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21 avril 2016 4 21 /04 /avril /2016 08:34

Lire ou ne pas lire le dernier Houellebecq ? Les prescripteurs et les imprécateurs publics intimant l’ordre de ne pas le faire, il est plus que jamais indispensable de se faire un avis personnel avant de juger. Sur fond de politique fiction, nous suivons donc les recherches universitaires et personnelles d’un personnage qui est conduit à cette fameuse Soumission.

 

Politique fiction : au premier tour des élections présidentielles de 2022, le Front National de Marine Le Pen arrive en tête avec 34,1% des suffrages devant le parti islamique de la Fraternité musulmane qui devance avec 22,3% des voix le PS (21,9%) et la droite (12,1%). Créé par Mohammed Ben Abbes (un homme de 43 ans, fils d’épicier tunisien à … Neuilly, passé par Polytechnique et l’ENA, véritable bénéficiaire de la méritocratie républicaine) un mois après le second tour de la Présidentielle de 2017, la Fraternité musulmane a progressé, le temps du second mandat de François Hollande (qui n’a « dû sa réélection qu’à la stratégie minable consistant à favoriser la montée du Front national » p. 115), en s’appuyant sur un réseau de mouvements de jeunesse, d’établissements culturels et d’associations caritatives et en se démarquant des courants extrémistes. Alors que Marine Le Pen prend la tête d’une manifestation qui réunit deux millions de personnes (300.000 selon la police) aux Champs-Elysées le 25 mai, le 31, l’UMP, le PS et l’UDI concluent un accord de gouvernement et se rallient à la Fraternité musulmane pour faire barrage au Front national. Ben Abbes propose alors le poste de Premier Ministre à François Bayrou. Le 29 mai, le saccage d’une vingtaine de bureaux de vote oblige le Ministère de l’Intérieur à invalider le deuxième tour qui est reporté au 2 juin. Au troisième tour des élections, Ben Abbes est finalement élu président de la République.

Une fois au pouvoir, la Fraternité musulmane laisse la moitié des ministères à la gauche, y compris les ministères clés comme les Finances et l’intérieur.  D’ailleurs la délinquance diminue (la Fraternité musulmane a les moyens de faire régner l’ordre dans les banlieues), le chômage est en chute libre du fait de la sortie massive des femmes du marché du travail, encouragées à rester chez elles par une revalorisation des allocations familiales. Ben Abbes d’ailleurs s’intéresse moins à l’économie et à la géopolitique qu’à l’éducation.  « Pour la Fraternité musulmane chaque enfant français doit avoir la possibilité de bénéficier, du début à la fin de sa scolarité, d’un enseignement islamique. Et l’enseignement islamique est, à tous points de vue, très différent de l’enseignement laïc. D’abord, il ne peut en aucun cas être mixte ; et seules certaines filières seront ouvertes aux femmes. Ce qu’ils souhaiteraient au fond c’est que la plupart des femmes, après l’école primaire, soient orientées vers des écoles d’éducation ménagère, et qu’elles se marient aussi vite que possible- une petite minorité poursuivant avant de se marier des études littéraires ou artistiques ; ce serait leur modèle de société idéal. Par ailleurs, tous les enseignants, sans exception, devront être musulmans. Les règles concernant le régime alimentaire des cantines, le temps dévolu aux cinq prières quotidiennes devront être respectés ; mais surtout le programme scolaire en lui-même devra âtre adapté aux enseignements du Coran »  (82-83). Le budget de l’Education nationale est diminué de façon drastique. L’obligation scolaire est ramenée à la fin du primaire, le certificat d’études est rétabli et les filières de l’artisanat sont encouragées. Le financement de l’enseignement secondaire et supérieur devient entièrement privé. Les écoles musulmanes sont alors financées généreusement par les pétromonarchies, les écoles catholiques et juives par les chefs d’entreprise. « Et pour l’université ce sera pareil  […] l’Arabie saoudite est prête à offrir une dotation presque illimitée. (84). Quant aux Juifs « ce qu’il espère au fond je crois, c’est qu’ils se décideront d’eux-mêmes à quitter la France – à émigrer en France » (157). Les organisations syndicales juives disparaissent d’ailleurs des universités. Mais la grande ambition de Ben Abbes est de déplacer le centre de gravité de l’Europe vers le sud en créant une Union pour la Méditerranée avec la Turquie, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte (157) (des contacts sont même pris avec la Libye et la Syrie) et de devenir le premier président élu de l’Europe pour « refaire en moins d’une génération, ce que l’Empire romain avait mis des siècles à accomplir » (289).

A rebours : François, le narrateur du roman, est né le 21 mai 1978. Après sept ans de recherches, il a soutenu sa thèse sur Joris-Karl Huysmans, un « naturaliste chrétien » de la fin du XIXe siècle,  en 2007 (Joris-Karl Huysmans, ou la sortie du tunnel) et obtenu un poste de maître de conférences puis de professeur à l’université de Paris III, malgré son manque de vocation et son mépris pour les jeunes. Il habite un petit appartement Avenue de Choisy, à Paris. Sa vie sentimentale (plutôt sexuelle) est erratique : il couche avec ses étudiantes et le départ pour Israël de Myriam, jeune étudiante en lettres de 22 ans, entre les deux tours des élections présidentielles de 2022, lui donne l’impression de mettre un terme à sa vie amoureuse. Il enchaîne pourtant les relations sordides (pudique euphémisme pour ne pas entrer dans les détails scabreux de ses pratiques) et tarifées. Il n’a plus de liens avec ses parents séparés dont il apprend la mort à quelques semaines de distance sans éprouver beaucoup plus de tristesse que le Meursault de Camus. Marie-Françoise, balzacienne émérite,  et Alain Tanneur sont ses rares fréquentations : la première est obligée comme lui de démissionner de l’université et le second a été mis à pied de la DGSI pour avoir voulu avertir sa hiérarchie des menaces que tout le monde s’appliquait à nier. Il les a retrouvés par hasard en séjournant un mois dans le Lot, à Martel, à la faveur d’un congé forcé par la fermeture de la fac. Sur le conseil d’Alain, François va à Rocamadour et médite devant la Vierge noire. Quelques temps plus tard, il repart, comme vingt ans plus tôt, sur les traces de Huysmans à l’abbaye de Ligugé. Mais il se sauve au bout de trois jours. Ses velléités mystiques semblent aussi médiocres que sa vie amoureuse. Il se dit « aussi politisé qu’une serviette de toilettes » (50) et observe de loin, avec une forme de cynisme désabusé et de lassitude permanente, le déroulement des événements, écoutant d’un côté le point de vue de Godefroy Lempereur, un ancien militant des mouvements identitaires, de l’autre les renseignements fournis par Tanneur, puis les thèses de Robert Rediger, un Belge passé par la mouvance identitaire et le catholicisme avant de se convertir à l’Islam et à la polygamie. Auteur d’un ouvrage de prosélytisme religieux Dix questions sur l’islam, Rediger est d’abord nommé Président de l’Université islamique de la Sorbonne en remplacement de Chantal Delouze avant d’accéder aux postes de secrétaire d’état aux Universités puis de Ministre des Affaires Etrangères. Il finit par convaincre François de revenir à l’Université moyennant sa conversion à l’islam, comme avant lui Steve et Loiseleur, respectivement spécialistes de Rimbaud et de Leconte de Lisle. Comme les autres professeurs néo-convertis, il verra son salaire tripler et pourra avoir trois femmes que des marieuses lui choisiront : « Originellement, bien sûr, les femmes sont elles aussi avant tout attirées par les avantages physiques ; mais on peut, avec une éducation appropriée, parvenir à les convaincre que l’essentiel n’est pas là. On peut déjà les amener à être attirées par les hommes riches- et après tout, s’enrichir demande déjà un peu plus d’intelligence et d’astuce que la moyenne. On peut même, dans une certaine mesure, les persuader de la haute valeur érotique des professeurs d’université »  (294). François est donc content : « une nouvelle chance s’offrait à moi ; et ce serait la chance d’une deuxième vie, sans grand rapport avec la précédente.  Je n’aurais rien à regretter » (299-300). Nous si.

 

Soumission. « C’est la soumission » dit doucement Rediger. « L’idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue. C’est une idée que j’hésiterais à exposer devant mes coreligionnaires, qu’ils jugeraient peut-être blasphématoire, mais il y a pour moi un rapport entre l’absolu soumission de la femme à l’homme, telle que la décrit Histoire d’O, et la soumission de Dieu à l’homme, telle que l’envisage l’islam » (260). C’est évidemment dans ces propos oiseux de son mentor Rediger, prononcés dans la maison même où Dominique Aury a écrit son roman,  que l’auteur nous donne l’explication de son titre et assure ainsi la connexion entre l’auteur et son narrateur. Ainsi donc face à l’affirmation péremptoire mais jamais démontrée d’un renoncement de ses élites parce que « Cette Europe qui était le sommet de la civilisation humaine s’est bel et bien suicidée en l’espace de quelques décennies » (257), ces nouveaux mandarins de la nomenklatura intellectuelle excipent-ils la soumission comme héroïque subversion ! Mais à quoi se soumettent donc  Rediger et François ? Le premier à avoir un train de ministre, une magnifique maison et plusieurs femmes, l’autre à gagner 10.000 € par mois, à réintégrer l’université et à avoir le droit à trois femmes. Le tout en conspuant la classe médiatique et politique,  l’athéisme et l’humanisme, la féminisme, la laïcité et la décadence des mœurs. Mais si Rediger a le zèle collaborationniste d’un Pierre Laval, François, le soi-disant intellectuel, en rêvant de s’identifier au romancier décadentiste converti tardivement au catholicisme, ne fait que dégrader son fonctionnement mental spongieux de « serviette de toilette » en lâcheté opportuniste de misanthrope hypocondriaque, à rebours des progrès attendus des lumières dans cette antre de la recherche intellectuelle française. Il est facile de se répandre en sarcasmes sur la Trahison des clercs à la manière de Julien Benda en soulignant que « l’intellectuel en France n’avait pas à être responsable, ce n’était pas sa nature » (271), une telle plasticité morale pour voiler un nihilisme total a de quoi soulever la nausée. « De même un livre qu’on aime, c’est avant tout un livre dont on aime l’auteur qu’on a envie de retrouver, avec lequel on a envie de se retrouver, avec lequel on a envie de passer ses journées » (14)  dit François au début de roman en parlant de son auteur-fétiche. Le problème, justement, avec Soumission, qui joue délibérément avec les vertiges de la mise en abyme, c’est qu’on n’a guère envie de passer nos journées avec Joris-Karl, François ou Michel Houellebecq, quand bien même l’un se cacherait derrière l’autre. Au moins Candide se délivrait-il des dogmes de Pangloss. François reste toujours prisonnier de sa cohabitation avec Huysmans et de la propagande de Rediger. Les obsessions érotico-pédophiliques de François, son dandysme misogyne, sa prétention souffreteuse, ses états d’âme mystico-misanthropiques nous lassent. Mais beaucoup moins que sa compromission n’écœure. Tout cela pour avoir « les avantages physiques » d’une épouse de quinze ans et « les petits pâtés chauds » d’une autre de quarante comme son gourou !

Faut-il donc brûler Soumission et vouer son auteur aux gémonies comme nous le proposaient les bonnes âmes précédemment citées ? Il n’est pas inutile de rappeler que le lecteur est seul juge de ses choix, que les avis les plus pertinents sont ceux qui ne se contentent pas de colporter les préjugés commodes et que tout auteur a le droit imprescriptible d’inventer des fictions et des personnages qu’on ne doit pas confondre avec leur auteur en méconnaissant le principe même de la fiction romanesque. Une fois réaffirmés ces droits d’expression de l’écrivain et de consultation des lecteurs, ces derniers ont aussi le droit, sinon le devoir, d’avoir un avis personnel (au contraire de François qui se laisse embrigader par une brochure du style L’islam pour les nuls). On peut donc décemment constater que Michel Houellebecq ne semble ni doué pour l’analyse sociale comme Balzac ni doté de cette distance ironique qui fait la force subversive de Voltaire. Sa physionomie de Céline vagabond anarchiste de droite ne lui confère pas non plus la veine épique du Voyage au bout de la nuit. Quant au procès qu’on lui a fait au moment de la publication de son roman, c’est peut-être là encore un costume trop grand qu’on lui accorde. Il serait islamophobe parce qu’il a qualifié « l’islam de religion la plus con » ! L’argument est du même niveau intellectuel que le bilan existentiel de son existence a la veille de sa conversion : « enfin, j’abordais une période supercool de ma vie » (284) : répliques de téléréalité plus que rhétorique sorbonnarde. Pour un islamophobe, en tout cas, François s’accommode très bien du nouveau régime et dresse même le panégyrique de Ben Abbes qui est comparé à Auguste et à Napoléon.

Les livres prophétiques tombent bien. Celui de Houellebecq devait sortir le 7 janvier. La caricature de l’auteur était à la une du précédent numéro de Charlie Hebdo dirigé par Charb qui peu de temps avant sa mort, déclarait encore : « je préfère mourir debout que vivre à genoux ».  On comprend le malaise. Même Alain Tanneur l’ancien officier de la DGSI dit dans le roman : «  je crains qu’avec l’islam le moment est venu d’un accommodement d’une alliance ». Les morts de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes révèlent aussi au sens chimique du terme l’antisémitisme soft du nouveau régime qu’on veut passer aux profits et pertes (Oui, mais François a une maîtresse juive !). 2015 a été l’année des attentats de janvier et des massacres du 13 novembre.  Sans tomber dans le déni des réalités sociales que dénonce le roman, on n’est pas obligés de choisir le camp du renoncement au nom d’un supposé renouveau de la civilisation. Les manifestations monstres du 11 janvier ont montré à Michel Houellebecq que la France n’était pas soumise.

Il reste une évidence : le Front National est aux portes du pouvoir mais le subterfuge du romancier pour imposer la plausibilité de son scénario fait aussi long feu qu’un pétard dans un dépôt de dynamite. Marine Le Pen s’est régalée, paraît-il du portrait fait par l’auteur de la déliquescence de l’UMPS (faut-il lui rendre ce service ?). D’ailleurs, comme dit la boutade éculée, il est plus difficile de prédire l’avenir que le passé. Le narrateur suppose que François Hollande est encore président jusqu’aux élections de 2022 avec Manuel Valls comme premier ministre et si Nicolas Sarkozy s’est retiré de la politique après son échec de 2017, Jean-François Copé est encore à la tête de l’UMP (sic) et Bayrou (traité de « parfaitement stupide » (152) et de « Jean Saucisse , le Hanswurst des vieilles pantomimes allemandes, qui répète exagéré – et un peu grotesque- ce qui vient d’être dit par le personnage principal » (200) à l’UDI (resic). L’obsolescence programmée du personnel politique contemporain nous rassure sur les nombreuses invraisemblances de son roman. Mais la principale hypothèse de ce roman est la plus sujette à débat : la probabilité qu’un parti musulman fédère l’ensemble des Musulmans de France au nom des préceptes que Mohammed Ben Abbes impose dans ce roman au point d’accéder au deuxième tour est quasiment nulle. Houellebecq nous montre une société française qui accepte pacifiquement et passivement son islamisation en oubliant les adversaires potentiels et en faisant totalement abstraction de la menace terroriste qui s’est pourtant rappelée à l’actualité. C’est là que le bât blesse.

Si le roman vaut cependant pour quelques conjectures de politique fiction parfois un peu confuses (notamment sur les contradictions du programme économique de Ben Abbes), il dégage de son microcosme nombriliste pseudo-universitaire  et de son macrocosme fantasmatique néo-impérialiste un sentiment de pessimisme nauséabond et de défaitisme dépressif. En cherchant à réinventer un néo- décandentisme artiste à la manière de son auteur favori, François Houellebecq s’en prend au Monde et aux journaux de centre-gauche qui dénoncent les Cassandre et les traitent d’aveugles mais il se prend lui-même pour un Œdipe dont on connaît les capacités visionnaires. N’est pas Sophocle qui veut.

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commentaires

D
parfaitement d'accord, voilà l'avis publié sur fb après ma lecture fin mai."J'ai lu m'attendant à un livre prophétique. A une révélation sublime de l écrivain voyant... raté. Il est question de beurette de polygamie de sodomie de sushis de porto de dépression d érections de misogynie de misanthropie. Bref une France fantasmée un islam fantasmé. Bref j ai eu le sentiment d un gloubi boulga mix de TF1 bfm et je ne sais quoi. Le personnage une incarnation dépressive de Hyusmans peine à jouir, peine à vivre. Pour résoudre ces problèmes là quelques sodomies ethniques une conversion à l islam ou plutôt à la polygamie assortie de pédophilie. Bref. A lire loin de l émotion des attentats on se rend compte que soumission ne raconte que le mal être d un personnage qui cherche un élan dans la vie et d un auteur souffrant probablement du même ennui et qui cherche dans l écriture à jouir de la lecture de ses contemporains.
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