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17 avril 2009 5 17 /04 /avril /2009 19:33

1ère partie : SYMPATHY FOR MR VENGEANCE, 2002 .

Ryu, jeune ouvrier sourd-muet, aux cheveux teints en vert, vit dans un modeste appartement aux cloisons fines avec sa sœur qui souffre d’une maladie grave nécessitant une greffe urgente de rein. Le frère attentionné veut donner un des siens mais il n’est pas du même groupe sanguin que sa sœur. Et, prêt à tout pour sauver sa sœur, il tombe dans le piège de trafiquants d’organes qui lui vole ses maigres économies et… son rein. Acculé, il décide alors, sur les conseils de sa copine Young-Mi, une jeune gauchiste activiste, d’enlever la fille du patron de Ryu qui vient de le renvoyer pour absentéisme répété. Quand la sœur découvre les raisons de la présence de la petite Yu-Sun chez eux, elle décide de mettre fin à ses jours. Ryu emmène  le corps de sa sœur sur les lieux de leur enfance pour l’enterrer au pied d’un arbre. Il n’entend pas les cris de Yu-Sun qui est tombée dans la rivière. Dès lors, le film bascule dans l’horreur d’autant que Park Dong-Jin, l’ex-patron de Ryu abandonne tout pour retrouver les responsables de la mort de sa fille. Le duel entre le père et le frère les conduira jusqu’à ce cours d’eau funeste.

2160  Tout auréolé du succès de son précédent film JSA, le réalisateur Park Chan-Wook entame avec Sympathy for Mr Vengeance le premier volet d’une trilogie violente et hyper-réaliste sur le thème de la vengeance. Ryu se venge de la mort de sa sœur, des exactions des trafiquants et de son patron, Young-Mi de ce qu’elle considère comme l’exploitation du libéralisme et Dong-Jin de la mort de sa fille, dans une mécanique fatale qui va faire passer de la comédie attendrissante et burlesque (Ryu et Young-Mi ont quelque chose des Pieds Nickelés) à la tragédie antique (Dong-Jin- Arès cherchant à venger la mort de sa fille Penthésilée tuée par un Achille-Ryu qui… périt par les talons dans les eaux du Styx). Sans moralisme ni compassion (malgré le titre), sans manichéisme ni rémission, le réalisateur  nous plonge dans cette descente aux enfers noire et désespérée avec un talent de mise en scène et en images (cadrages, jeux de lumières et de hors-champs) qui se confirmera dans Old Boy. Insoutenable et terrible, le film échappe pourtant à l’étalage complaisant et absurde du déchaînement de violence grâce à l’interprétation toute en nuances des principaux interprètes et notamment de Song Kang-Ho (le père) qui s’affirme de film en film comme un des plus grands acteurs du cinéma coréen (Shiri, Memories of murder, JSA, The host).

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22 mars 2009 7 22 /03 /mars /2009 22:25

Images Après l’assassinat du président Park Chung-Hee le 26 octobre 1979, la Corée connaît une brève parenthèse démocratique qui favorise l’expression des revendications politiques. Mais le 17 mai 1980, le général Chun Doo-Hwan instaure la loi martiale, révoque l’Assemblée Nationale et fait arrêter les principaux dirigeants de l’opposition dont le leader Kim Dae-Jung (futur condamné à mort, président et Prix Nobel en 2000). La ville de Kwangju dans le sud du pays d’où est originaire Kim , va connaître entre le 18 et le 27 mai des évènements tragiques se concluant  par une répression violente des soulèvements des étudiants et des habitants de la ville. En août , le général Chun Doo-Hwan devient président de la République.

Le film de Kim Ji-Hun relate cet épisode de l’histoire coréenne longtemps passé sous silence. Kang Min-Woo  (l’acteur Kim Sang-Kyung, remarqué dans Memories of murder) chauffeur de taxi bienveillant et simple, veille sur son frère Jin-Woo depuis la mort de leurs parents. Le jeune lycéen est brillant et travaille dur pour faire ses études de droit à Séoul jusqu’au jour où la mort de son camarade Sang-Pil va le faire basculer dans le camp de la contestation et rejoindre les étudiants qui protestent contre l’extension de la loi martiale. Fini le temps de l’insouciance où les jeunes gens profitaient de la vie et fréquentaient l’église où Min-Woo commençait à s’intéresser à la jeune infirmière Park Shin-Ae (interprétée par Lee Yu-Won), en venant la chercher à la porte de son hôpital. Le 21 mai, Jin-Woo meurt sous les balles de l’armée. Galvanisée par l’injustice, la population prend les armes sous la direction du capitaine Park Heung-Su (Ahn Sung-Hee, acteur majeur du cinéma coréen), ancien officier des forces spéciales. La résistance s’organise dans l’hôtel de ville qui sera prise d’assaut le 27 mai. Le bandeau final rappelle qu’on a dénombré 207 morts, 2392 blessés et 987 disparus mais que les chiffres n’ont jamais pu être établis de même que les responsabilités n’ont jamais été jugées.

Un film qui n’échappe pas à un certain mélo mais qui a le mérite d’exister après des années d’omerta et de négation de ces évènements dans l’histoire politique sud-coréenne contemporaine. Le pays qui a accédé depuis plus de vint ans à la démocratie est enfin capable de regarder en face ses propres fantômes.

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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 00:47

Après la mort de sa femme Dorothy, le vieux Walt Kowalski se retrouve seul dans sa maison d’un quartier populaire décadent abandonné par les blancs. Ce vétéran de la guerre de Corée qui a travaillé jusqu’à sa retraite chez Ford, vit avec son chien Daisy, à siroter des bières, à tondre sa pelouse et à astiquer sa Gran Torino Ford de 1972 qu’il n’utilise jamais. Vieil ours bougon, il s’agace des comportements des jeunes et ne supporte plus sa famille,  notamment son fils aîné qui a mal tourné puisqu’il vend des voitures … japonaises. Walt le Polonais ne cache d’ailleurs pas son racisme pour tous les étrangers qui occupent les quartiers en déshérence de cette Amérique de la crise et de l’émigration et en particulier  ses voisins hmongs qui se pressent nombreux dans la maison mitoyenne. Un jour, sous la pression d’un gang de sa communauté,  le jeune Thao tente de voler la précieuse automobile, à contrecœur et maladroitement, pour satisfaire une épreuve initiatique. Kowalski s’interpose,  comme il le fait quelques jours après quand trois voyous noirs inquiètent Sue,  la sœur de Thao. Par reconnaissance et pour racheter la faute du jeune garçon, la famille asiatique  déploie alors des trésors de gentillesse et d’offrandes gastronomiques auprès de leur acariâtre voisin. Walt grogne puis finit par reconnaître qu’il a « plus de choses en commun avec ces gens-là qu’il n’en a avec ses propres enfants ». Pour satisfaire la mère de Thao qui veut que son fils paie sa dette, il accepte que Thao travaille pour lui et  malgré son discours outrancièrement viril et xénophobe (qui d’ailleurs devient un jeu avec le coiffeur italien et l’entrepreneur irlandais) il s’attache à ce garçon qui se cherche. Mais la bande éconduite rôde dans le quartier dans sa Honda blanche avec béquet arrière. Et le drame va se nouer…

Film sur la rédemption, Gran Torino confirme le talent d’acteur et la maîtrise de réalisateur de Clint Eastwood qui en font un des grands noms du cinéma américain. Mais cette leçon de vie et de mort donné par cet Alceste ridé et poitrinaire est aussi une pirouette magnifique du cow-boy justicier des westerns de Sergio Leone et de l’inspecteur Harry qui dégainait souvent avant de réfléchir. La taxinomie culture a voulu faire de Clint Eastwood  le nouveau John Wayne d’un Hollywood  républicain  machiste et volontiers raciste, tenant d’un cinéma classique et conservateur (fabriqué lui aussi chez « Ford », John Ford !). Dans ce rôle de misanthrope bricoleur et rongé par la culpabilité, Dirty Clint s’amuse surtout à bousculer  tous les clichés et à brouiller avec jubilation  cette image en choisissant le camp des émigrés contre celui de l’Amérique bourgeoise, du sacrifice contre la violence, dans un langage politiquement incorrect autant adressé aux protagonistes du film qu’aux esprits bien pensants. On ne connaissait pas ces talents de pitre et cette capacité d’autodérision ravageuse au héros de Pale Rider. Si le film n’échappe pas aux bons sentiments et à certains archétypes du cinéma, il présente une galerie de portraits originaux et tout en nuances et nous émeut particulièrement dans sa dimension testamentaire. Les héritiers de Clint (comme ceux de la Gran Torino made in USA) seront-ils américains ? Le réalisateur de Mystic river, Million dollar baby et de La Route de Madison laisse une formidable boîte à outils à tous ses fils spirituels pour continuer son métier de bon ouvrier du cinéma.

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10 octobre 2008 5 10 /10 /octobre /2008 21:35

En lisant le « roman » de François Bégaudeau, j’avais ressenti une impression un peu désagréable. L’écrivain prenait comme cobaye de son écriture littéraire les situations de son milieu professionnel et, pour rendre les dialogues plus pittoresques, ne cherchait pas à les atténuer en tant que pédagogue. Autrement dit, c’est l’écrivain plus que le professeur qui témoignait, sûr de sa supériorité linguistique et intellectuelle sur un groupe d’élèves aussi spontanés que peu à même de rivaliser dans ces joutes rhétoriques. Je trouvais même à Bégaudeau une forme de cruauté voire de mépris un peu ricaneur et condescendant pour ses élèves. En regardant le film, cette supériorité narquoise de l’écrivain sur ces non-lecteurs n’apparaît plus. François, l’alter ego de Bégaudeau, semble, au contraire, beaucoup plus démuni sur le registre de l’oralité où les collégiens bénéficient de l’effet de nombre et de l’habitude des réparties cinglantes des forums publics. Mais en tant qu’enseignant, ce qui m’a gêné c’est de voir que ce professeur se met en position de danger justement en jouant le jeu d’une confrontation strictement psychologique et langagière. Alors que le collège n’est pas fait pour cela. C’est en établissant des règles, en mettant entre les élèves et l’enseignant le rite du savoir et des méthodes qu’on parvient à vivre une expérience intellectuelle commune qui ne soit ni tout à fait sur le terrain de l’un ni tout à fait sur celui de l’autre. Dans ce film, les élèves jouent leur rôle d’élèves piégés par un système scolaire pour lequel ils n’ont pas toutes les clés et qu’ils essaient de formater à leur mesure. Mais je trouve que parfois, dans ce film,  les adultes ne jouent pas toujours le leur comme au moment du conseil de classe par exemple. Personne ne dit rien aux deux jeunes déléguées quand celles-ci ricanent, mâchent du chewing-gum, mangent des gâteaux et sortent sans demander la permission. Au lieu de traiter de « pétasses » ces deux élèves, le professeur aurait dû, avec le principal, leur rappeler les règles du comportement en société. Je reconnais que ce document fuit le manichéisme, le lyrisme, le simplisme, le didactisme de la plupart des films documentaires ou de fiction sur l’école. L’absence de scénario préjudiciable dans une optique romanesque prouve que la classe comme la vie progresse dans l’incertitude et avec une part d’improvisation et donc d’hésitation (témoins ces mots malheureux que n’auraient pas dû prononcer François). On s’attache aux personnages et puisque nous sommes du métier, il nous prend souvent l’envie de sortir de ces murs ou d’entrer dans l’écran pour intervenir.

      Reste une question ? Entre les murs méritait-il la Palme d’or ? Ce n’est assurément pas une œuvre de fiction mettant en scène les talents de composition d’un réalisateur et d’interprétation d’acteurs chevronnés. On est plus proche ici de Cousteau ou de Michael Moore. Mais justement, ces cinéastes ont été récompensés à Cannes et c’est peut-être là aussi une des missions du cinéma que de donner à voir ce monde silencieux que l’on n’entend pas derrière les murs ?  L’ambigüité finalement de ce film est qu’il joue sur les deux tableaux de l’œuvre cinématographique fictive et subjective et du document pseudo-réaliste et objectif sans être ni l’un malgré la Palme, ni l’autre malgré les acteurs. D’où une forme de frustration des cinéphiles et de tous les observateurs de l’école.

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2 janvier 2008 3 02 /01 /janvier /2008 17:58

Si vous avez aimé la trilogie du Parrain de Francis Ford Coppola et si vous n’avez pas encore vu les trois opus de Infernal Affairs d’Andrew Lau et Alan Mak, précipitez-vous sur le coffret qui rassemble les trois DVD et de nombreux bonus. Je résume l’histoire. Dans le premier film, on assiste au chassé-croisé de deux personnages : le policier Yan qui infiltre secrètement  les Triades de Hong-Kong (seul l’inspecteur Wong est au courant) pendant que Ming, un homme de Sam, le chef de cette mafia, devient à son tour une taupe au sein de la police. Au terme d’une poursuite impitoyable, Ming réussira à éliminer Wong et Yan. Le second film nous ramène onze ans en arrière aux origines de cette histoire. Après l’assassinat de Kwun Ngai, le Parrain des Triades, son fils Hau reprend les affaires et tente d’éliminer ses adversaires parmi lesquels Sam qui échappe au massacre. C’est Sam qui a fait éliminer Kwun grâce à la complicité de sa femme Mary et de son lieutenant Ming et de l’inspecteur Wong. Yan, le demi-frère de Hau s’est résolu à renseigner la police. Le troisième film évolue entre 2002 et 2003, c’est-à-dire avant et après la mort de Yan et de Wong. Alors que la réalisation s’intéresse aux évolutions psychologiques de Yan et de Ming, l’intrigue policière ajoute de nouveaux personnages, le jeune policier Yeung et un « associé » de Sam, Shen. Ming, qui cherche la rédemption, est persuadé qu’il va révéler que Yeung est un infiltré travaillant pour Sam et Shen. Mais une surprise l’attend et son propre passé va le rattraper. De ce triptyque complexe et magistral mettant en scène les plus grands acteurs du cinéma de Hong-Kong, Martin Scorsese a fait en 2006 un remake brillant, Les infiltrés, avec Jack Nicholson, Matt Damon et Leonardo di Caprio prouvant à la fois l’universalité de l’ambivalence humaine et du cinéma. Mais pour le coup, on peut préférer ce trio des Triades à ce solo dans la mafia irlandaise.

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6 novembre 2007 2 06 /11 /novembre /2007 19:42

Berlin-Est, 1984, un officier de la Stasi aux méthodes impitoyables, Gerd Wiesler, se voit confier par son supérieur, le lieutenant-supérieur Grubitz, la surveillance d’un couple d’intellectuels, l’actrice Christa-Maria Sieland et le dramaturge Georg Dreyman. Caché dans la maison du couple qui est mise sur écoute, l’officier-instructeur doit chercher les preuves de la culpabilité de l’écrivain que le ministre de la Culture, Bruno Hempf, veut éliminer pour avoir Christa-Maria à son entière disposition libidineuse. Pourtant, cette mécanique implacable va se dérégler. Alors qu’il détient des preuves accablantes contre Dreyman qui a transmis un article à l’Ouest sur le suicide en RDA après la mort de son ami, l’écrivain Jerska, l’agent HGW XX/7 sauve l’auteur d’une arrestation d’autant plus inévitable que la jeune femme n’a pas supporté la pression pesant sur ses épaules. On ne peut en dire plus pour ne pas gâcher le suspense de ce film. Il faut voir La vie des autres, le film de Florian Henckel von Donnermarsck, sorti en janvier 2007 sur les écrans et fin octobre en DVD. Il a raflé tous les prix, dont l’Oscar du meilleur film étranger 2007. Hommage inconscient à 1984 de George Orwell, le film montre que la musique, la littérature, l’amour peuvent triompher des tyrannies de l’idéologie. Ce que, en son temps, avait deviné Lénine en écoutant l’Appassionata de Beethoven et que confirme implicitement l’espion obligé d’écouter la sonate de l’homme bon.

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31 octobre 2007 3 31 /10 /octobre /2007 13:08

Pendant  longtemps l’Afrique n’ a été qu’un décor exotique pour des films hollywoodiens mettant en scène des héros occidentaux, Bogart et Hepburn dans African queen (1951), Redford et Streep dans Out of Africa (1985) quand ce n’était pas les tarzanneries néo-darwiniennes sur fond de jungle de carton-pâte. Ce regard colonial et condescendant est en train de changer comme en témoignent plusieurs films récents qui s’intéressent aux réalités de l’Afrique contemporaine.

Ainsi , peu de temps après Le cauchemar de Darwin d’Hubert Sauper évoquant les conséquences de la mondialisation en Tanzanie, deux films de fiction nous proposaient un mise en perspective de deux fléaux corrompant l’Afrique : les pratiques scandaleuses de l’industrie pharmaceutique dénoncées dans The constant gardener de Fernando Meirelles et l’impunité meurtière des trafics d’armes sur fond de guerre au Libéria dans Lord of war d’Andrew Nicol. La même année, en 2005, sortaient presque conjointement deux films sur le génocide rwandais : Hôtel Rwanda, de Terry George, adapté de l’histoire vraie de Paul Rusesabagina, un hôtelier responsable du sauvetage de milliers de personnes et Shooting dogs de Michael Caton-Jones. Dans ces deux longs-métrages, la réalité de la guerre civile qui a fait un million de morts et la passivité des occidentaux étaient abordés sans détour. Le succès de ces films a sans doute encouragé la conception d’autres scénarios comme Blood diamond d’Edward Zwick. Ce blockbuster hollywoodien avec Leonardo di Caprio illustre lui aussi de façon crue le drame d’une guerre civile, celle de la Sierra Leone en 1999, et l’implication des diamantaires européens dans les trafics qui alimentent les conflits. Sorti également en 2007, Le dernier roi d’Ecosse de Kevin Mac Donald, met en scène le tyran sanguinaire ougandais Idi Amin Dada (magistralement interprété par Forest Whitaker) sous le regard d’abord fasciné puis horrifié d’un jeune médecin en quête d’aventures africaines. Goodbye Bafana, quant à lui, est une adaptation des mémoires de James Gregory qui fut pendant près d’un quart de siècle le geôlier et le confident de Nelson Mandela.

Certes, on peut suspecter Hollywood de céder à une nouvelle mode de l’Afrique la plus noire et de privilégier encore les héros ou les témoins blancs dans l’enfer d’un continent en transes mais ce cinéma a, au moins le mérite d’exister et de jeter à la face du monde les tourments d’un continent trop souvent abandonné à son sort. En attendant le jour où des cinéastes africains pourront traiter eux-mêmes des sujets de leur culture en connaissant le même impact international.

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28 octobre 2007 7 28 /10 /octobre /2007 22:15

Poursuivant un travail entrepris depuis plus de vingt ans et qui s’est illustré par la publication en 1992 de La guerre sans nom et la diffusion en 2002 du documentaire L’ennemi intime, l’historien Patrick Rotman nous propose aujourd’hui son troisième volet sur la guerre d’Algérie : un film de fiction homonyme, réalisé par Florent-Emilio Siri et interprété par Benoît Magimel (qui a soutenu pendant six ans ce projet qui effrayait les producteurs) et Albert Dupontel. Le scénariste n’a pas cherché là à refaire un documentaire objectif, exhaustif et pédagogique sur les tenants et les aboutissants de cette guerre (pour cela, il faut se référer au document initial disponible en DVD). La fiction se resserre sur un espace-temps beaucoup plus court : les montagnes arides des Aurès en 1959 et un nombre restreint de personnages : un détachement de l’armée française faisant la chasse aux fellaghas, ces maquisards du FLN. Beaucoup de jeunes appelés fragiles et tétanisés par la peur et le spectacle insoutenable des horreurs, des anciens de la seconde guerre mondiale et de l’Indochine comme ce commandant traumatisé par les défaites de 1940 et de 1954 et prêt à tout pour en éviter une troisième, le capitaine Bertaut jadis torturé par la Gestapo et qui est devenu tortionnaire ou le sergent Dougnac soldat cynique, désabusé mais qui se noie dans l’alcool pour oublier. Il y a aussi les Algériens, ceux des villages, victimes des deux camps, ceux du FLN et les Harkis et ceux qui ne savent plus dans quel camp ils se trouvent. Et, figure centrale du film, le lieutenant Terrien, jeune homme cultivé et idéaliste qui va accomplir dans ces montagnes son Voyage au bout de l’enfer pour finir par trouver son véritable ennemi intime : lui-même.

         Avec le film de Michaël Cimino précédemment évoqué, mais aussi Apocalypse Now, Platoon ou Full Metal Jacket, les Américains nous avaient montré qu’ils avaient su affronter courageusement les fantômes de leur histoire. En France, on avait plus de mal, malgré quelques films partisans comme La Question ou La Bataille d’Alger, en général censurés par le pouvoir politique. Le temps est peut-être venu d’affronter la réalité et le cinéma peut y aider.

         Tout est faux dans ce film puisque le scénariste et le metteur en scène inventent une dramaturgie propre en composant des personnages nouveaux et en concentrant des situations dans une narration  rythmée. Mais ? comme le rappelle Patrick Rotman, tous les détails sont vrais et renvoient à des anecdotes rapportées par des témoins. Et selon le principe aragonien du « mentir-vrai », cette fiction nous dit peut-être plus la vérité sur l’humanité qu’une compilation de faits bruts et de chiffres. Elle incarne le drame de cette guerre sans nom, horrible et vaine à travers des figures archétypales. D’autant que le film échappe à deux pièges du film de genre : l’esthétisation gratuite et complaisante de la violence (la guerre n’est pas un jeu vidéo), de plus en plus fréquente sur les écrans, et le manichéisme. Ainsi les itinéraires moraux de Dougnac et de Terrien s’avèreront-ils plus complexes qu’il y paraît à première vue. L’armée française qui recourt à la torture, au napalm, aux exécutions sommaires, en prend pour… « ses gradés » mais la résistance algérienne invisible et omniprésente n’est pas exemptée de la critique acerbe : massacre de villageois, torture… Quelques scènes fortes marqueront le spectateur comme la découverte du charnier, la discussion entre Bertaut et Terrien sur l’indépendance et la torture, le bombardement des « bidons spéciaux », l’échange poignant entre les deux anciens combattants algériens de Monte Cassino, l’un qui a choisi le FLN et l’autre d’être un « Harki ». D’une certaine façon, l’ennemi intime, s’inscrit dans la continuité d’Indigènes en amenant à (re)découvrir des pans sombres et cachés de notre histoire pour nous aider à exorciser nos vieux démons et faciliter le devoir de mémoire et de réflexion. « S’il y a des guerres légitimes, guerres de libération ou d’indépendance, il n’existe pas de guerre propre : le propre de la guerre c’est d’être sale, dit Patrick Rotman dans une interview au Monde. Il vaut mieux être conscient que l’on peut soi-même commettre des atrocités pour pouvoir s’y opposer ».

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22 octobre 2007 1 22 /10 /octobre /2007 18:54

Pour ceux qui auraient manqué la sortie en salle de Mémoires de nos pères, le 25 octobre 2006, et de Lettres d’Iwo Jima le 21 février 2007, la publication en DVD de ces deux films de Clint Eastwood est une excellente occasion de combler cette lacune et de plonger dans cette page, un peu méconnue en Europe, de la Seconde guerre Mondiale mais qui a pris, dans la zone Pacifique, une valeur symbolique forte. Tout cela à cause d'une photo: Raising the flag on Iwo Jima prise le 23 février 1945 par Joe Rosenthal et qui eut autant d'importance pour influencer le moral de la population américaine que celle d'une petite fille nue courant sur une route bombardée du Vienam pour entamer le processus de contestation.

De cette photo légendaire (qui valut à son auteur le prix Pulitzer) a été faite une sculpture pour le US Marines Corps War Memorial situé à proximité du cimetière national d’Arlington, non loin de Washington, autrement dit l’équivalent de l’Arc de Triomphe. Mémoires de nos pères raconte autant l’histoire de cette photo au drapeau que de la bataille. Au retour du combat, les soldats de la photo sont accueillis en héros et embarqués dans une campagne médiatique et politique pour récolter des fonds pour financer l’effort de guerre. Clint Eastwood semble donc a priori ajouter sa pierre à l’édifice épique de cet héroïsme américain si souvent glorifié par Hollywood. Mais le film, heureusement, évite ce chant trop manichéen. Les hommes célébrés ne sont pas ceux de la photo, l’héroïsme encensé est fondé sur un malentendu ou plutôt une méprise : la plupart des soldats de la photo sont morts et les généraux victorieux ont voulu garder le premier drapeau comme trophée. Il a donc « fabriquer » pour la presse une seconde photo sur le mont Suribachi. Et c’est celle-ci, un peu joué par d’autres acteurs qui est devenue l’icône de la victoire spontanée alors que la bataille était loin d’être terminée. Mais le peuple et les politiciens n’ont que faire de ces détails, il faut des symboles forts pour entretenir la propagande et le moral du pays. Et tant pis si les héros d’un jour seront oubliés le lendemain quand ils auront fait leur usage ou quand ils seront remplacés par d’autres idoles. Le film construit sur des va-et-vient permanents entre la bataille et les scènes postérieures aux Etats-Unis est une réflexion sur l’absurdité de la guerre et sur le malentendu de l’héroïsme. Pour ces survivants de l’horreur, les véritables héros sont morts et ce peuple qui exulte n’est guère différent de ceux qui provoquent ces boucheries spectaculaires mais inutiles. L’un des personnages forts de ce film, Ira Hayes, marine d’origine indienne mourra misérablement de froid, seul près d’une grange non sans avoir subi le racisme et le mépris de ses propres compatriotes.

Dans Mémoires de nos pères évidemment la bataille est vue du côté américain. On pense sans arrêt, en regardant les scènes de débarquement, au célèbre soldat Ryan de Spielberg, les pitons rocheux du mont Suribachi ayant remplacé les falaises de Normandie. Mais le réalisateur de Million Dollar Baby et de Mystic River a voulu aller plus loin. En filmant dans le même élan Lettres d’Iwo Jima, il a eu l’idée lumineuse de montrer la même bataille du côté japonais. Son premier film était basé sur le livre homonyme de James Bradley (fils d’un des marines sur la photo) et de Ron Powers. Le second s’appuie sur Picture letters from Commander in Chief du général Tadamichi Kuribayashi, joué à l’écran par Ken Watanabe. Ces témoignages directs donnent aux deux histoires leur authenticité et leur force. Le film japonais est plus économe en flashbacks et autres digressions qui alourdissent  un peu le premier opus même si quelques scènes brèves et opportunes nous familiarisent avec le passé des personnages principaux. On s’attache dans ce film au général Kuribayashi, fin stratège, patriote et qui respecte pourtant ses hommes, au boulanger Saigo qui a peur de mourir et sera un des seuls survivants, au policier Shimizu renvoyé de la police militaire pour avoir refusé d’abattre un chien et qui finira abattu avec un drapeau blanc à la main, au baron Nishi, champion olympique d’équitation qui connaîtra lui aussi une fin tragique, à Fujita l’aide de camp fidèle à son maître. L’issue de la bataille est connue puisqu’historique. Cette île volcanique et inhospitalière laissera 21000 morts du côté japonais, 7000 du côté américain et de nombreux blessés. La chute d’Iwo Jima faisant sauter le dernier verrou sur la route du Japon signifiera pour le Japon la fin de sa suprématie asiatique.

De nombreux films avaient déjà illustré cette folie meurtrière des hommes sacrifiés par centaines pour un bout de terre noire mais le diptyque de Clint Eastwood le fait de façon radicalement nouvelle et définitive. En partageant ce double point de vue, on comprend pour de bon que l’humanité, la peur, la lâcheté, le courage, le devoir, le fanatisme sont équitablement répartis, que l’héroïsme et le patriotisme n’excluent pas la fragilité et le doute dans les deux camps, qu’il y a partout des hommes droits et généreux et des brutes bornées dont la guerre exacerbe la folie. Et ce n’est pas le moindre mérite que ce soit Clint Eastwood, cette figure emblématique du héros américain qui ait fait ces deux films : le premier qui  dit par l’image la vérité sur une autre image, le second qui fait le film que les Japonais eux-mêmes n’avaient pas encore fait.

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