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9 août 2021 1 09 /08 /août /2021 15:33

Traduction d’Etienne Galle, édition GF n°1634

(les références paginaires sont données dans cette édition)

Résumé et recueil de citations sur le thème de « l’enfance »

établis par Bernard Martial, professeur de lettres en CPGE

(Ce résumé ne remplace pas la lecture factuel du texte intégral dans l’édition

au programme et ne prétend pas en reproduire les qualités littéraires.)

… me convoque dans sa chambre (308)

Puis un jour, il m’appela dans sa chambre. Il était assis dans son lit et me dit de m’asseoir dans le fauteuil près de la fenêtre : – Tu ne dois pas te laisser vaincre par quoi que ce soit, commença-t-il pace que tu es l’homme de la famille, et si tu n’es pas fort, que peux-tu demander à Tinu et aux autres de faire ?  Ce que tu dois poursuivre en tout temps, ce sont tes études. Ne les néglige pas. (308) Et tu sais que j’ai toujours souhaité te voir entrer au Lycée National. Je fis oui de la tête. – Il est vrai que tu es maintenant au lycée ici. Mais tu dois continuer à préparer les examens d’entrée au Lycée National. Pas seulement pour entrer mais pour obtenir une bourse. Les lycées nationaux ont des bourses pour les élèves méritants, ce que tu dois t’efforcer d’être. Ce qu’il te faut viser, c’est une place au Lycée National. Tu vois, quoi qu’il arrive, le gouvernement subvient aux besoins du boursier ; n’oublie jamais cela. Je promis de viser la bourse. Cela semblait important pour lui, et je fus saisi par le sentiment que j’étais en train d’accomplir une importante transition, à cause d’une promesse qui me liait éternellement. Rien ne devait m’empêcher d’accomplir cette promesse. Il était satisfait de ma décision : – Les choses ne se passent pas toujours comme nous l’avons prévu. Il y a beaucoup de déceptions dans la vie. Il y a toujours de l’inattendu. On prévoit minutieusement, on prépare les différentes étapes et puis… enfin, c’est la vie. Nous ne sommes pas Dieu. Alors tu ne dois pas te laisser accabler par l’inattendu. Tu découvriras que seule la détermination renverse les obstacles, la pure détermination. Et la foi en Dieu ; ne néglige pas tes prières. Tu es l’homme de la famille, n’oublie pas que les autres te respecteront. Il ne faut (309) pas les décevoir. Il ne faut jamais les décevoir ! dit-il en secouant la tête pour marquer ses paroles.

Fièvre et photographe (310)

Ce soir-là, je fus pris d’une forte fièvre qui dura toute la nuit et la journée du lendemain. Elle ne commença à tomber que le troisième jour. Chrétienne Sauvage me demanda alors si c’était à cause de la conversation que j’avais eue avec mon père. Je ne dis rien, sachant bien que ce qu’elle avait suggéré était la vérité, mais incapable de voir comment les deux choses pouvaient être liées. Lorsque je guéris, je trouvai le photographe venu photographier Essay. Il se fit photographier avec ses plus beaux habits dans son jardin, avec Chrétienne Sauvage, avec chacun de ses enfants, puis avec nous tous puis en différents groupes de famille, devant le soleil couchant, devant les murs de sa chambre. (310) Il ordonna au photographe d’apporter le résultat rapidement, le lendemain soir. Je retournai me coucher, las, souffrant d’une légère rechute de fièvre.

Retour à la normale (311)

Puis l’ombre s’écarta graduellement. Peu à peu, j’observai le retour des vieilles habitudes et de l’animation. Lorsque tout fut rentré dans l’ordre, je me mis à penser que tout n’avait été qu’une hallucination de ma fièvre. Cette période d’inertie semblait attendre était maintenant passée. Les jours retrouvèrent leur contour et leur forme On était soulagés. Mis à part les photos qui étaient accrochées sur le mur, j’acceptai le nouvel ordre comme allant de soi, avec peut-être un sentiment de gratitude à l’endroit d’une Force invisible qui nous avait délivrés d’une Menace entrevue mais demeurée sans nom. (311)

XII. AU LYCÉE D’ABEOKUTA, LE PROVISEUR DAODU (313)

Bizutage au Lycée d’Abeokuta (313)

Grand-père avait raison : la plupart des élèves du Lycée d’Abeokuta (L.A.) étaient plus âgés que moi. Ils semblaient prêts à devenir chefs de famille et certains d’entre eux l’étaient déjà. Dès ma première semaine on me vola près de la moitié de mes fournitures scolaires mais la perte la plus pénible fut celle d’une boîte de compas. Sa disparition fut bien plus étrange que la punition qui suivit. Pas même son remplacement par une autre tout aussi neuve ne put (313) compenser cette perte de la première boîte en métal où je n’avais pas voulu graver mon nom. Le grand qui l’avait volée et que tout le monde connaissait avait déjà griffonné son nom à l’extérieur et à l’intérieur. Et personne ne pouvait faire grand-chose pas même le professeur à qui je l’avais signalé. Il y et quelques autres événements initiatiques. J’étais maintenant beaucoup moins enclin à la rêverie. Ma boîte de compas m’avait été volée sous mon nez au cours même d’une leçon. Je me mis instinctivement à étudier mes nouveaux compagnons et à rechercher les moyens de survivre au milieu d’eux. J’attendis ma prochaine visite à Isara avec impatience ; j’avais le sentiment que même l’ancien avait quelque chose à apprendre sur les indigènes du L.A. qui entraient et sortaient et sortaient de sa résidence à la poursuite de la connaissance.

Wèé-wèé, le directeur intérimaire de L.A. et la punition des voleurs (314)

Quand je rejoignis le lycée, Daodu était en voyage en Angleterre avec une mission éducative de l’Afrique de l’Ouest ; en son (314) absence un professeur de mathématiques, M. Kuforiji, surnommé Wèé-wèé, le remplaçait. Il faisait toujours sa tournée avec sa baguette et, après le rapport du professeur sur l’élève concerné, il administrait ses corrections devant toute la classe. Malgré tout, sa discipline était considérée comme d’une honnête moyenne. On pouvait s’entendre avec lui, le manipuler et s’en tirer à bon compte. D’ailleurs l’événement extraordinaire qui marqua le sommet de sa carrière d’intérimaire, un scandale où un responsable de section était impliqué, s’acheva sur un dénouement raté, et sans même un gémissement. L.A. était à juste titre considéré comme une école d’aguerrissement, comme un terrain d’entraînement pour apprendre à survivre. Il paraissait plus régi par une association de forces anonymes (315) que par les professeurs. Des transactions d’un caractère obscur se déroulaient par-dessus les clôtures avec le monde extérieur pendant les séances de sport, les récréations at après les cours. J’eus rapidement l’impression que c’était là, et non dans le bureau de l’école, que la marche de l’école était effectivement assurée. Certains pensionnaires avaient mis au point un système capable de déjouer n’importe quel surveillant qui au cours de ses rondes déjouait un lit vide. Le plus souvent, à la fin de l’enquête, il n’était plus très sûr de ce qu’il avait vu. Il n’était pas rare de voir un élève des grandes classes distribuer des fortunes à ses amis ; il avait cambriolé l’armoire forte de son père. Celui-ci arrivait, le futur Ennemi Public N°1 était convoqué par Wèé-wèé et le siège moral commençait. Lorsque le père avait de la chance, on retrouvait le reste de sa fortune sous le matelas de son fils, dans un coffre de l’école ou enterré sous un arbre. Un jour, toutes les économies d’un planteur de cacao furent volées de cette façon. Il fallut aider le dépossédé effondré à monter l’escalier du Directeur. Apprenant que son (316) père se trouvait dans les murs du lycée, le fils fit sa valise et prit la fuite. Il ne rentra pas chez lui et s’installa à Lagos. Un jour il vint nous dire adieu. Son père avait fait de nouvelles économies et il l’envoyait en Angleterre pour « poursuivre ses études ».

Les trente-six coups d’Akeenzy (317)

Mais le grand scandale, ce fut lorsqu’un élève de terminale, un responsable de section, fit un enfant à une jeune fille. Le cas n’était pas rare mais c’était la première fois que les parents de la jeune fille insistaient pour que le coupable fût renvoyé du lycée. Habituellement, l’affaire se réglait entre les parents des intéressés. Ce responsable, surnommé Akeenzy, était aimé ; il était charismatique. C’était par pure malchance qu’il était tombé sur une famille qui réclamait son dû. M. Kuforiji n’aimait guère renvoyer un élève et ruiner (317) ainsi sa carrière, surtout s’il s’agissait d’un élève de terminale, mais l’offense était assez grave pour mériter un châtiment exemplaire. Il choisit la correction publique, devant le lycée réuni au grand complet. Pour un responsable de section, même au L.A., c’était une sérieuse humiliation. Et le nombre de coups était sans précédent : trente-six ! Une assemblée spéciale fut convoquée. M. Kuforiji fit un discours grave devant l’assemblée et proposa une alternative au coupable : soit il était renvoyé soit il recevait les trente-six coups de baguette devant l’assemblée. Il choisit la seconde solution. La correction commença. (318) Même Wèé-wèé commença à fatiguer ; Akeenzy, lui, ne bougeait pas, imperturbable. Un tonnerre d’applaudissements ébranla l’assemblée. Le Proviseur réclama en vain le retour au calme. Son assistant secoua furieusement la clochette. Cela ne fit qu’ajouter à la jubilation. Tous les professeurs essayèrent de contenir la marée d’applaudissements. Pendant plusieurs minutes après le retour du silence, Wèé-wèé demeura incapable de prononcer une (319) parole. Il lançait des regards furieux à ses ouailles rebelles et dit en bafouillant – Eyin omo Satani ! [Enfants diaboliques] Idiots effrontés incorrigibles, vous croyez vraiment que cela mérite des applaudissements ? Awon omo alaileko. [mal élevés] Vous devez avoir l’âme totalement corrompue. Sortez ! Rompez !

Retour triomphal de Daodu (320)

Wèé-wèé fut ravi de replonger dans ses classes de mathématiques lorsque Daodu rentra de sa mission en Angleterre. Il fut accueilli par la foule et entra en fanfare dans Aké sur un cheval blanc pour un office d’action de grâces à l’église Saint-Pierre. Son agbada semblait encore plus volumineuse que d’habitude. La nouvelle de ses exploits en Angleterre s’était répandue, surtout depuis qu’il s’était opposé aux projets britanniques de ne créer qu’une seule université pour toutes les colonies de l’Afrique de l’Ouest en insistant pour qu’il y en eût une dans chaque pays. (320) Cependant l’enjeu de cette décision échappait à la plupart d’entre nous. Mais ce qui importait, c’était que Daodu avait bravé les sous-marins et les bombardiers de Hitler. Sa présence imposante avait fréquemment intimidé le District Officer du gouvernement colonial lui-même et jusqu’à l’Alake sur le passage duquel pourtant les hommes se prosternaient et les femmes s’agenouillaient. Un hymne de bienvenue fut composé par le professeur de musique.

La punition du fauchage (321)

Une semaine après son retour, je commençai à regretter qu’il n’ait pas été au moins fait prisonnier. Il avait, au dire de tous, négligé les devoirs de sa profession religieuse pour se consacrer à l’éducation. (321) Couper l’herbe de la concession d’Aké faisait partie intégrante de la formation scolaire comme dans toutes les écoles. Il arrivât de temps en temps qu’un élève méritât quelques heures supplémentaires de fauchage en guise de punition. Exceptionnellement toute la population de l’école sortait, oja agba [machette faite avec un cerceau de tonneau] en main, pour tondre la concession de l’école d’un bout à l’autre. Les professeurs vérifiaient que tout avait été bien tondu. J’avais, il est vrai, fauché moins d’herbe que la plupart de mes camarades au cours de mes années de formation, mais cela était dû à l’accident malheureux qui avaient failli me coûter l’œil droit et dont je gardais une cicatrice. Les maîtres me dispensaient en général de faire ma part du fauchage. J’avais donc pris du retard dans ma formation à l’art de l’oja agba, (322) mais je l’avais quand même rattrapé au cours de ma dernière année à l’école primaire, l’incident étant alors pratiquement oublié. Les prisonniers étaient passés maîtres dans l’art du fauchage. L’un d’entre eux faisait fonction de maître de chant sur les pelouses qui bordaient la façade du palais de l’Alake. À l’aide d’un morceau de fer et d’un bidon, ou d’un grand clou et de son oja agba, il donnait le rythme sur lequel les autres maniaient leurs instruments (323). Au L.A. cependant, l’herbe portait l’étiquette de « bonne » ou de « mauvaise ». toutes les touffes des mauvaises herbes devaient être déracinées une à une. Il était facile au bout de quelque temps de reconnaître les bonnes et les mauvaises herbes, mais les choisir et donc agir comme on me le demandait s’avérait pour moi de plus en plus difficile. Je n’arrivais pas à comprendre. Cet étrange procédé avait transformé les pelouses et les terrains en un rapiéçage d’herbe et de désert. Un réseau de lignes invisibles partageait le terrain de football en carrés attribués aux différentes classes avec des subdivisions allouées à des groupes de trois ou quatre élèves. Wèé-wèé ne partageait pas l’obsession régulière de Daodu pour les herbes. Son inspection du vendredi après-midi était (324) assez superficiel. Avec l’annonce du retour de Daodu, les attitudes changèrent. Les professeurs reçurent des instructions. De nombreux rituels et corvées jusque-là négligés réapparurent. S’appuyer contre les murs entraînait des punitions inhabituelles.  Le traitement de l’herbe provoquait en moi un blocage et je réussis à contaminer quelques-uns de mes camarades de classe et mon groupe se mit à flâner pendant que les autres labouraient le sol. Nous étions nouveaux au lycée, nous n’avions jamais rencontré Daodu dans l’exercice de ses fonctions et nous avions l’impression que tout ce qu’on disait de lui était exagéré. Ransome-Kuti reprit ses fonctions comme s’il n’avait été absent qu’un ou deux jours. Je ressentis alors mes premières appréhensions : quel était cet homme qui venait d’essuyer les bombes et qui se mettait à présider les rassemblements, à inspecter les plafonds (325) et à se plaindre de la mauvaise qualité des chants ? Le premier vendredi après son retour, il faisait sa ronde ordinaire des terrains de jeux comme avant. Il passait le terrain de jeu au peigne fin puis il faisait attendre son verdict. Son petit rire semblait dire : ils ne connaissent pas encore Daodu l’unique. Ce à quoi un chœur répondait : « Dao-o-o-o-o-o-o-o ! » (326) À part un bref coup d’œil dans sa direction pour voir qui était la victime, les élèves de Daodu ne prêtaient pas davantage attention à l’affaire. Entre-temps il avait déraciné et présenté aux regards le « mauvais » exemple. – Et qui était chargé de cet endroit ? Le criminel s’avança. Daodu regarda alentour s’il n’y avait pas d’autres oublis dans la même zone, hocha la tête d’un air satisfait et annonça – Trois ! L’élève savait ce qu’il avait à faire. Il se courba et Daodu lui donna des coups de badine. L’élève devait le remercier. Les efforts désespérés que mon groupe déployait maintenant pour extraire l’herbe mal vue de Daodu arrivaient trop tard mais nous dûmes nous arrêter à l’approche du cortège. Au rire de Daodu répondit le salut « Dao-o-o-o-o-o-o-o ! » (327) Il n’eut pas besoin de demander qui était responsable du lieu incriminé. Cela se lisait sur le visage des quatre coupables, des quatre nouveaux se tenant à part. Lorsqu’il annonça la sanction, je crus que j’allais détaler. J’étais convaincu d’avoir affaire à un assassin. – Vingt-quatre, dit-il. On n’en croyait pas nos oreilles. Ses yeux se posèrent sur moi et sur le plus grand d’entre nous. Il voulait savoir comment on partageait entre nous. Je n’hésitai pas à lancer : – Également.  Je fis un pas en avant mais je n’étais pas prêt à partager l’angoisse avec les autres. Les yeux fixés sur les herbes, j’essayai de détourner mon esprit de la douleur sauf au premier coup que je ressentis dans tout le corps. Daodu avait la main lourde. Je ne me permis que le (328) décompte, non les coups eux-mêmes. Ce fut vite fini. Je me redressai et remerciai ; mais j’étais loin d’éprouver de la gratitude à son égard.

Le procès d’Iku et du poulet rôti (329)

Ce fut la seule fois que Daodu abattit sa baguette sur moi et où je lui en voulus autant. Moins d’une semaine plus tard il avait repris sa place habituelle dans mon admiration. Tout ce qu’il faisait était plus grand que nature, il donnait une dimension nouvelle aux choses les plus insignifiantes et transformait tout événement en un spectacle dramatique. Avec lui la « discipline » devenait une aventure. Pour lui, il ne suffisait pas qu’un délit fût avoué, il fallait qu’il fût prouvé. Si la défense était conduite avec succès, l’accusé était libre et l’accusateur pouvait se voir infliger le châtiment. Un jour, le Proviseur surprit trois élèves, dont le tristement célèbre « Iku » en train de faire rôtir un poulet volé dans le poulailler de Daodu, fraîchement tué et plumé. (329) Le jugement se tint à l’endroit habituel, la galerie de la salle-à-manger, le long de la façade de la résidence. Le corridor proche servait de salle de classe au cours de Mme Kuti – le logement des Kuti, la salle à manger, l’internat, les classes- Daodu étant le principal accusateur, les trois accusés durent présenter eux-mêmes les faits, l’accusation et la défense. Iku, surnommé La Mort, faisait office de porte-parole. (330) Il défiait la mort à chacune de ses expéditions nocturnes. Il commença sa plaidoirie en présentant leur crime comme une expérience scolaire de chimie sur la combustion spontanée du phlogistique. Ils étaient sur le point d’éteindre le feu quand un jeune coq avait surgi inopinément de la basse-cour privée de Madame Kuti. Le deuxième prévenu, Bode, lui avait demandé ce que le Poulet faisait là et le troisième, Akinrinde, avait conseillé de faire preuve d’initiative comme le Proviseur le leur avait appris (331). Ils avaient alors décidé de cerner le coq pur l’attraper et le ramener à la basse-cour. Mais ce jeune coq bien élevé par le Proviseur et sa femme, était fougueux. Il s’était jeté sur le deuxième prévenu et l’avait renversé. Bode montra ses griffures au poignet à Daodu. (332). L’élan du jeune coq l’avait porté au milieu de la fournaise où il avait perdu connaissance. Il ne s’agissait donc pas d’un délit prémédité, tout au plus une dissimulation. Iku demandait donc l’indulgence de la Cour. Les accusés attendaient le verdict. (333) Je m’attendais à un verdict de dix-huit coups chacun après cet amphigouri impudent. Mais le Proviseur décréta un non-lieu pour le vol et la cuisson du poulet. Pour ce qui est du délit de dissimulation et de défaut de rapport de l’accident (334) les trois élèves étaient condamnés à finir de manger le poulet. Ce serait leur unique nourriture pendant une semaine. Je ne croyais pas cependant que Daodu s’attendait à les voir jeûner ; il savait bien qu’ils vivaient d’expédients et que d’autres les aideraient. Iku était un vétéran des procès et s’arrangeait toujours pour plaider devant le Proviseur. Les professeurs avaient renoncé à sévir et les laissaient faire ce qu’ils voulaient.

Daodu et la musique à la baguette (335)

Quand il s’occupait de musique, Daodu devenait maniaque (335). Il mettait beaucoup d’énergie à diriger nos hymnes. Mais je restais perplexe devant son incapacité à éliminer tous ceux qui manquaient d’oreille. Après une mauvaise exécution ils se contentaient de fouetter les élèves de la rangée fautive. Il ne semblait jamais considérer la vraie solution. À midi, je partageais le repas des pensionnaires. Un après-midi que j’étais en train de tapoter sur le piano, Daodu s’offrit à me donner des leçons. Je lui dis que mon père avait déjà commencé en précisant qu’il me donnait un coup de baguette à chaque mauvaise note, ce qui était à moitié vrai. J’avais maintenant adopté une attitude précise en ce qui concernait l’irrationnalité des adultes, me demandant, entre autres choses, pourquoi Daodu, éducateur et voyageur plein d’expérience, pouvait se comporter comme Chrétienne Sauvage qui tirait toute son autorité de ce passage de la Bible : « Qui aime bien… »

Daodu, Mme Kuti et les dames patronnesses (336)

Un groupe de femmes s’était formé autour de Mme Kuti avant le retour de Daodu. (336) De trois ou quatre, le nombre de femmes grandit. Elles se réunissaient pour discuter des problèmes de la communauté et des questions relatives à leurs foyers. Chrétienne Sauvage était membre du groupe et chaque fois qu’elle venait chez les Kuti, je l’attendais après l’école et rentrais plus tard à la mission avec elle. Je restais avec elles mais elles ne faisaient pas attention à moi. Elles étaient toutes chrétiennes et leurs maris exerçaient des professions libérales. Lorsqu’elles ne discutaient pas des problèmes d’hygiène publique, du manque de denrées, de la hausse des prix ou des projets d’anniversaire, leur grand souci était la situation critique des femmes entrant dans le monde des responsabilités domestiques : elles ne cessaient de critiquer leur incompétence… « Certaines d’entre elles ignorent tout de l’hygiène et même des soins à donner aux enfants » … Les tentatives d’aides se soldaient souvent par des insultes. L’une d’elles suggéra qu’elles aillent ensemble visiter les foyers des femmes récemment mariées pour leur offrir directement des conseils ; une autre qu’il fallait inviter ces « dames à problème » à assister à leur réunion et leur donner une formation sérieuse. (337) J’avais l’impression de savoir exactement de quelle sorte de femmes elles parlaient. [Je revoyais en esprit le plus triste mariage auquel il m’avait été donné d’assister à Saint-Pierre d’Aké. C’était un mariage en blanc. Dans le détail rien ne manquait mais aucun vêtement n’était ajusté. Tout semblait avoir été ramassé dans divers magasins et fourré sur le dos d’un groupe d’enfants, d’hommes et de femmes choisis au hasard qui n’avaient vu ni ville ni entendu un orgue. La mariée était enceinte et le marié semblait malheureux. Tout le monde semblait triste. (338) Personne cependant n’évoqua cette scène.] Mais elles étaient également préoccupées par le problème des enfants mourant en bas âge : comment amener les femmes à fréquenter davantage les centres de protection maternelle et infantile, à moins faire confiance aux médicaments choisis au hasard. Elles désiraient aussi que les femmes s’engagent davantage dans des activités civiques et philanthropiques. Un après-midi, Daodu passa près du groupe et écouta la conversation. Il constatait qu’elles ne savaient pas comment s’y prendre. – Cela fait déjà quelque temps que vous vous réunissez et tout ce que je vois toujours ici ce sont des oníkaba. [femmes en robes] Les femmes qui ont vraiment besoin de votre aide, ce sont les aróso [femmes en pagne], mais il n’y en a pas ici. Oubliez les problèmes de raffinements mondains. Consacrez-vous aux aróso. Amenez-les à vos réunions. Ce sont elles qui ont besoin de votre aide. (339) Puis Daodu continua sa promenade. La dame la plus âgée du groupe convainquit les autres qu’il avait raison. La prochaine fois chacune devait amener au moins une aróso à la réunion. (340)

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