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19 août 2021 4 19 /08 /août /2021 18:23

Résumé et recueil de citations sur le thème de « l’enfance »

établis par Bernard Martial, professeur de lettres en CPGE

Edition GF n°1428 : (références des pages entre parenthèses)

Edition GF n°1632 : [références des pages entre crochets]

Je n’imagine rien dont on ne pût inspirer le goût aux enfants sans jalousie. Leur vivacité et leur gaieté naturelle suffisent. Dans tous les jeux, [257] ils souffrent sans se plaindre mais il n’appartient pas à tous les maîtres de savoir gérer ces dispositions. Mais je m’égare à nouveau.

Ce qui n’est pas une exception c’est la question de l’assujettissement de l’homme à la douleur et à la mort. Il faut le familiariser avec ces idées pour le guérir de l’importune sensibilité et l’apprivoiser avec les souffrances (184) comme le conseillait Montaigne, pour rendre son âme invulnérable. « La constance et la fermeté sont, ainsi que les autres vertus, des apprentissages de l’enfance » ; mais ce n’est pas en apprenant leurs noms aux enfants qu’on leur enseigne, c’est en les leur faisant goûter, sans qu’ils sachent ce que c’est.

Comment nous conduirons-nous avec notre élève relativement au danger de la petite [258] vérole ? L’inoculation en bas âge est conforme à notre pratique et est censée le prémunir à l’âge adulte.

Mais il vaut mieux laisser faire la nature. L’homme de la nature est toujours préparé : laissons-le inoculer par ce maître, il choisira mieux le moment que nous.

Je ne blâme pas l’inoculation mais le raisonnement sur lequel j’en exempte mon élève irait très mal aux vôtres. Votre éducation les prépare à ne point échapper à la petite vérole. Je ne suis pas sûr que cela concerne mon Émile. Si toutefois ça doit lui arriver, (185) au moins on l’aura préservé du médecin. [259]

Une éducation sélective dont le but est seulement de se singulariser du peuple préfère toujours les instructions les plus onéreuses aux plus utiles. Ainsi les jeunes gens élevés avec soin apprennent l’équitation onéreuse mais pas la nation gratuite alors qu’un artisan sait nager. La différence c’est qu’on peut monter à cheval sans l’avoir appris et sans risquer sa vie. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne la natation. Émile saura nager. Si je pouvais, je lui apprendrais à voler dans les airs et à résister au feu.

« On craint qu’un enfant ne se noie en apprenant à nager ; qu’il se noie en apprenant ou pour n’avoir pas appris, ce sera toujours votre faute. » Émile ne serait pas téméraire [260]. Il apprendra à nager dans le canal du parc de son père. Mais il faut s’apprivoiser au risque même si je n’aurai guère d’imprudence à craindre quand je règlerai le soin de sa conservation sur la mienne.

L’enfant est moins grand, moins fort, moins raisonnable qu’un homme mais ses sens sont aussi développés (186). Les sens étant les premières facultés qui se forment, ce sont les premières qu’il faudrait cultiver. Pourtant ce sont les seules qu’on oublie et qu’on néglige.

« Exercer les sens n’est pas seulement en faire usage, c’est apprendre à bien juger par eux, c’est apprendre, pour [261] ainsi dire, à sentir ; car nous ne savons ni toucher, ni voir, ni entendre, que comme nous avons appris. »

Mais il ne faut pas exercer seulement les forces (des bras, des jambes), il faut aussi exercer tous les sens qui les dirigent et en tirer le meilleur parti possible, en estimant toujours la résistance et l’effet précédant l’usage des moyens. « Intéressez l’enfant à ne jamais faire d’efforts insuffisants ou superflus. »

En matière de masse, l’expérience devra lui apprendre à choisir le bon levier, [262] à estimer le poids, à comparer masses et matières pour juger de leurs poids spécifiques, pour éviter la mésaventure de ce jeune homme bien élevé qui ne voulait croire qu’un seau (187) plein de gros copeaux de bois de chêne était moins pesant que le même seau rempli d’eau.

Il faudrait aussi pouvoir développer le sens du toucher, comme les aveugles, pour ne pas vivre à moitié, [263] que dans la lumière mais apprendre à nous mouvoir dans l’obscurité. J’aime mieux qu’Émile ait des yeux au bout de ses doigts que dans la boutique d’un chandelier.

On peut percevoir les dimensions du monde autour de nous par un certain nombre de facultés et de phénomènes : résonnement de l’air, circulation de l’air et de l’eau (188). Que de connaissances oculaires on peut acquérir par le toucher, même sans rien toucher du tout ! [264]

La nuit effraye naturellement les hommes (et les animaux) pas uniquement à cause des contes des nourrices mais surtout par une difficulté à saisir les choses qui nous environnent dans l’obscurité. [265] J’ai donc toujours les sens en alerte [266] et l’intérêt de ma conservation me pousse à rester sur mes gardes.

L’excès ou l’absence de bruit mettent également en jeu mon imagination et me donnent des sujets de crainte. Tout ce qui doit me rassurer n’est que dans ma raison, l’instinct plus fort me parle tout autrement qu’elle.

La cause du mal trouvée indique le remède. En toute chose l’habitude tue l’imagination ; il n’y a que les objets nouveaux qui la réveillent. [267] Les passions s’allument au feu de l’imagination. Si vous voulez guérir quelqu’un de la peur de l’obscurité ou du vertige, ne raisonnez pas, menez-l ’y souvent.

Pour que ces jeux de nuit réussissent, il faut y ajouter la gaieté (191) qui le délivrera des imaginations fantastiques.

En atteignant l’âge mûr, je sens que je redeviens enfant et que je me rappelle plus volontiers ce que j’ai fait à dix ans qu’à trente. Pardonnez-moi donc de tirer des exemples de ma propre vie.

J’étais à la campagne en pension chez le pasteur Lambercier et j’avais pour camarade mon cousin [268] Bernard dont je me moquais de la frayeur nocturne. Pour me mettre à l’épreuve, le pasteur Lambercier, me donna la clef du temple, un soir d’automne, et me demanda d’aller chercher la Bible qu’on y avait laissée.

Je partis sans lumière et traversai vaillamment le cimetière.

Mais en ouvrant la porte, des bruits commencèrent à ébranler ma confiance. Dans l’obscurité profonde, je fus saisi d’une terreur qui me fit rebrousser chemin. La présence du petit chien nommé Sultan, à l’extérieur, me redonna du courage et je repris mon chemin. Mais à peine à l’intérieur, (192) je perdis la tête à nouveau [269] et je m’enfuis.

En m’approchant de la maison, j’entendis alors les éclats de rire de M. Lambercier et les inquiétudes de Mlle Lambercier qui parlait d’envoyer la bonne à ma recherche. M. Lambercier se disposait à venir me chercher avec mon cousin. Mes frayeurs cessèrent sur le champ et en un éclair je repartis au temple pour en ramener la Bible.

La morale de cette histoire : rien n’est plus capable de rassurer quiconque est effrayé des ombres de la nuit, que d’entendre dans une chambre voisine une compagnie assemblée rire et causer tranquillement. Au lieu de s’amuser seul avec son élève, il voit mieux envoyer [270] les enfants à plusieurs pour qu’ils ne soient pas effrayés.

De pareils jeux sont plaisants et utiles si on sait les ordonner. (193) J’organiserais ainsi dans une grande salle une espèce de labyrinthe avec une dizaine de boîtes dont une contenant des bonbons que les enfants devront trouver.

Qu’on s’imagine les éclats de rire, quand ouvrant la boîte du vainqueur on y trouvera un hanneton ou un navet. [271] Un autre jeu, consistera à aller décrocher un objet sur un mur nouvellement blanchi Cette fois-ci, l’hilarité sera provoquée par les traces de peinture blanche sur les habits. Vous comprenez l’esprit de ces jeux ?

Un homme élevé ainsi n’aura plus peur de l’obscurité mais se souviendra des joyeux moments qui y sont associés (194). Et cela lui servira aussi en cas d’expédition militaire nocturne [272] comme dans l’épisode biblique du camp de Saül ou dans le vol des chevaux de Rhésus.

« J’ai vu des gens vouloir, par des surprises, accoutumer les enfants à ne s’effrayer de rien la nuit. » Cette méthode est très mauvaise ; elle ne peut que les rendre plus craintifs. Ni la raison ni l’habitude ne peuvent rassurer sur l’idée d’un danger présent dont on ne mesure pas l’ampleur. Mais comment s’assurer de tenir votre élève exempt de pareils accidents ? Il vaut mieux l’anticiper. Vous êtes alors, dirais-je à mon Émile, dans le cas d’une juste défense ; si un homme ou un animal vous surprend de nuit, emparez-vous de lui et rouez-le de coups. Et lâchez-le seulement quand vous aurez compris de quoi il retourne. Il n’aura plus envie de revenir.

Le toucher est le sens que nous utilisons le plus souvent même si ses jugements sont souvent imparfaits [273] car relayés (195) par celui de la vue. Néanmoins, les jugements du tact sont les plus sûrs ; ils rectifient même les négligences des autres sens en ajoutant la force des muscles à la sensibilité des nerfs. Ainsi, le toucher, étant de tous les sens celui qui nous instruit le mieux est celui dont l’usage est le plus fréquent, et qui nous donne le plus immédiatement la connaissance nécessaire à notre conservation.

Le toucher suppléant à la vue, pourrait aussi suppléer à l’ouïe comme on le sent en touchant les paris d’un violoncelle. On pourrait ainsi parler aisément aux sourds en musique [274] par le jeu des vibrations.

Il y a des exercices qui émoussent le sens du toucher, d’autres qui l’aiguisent. Les premiers usent du mouvement et de la force endurcissent la peau, les seconds sont plus légers et fréquents. On voit les conséquences négatives des premiers avec les instruments à corde, et les conséquences positives des seconds.

Il importe que la peau s’endurcisse aux impressions de l’air sans toutefois que la main et que la peau y perdent leurs facultés de reconnaissance et de sensation des corps sur lesquels elles passent.

Quel besoin mon élève aura-t-il d’avoir des semelles sous les pieds ? [275] Si les Genevois avaient eu besoin de leurs souliers, la ville eût été prise.

Qu’Émile s’habitue à courir les matins à pieds nus, en toute saison et en tous lieux. Loin de le blâmer, je l’imiterai, en lui évitant toutefois le verre. Qu’il apprenne à faire tous les gestes assurés de son mouvement pour sauter en hauteur, grimper à n arbre, franchir un mur, rester en équilibre en faisant preuve de pondération et de maîtrise (197). [276] J’en ferais plutôt un chevreuil qu’un danseur de l’Opéra.

La vue est de tous les sens le plus fautif parce qu’il est le plus étendu et plus prompt. Les illusions de la perspective nous aident à connaître et à comparer les parties de l’espace [277] (198).

L’erreur vient de ce que le sens de la vue n’a qu’une seule mesure pour juger à la fois de la grandeur des objets et de leur distance.

Il faut donc suivre une méthode contraire à la précédente : au lieu de simplifier la sensation, la vérifier par une autre, assujettir l’organe visuel à l’organe tactile faute de quoi nos mesures seront inexactes. Les ingénieurs et [278] les peintes apprécient les mesures de l’étendue avec plus de justesse.

« Tout ce qui donne du mouvement au corps sans le contraindre est toujours facile à obtenir des enfants. Il y a mille moyens de les intéresser à mesurer, à connaître, à estimer les distances. » Nous trouverons ainsi les moyens de cueillir des cerises sur l’arbre, de traverser un ruisseau, de pêcher dans les fossés du château (199), de faire une balançoire, d’estimer la taille d’une chambre, de trouver le village où nous pourrons dîner…

Il s’agissait d’exercer à la course un enfant indolent et paresseux, peu porté à l’exercice quoiqu’on le destinât à l’état militaire. Cet [279] homme s’imaginait que son rang pourrait le dispenser de tout. Comme j’avais banni les ordres et les menaces de mes méthodes, comment allais-je faire pour le convaincre de courir sans rien lui dire ? Courir moi-même ? Voilà comment je m’y pris.

En m’allant promener avec lui les après-midis, je mettais quelquefois dans ma poche deux gâteaux ; nous en mangions chacun un à la promenade. Un jour, il s’aperçut que j’en avais trois et se dépêcha de me demander le troisième. [280] Je proposai plutôt de la voir disputer à la course par deux petits garçons. Ce qu’on fit : le victorieux mangea le gâteau.

Cet amusait valait mieux que le gâteau mais il fut sans effet. « Tout ce qui donne du mouvement au corps sans le contraindre est toujours facile à obtenir des enfants. Il y a mille moyens de les intéresser à mesurer, à connaître, à estimer les distances. » Nous continuâmes nos promenades ; on prenait trois ou quatre gâteaux dont plusieurs pour les coureurs. Le vainqueur était fêté. On admit bientôt plusieurs concurrents ; la foule s’y mêlait ; je voyais mon petit bonhomme s’animer : c’étaient pur lui les jeux olympiques.

Cependant, les concurrents commençaient à tricher. Je fus obligé de les séparer et de modifier les règles du jeu. : on verra bientôt la raison de cette prévoyance ; car je dois traiter cette importante affaire dans un grand détail. [281]

Ennuyé de voir manger sous ces yeux des gâteaux qui lui faisaient envie, le chevalier commença à penser que courir pouvait servir à quelque chose ; il s’entraîna en secret. Je compris que mon stratagème avait réussi. (202) Il finit par m’en parler et je lui répondis par une raillerie. Il finit par remporter la course et le gâteau. Il prit goût à cet exercice ; il était presque sûr de vaincre ses concurrents.

Cet avantage obtenu en produisit bientôt un autre. En s’accoutumant à la victoire, il devint généreux et partageait avec les vaincus. Cela me fournit à moi-même une observation morale, et j’appris par-là quel était le vrai principe de la générosité.

En continuant avec lui de marquer en différents lieux les termes d’où chacun devait partir à la fois, je fis, sans qu’il s’en aperçût, les distances inégales. Il y avait un désavantage visible. Mais bien que je le lui laissasse le choix, il préférait [282-283] toujours le plus beau chemin. J’eus toutes les peines du monde de lui faire apercevoir que je trichais. Il m’en fît des reproches. Je lui expliquai (203) que c’était à lui de choisir la distance la plus courte. Il le comprit enfin et s’avisa qu’il faudrait donc apprécier les distances. Mais les enfants n’ont pas la patience de perdre du temps à mesurer quand il y a de l’amusement. Mais au bout de quelques mois, il eut une notion bien précise des distances. [284]

Comme la vue est de tous les sens celui dont on peut le moins séparer les jugements de l’esprit, il faut beaucoup de temps pour apprendre à voir ; il faut avoir longtemps comparé la vue au toucher pour accoutumer le premier de ces deux sens à nous faire un rapport fidèle des figures et des distances ; sans le toucher, sans le mouvement progressif, les yeux du monde les plus perçants ne sauraient nous donner aucune idée de l’étendue. Ce n’est qu’à force de marcher, de palper, de nombrer, de mesurer les dimensions, qu’on apprend à les estimer ; mais aussi, si l’on mesurait toujours, le sens, se reposant sur l’instrument, n’acquerrait aucune justesse. Il ne faut pas non plus que l’enfant passe tout d’un coup de la mesure à l’estimation. Je voudrais pourtant qu’on vérifiât ses premières opérations par des (204) mesures réelles, afin qu’il corrigeât ses erreurs et qu’il apprît à les rectifier. On a ainsi des mesures naturelles [285] qui peuvent lui servir d’étalon et de toise.

On ne saurait apprendre à bien juger de l’étendue et de la grandeur des corps, qu’on apprenne à connaître aussi leurs figures et même à les imiter ; car au fond cette imitation ne tient absolument qu’aux lois de la perspective ; et l’on ne peut estimer l’étendue sur ses apparences, qu’on n’ait quelque sentiment de ces lois. Les enfants, grands imitateurs, essayent tous de dessiner : je voudrais que le mien cultivât cet art. Mais je ne veux pas lui donner un maître à dessiner qui ne lui donnerait qu’à imiter des imitations. Je veux qu’il n’ait d’autre modèle que la nature afin d’en avoir une représentation juste, [286] sans même rien tracer de mémoire. (205)

Je sais qu’il n’aura probablement jamais le talent des peintres mais je pense en revanche qu’il contractera une meilleure connaissance des rapports des grandeurs et des figures. Telle était mon intention : connaître les objets plutôt que de savoir les imiter.

Au reste, mon élève ne sera pas le seul à s’amuser. Je serai son émule sans relâche et je prendrai le crayon à son exemple pour dessiner des hommes avec des barres [287] pour chaque membre. Puis je progresserai doucement et je mettrai des couleurs. (206)

En panne d’ornementation pour notre chambre, je fais encadrer nos dessins et je les ordonne pour mesurer nos progrès [288] en mettant aux plus naïfs des cadres brillants et aux plus figuratifs des cadres noirs. Ainsi chacun de nous aspire à ce type d’encadrement qui ne détourne pas l’attention sur la bordure.

J’ai dit que la géométrie n’était pas à la portée des enfants ; mais c’est notre faute ; « car notre manière d’apprendre la géométrie est bien autant une affaire d’imagination que de raisonnement. » Quand la proposition est énoncée, il faut en imaginer la démonstration, c’est-à-dire trouver de quelle proposition déjà sue celle-là doit être une conséquence, et, de toutes les conséquences qu’on peut tirer de cette même proposition, choisir précisément celle dont il s’agit.

Que se passe-t-il de fait ? Au (207) lieu de nous faire trouver les démonstrations, on nous les dicte ; au lieu de nous apprendre à raisonner, le maître raisonne pour nous et n’exerce que notre mémoire.

Faites des figures exactes, manipulez-les et vous trouverez toute [289] la géométrie élémentaire par ces observations sans qu’il soit question de théorie. Pour moi, je ne prétends point apprendre la géométrie à Émile, c’est lui qui me l’apprendra, je chercherai les rapports, et il les trouvera ; car je les chercherai de manière à les lui faire trouver (exemple du cercle tracé avec un fil).

Exemple de l’angle à soixante degrés…

Mesure d’autres angles, soumise à la sagacité d’Émile.

On néglige la justesse des figures. Entre nous, [290] il n’est pas question de démonstration, mais de tirer les lignes, de faire des carrés, des ronds. On examinera la figure dans ses propriétés sensibles et on découvrira de nouvelles.

La géométrie n’est pour mon élève que l’art de se bien servir de la règle et du compas ; il ne doit point la confondre avec le dessin, où il n’emploiera ni l’un ni l’autre de ces instruments qui seront mis sous clef. Nous porterons quelquefois nos figures à la promenade pour en parler.

Je n’oublierai jamais d’avoir vu à Turin un jeune homme à qui, dans son enfance, on avait appris les rapports des contours et des surfaces en lui donnant chaque jour à choisir dans toutes les figures géométriques des [291] gaufres isopérimètres. Le petit gourmand avait épuisé l’art d’Archimède pour trouver dans laquelle il y avait le plus à manger.

Quand un enfant joue au volant [ancêtre du badminton], il s’exerce l’œil et le bras à la justesse ; quand il fouette un sabot, il accroît sa force en s’en servant, mais sans rien apprendre. J’ai demandé quelquefois pourquoi l’on n’offrait pas aux enfants les mêmes jeux d’adresse qu’ont les hommes : la paume, le mail, le billard, l’arc, le ballon, les instruments de musique. On m’a répondu que quelques-uns de ces jeux étaient au-dessus de leurs forces, et que leurs membres et leurs organes (209) n’étaient pas assez formés pour les autres. Je trouve ces raisons mauvaises : un enfant n’a pas la taille d’un homme. Je n’entends pas qu’il joue avec nos masses sur un billard ou au jeu de paume, ni qu’on lui donne une raquette mais qu’il joue d’abord dans une salle dont on aura garanti les fenêtres, qu’il se serve d’abord de balles molles en changeant progressivement de raquettes. Vous préférez le volant moins fatigant mais c’est un jeu de femmes. [292] On joue toujours lâchement les jeux où l’on peut être maladroit sans risque…

Les fibres d’un enfant ont moins de ressort mais elles sont plus flexibles. Son bras est faible, mais c’est un bras qu’on doit exercer. Les enfants n’ont pas d’adresse mais il faut leur en donner. Il n’y a qu’une longue expérience qui nous apprenne à tirer parti de nous-mêmes, et cette expérience est la véritable étude à laquelle on ne peut trop tôt nous appliquer. (210)

Tout ce qui se fait est faisable. Rien n’est plus commun que des voir des enfants aussi agiles que des hommes dans des groupes de comédiens ou de cirque, [293] chez des danseurs ou des musiciens. « Qu’on ait d’abord les doigts épais, courts, peu mobiles, les mains potelées et peu capables de rien empoigner ; cela empêche-t-il que plusieurs enfants ne sachent écrire ou dessiner à l’âge où d’autres ne savent pas encore tenir le crayon ni la plume ? » Exemples d’une claveciniste et d’un violoniste prodiges.

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