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17 août 2018 5 17 /08 /août /2018 20:45

Résumé établi par Bernard Martial (professeur de lettres en CPGE)

Références des pages (entre parenthèses) édition GF n°1119 et 1424.

Ce résumé ne remplace pas la lecture du texte intégral dont il ne prétend pas reproduire les qualités littéraires.

 

AVERTISSEMENT

Cette histoire fut écrite durant l’hiver de 1830, à trois cents lieues de Paris (51). Repassant à Padoue dans la maison d’un vieux chanoine chez qui il avait logé du temps de l’expansionnisme napoléonien, il fut reçu par le neveu du chanoine, décédé depuis, et son épouse. C’est à cette occasion qu’on lui raconta l’histoire de la duchesse Sanseverina dont il promit de faire une nouvelle. Le neveu promit de lui fournir les annales de son oncle (52) en le prévenant que cette histoire n’était guère morale. Avant de publier son manuscrit, Stendhal prévient ses lecteurs :

  1. Le lecteur s’intéressera peut-être moins à des personnages italiens : ils sont sincères et passionnés.
  2. Il n’a pas voulu gommer les aspérités de ses caractères même s’ils les condamnent sur le plan moral (53).

La nièce du chanoine qui avait bien connu la Duchesse ne cacha rien de ses aventures.

23 janvier 1839 (54).

LIVRE PREMIER

Gia mi fur dolci inviti a emplir le carte

Il luoghi ameni

Arioste, Satire IV. (55)
 

CHAPITRE PREMIER

MILAN EN 1796

Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan (57). Huit jours plus tôt, les journaux présentaient encore ces Français comme des brigands fuyant devant les troupes de l’Empereur Charles Quint et du roi Philippe II. Déjà au Moyen-Âge, les Lombards républicains avaient fait preuve d’un courage équivalent à celui des Français face à l’empereur d’Allemagne (58). L’arrivée de l’armée française et le départ du dernier régiment d’Autriche marquèrent la chute des idées anciennes et redonnèrent de l’euphorie et la liberté à la population : « on vit que pour être heureux après des siècles de sensations affadissantes, il fallait aimer la patrie d’un amour réel et chercher les actions héroïques. ». On renversa les statues des despotes et l’esprit des Lumières supplanta l’obscurantisme des moines. Avant l’arrivée des Français, la ville était gardée par l’armée milanaise et des régiments hongrois. Outre la surveillance des curés (59), les habitants étaient également spoliés de leur blé par l’archiduc, homme de paille de l'Empereur qui prélevait sa part. En mai 1796, le peintre Gros fit une caricature de l’archiduc répandant le blé plutôt que son sang après une blessure au ventre fait par une baïonnette. Dans ce pays de despotisme, on n’avait jamais vu une telle liberté d’expression et le dessin reproduit dans la nuit fut vendu à vingt mille exemplaires (60). Le même jour, on affichait l’avis d’une contribution de guerre de six millions pour l’armée française. Mais cette somme importante ne choqua que les prêtres et les nobles. La population était déjà séduite par la joie et la jeunesse de cette armée dirigée par un général de vingt-sept ans. Alors qu’on les présentait comme sanguinaires, ces jeunes soldats faisaient la fête tous les soirs et les femmes leur apprenaient les danses italiennes.

Les officiers étaient logés chez les gens riches (61). Ainsi, le lieutenant Robert avait reçu un billet de logement pour le palais de la marquise Del Dongo. Ce jeune révolutionnaire était si mal vêtu que le majordome de la maison essaya d’arranger sa tenue avant qu’il se présente au dîner. Il était censé être un « monstre » ; c’est lui qui avait peur (62). [Le lieutenant Robert devient le narrateur : La marquise Del Dongo était alors dans tout l’éclat de sa beauté avec ses yeux doux et ses cheveux blonds. Dans la salle à manger du palais, les douze laquais et les valets de chambre plus richement vêtus que lui, le regardaient avec mépris mais il ne voulait pas les sermonner pour ne pas effrayer la marquise. De fait, la marquise n’était pas plus rassurée et pour se donner du courage, elle envoya chercher au couvent sa belle-sœur Gina Del Dongo devenue depuis la comtesse Pietranera (63). Pendant le repas, la jeune Gina, âgé de treize ans, se retenait de rire à la vue de son costume pendant que la marquise s’efforçait de l’écouter avec politesse. Il réussit pourtant à les apitoyer sur le sort des troupes dans les montagnes de Gênes pendant les deux dernières années alors qu’ils n’avaient rien à manger. En sortant de table, il offrit au domestique le seul écu de six francs qui lui restait. Huit jours après, le marquis del Dongo, qui avait lâchement abandonné sa femme et sa sœur à l’approche des Français et qui les détestait, revint de son château de Grianta sur le lac de Côme (64). Le lendemain, le lieutenant Robert toucha une solde qui lui permit de se remplumer. Fin du récit du lieutenant Robert].

L’histoire du lieutenant Robert, fut celle de beaucoup de Français : « au lieu de se moquer de la misère de ces braves soldats, on en eut pitié, et on les aima. Cette époque de bonheur imprévu et d’ivresse ne dura que deux petites années ; la folie avait été si excessive et si générale, qu’il me serait impossible d’en donner une idée, si ce n’est par cette réflexion historique et profonde : ce peuple s’ennuyait depuis cent ans. » En 1624, les Milanais avaient traqué leur volupté méridionale pour les mœurs taciturnes et querelleuses des Espagnols. La joie régna du 15 mai 1796 jusqu’en avril 1799 quand les Français furent chassés à la suite de la bataille de Cassano. Seules quelques familles nobles, touchées par l’impôt de guerre, boudèrent ces réjouissances et se retirèrent à la campagne (65) comme le marquis del Dongo qui regagna son château fortifié de Grianta, bâti au XVe siècle près du lac de Côme. Entouré de vingt-cinq ou trente domestiques, il y avait moins peur qu’à Milan, ce qui ne l’empêchait pas de correspondre avec un espion autrichien placé à la frontière suisse, à trois heures du château. La marquise était restée à Milan pour essayer de faire diminuer la contribution de guerre de la casa del Dongo quand un grand événement survint dans la famille (66). Le marquis avait arrangé le mariage de sa sœur Gina avec un personnage riche et de haute naissance mais elle contraria ses projets et épousa le comte Pietranera, bon gentilhomme ruiné et converti aux idées nouvelles. Après deux années de folie et de bonheur, la France connut des revers sous l’effet des décisions ineptes du Directoire. Les Autrichiens se rapprochèrent de Milan et le lieutenant Robert, devenu chef de bataillon, vint faire ses adieux à la marquise. Gina, déshéritée par son frère, suivit le comte Pietranera qui accompagnait les Français. Alors commença une période de réaction de treize mois jusqu’à la bataille de Marengo (14 juin 1800) (67). Le marquis del Dongo prit la tête de la réaction et réussit à convaincre le général autrichien de la nécessité de la répression : cent cinquante patriotes furent arrêtés et déportés aux bouches de Cattaro. Le marquis se vantait de ne pas donner un sou à sa sœur. Quant à la marquise, désespérée, elle garda le noir pendant treize mois que les Français passèrent hors de Milan.

« Nous avons commencé l’histoire de notre héros une année avant sa naissance. Ce personnage essentiel n’est autre, en effet, que Fabrice Valserra, marchesino (68) del Dongo ». Né au moment du départ des Français, il était le second fils du marquis et frère d’Ascanio del Dongo, le digne portrait de son père. Il avait huit ans, et Fabrice deux, quand Bonaparte franchit le col du Grand-Saint-Bernard le 20 mai 1800 et entra dans Milan : « figurez-vous tout un peuple amoureux fou. » Après la bataille de Marengo, on fêta le retour des déportés de Cattaro (69). Le marquis regagna son château de Grianta mais les femmes rêvèrent de retrouver la joie des bals d’antan. Mais les vieilles femmes étaient préoccupées par une prophétie de saint Giovita qui prédisait le départ des Français treize semaines après Marengo. Les réactionnaires peu cultivés se fiaient à cette croyance. Treize semaines passèrent puis treize mois et la prospérité de la France ne cessait d’augmenter (70).

Nous glissons sur dix années de progrès et de bonheur, de 1800 à 1816.  Fabrice passa les premières années au château de Grianta à se battre avec les petits paysans, n’apprenant rien. Puis, on l’envoya au collège, mais plutôt que les auteurs latins parlant de république, le marquis exigea qu’on lui présentât la généalogie latine des Valserra, marquis del Dongo, publiée en 1650 par Fabrice del Dongo, archevêque de Parme. Sa mère venait le voir à Milan mais c’est la comtesse qui lui prêtait l’argent pour le voyage. Elle était alors une des femmes les plus brillantes de la cour du prince Eugène, vice-roi d’Italie (Eugène de Beauharnais, fils de Joséphine, vice-roi d’Italie de 1805 à 1814). Après la première communion de Fabrice (71), la comtesse obtint du chef d’établissement du collège de soustraire son neveu du samedi soir jusqu’au mercredi ou au jeudi. Toujours aussi ignorant, Fabrice obtint cinq prix à la fin de l’année. La comtesse qui avait fait du jeune Fabrice, à peine âgé de douze ans, un officier des hussards, le menait à toutes les fêtes du prince Eugène. Elle sollicita même une place de page mais cela supposait le ralliement du marquis. Il rappela donc son fils à Grianta. Gina détestait son frère. « Mais elle était folle de Fabrice, et, après dix ans de silence, elle écrivit au marquis pour réclamer son neveu : sa lettre fut laissée sans réponse. » « Le comte Pietranera, aussi fou de cet enfant que sa femme, le faisait monter à cheval, et le menait avec lui à la parade. »  Au château, Fabrice ne pouvait compter que sur la tendresse de sa mère et de ses sœurs. Le marquis s’enfermait avec son fils aîné sous prétexte de l’instruire aux comptes de sa terre. Mais il était trop jaloux de son pouvoir pour faire cela. En réalité, ils s’employaient à rédiger des lettres chiffrées pour Vienne où, d’ailleurs, il trichait sur la réalité (73). Mais cela lui plaisait et on lui offrit une plaque d’un ordre renommé qu’il arborait seulement dans le confinement de son cabinet. La marquise écrivait deux ou trois fois par an au lieutenant Robert, devenu le général comte d’A***. La marquise qui « avait horreur de mentir aux gens qu’elle aimait », était complexée par l’ignorance de son fils et épouvantée par son fanatisme religieux. Elle craignait que son mari ne lui enlève l’amour de son fils : « et sa passion pour Fabrice s’en augmenta. » Dans ce château fort triste de trente ou quarante domestiques, Fabrice se lia aux cochers et aux hommes d’écurie, partisans des Français et qui se moquaient des valets de chambre dévots et poudrés, attachés au marquis et à Ascanio (74).

CHAPITRE DEUXIÈME

Epigraphe de Ronsard modifié par Stendhal (annonçant les présages et introduisant l’abbé Blanès) :

…Alors que Vesper vient embrunir nos yeux,

Tout épris d’avenir, je contemple les cieux,

En qui Dieu nous escrit, par notes non obscures,

Les sorts et les destins de toutes créatures.

Car lui, du fond des cieux regardant un humain,

Parfois mu de pitié, lui montre le chemin ;

Par les astres du ciel qui sont ses caractères,

Les choses nous prédit et bonnes et contraires ;

Mais les hommes chargés de terre et de trépas,

Méprisent tel écrit, et ne le lisent pas.

Le marquis qui détestait les Lumières (75), chargea l’abbé Blanès de continuer l’éducation des jésuites. Il ne connaissait pas le latin mais était respecté, voire redouté dans le canton, en réinterprétant la prophétie de saint Giovita (1813). Fou d’astrologie, il passait ses nuits à observer les étoiles en haut de son clocher (76). Les paysans le prenaient pour un grand magicien et le redoutaient ; les autres curés, jaloux de son influence, le détestaient. Le marquis le détestait mais Fabrice l’adorait. L’abbé qui l’aimait bien, le laissait monter dans son clocher. Deux ou trois fois par an, Fabrice dirigeait des expéditions nocturnes sur le lac de Côme pour s’en prendre aux lignes dormantes installées par les pêcheurs (77). Ses camarades se fiaient à ses présages pour savoir s’ils devaient se lancer dans ces aventures. Pour éviter des soucis avec sa sœur à cause de sa correspondance chiffrée, le marquis consentait à ce que Fabrice aille passer huit jours à Milan chez la comtesse pour la fête de Sainte-Angela. Il donnait quatre écus à son fils (et rien à sa femme qui l’accompagnait). Le mode de vie du marquis lui permettait au moins de faire des économies. De 1800 à 1813, il crut à la chute imminente de Napoléon. Il fut ravi (78) d’apprendre les désastres de la Bérésina en 1813 et il fut aux anges à sa chute. Il insulta alors sa femme et sa sœur et eut la joie de voir les troupes autrichiennes entrer dans Milan. Le général autrichien lui offrit une des premières places dans le gouvernement. Ascanio eut une lieutenance dans un régiment de la monarchie mais Fabrice refusa une place de cadet. Ce triomphe ne dura que quelques mois. Son incompétence et ses propos ultra-monarchistes l’obligèrent bientôt à démissionner. On lui offrit la place de second grand majordome major du royaume lombardo-vénitien, ce qui l’humilia beaucoup (79). Il tenta de se défendre et revint au château de Grianta. Après la chute de Napoléon, le comte Prina, ancien ministre du roi d’Italie, et homme du premier mérite, fut tué à coups de parapluie (20 avril 1814). Le comte Pietranera exposa sa vie pour le sauver alors que le confesseur du marquis lui refusa son aide. Le marquis détestait son beau-frère qui avait refusé de prendre du service en Autriche et les mêmes personnages qui avaient organisé l’assassinat de Prina, voulurent jeter le comte en prison. Mais la comtesse menaça de se rendre à Vienne et le comte fut libéré. Le lendemain, le comte fut reçu par le général qui l’assura (80) de régulariser sa pension de retraite. Le général Bubna était honteux de l’assassinat de Prina et de la prison du comte. Les deux époux vécurent ainsi de cette pension de retraite.

Depuis cinq ou six ans, la comtesse était l’amie d’un homme fort riche qui était aussi un intime du comte et qui mettait à leur disposition un attelage, sa loge à la Scala et son château. Mais un jour, le comte Pietranera fut tué dans un duel par quelqu’un qui avait moqué la bravoure des soldats de la république cisalpine. Furieuse, la comtesse avait voulu que Limercati aille tuer l’assassin de son mari mais celui-ci refusa : « Limercati trouva ce projet d’un ridicule achevé, et la comtesse s’aperçut que chez elle le mépris avait tué (81) l’amour. Elle redoubla d’attention pour Limercati ; elle voulait réveiller son amour, et ensuite le planter là et le mettre au désespoir. Pour rendre ce plan de vengeance intelligible en France, je dirai qu’à Milan, pays fort éloigné du nôtre, on est encore au désespoir par amour. » Elle excita sa jalousie en faisant des coquetteries à des jeunes gens brillants, et en particulier au comte Nani qui « devint amoureux fou de la comtesse ». Elle écrivit à Limercati un mot pour lui dire de l’oublier. Il fut au désespoir. Il lui proposa de l’épouser dans un billet mais elle lui renvoya sa lettre. Pendant trois mois, Limercati revint à Milan, obsédé par cet amour et (82) jaloux du comte Nani.  « Le fait est que la comtesse n’avait aucune sorte d’amour pour le comte N… et c’est ce qu’elle lui déclara quand elle fut tout à fait sûre du désespoir de Limercati. » Il la pria cependant de n’en rien laisser paraître et de le faire passer encore pour l’amant régnant. La comtesse déclina alors les chevaux et la loge du comte N…. Elle dut renoncer à son train de vie au point que le marquis s’inquiéta que sa sœur fût exploitée par ses ennemis. Il lui offrit un appartement et un traitement à Grianta.

Elle accepta de revenir dans ce château où elle n’avait pas vécu depuis vingt ans (83). A trente et un an, elle se croyait arrivée à la retraite : « ce qu’il y a de sûr c’est que cette âme passionnée, qui venait de refuser si lestement l’offre de deux immenses fortunes, apporta le bonheur au château de Grianta » notamment à ses nièces et à la marquise. Elle se mit à revoir les lieux enchanteurs de Grianta avec Fabrice (84). Longue description de la beauté de ces lieux (85). La comtesse se réjouissait de revoir ces lieux qui lui rendaient son cœur de seize ans. Malgré son manque d’argent qui contrastait avec le faste aristocratique du marquis, elle acheta une barque pour ses promenades sur le lac. Ascanio voulut se joindre à elles mais les femmes le dissuadèrent ; elles pensaient qu’il était l’espion du marquis. Il résolut de se venger de Fabrice. Lors de ses excursions lacustres, elles connurent deux tempêtes (86). La comtesse voulut débarquer sur un rocher et tomba à l’eau. Fabrice se jeta à l’eau pour la sauver. Elle se passionna aussi pour l’astrologie, acheta un télescope et s’établit avec Fabrice dans une des tours du château. Certains jours, Gina ne parlait à personne puis le lendemain, elle riait avec sa belle-sœur qui se plaignait de finir ses jours dans ce triste château (87). L’on vécut ainsi pendant l’hiver de 1814 à 1815. Deux fois, malgré sa pauvreté, la comtesse alla à Milan voir un ballet à la Scala accompagnée de la marquise. Cette joie faisait oublier la tristesse que les regards du marquis et de son fils aîné répandaient autour de Grianta. Fabrice, alors âgé de seize ans, les représentait.

Le 7 mars 1815, les dames étaient de retour d’un voyage à Milan, elles se promenaient dans l’allée des platanes au-dessus de la Casa Sommariva quand une barque parut. Un agent du marquis annonça le débarquement de Napoléon au golfe de Juan. Le marquis écrivit au souverain pour lui proposer ses services. Le 8 mars à six heures, alors que le marquis se faisait dicter une dépêche politique, Fabrice se présenta chez la comtesse Pietranera et lui annonça son départ pour rejoindre l’Empereur (88) en passant par la Suisse. La nuit précédente, à Menagio, son ami Vasi, le marchand de baromètres lui avait donné son passeport. Il demanda de l’argent à sa tante qui pleurait de joie et d’angoisse. Elle lui tendit une petite bourse ornée de perles, lui recommanda de ne pas se faire tuer et évoqua le peu de chance de réussir de Napoléon : « En te permettant d’aller le rejoindre, je lui sacrifie ce que j’ai de plus cher au monde, disait-elle. Les yeux de Fabrice se mouillèrent, il répandit des larmes en embrassant la comtesse, mais sa résolution de partir ne fut pas un instant ébranlée. Il expliquait avec effusion à cette amie si chère toutes les raisons qui le déterminaient ». [Récit pris en charge par Fabrice : Fabrice évoqua la promenade de la veille (89) et l’arrivée du bateau du messager. Au moment où il avait appris la nouvelle, il avait vu « un aigle, l’oiseau de Napoléon ; il volait majestueusement se dirigeant vers la Suisse, et par conséquent vers Paris. Et moi aussi, me suis-je dit à l’instant, je traverserai la Suisse avec la rapidité de l’aigle, et j’irai offrir à ce grand homme bien peu de chose, mais enfin tout ce que je puis offrir, le secours de mon faible bras. » C’est à cet instant qu’il avait décidé lui aussi de traverser la Suisse et de rejoindre l’Empereur. Cette résolution avait fait cesser ses larmes (90). Puis Fabrice parla du marronnier que sa mère avait planté l’année de sa naissance. En voyant les feuilles à cet arbre, la veille à sept heures et demie, il y ait vu un nouveau signe. A une heure du matin, il était allé chez Vasi où tous s’étaient enthousiasmés, regrettant de ne pas pouvoir l’accompagner.] La comtesse essaya de lui présenter des objections qui n’ébranlèrent pas sa résolution. Elle voulut au moins qu’il en parle à sa mère. Mais Fabrice refusa de peur que son père fût mis au courant (91). La marquise fondit en larmes en apprenant le projet de son fils mais quand elle comprit que rien ne pourrait le retenir, elle lui remit de l’argent et elle lui donna huit à dix petits diamants que la comtesse cousit dans son habit. Ses sœurs l’embrassèrent.

Puis, il se mit en route. Le soir-même, il entrait à Lugano où il écrivit une lettre à son père, passa le Saint-Gothard et entra en France par Pontarlier (92). S’il était facile de voir le prince Eugène à Milan, il ne put voir l’Empereur à Paris, même en se présentant tous les matins aux Tuileries. A l’hôtel où il était descendu, il parla de ses projets et ne réussit qu’à se faire voler son argent. Il acheta deux chevaux, prit un domestique et partit pour l’armée qui se rassemblait à Maubeuge. Les soldats regardèrent ce jeune bourgeois avec curiosité et parlèrent à l’adjudant (93) de cet étranger parlant mal le français. Celui-ci le conduisit à un officier de gendarmerie qui lui demanda ses papiers. « Le marchand de baromètres » parla de son enthousiasme pour l’Empereur mais l’officier l’envoya à la prison de B… où Fabrice arriva à trois heures du matin (94). Pendant ses trente-trois jours de conduite, il écrivit des lettres au commandant de la place que la femme du geôlier, belle Flamande de trente-six ans, était censée transmettre. Mais, pour lui éviter le peloton d’exécution, elle les brûlait. En accord avec son mari, elle accepta même d’aider ce prisonnier qui avait de l’argent, à s’évader (95). Elle lui conseilla de ne pas raconter son histoire de gentilhomme milanais déguisé en marchand de baromètres, lui donna les habits d’un hussard mort et lui recommanda surtout de ne pas parler d’eux. Fabrice comprit alors qu’on l’avait pris pour un espion (96). Il avait des scrupules de porter les vêtements d’un hussard envoyé en prison et y vit un nouveau signe du destin : « Le présage est clair, j’aurai beaucoup à souffrir de la prison ! » Une heure après son départ, la pluie commença à tomber et Fabrice acheta le cheval d’un paysan. « Ce jour-là l’armée, qui venait de gagner la bataille de Ligny, était en pleine marche sur Bruxelles ; on était à la veille de la bataille de Waterloo. » A une heure avancée de la nuit, Fabrice alla loger chez un paysan mais de peur qu’on lui vole son cheval, il dormit dans l’écurie. « Sur les cinq heures, il entendit la canonnade : c’étaient les préliminaires de Waterloo. »

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