maillots des jeunes garçons qui simulent un match de football sans ballon, de la robe de Zabou, prêtresse vaudou haïtienne que les barbus craignent, des tenues bleues de Kidane et d’Issan donnent à cet apologue une dimension  tragiquement poétique et  désespérément humaniste. Car l’amour et la bonté qui émanent de Kidane et de sa femme Satima, de leur fille Toya et de leur berger Issan, la sagesse ferme de l’imam qui tient tête à Abou Hassan, le chef des djihadistes et prêche un islam de paix et de protection et les chants de Zabou et de Fatou qui barrent la route aux pick-up et couvrent les coups de fouet laissent croire à un espoir. D’aucuns jugeront peut-être le propos bien naïf qui rend presque ridicules ces apprentis bourreaux qui interdisent le football en parlant de Zidane, les cigarettes en se cachant pour fumer et voilent les femmes en convoitant celle des autres mais les journaux télévisées sont suffisamment plein de la barbarie réelle et ordinaires dans ces dimensions objectives et terriblement réalistes. L’art par sa distance, sa stylisation, son parti pris, ses litotes et ses ellipses marque autrement les esprits et laisse des allégories qui imprègnent les esprits et touchent durablement l’émotion. Celles de Timbuktu figureront aux côtés du tableau de Delacroix sur La Liberté guidant le peuple, du roman de Vercors (Le silence de la mer) sur la Résistance à l’occupant ou du film de Roberto Benigni racontant sur le mode de l’antiphrase que La vie est belle.

 

Partager cet article
Repost0
14 janvier 2014 2 14 /01 /janvier /2014 23:01

Far away, les soldats de l’espoir, titre original My Way, 마이 웨이 (Mai Wei), film sud-coréen de Kang Je-Kyu, 2011.

En mars 1928,  le jeune Tatsuo Hasegawa vient rejoindre son grand-père à Kyung-Sung (aujourd’hui Séoul), en Corée, alors occupée par les Japonais depuis 1905. Il défie à la course un enfant de son âge, Kim Jun-Shik dont le père est au service de son grand-père. Les deux jeunes gens deviennent rivaux dans les marathons mais un jour le grand-père est tué dans un attentat à la bombe. Jun-Shik et sa sœur sont chassés alors que leur père est arrêté et torturé. Après la victoire de Son Ki-Jung, marathonien coréen aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, les autorités japonaises organisent les sélections en 1938 pour les Jeux de Tokyo mais comme Jun-Shik, reconverti entre-temps en tireur de pousse-pousse, gagne la course devant Tatsuo, le commissaire de course invalide le résultat sous le prétexte que le coureur coréen aurait fait tomber Kumura, un des concurrents. Il ne faut pas évidemment qu’un coureur coréen surclasse le champion  nippon et Kumura fait partie du piège. Mais devant l’injustice de cette décision, la foule se révolte et les principaux leaders du soulèvement sont arrêtés et condamnés à aller se battre sur le front sous l’uniforme impérial.

A la bataille de Nomonhan, à la frontière mongole, en juillet 1939, le bataillon du colonel Takakura acculé par l’armée soviétique est contraint de battre en retraite alors même que Jun-Shik parvient à arrêter un sniper, une jeune rebelle chinoise du nom de Shirai, qui tire sur les soldats pour venger sa famille tuée par les Japonais. Mais bientôt, arrive un nouveau colonel qui dégrade Takakura au rang de simple soldat et lui demande de se faire hara-kiri pour racheter son honneur selon les règles du bushido après la honte du repli. Le nouveau colonel Hasegawa qui a renoncé à aller faire ses études de médecine à Berlin pour se battre pour son pays, ordonne alors que cinquante soldats soient désignés pour un commando suicide. Les Coréens enrôlés de force font l’objet de toutes les brimades et d’humiliations de la part de quelques officiers japonais et notamment d’un certain Noda, si bien qu’ils se retrouvent nommés pour l’assaut kamikaze. Jun-Shik refuse et il est jeté au cachot avec la jeune Shirai mais à l’aube de la bataille, ils sont délivrés par les autres Coréens qui s’évadent. Au moment de fuir, cependant, Jun-Shik voit à l’horizon arriver une colonne de blindés soviétiques et il court prévenir les Japonais. Shirai le sauve du mitraillage d’un avion russe mais périt dans cet acte héroïque. La bataille fait rage et Tatsuo Hasegawa demande aux soldats de l’Empire de ne pas reculer : «  Un soldat impérial ne renonce jamais, on ne tourne pas le dos à l’ennemi ». Devant les vagues successives des chars, les Japonais cependant perdent la bataille.

En février 1940, Jun-Shik se retrouve avec le colonel Hasegawa et des prisonniers japonais dans le camp de Kungursk près de Perm où règne un froid polaire et des conditions de vie effroyables. Il retrouve ses compatriotes évadés et notamment son ami Lee Jong-Dae qui, sous le nom d’Anton, est devenu un kapo autoritaire et (apparemment) converti au communisme. Celui qui était amoureux de Eun-Su, la sœur de Jun-Shik, se déchaîne sur Noda et sur tous ceux qui humiliaient les Coréens et il n’hésite pas à livrer son ami Chun-Bok arrêté pour vol de nourriture dans le camp et pendu. « Je ne suis plus un humain ! » dit Jong-Dae au grand désespoir de Jun-Shik qui s’est battu avec le colonel Hasegawa pour avoir refusé d’honorer le Japon. Au cours de la bagarre, le Coréen a pris le dessus sur le Japonais mais a refusé de le tuer. Lors d’une nouvelle dispute entre les prisonniers, Jong-Dae provoque la mort accidentelle de l’aide de camp du colonel, déclenchant une bagarre généralisée parmi les prisonniers. Les Soviétiques, pour mater la rébellion, s’apprêtent à fusiller les principaux agitateurs. Tatsuo, Jun-Shik sont déjà attachés au poteau d’exécution quand un officier russe vient annoncer que l’Allemagne a déclaré la guerre à l’Union Soviétique. Les prisonniers sont enrôlés de force dans l’Armée rouge. Ceux qui hésitent sont passés par les armes.

En décembre 1941, ces  rescapés du goulag sont amenés sur le champ de bataille de Dedovsk en URSS et sont envoyés à l’assaut avec le même fanatisme qu’à la bataille russo-japonaise précédente. Tatsuo se revoit dans le rôle tenu désormais par le commandant soviétique qui envoie les troupes à la mort. Beaucoup d’hommes sont tués, notamment Lee Jong-Dae mais Jun-Shik et Tatsuo en réchappent. Ils quittent le champ de bataille et, après des jours de marche dans les montagnes enneigées, ils parviennent dans un village abandonné par les combats. Mais alors que Jun-Shik est parti chercher de l’aide pour son camarade blessé, il est arrêté par les Allemands.

Trois ans plus tard, en mai 1944, on retrouve Tatsuo Hasegawa, en uniforme allemand, sur un camion en route vers la Normandie. Les hommes parlent d’un endroit tranquille puisqu’il est question d’une attaque dans le Pas-de-Calais et de possibilités d’évasion. Un certain  nombre de soldats étrangers de cette unité semblent avoir été enrôlés malgré eux. Tatsuo lui-même a un plan pour rejoindre Cherbourg et prendre un bateau pour l’Asie. Sur les plages de Normandie, il retrouve Jun-Shik et lui fait part de ses projets. Mais le jour prévu pour le départ, les Américains débarquent. Jun-Shik et Tatsuo s’apprêtent à courir la course de leur vie pour échapper aux balles mais Jun-Shik est blessé à mort. Il donne sa plaque à Tatsuo pour que les Américains ne découvrent pas qu’il est japonais. Le film se termine comme il avait commencé par la victoire de Jun-Shik Kim au marathon de Londres en 1948. Mais entre les deux images, on a compris de qui il s’agissait.

Comme le dit la première image du film, cette histoire est inspirée d’un fait réel et d’une simple photographie (voir ci-contre) conservée aux Archives Nationales des Etats-Unis qui a refait surface, un jour, sur un site internet spécialisé dans la Seconde Guerre Mondiale. On y voit un petit homme d’origine asiatique découvert parmi les soldats allemands fait prisonniers après le débarquement d’Utah Beach en Normandie au terme d’un périple de 12.000 km. Malgré la barrière de la langue, on finit par comprendre l’histoire de ce soldat. Il s’appelle Yang Kyung-Jong. Il est né le 3 mars 1920 en Corée et a été enrôlé dans l’armée japonaise du Kwantung en 1938. Capturé d’abord par les Soviétiques à Nomonhan puis par les Allemands en Ukraine en 1943, il s’est retrouvé à Utah Beach lors du débarquement du 6 juin 1944. Selon l’historien Stephen Ambrose, quatre Coréens se seraient trouvés ce jour-là sous l’uniforme allemand. Libéré d’un camp de prisonniers de guerre en Angleterre en mai 1945, Yang Kyung-Jong émigrera aux Etats-Unis où il mourra en 1992 sans avoir jamais raconté sa vie, pas même à ses enfants. Son histoire sera pourtant révélée le 6 décembre 2002 dans le journal Weekly Korean puis dans un documentaire à la télévision coréenne en 2008 avant que le réalisateur Kang Je-Kyu en fasse ce film en 2011. Cette histoire d’ailleurs  n’est pas sans rappeler celle de Slawomir Rawicz qui prétendait avoir fui un goulag de Sibérie pour rejoindre l’Inde à pied. Cette longue évasion devint un succès littéraire qui se vendit à plus de 500.000 exemplaires et fut traduit dans vingt-cinq langues avant d’être adapté au cinéma par Peter Weir sous le titre des Chemins de la liberté (The Way Back, 2010).

Cette référence historique constitue le premier critère d’intérêt de ce film qui a le mérite de porter à la connaissance d’un vaste public le parcours hors du commun de ce soldat perdu de la Seconde Guerre Mondiale qui, pour avoir été dans un pays occupé se retrouve balloté de batailles en horreurs tel un Candide moderne. On connaissait les « malgré nous » alsaciens de la Wehrmacht, on ne mesurait pas que dans toutes les armées du conflit se trouvaient autant d’étrangers enrôlés de force. Le film nous rappelle le nationalisme virulent et volontiers suicidaires des Japonais lors de cette guerre mais nous montre aussi un aspect peut-être moins connu du public occidental : les rapports de domination et de haine entre l’occupant Japonais et la population coréenne marquée par la colonisation. La victoire d’un marathonien coréen aux Olympiades de 1936 est aussi un fait historique dont le réalisateur s’est inspiré et ce n’est donc pas un hasard qu’il ait fait de ses deux héros des coureurs de fond que le sport réunit et que la politique sépare. Leur histoire commune qui finit par se confondre est celle d’un long marathon pour la vie. Sur le plan historique évidemment, le film doit être soumis à l’évaluation des historiens qui dénicheront certainement ici ou là des erreurs ou des contre-vérités, ne serait-ce que dans la coupe de cheveux peu réglementaire de certains soldats ou la possibilité de ressortir vivant d’une pendaison dans le froid. Mais l’on sait bien que le cinéma comme le roman peut se permettre des libertés que l’on n’autorise pas au documentaire ou à l’essai historique. L’auteur a pris le parti de dédoubler ce héros nomade en deux personnages qui sont amis puis ennemis à mort avant d’être réunis dans l’amitié. On ne sait comment de telles conditions peuvent peser sur les hommes dans l’espace de cinq ans mais de ces revirements en deux heures de projection sont un peu difficile à concevoir quand on constate la violence qui oppose les protagonistes. Si Kim Jun-Shik a le beau rôle du héros qui fait preuve de dignité et de courage tout au long des épreuves, l’évolution psychologique de Tatsuo Hasegawa paraît beaucoup plus torturée. D’abord ami d’enfance et rival sportif du Coréen, le jeune Japonais va bientôt voir en lui le symbole de ceux qui ont assassiné son grand-père avant d’endosser l’uniforme et l’idéologie de l’impérialisme nippon. Tatsuo joue ce rôle jusqu’à la bataille de Dedovsk où en voyant une image de son propre fanatisme, il semble s’engager sur la voie de la rédemption qui l’amène à se rapprocher de Jun-Shik au point de s’identifier à lui à la fin. Est-ce crédible ? C’est en tout cas symbolique d’un parcours humain où l’amitié et les valeurs sportives sont censés triompher de la haine et des violences guerrières. Avec cette simplification, le film essaie aussi d’échapper aussi au manichéisme avec lequel il flirte parfois. L’arrogant Japonais finit par pactiser avec son bouc-émissaire de la veille. En contrepoint, le gentil Jong-Dae devient un tortionnaire dans le camp de Kungursk  en faisant payer à Noda toutes ses vexations. Dans la succession des trois batailles opposant des ennemis différents le réalisateur souligne les ressemblances entre les commandants japonais, soviétiques et allemands bien décidés à sacrifier leurs hommes.

Mais les spectateurs de Far away ne se posent probablement pas toutes ces questions devant ce film à grand spectacle de près de deux heures. Les amateurs du genre de film de guerre en ont pour leur argent puisqu’on leur propose pas moins de trois batailles spectaculaires, la vie d’un camp et quelques marathons en bonus. On savait que le cinéma coréen n’avait plus rien à envier au cinéma hollywoodien. On en a une nouvelle preuve éclatante. Ce film est évidemment à rapprocher de Frères de sang ( 태극기 휘날리며 ,: Tae-geug-ki Hwi-nal-ri-myeo) écrit et réalisé par le même réalisateur  Kang je-Gyu, sorti en 2004 et maintenant en scène le même acteur qui joue le rôle de Jun-Shik, Jang Dong-Gun.

Partager cet article
Repost0
7 mars 2013 4 07 /03 /mars /2013 16:13
habemus-papam-locandina-ita--1-.jpgLe 25 avril 2011, sortait à Rome, un film de Nanni Moretti qui moins de deux ans plus tard prend une tout autre dimension : Habemus papam. Au Vatican, le conclave se réunit pour élire un successeur au souverain pontife qui vient de mourir. Après bien des  tours qui voient se neutraliser les principaux favoris, les cardinaux élisent le Cardinal Melville (joué par Michel Piccoli). Mais au moment de se présenter au balcon du palais, le nouveau pape est pris d’une crise d’angoisse et s’enfuit dans ses appartements. Alors que le monde entier attend l’annonce du nom du successeur de Saint-Pierre, on fait venir  des médecins pour examiner le Cardinal Melville et en particulier le Dr Brezzi (Nanni Moretti lui-même), un psychanalyste incroyant, pour soigner ce qui semble être une dépression. Mais l’état du patient ne s’arrange pas et les autorités du Saint-Siège  acceptent  que le Cardinal aille consulter, de façon discrète, hors de la présence des prélats assez hostiles à la psychanalyse, une autre thérapeute, l’ex-femme du Dr Brezzi. Melville en profite pour  tromper la vigilance de ses gardes du corps et se fond dans la foule romaine. Pendant trois jours, il erre dans Rome d’hôtel en salles de théâtre, de café en transports en commun, pendant que le Dr Brezzi organise au Vatican… un tournoi de volley entre les cardinaux et que le Vatican essaie de donner le change en postant un garde suisse derrière les rideaux des appartements pontificaux. Quand Melville est retrouvé, il se présente enfin au balcon mais c’est pour annoncer qu’il renonce à être pape : «J’implore le pardon de Notre Seigneur pour ce que je suis sur le point de faire, et je ne sais si lui pourra me pardonner. Mais moi je dois m’adresser à lui et à vous en toute sincérité. Ces derniers jours j’ai bien souvent pensé à vous, et malheureusement j’ai compris que je ne saurai être à même de bien assumer le rôle qu’on avait jugé bon de me confier. Je sais que je suis de la race de ceux qui ne peuvent guider, mais de ceux qui doivent être guidés. En ce moment je ne peux dire qu’une seule chose: priez pour moi. Le guide dont vous avez besoin, ce n’est pas moi. Ça ne peut en aucun cas être moi ».Le 11 février 2013, Benoît XVI annonçait à son tour qu’il abandonnait sa charge papale à la grande stupeur du monde entier. Et Nanni Moretti, depuis ce jour-là, est interviewé par tous les médias.
Partager cet article
Repost0
7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 18:17

J-ai-rencontre-le-diable.jpgPar une nuit de neige, Joo-Yeon téléphone à son mari Soo-Hyun en attendant la dépanneuse car sa voiture a un pneu à plat quand surgit une camionnette jaune de ramassage scolaire. L’homme lui propose son aide puis se jette sur elle après avoir défoncé la voiture. Dans son antre, le meurtrier l’achève et la découpe en morceaux malgré qu’elle lui ait dit qu’elle était enceinte. La bague de Joo-Yeon roule dans le caniveau puis le bourreau lave la pièce à grande eau. Le lendemain, un enfant trouve une oreille coupée. La police est alertée sur les lieux pour procéder aux recherches  sous la direction du chef de section Oh (Cheon Ho-Jin)  et du chef d’escadron Jang (Jeon Kuk-Hwan) qui n’est autre que le père de Joo-Yeon. La tête est retrouvée. Soo-Hyun, qui est agent secret, est décidé à se venger. Quatre suspects sont rapidement identifiés et Soo-Hyun maltraite les deux premiers avant d’acquérir la conviction que le coupable est Jang Kyung-Chul qui a déjà fait une nouvelle victime : une jeune fille attendant un bus sur une route isolée et qui a imprudemment accepté de monter avec lui. Se faisant passer pour un agent d’assurance, Soo-Hyun se rend chez les parents du suspect qui ont recueilli leur petit-fils et il apprend de Sang-Won où habite Kyung-Chul. Dans la maison, il retrouve des affaires de femme et la bague de sa femme. Entre-temps, le psychopathe a encore enlevé une jeune collégienne et s’apprête à la violer dans une serre quand Soo-Hyun arrive. Le combat est violent mais au lieu de tuer Kyung-Chul, l’agent secret lui casse le poignet et lui fait avaler à son insu une capsule reliée à un GPS  qui permettra à Soo-Hyun de le suivre à la trace.  Il veut lui faire payer au centuple la souffrance qu’il a causée à Joo-Yeon. A son réveil, le violeur trouve de l’argent puis dans la nuit, il hèle un taxi dont il finira par massacrer les deux occupants. Après s’être changé, il va se faire soigner dans un dispensaire. Il menace le médecin et sa tentative de viol de la jeune infirmière est interrompue par l’intervention de Soo-Hyun. Ce nouveau déchaînement de violence se conclut par une nouvelle mutilation : Soo-Hyun sectionne le talon d’Achille de sa victime. Abandonné sur un parking Kyung-Chul, décide de se rendre chez un ami Tae-Joo, un cannibale qui garde de la viande fraîche dans sa cave et qui lui explique que celui-ci qui le pourchasse (le plaisir du chasseur : attraper et relâcher) doit avoir un rapport avec une de ses victimes. Un troisième combat a lieu dans l’auberge diabolique. Le lendemain, la police vient arrêter Tae-Joo et son amie Se-Jung que Soo-Hyun a neutralisés. Soo-Hyun et Kyung-Chul sont soignés dans un hôpital secret où l’adjoint de l’agent secret les a conduits. Mais Kyung-Chul sait désormais à qui il a affaire et a compris comment l’homme parvenait à le retrouver. Il va se débarrasser de l’émetteur et avant de se rendre, il est bien décidé à faire payer le prix fort à Soo-Hyun. Mais celui-ci est devenu un fauve et il n’abandonnera pas.

I-Saw-the-Devil05.jpg Sur le thème de la vengeance, on croyait avoir tout vu dans le cinéma coréen avec la trilogie de Park Chan-Wook (Old boy, Sympathy for Mr Vengeance, Lady Vengeance). Ce n’était manifestement pas le cas puisqu’avec ce duel sans merci, Kim Jee-Woon repousse les limites de l’horreur, de la violence et du sadisme. Choi Min-Sik (voir photo ci-dessus), acteur génialissime de deux des opus de la vengeance  et grand acteur phare de la précédente décennie a même accepté de quitter sa retraite anticipée (qu’il avait prise pour protester contre la fin de la politique des quotas qui avait permis l’embellie du cinéma coréen) pour jouer ce nouveau rôle de personne halluciné, inquiétant, sauvage, indestructible et ricaneur. Malgré la difficulté du personnage, on sent qu’il éprouve une jubilation à pousser à son maximum le jeu diabolique (après tout les Anciens n’identifiaient-ils pas les comédiens avec le diable ?). Il faut dire qu’en face, un autre grand acteur lui donne la réplique. Comédien fétiche de Kim Jee-Woon (A bittersweet life, Le bon, la brute et le cinglé), remarqué aux côtés de Song Kang-Ho dans JSA de Park Chan-Wook, Lee Byung-Hun, incarne cet ange que la colère et la vengeance va transformer en démon. Au point qu’on ne sait bientôt plus où se situe la frontière du bien et du mal, qui est le bourreau et la victime.  Car, comme l’écrit Friedrich Nietzsche dans Par delà la bien et le mal : « Que celui qui lutte avec des monstres veille à ce que cela ne le transforme pas en monstre. Si tu regardes longtemps au fond de l'abîme, l'abîme aussi regarde au fond de toi. »  Après avoir exploré et parodié le film d’horreur (Deux Sœurs), le film de gangsters (A bittersweet life) et le western (Le bon, la brute et le cinglé), Kim Jee-Woon réussit à  se hisser à la hauteur du film culte Old Boy et à imposer par l’image et le son une esthétique glaciale et morbide que quelques touches d’humour viennent soulager, de temps en temps, de sa pesante suffocation (Kyung-Chul qui traite les autres de cinglés, Tae-Joo qui casse le manche du tournevis fiché dans sa main ou qui constate qu’il n’y a plus d’intestins frais à manger, la belle-sœur de Soo-Hyun qui lui dit que « la vengeance c’est dans les films »). Ce film à vous glacer les sangs qui a eu des démêlés avec la censure coréenne, n’est assurément pas à mettre devant tous les spectateurs. Evitez de commander un steak tartare au restaurant en sortant du film ! J’ai rencontré le diable a fait le tour de plusieurs festivals à travers le monde : Festival du Film Asiatique de Deauville 2011, Festival de San Sebastian 2010, Festival Hallucinations Collectives 2011. Et dans le cadre du Festival du Film Fantastique de Gérardmer, il a remporté le Prix de la Critique, le Prix du Jury Jeune ainsi que le Prix du Public.

 

  

Partager cet article
Repost0
3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 18:16

The-Murderer.jpgAller et retour. En 2008, Kim Yun-Seok interprétait le personnage de Eom Joong-Ho, un proxénète lancé à la poursuite de Jee Young-Min, un psychopathe joué par Ha Jung-Woo dans The Chaser, le film qui révéla au grand public le réalisateur sud-coréen Na Hong-Jin. Deux ans plus tard, le réalisateur réunit à nouveau ses deux acteurs fétiches. Ha Jung-Woo qui a beaucoup maigri, s’est coupé les cheveux très courts et ne s’est pas rasé est devenu le « gentil » sous les traits de Kim Gu-Nam, le chauffeur de taxi. De son côté, Kim Yun-Seok a pris huit kilos et s’est laissé pousser les cheveux pour se faire une coiffure hirsute  afin d’endosser le rôle du « méchant » parrain Myun Jong-Hak. Enfin, « gentil » ou « méchant », c’est un peu vite dit…  

Dans la ville chinoise de Yanbi (préfecture autonome de Yanbian), coincée entre la Corée du Nord et la Russie (non loin de Vladivostok) vivent 80.000 Sino-Coréens surnommés les Joseon-Jok. 50% de cette population vit d’activités illégales. Parmi eux, Kim Gu-Nam est chauffeur de taxi qui mène une vie misérable. Pour payer les 60.000 yuans du visa de sa femme qui est partie travailler en Corée du Sud, il a emprunté de l’argent qu’il est incapable de rembourser, non seulement à cause de son maigre salaire mais parce qu’il joue régulièrement au mah-jong et… perd, ce qui lui vaut des raclées des hommes de main de son débiteur. Un jour, il se voit proposer d’apurer sa dette par un marchand de chiens du 369 Market de la ville. Il doit pour cela aller à Séoul et… tuer un homme. D’abord rétif, Gu-Nam finit par accepter. Il voit dans cette occasion la possibilité de rechercher sa femme dont il est sans nouvelles depuis six mois. Laissant derrière lui sa mère et sa fille, Gu-Nam prend alors le train pour Dalian d’où il embarque clandestinement avec d’autres émigrés qui arrivent nuitamment près des côtes de la Corée.

Gu-Nam a dix jours pour accomplir sa mission avant de reprendre le bateau le 16 janvier. Commence alors un double travail de repérage des habitudes du Professeur Kim Seung-Hyun qui rentre toutes les nuits accompagné par son chauffeur au volant d’une grosse BMW et de recherche de sa femme Lee Hwa-Ja dans le quartier chinois de Garibong-dong. Une piste l’a conduit à un poissonnier avec lequel il se bagarre et à un sordide appartement où il retrouve une photo de sa fille. Puis, un soir où il se décide à agir pour respecter son contrat, tout bascule. D’autres assassins l’ont précédé dans l’escalier du Professeur mais c’est lui que la veuve voit et que la police essaie d’attraper. Le film encore assez lent dans sa première partie va s’accélérer jusqu’à sa conclusion. Dans un bureau d’Incheon, Kim Tae-Won est furieux que « ce type sorti d’on ne sait où ait tout fait foirer ». Traqué par toutes les polices du pays, Gu-Nam est désormais un fugitif qui essaie de regagner l’auberge où il a séjourné à son arrivée. A la télévision, il apprend qu’un cadavre de femme a été découvert et que le poissonnier est passé aux aveux. Pendant ce temps, Kim Tae-Won a envoyé ses nervis, et notamment Choi Sung-Nam, à Yanji pour régler son compte à Myun dont ils ont appris qu’il avait engagé Gu-Nam. Mal leur en prend car le passeur débarque en Corée. Unies pour éliminer Gu-Nam, les deux bandes rivales vont s’entre-tuer de façon particulièrement violente. Gu-Nam ne veut pas abdiquer avant de comprendre les raisons profondes de ce piège fatal. On n’en dira pas plus ici.

murderer05.jpg

S’il aura fallu 45 bonnes minutes pour que l’action se mette en place, les 95 suivantes (soit la durée d’un film traditionnel) ne nous laissent pas de répit entre les courses poursuites dans la montagne, dans un port et dans la ville, le rodéo automobile époustouflant (qui rend d’un seul coup « obsolète » tous les modèles du genre hollywoodiens), la scène de cascade avec le semi-remorque et les scènes de combat à la Tarentino. Dans ce polar qui frise souvent avec la bande-dessinée et le film gore, on ne voit d’ailleurs quasiment jamais de revolver sauf dans les mains maladroites de la police. Mais on se massacre allègrement au couteau, à la hache, à la clé et même à l’os dans une violence primitive et quasi barbare, stylisée dans une chorégraphie surréaliste qui la conduit aux confins du burlesque noir et du tragique antique mais qui coupe le souffle des spectateurs. Bénéficiant du soutien d’un grand studio hollywoodien (la Fox) et d’un tournage exceptionnellement long (plus de 300 jours de préparation et de tournage en Corée et en Chine),  ce film de plus de 5000 plans et de 250 scènes trépidantes a mobilisé beaucoup de moyens et d’énergie (comme la neutralisation de 3km de route en plein centre-ville de Busan, la mobilisation de 150 techniciens et l’utilisation d’une cinquantaine de véhicules – dont une vingtaine finira à la casse- pour la seule séquence de poursuite automobile entre Gu-Nam et Myun). On attendait Na Hong-Jin au tournant après son brillant Chaser. Il multiplie ici les virages, les culbutes et les voltiges avec brio. Décidément, le cinéma coréen ose tout et ne se refuse rien et tient là aux côtés de Park Chan-Wook, Bong Joon-Ho et Kim Jee-Won un de ses experts en sensations fortes.

Un des mérites du film, pour un public occidental non averti est de mettre en lumière la condition des Coréens de Chine et leur relation avec les habitants de la Corée du Sud. Les Joseonjok (coréen: 조선족) ou Chaoxianzu (en chinois simplifié: 鲜族) encore désignés comme Chinois d’origine coréenne (en coréen: 조선계 중국인, Hanja: 朝鮮系中國人), forment une des cinquante-six ethnies officiellement reconnues par le gouvernement chinois. Leur nombre fut estimé à 1.923.842 en 2005. La plupart d‘entre eux vivent dans le nord- est de la Chine, en particulier dans la Préfecture coréenne autonome de Yanbian comme le montre le film. Le développement économique et l’ouverture politique de la Corée du Sud a ouvert la voie à une émigration importante de ces Joseonjok vers le Pays du Matin Calme. En 2009, on comptait 443 566 émigrés de nationalité chinoise dans le pays. Cependant, malgré des racines et une langue commune (bien que le coréen des josejeonsok tende à se différencier fortement de celui des séoulites), ces migrants sont souvent déçus par leur séjour dans ce pays moderne où ils se heurtent souvent à l’ostracisme et au mépris de la population qui les considèrent à peine mieux que les Coréens du Nord et moins bien que les Coréano-américains. La confrontation entre la bande de va-nu-pieds un peu sauvage de Myun et les hommes de Kim Tae-Won ou de Kim Seung-Hyun en costume constitue en quelque sorte une métaphore de cet antagonisme.

Partager cet article
Repost0
19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 16:55

photo58168.jpgDepuis qu’il a été renvoyé de la police, Eom Joong-Ho tient un salon de massage dans un quartier interlope de Séoul. Ce n’est bien sûr qu’une couverture pour un réseau de call-girls que le proxénète fait travailler avec brutalité. Du fond de sa Jaguar de petit maquereau minable, il doit gérer la demande, obligeant même la jeune Kim Mi-Jin à se relever de son lit de fièvre et à abandonner sa fille de sept ans pour rejoindre un client. Quand Joong-Ho réalise que la jeune femme a rendez-vous avec un homme dont le numéro de portable apparaît dans l’agenda de toutes ses « filles » récemment disparues, il commence à s’inquiéter. D’abord parce qu’il imagine qu’un concurrent chasse sur ses terres et à cause de l’argent perdu. Un banal accrochage automobile au carrefour de deux ruelles d’un quartier populaire va mettre face à face le souteneur et le kidnappeur. A l’issue de cette première confrontation violente, les deux hommes sont conduits au poste de police. Jee Young-Min, le psychopathe,  avoue l’assassinat de douze femmes mais refuse de dire où sont les corps. Sans preuves et sans pistes, sans soutien de la hiérarchie ni de la procédure judiciaire, la police ne peut pas faire grand-chose d’autant qu’elle vient de se faire ridiculiser dans une affaire d’attentat merdeux contre le maire. Dans la nuit moite du labyrinthe séoulite, l’ancien flic entame une course contre la montre pour retrouver une trace de Mi-Jin.

Le scénario du flic en rupture de ban traquant un serial-killer mystique en marge de l’institution politico-judiciairo-policière prisonnière de ses lenteurs administratives et de ses lâchetés humaines, n’est pas nouveau. C’est même un des poncifs d’un certain cinéma de genre comme l’est l’inévitable rédemption non moins chrétienne du dévoyé par l’acte salvateur, matérialisé ici par la compassion pour la jeune esclave sexuelle et l’attendrissement pour la petite fille. Pourtant, le réalisateur ne cède pas à la facilité. Il ne s’agit pas ici de trouver le mystérieux assassin en série puisque celui-ci apparaît dès les premières scènes et se retrouve même entre les mains de la police, ni même de lui courir derrière pour justifier les dérapages et les pétarades du cinéma à grand spectacle. Le bourreau qui fait payer aux femmes son impuissance sait aussi profiter de l’impuissance de la société pour la narguer en attendant d’achever son œuvre infernale. Face à lui, le personnage de Joong-Ho met longtemps à se démarquer du camp des sordides exploiteurs de la femme et des marginaux déjantés. Ses motivations restent longtemps douteuses et ses méthodes discutables. Quand on découvre que Mi-Jin n’a pas succombé aux coups de son tortionnaire on se prend à espérer à une issue positive mais là encore le rebondissement sera inattendu et effroyable. « Non, pas ça ! » entend-on dans la salle. On croyait avoir fait le plus dur en assistant à la scène de la salle de bains.

the-chaser 300A 34 ans, Na Hong-Jin signe là son premier film alors qu’il n’a même pas fini ses études de cinéma. D’emblée, il se hisse pourtant à la hauteur de ses illustres compatriotes : même capacité à renouveler des genres académiques que Bong Joon-Ho (Memories of murder, The Host), même rythme trépidant et haletant que Kim Jee-Won (A bittersweet life, Deux soeurs), même exploration angoissante et suffocante des tréfonds de l’âme humaine que Park Chan-Wook (Old Boy, Lady vengeance). Si la Corée est le pays du matin calme, le réalisateur nous présente ici une jungle urbaine partagée entre les amères corridors de la prostitution et l’entrelacs des venelles d’un vieux quartier accroché à la montagne, écrasé par la nuit et noyé par une pluie incessante et les transpirations libidineuses et peureuses des hommes. Poisseux et blafard, sombre et tragique, le film de Na Hong-Jin qui évolue dans les méandres marginaux et noctambules  n’en étire pas moins une vision assez critique de la ville. Loin des beaux quartiers éclairés que l’on entrevoit sur l’image finale, ces mousses urbaines suintantes cachent de grands fauves et des proies faciles. La colline est un calvaire malgré la croix qui brille dans la nuit. Les politiciens diurnes ne s’y avancent que sous protection et la loi même de la démocratie semble complice de cette chasse entre les loups. La police n’a pas le droit de frapper les suspects qui saignent leurs victimes comme des porcs accrochés à un mur. Entre image médiatique, lourdeurs procédurières et routine désabusée, elle semble une mécanique inadaptée à sa fonction de prévention. La motivation individuelle (sensible chez certains enquêteurs) se dilue dans l’inertie et l’impéritie collectives. Il faut  préciser aussi, même si le tableau que l’on vient de peindre n’incite pas à le croire, que le film ne manque pas d’humour (parfois grinçant, burlesque, satirique, corrosif) et même de tendresse. Réalisé souvent en gros plans ou caméra à l’épaule, ce premier film montre déjà une belle maîtrise technique, visuelle et sonore de son auteur. On reste tétanisés, collés à notre fauteuil jusqu’à la fin. Présenté hors compétition au festival de Cannes 2008, The Chaser vient de se voir décerner  le Grand Prix Action Asia du festival de Deauville en mars 2009 après avoir été vu par plus de 5 millions de spectateurs en Corée. Il est déjà question d’un remake avec Leonardo Di Caprio.  

Partager cet article
Repost0
18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 22:35

NoMercyCover.jpg

Deux jeunes gens venus prendre des photos d’oiseaux sauvages sur les bords de l’estuaire de la rivière Geum découvrent dans les roseaux le corps nu d’une jeune femme dont les membres et la tête ont été sectionnés. Le bras droit manque. Appelé sur les lieux, le Professeur Kang Min-Ho, un des grands pontes de la médecine légale rencontre l’inspecteur Min Seo-Young qui a été son élève à l’école de police et son supérieur hiérarchique, le bougon, rustre et macho Yoon Jong-Kang qui a décidé de faire de Min son souffre-douleur. Le légiste accepte pourtant qu’elle assiste à l’autopsie du corps mutilé identifié comme étant celui de Oh Eun-Ah une serveuse de 29 ans portée disparue. Pendant que Yoon se lance sur les traces d’un suspect qu’il maltraite, l’enquête de l’inspecteur Min progresse rapidement en direction du leader d’un groupe d’activistes environnementalistes qui manifestent régulièrement contre les projets d’aménagement de l’estuaire. Les empreintes des chaussures et de la canne de Lee Seong-Ho, ses écrits faisant référence à la Vénus de Milo et ses propres aveux semblent augurer d’une conclusion rapide du dossier d’autant qu’on retrouve rapidement le bras manquant et la scie qui a servi à découper le corps. C’est là pourtant que tout commence. Alors qu’il attendait à l’aéroport de retrouver sa fille qu’il n’avait pas vue depuis treize ans, le Professeur Kang a reçu d’un inconnu une enveloppe contenant des photos de Hye-Won qui a été kidnappée. Le message venant de Lee Seong-Ho, le médecin légiste se précipite à la prison pour le faire parler quand il se voit proposer un terrible marché. Avant trois jours, le médecin doit réussir à le faire sortir s’il veut retrouver sa fille vivante. Une course contre la montre s’engage qui fera basculer le légiste dans la marginalité et l’illégalité. Effaçant les traces sur la scie, semant le doute dans l’esprit de l’inspectrice Min, maquillant les preuves pour faire accuser Min Byung-Do le premier suspect, Kang est aussi confronté à Park Pyeong-Sik et il laisse derrière lui des traces de son passage qui éveillent bientôt les doutes de Min Seo-Young. La jeune femme plus perspicace que son idiot de collègue trouve ce qui unit Lee et Kang. Au procès du viol collectif dont a été victime Lee Su-Jin, la sœur de l’activiste, le témoignage du médecin a permis de disculper les accusés. A l’issue du procès la jeune fille s’est suicidée et le Docteur Kang a envoyé sa fille subir des greffes de moelle osseuse pour soigner sa maladie de Gaucher. Les dernières preuves de la culpabilité de Lee s’effacent et il est libéré mais une épreuve horrible attend le médecin.

no mercy 4Premier film de Kim Hyeong-Joon No Mercy fait inévitablement penser à ses illustres modèles du cinéma coréen contemporain. Et d’abord à la trilogie de la vengeance de Park Chan-Wook. Dans  Sympathy for Mr Vengeance le jeune Ryu bascule dans l’horreur pour offrir une greffe de rein à sa sœur et se trouve confronté à son ex-patron Park Dong-Jin dont il a enlevé la fille dans une course poursuite fatale. Ici Kang lutte aussi pour sa fille et Lee cherche à venger sa sœur. Avec Lady Vengeance il est encore question d’enfant et de fille et le film révèle que le professeur Baek est peut-être plus coupable que Lee Geum-Ja qui a purgé sa peine pour un supposé infanticide. Les deux protagonistes de No mercy plongent en parallèle dans les abysses du mal comme Oh Dae-Su et Lee Woo-Jin, les deux rivaux de Old Boy. La tragédie profanatrice du chef d’œuvre de Park Chan-Wook trouve un sanglant écho dans la profanation tragique accomplie par le scalpel du légiste. Comme dans The Chaser le coupable (Jee Young-Min) est assez rapidement arrêté par la police ce qui n’empêche pas la course poursuite pour retrouver une jeune femme (Kim Mi-Jin dans le film de Na Hong-Jin).no mercy 5 On pense aussi inévitablement aux corps démembrés de La 6e victime de Chang Yun-Hyun ou aux meurtres rituels de Se7en de David Fincher. Par bien des côtés, ce polar noir comme le désespoir fait penser à Memories of murder notamment dans la caricature grinçante du flic borné qui confond intelligence et violence (mais Song Kang-Ho est bien meilleur dans le rôle de l’inspecteur Park Boo-Man que Seong Ji-Roo dans celui du vieux détective dépassé), à The Host du même Bong Joon-Ho par son arrière-plan écologique autour d’une rivière menacée, ou encore à Breathless de Yang Ik-June dans sa violence absolue. Sol Kyung-Gu (déjà vu dans Peppermint Candy, Public ennemy et Haeundae) évolue parfaitement de la rigueur scientifique à la passion hystérique de l’homme blessé dans le rôle ambigu du professeur Kang et Ryu Seung-Beom (déjà présent dans Sympathy for Mr Vengeance) campe un psychopathe tout aussi complexe et effrayant. Si l’on rajoute à toutes ces références quelques clins d’œil à Dexter pour son côté pervers ou aux Experts pour sa technicité scientifique à manipuler les indices, on voit que le principal handicap de ce film est la tentation permanente de la comparaison écrasante qui ne se fait pas toujours à l’avantage de cet opus. Au cinéma comme en duel, c’est le premier qui tire qui sort vainqueur. Au-delà de ces critiques sur le marché désormais saturé du cinéma cauchemardesque sud-coréen, le film bénéficie d’une excellente maîtrise technique et fonctionne malgré tout comme un piège redoutable qui enferme le spectateur dans son angoisse et son impatience.No-Mercy_01.jpg Sans pitié pour le témoin, le film est aussi sans concession sur l’âme humaine. La survie d’un être se fait souvent au détriment de la vie d’un autre mais ces crédits se remboursent très cher. « Homme, ne cherche plus l’auteur du mal, écrit Rousseau dans la Profession de foi du vicaire savoyard, cet auteur, c’est toi-même. Il n’existe point d’autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres, et l’un et l’autre te vient de toi. Le mal général ne peut être que dans le désordre, et je vois dans le système du monde un ordre qui ne se dément point. Le mal particulier n’est que dans le sentiment de l’être qui souffre; et ce sentiment, l’homme ne l’a pas reçu de la nature, il se l’est donné. La douleur a peu de prise sur quiconque, ayant peu réfléchi, n’a ni souvenir ni prévoyance. Otez nos funestes progrès, ôtez nos erreurs et nos vices, ôtez l’ouvrage de l’homme, et tout est bien. »

Partager cet article
Repost0
16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 08:54

le discours d un roi 30031 octobre 1925, le Prince Albert Frederick Arthur George  monte à la tribune du stade de Wembley pour  prononcer le discours de clôture de l’Exposition Impériale  retransmis à la BBC… comme on monte à l’échafaud ! Devant le public gêné, le duc d’York bute, achoppe, trébuche sur les mots et les phrases qui restent bloqués dans sa gorge.  Depuis l’âge de cinq ans, le prince est bègue et il ne supporte plus les traitements ridicules et démosthéniens de ses médecins qui lui conseillent de fumer beaucoup et de d’essayer de parler avec des billes dans la bouche. Un jour, la Princesse Elizabeth, sa femme, se présente  sous le nom de Mrs Johnson, au cabinet de Lionel Logue, un logothérapeute  installé à Harley Street, dans un quartier pauvre. Elle parvient à le convaincre de s’occuper de son mari mais celui-ci doit venir au cabinet. Les premiers contacts entre cet obscur praticien australien irrévérencieux à l’humour caustique et aux principes intangibles et ce prince irascible et pessimiste sont difficiles. Quand l’orthophoniste lui fait enregistrer sur un disque un texte de Shakespeare alors qu’il a de la musique plein les oreilles, le Prince s’en va, découragé.  Et il l’est encore plus le jour où son père, le roi George V, lui demande de lire son discours de Noël 1934. Pourtant Bertie désemparé écoute le disque et  décide de prendre aux sérieux les méthodes peu orthodoxes de celui qui persiste à demander qu’on l’appelle Lionel. Le 20 janvier 1936,  George V meurt et David son fils aîné devient roi. Mais au 10 Downing Street, le Premier Ministre Stanley Baldwin s’inquiète de la relation que le nouveau monarque entretient avec Wallis Warfield Simpson une Américaine deux fois divorcée. Le 11 décembre 1936, Edouard VIII cède à la pression et abdique en faveur du Prince Albert qui doit être couronné à l’abbaye de Westminster sous le nom de George VI. Pour préparer son discours, le nouveau roi reprend contact avec Lionel Logue avec lequel il avait rompu une nouvelle fois et il lui conserve désormais sa confiance, au grand dam de l’archevêque de Canterbury, même quand une enquête révèle qu’il n’a aucun diplôme. Ensemble, ils affronteront une autre épreuve décisive : le discours que le roi doit adresser au royaume et à l’empire britannique après l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, le 3 septembre 1939. Un discours émouvant et presque parfait lui dit sa fille Elizabeth « il fallait bien que je trébuche une ou deux fois pour qu’ils me reconnaissent » répond le roi avec humour avant de saluer la foule au balcon de Buckingham Palace.

le-discours-d-un-roi-10366625yffyn_1798.jpgSujet fort improbable que celui d’un futur roi d’Angleterre apprenant à corriger son défaut d’élocution chez un spécialiste du langage ! C’est d’abord le projet longuement mûri du scénariste David Seidler, un juif anglais qui était venu s’installer aux Etats-Unis dès le début de la Seconde Guerre mondiale et qui, étant un ancien bègue lui-même, s’était intéressé à l’histoire de ce monarque obligé de s’exprimer en public et de son orthophoniste avec lequel il resta ami jusqu’à sa mort en 1952. Or, comme le dit George V dans le film, jusque là les rois n’avaient besoin que de se présenter en uniforme pour imposer leur pouvoir. Le microphone a tout changé et la TSF est la boîte de Pandore. On ne peut pas encore faire des montages, il faut parler d’une traite et en direct. Pour celui qui ne s’attendait même pas à être roi et qui souffre de ce lourd handicap d’élocution, le défi est lourd à relever d’autant qu’à Berlin, Adolf Hitler a fait de sa voix sa première arme de conquête. Face aux harangues éructantes des tyrannies naissantes, la voix de la liberté ne peut trembler. Mais pour parvenir à trouver cette parole, le Prince délaissé par un père autoritaire, une mère distante et un frère moqueur, traumatisé par des nounous, par la mort d’un jeune frère épileptique,  torturé par une gaucherie contrarié et des contraintes aux genoux, doit d’abord trouver sa voie et apprendre à être lui-même. Grâce à l’obstination de sa femme et aux pratiques peu conventionnelles de Logue, la chenille Bertie se transforme en papillon royal et les mots brisent peu à peu la chrysalide du blocage physiologique et psychologique. « Que vous soyez puissant ou misérable, l’essentiel est d’abord que vous triomphiez de vous-même » nous dit cette fable émouvante et drôle où l’on retient sa respiration entre chaque hésitation de ce pauvre prince en susurrant « pourvu qu’il y arrive » comme devant un enfant qui fait ses premiers pas. King-George-VI-coronation.jpg

Vainqueurs de 4 Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur pour Tom Hooper, meilleur acteur pour Colin Firth, meilleur scénario original pour David Seidler), d’un Golden Globe (pour Colin Firth) et d’une quantité impressionnante d’autres prix, ce film à rebours de toutes les superproductions hollywoodiennes avec effets spéciaux en 3D et images numériques est la bonne surprise de ce début d’année 2011. A la fois réflexion sur le pouvoir de la parole et sur la parole du pouvoir, le Discours d’un roi est aussi l’histoire d’une rencontre entre deux hommes que tout oppose. L’acteur raté, le fils de brasseur, l’émigré de la lointaine colonie australienne qui réapprenait à vivre aux soldats tétanisés par la guerre devient le gourou de cet aristocrate coincé et hautain, deux rôles en or servis par les remarquables interprétations de Colin Firth et de Geoffrey Rush qui jouent un magnifique duo sur toute la gamme de la communication gestuelle, physique, morale, intellectuelle et verbale dans une mise en scène sobre et efficace qui sait jouer de la résonance entre le drame intime et les enjeux politiques et sociaux. Loin des excès des tabloïds anglais qui se repaissent des histoires de la famille des Windsor, ce biopic est certes d’une facture très classique et d’une morale passablement édifiante mais il plaît comme ces œuvres cent fois relues, il émeut comme ces batailles parfois gagnées et il attache de cette combinaison si british entre un humour subtil et déjanté et une élégance à la fois totalement conformiste et follement libre.

Le discours radiodiffusé du roi George VI le 3 septembre 1939.
 
Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de POT ETHIQUE A LENTS TICS
  • : Commentaires sur l'actualité politique et culturelle. Poésie. Parodie. Lettres-philosophie en CPGE scientifiques.
  • Contact

Profil

  • POT ETHIQUE A LENTS TICS

Recherche

Pages

Catégories