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9 août 2021 1 09 /08 /août /2021 16:37

Traduction d’Etienne Galle, édition GF n°1634

(les références paginaires sont données dans cette édition)

Résumé et recueil de citations sur le thème de « l’enfance »

établis par Bernard Martial, professeur de lettres en CPGE

(Ce résumé ne remplace pas la lecture factuelle du texte intégral dans l’édition

au programme et ne prétend pas en reproduire les qualités littéraires.)

Oncle Sanya, l’oro face à l’iwin (20)

Son frère Sanya également, et tout le monde admettait qu’il était oro, ce qui faisait qu’il était à l’aise dans les bois, même la nuit ? Une fois pourtant, il avait dû aller trop loin. – Ils nous avaient déjà rendu visite, dit-elle. Pour se plaindre. Vous savez, ils ne voilaient pas vraiment entrer dans la concession, ils ne s’approchaient pas, ils restaient à la limite des bois. Leur chef, celui qui parlait, émettait des étincelles, elles jaillissaient en tous sens de sa tête qui semblait n’être qu’une boule de braises – non, je confonds, ça c’était la deuxième fois, lorsqu’il nous a poursuivis jusqu’à la maison. La première fois, ils s’étaient contentés d’envoyer un émissaire. C’était un petit, il avait la peau sombre et basanée. Il est venu jusqu’à la cour de derrière, il nous a ordonné d’appeler le Révérend et il est resté là. C’était comme si Oncle s’était attendu à sa visite. Il est sorti de la maison et il lui a demandé ce qu’il voulait. Nous, on s’est réfugiés dans la cuisine et in a regardé par le trou de la serrure. – Sa voix, comment elle était ? Il parlait comme un egúngún ?  Ce personnage (20), selon ma mère avait la tête trop grosse, il voulait bien qu’on vienne dans les bois mais sans dépasser les rochers et le bosquet de bambous. Tinu, ma sœur aînée voulait savoir ce que Oncle avait dit. – Il parlait exactement comme ton père ! dit ma mère. Oncle nous a tous fait venir et il nous a avertis qu’il ne fallait plus aller là-bas. Mais ils y sont retournés. Une semaine plus tard, Oncle Sanya les a emmenés pour ramasser un panier et demi d’escargots. – De toute façon, Sanya était oro lui-même. (21) Mais tout à coup il y a eu cette espèce de lumière et des voix qui marmonnaient autour de nous : « Petits têtus, petits cabochards, on vous a avertis, on vous a prévenus, mais vous n’avez pas voulu écouter… » Chrétienne Sauvage regardait par-dessus nos têtes en fronçant les sourcils pour mieux se souvenir. Elle ne voyait que la boule de feu se rapprocher. On voulait savoir ce qu’avait fait Oncle Sanya. – Sanya wo ni yen ? Il a été le premier à se mettre à courir. Bo o ló yà mi kítípa kítípa ! [Si tu ne veux pas avancer, ne reste pas dans mes jambes] Personne ne pensait plus aux gros escargots. Cet iwin [« Ghommide » esprit des bois qui est également censé vivre sous terre.] nous a suivis jusqu’à la maison. […] (22). Cet iwin qui avait bel et bien dépassé la limite des bois voulait nous poursuivre jusqu’à la maison. Chrétienne Sauvage poussa un profond soupir et hocha la tête avec une étrange tristesse – Le temps de la foi est passé. Ils avaient la foi, nos premiers chrétiens, la vraie foi, pas seulement aller à l’église et chanter des hymnes. La foi. Igbàgbó. C’est cette foi-là qui donne la vraie force. Alors Oncle a brandi sa Bible et le monstre s’est sauvé. Après la prière du soir, il a fallu payer. Six bons coups chacun dans le bas du dos. Sanya en a eu douze. Et on a dû couper l’herbe tous les jours pendant une semaine. La frayeur avait dû suffire comme punition. Chrétienne Sauvage ajouta : (23) – La Foi et… la Discipline. Voilà de quoi étaient faits ces premiers croyants. Peuh ! On n’en fait plus des comme ça. Quand je pense à celui qui occupe maintenant cette maison… Mais, reprenant ses esprits, ma mère appelait déjà Tata Lawanle pour notre bain. Je voulais savoir pourquoi Oncle Sanya était oro. Elle me répondit qu’elle nous l’expliquerait une autre fois ou qu’on n'avait qu’à le lui demander.

L’église effondrée lors du cortège de l’egúngún (24)

Lawanle entra à ce moment-là. Mais je voulais savoir encore si Monseigneur Crowther était oro. Chrétienne Sauvage se mit à rire. Oh ! je vois, on t’en a parlé à l’École du Dimanche ? (24) En m’accrochant à la porte, je répondis que je l’avais vu en traversant la cour pour aller chez Tata Lijadu. – Il se cache dans la bougainvillée.  Plus tard, après le bain, Maman nous raconta le reste de l’histoire. Cette fois-là, le Révérend J.J. était parti pour une de ses tournées missionnaires. Dans un des villages ijebu, il lui arriva une terrible aventure. Il avait tenu à maintenir son office le jour du cortège de l’egúngún malgré les avertissements de la voix ancestrale. En partant, le cortège frappa trois fois sur le portail de l’église avec sa baguette et le bâtiment s’écroula, heureusement pas sur les fidèles. Après avoir rassuré tour le monde, le Révérend J.J. (25) continua. C’était peut-être cela que Chrétienne Sauvage voulait dire à propos de la foi bien que l’egúngún ait réussi à faire écrouler l’église. Chrétienne Sauvage ne fit aucun effort pour expliquer ce qui s’était passé au point que cet exploit me paraissait du même ordre que la foi qui l’animait. Elle attribuait même à la foi sa dextérité à transvaser de l’huile d’une bassine dans une bouteille sans perdre la moindre goutte. Et quand cela arrivait, elle pensait qu’elle devait prier davantage.

Sanya et la guérisseuse (26)

Le Révérend J.J. avait le même entêtement que notre oncle Sanya qui n’eut de cesse de retourner vers les droits que l’oro avait interdits pour chercher des champignons et des escargots (26) et ramasser du bois. Maman nous raconta une de ses sorties avec Sanya. Tout à coup, elle l’entendit parler avec quelqu’un sans voir avec qui. Elle avait déjà constaté que, bien qu’il passât le plus clair de son temps à s’amuser, (27) il revenait toujours avec le panier plein. Il en fut de même cette fois-là. Son propre panier était presque vide. Il décida de rentrer mais quelque chose semblait le retenir à l’arrière. Tous les deux se mirent à courir. Sanya tomba malade : il avait la fièvre et ne pouvait parler. Une dame âgée, convertie par J.J. vint nous voir (28) et Maman lui raconta tout. La vieille dame donna ses instructions : – Il me faut un panier d’àgidi [mets solide à base de maïs], cinquante portions. Ensuite, préparez-moi de l’èkuru [mets liquide à base de haricots moulus cuits à la vapeur et de sauce] dans un grand plat. Il faut absolument que le ragoût d’èkuru contienne beaucoup de caroubes et de langoustes. Et qu’il y ait une odeur aussi appétissante que possible. On envoya les enfants dans toutes les directions pour acheter et préparer tous ces ingrédients. Les enfants en avaient l’eau à la bouche ; ils s’étaient tout de suite dit qu’il s’agissait d’un festin d’apaisement, d’un sàarà [offrande, nourriture distribuée en offrande] destiné à des esprits offensés.  Mais quand tout fut prêt, la guérisseuse emporta les mets dans la chambre du malade, ferma la porte à clef et ordonna à tout le monde de s’éloigner. On devait vaquer à nos occupations et ne pas essayer de lui parler pour qu’il guérisse. (29) Elle ferma les fenêtres et partit s’installer à l’autre bout de la cour pour surveiller les allées et venues des enfants. Mais elle finit par s’assoupir si bien que Maman et les autres ne tardèrent pas à s’approcher. Ils entendaient parler Oncle Sanya et des bruits de plats et de gobelets. Six heures après la fermeture de la porte, la dame se décida à ouvrir la porte. Sanya dormait profondément, il n’avait plus de fièvre. Tous les mets préparés avaient été consommés. Il n’y avait plus de doute. Oncle Sanya était oro. Chrétienne Sauvage en était convaincu (30). Comme il ne venait que très rarement à cette époque, on ne pouvait pas lui poser de questions et Maman refusait de répondre. Quand il revint à la mission, je remarquai son regard vide. Pourtant, il paraissait trop actif pour être oro. Pendant longtemps, je le confondis avec le chef scout d’Aké que l’on surnommait Activité. Je me mis à surveiller les louveteaux qui paraissaient les plus proches des compagnons invisibles qu’Oncle Sanya avait dû fréquenter au cours de son enfance. En les voyant faire leurs activités j’avais l’impression d’avoir trouvé les amis qui avaient rejoints Sanya, sous le nez outragé de Chrétienne Sauvage et des autres enfants, dans la maison de J. J et s’étaient régalés avec lui. (31)

Pa Delumo (32)

L’église ne laissa à la mission qu’un curé et son catéchiste ; Aké ne méritait plus d’avoir un évêque. (31) La cure s’est dégradée, le Verger a disparu. On appelait le maître de cette demeure Pasteur, Curé, Chanoine ou Révérend. Ou tout simplement, comme ma mère, Pa Delumo. Mon père et moi avions choisi Chanoine, à cause d’une visite à Ibarà. On accompagnait parfois nos parents dans des visites fatigantes dont ne comprenions pas toujours le but (32) Nous étions allés jusqu’à une maison nommée LA RÉSIDENCE ; mais je fus surtout intrigué par deux canons. Je demandai pourquoi mon père appelait Pa Delumo canon [en anglais « chanoine » se dit canon]. Ma mère me donna une explication mais je pensais que c’était à cause de sa tête qui ressemblait à un boulet de canon : il donnait une impression d’immobilité indestructible (33) Ses catéchistes et ses assistants paraissaient invisibles à côté de lui. Seul notre oncle Ransome-Kuti, que tout le monde appelait Daodu semblait de taille à rivaliser avec lui. La présence de Pa Delumo me remplissait d’effroi. Il dominait la mission et même Aké encore plus que Kabiyesi, notre Oba [chef traditionnel yorouba], aux pieds de qui les hommes se prosternaient. Il m’arrivait parfois de croiser d’autres clergymen mystérieux comme Mgr Howells, mais celui-ci vivait retiré loin de nous alors que le Chanoine régnait sur Saint-Pierre. Il venait souvent discuter avec mon père. (34) Mon père ne se disputait jamais avec lui, contrairement à ce qu’il faisait avec le libraire ou ses autres amis. Un jour que mon père se querellait avec le libraire sur la naissance du Christ, le Chanoine s’approcha mais seulement pour tapoter la joue d’un petit garçon que sa mère tenait par la main.  L’expression énigmatique de son visage ; sa tenue dépareillée (35) Cette alternance de possibilités surhumaines et de banalités de vêtements mal ajustés me troublait. J’aurais préféré qu’il demeurât toujours en soutane et surplis.

Mon père, le libraire et sa femme, Mme B. (36)

Dans toutes les polémiques, la position préférée de mon père était celle de l’avocat du diable. On l’appelait S.A. d’après ses initiales [Samuel Ayo], H.M ou Headmaster [directeur] et moi Essay bien que je n’aie pas hérité de ses qualités de calligraphie. Il faisait preuve de la même élégance dans sa mise. Sa tenue à table était une source d’émerveillement pour ma mère que, par contraste, je baptisai vite Chrétienne Sauvage (36). Mais au moment des discussions, il se passionnait aussi vite que le libraire qui apportait à la maison quantité d’animaux qu’il élevait dans sa concession et après lesquels on n’arrêtait pas de courir. Maigre et irascible, il ponctuait ses discours de gestes d’oiseau, sans lâcher son bonnet de toile. (37) La femme du libraire était comme notre propre mère. La peau d’un noir de jais, d’une beauté bovine et d’une bonté inépuisable, elle était beaucoup plus corpulente que son mari au point qu’on pouvait croire qu’elle l’avait avalé quand il disparaissait. Le dos de Mme B. sur lequel j’avais été porté me paraissait vaste et rassurant. Nous dormions souvent chez le libraire et lorsque ma mère voulait nous punir avec son bâton, c’est Mme B. qui nous protégeai.

Leur fille Bukola, l’àbikú, enfant tyrannique (38)

Sa seule fille, Bukola n’appartenait pas à notre monde (38). Avec ses amulettes, crécelles, bagues et cicatrices, elle savait qu’elle était àbikú [enfant qui naît, renaît et meurt à un nouveau cycle continu.] Ses parents n’osaient pas trop la gronder. Quand elle faisait une crise à notre demande et que ses yeux se révulsaient, Tinu prenait peur (39) et menaçait de nous dénoncer. Je me demandais comment sa mère se débrouillait avec cet être surnaturel capable de faire la navette entre deux mondes. Quand elle marchait en faisant tinter les grelots de ses chevilles, elle disait que ses compagnons de l’autre monde lui demandaient de venir jouer avec eux. Je lui suggérai de les inviter à jouer avec nous. – Ils ne peuvent pas bouger comme nous. Et vous non plus vous ne pouvez pas aller les rejoindre, dit-elle. Elle était vraiment spéciale (40) avec ce privilège de passer facilement d’une sphère à l’autre. Je l’avais vue une fois pendant une crise et sa mère gémissait : « Egbà mi, ara è ma ntutu ! Ara è ma ntutu ! » [Aidez-moi, elle devient toute froide.] Elle essayait de la réchauffer. Le libraire accourut, lui desserra les dents et la fit boire de force. L’àbikú ne reprit pas immédiatement connaissance mais le danger était passé. On l’allongea sur le lit et elle de détendit. Nous restâmes assis à côté d’elle, Tinu et moi, attendant qu’elle se réveillât. Sa mère lui fit boire une soupe de poisson auquel elle ajouta un liquide épais. Elle avala sa potion sans une plainte. (41) Puis nous sortîmes jouer. Elle avoua qu’elle faisait cela quand sa mère ou la bonne la contrariait. Elle menaçait alors de partir. Cela me rendait mal à l’aise. Une femme aussi gentille que Mme B. n’aurait pas dû être affligée d’une enfant aussi impossible ; et pourtant nous savions qu’elle n’était pas cruelle ; les àbikú étaient comme ça. Je pensais à toutes les choses que Bukola pouvait demander à ses parents. (42) Que ferait-elle si elle demandait quelque chose qu’ils ne peuvent pas donner, comme la voiture de l’Alake ? Ils devaient répondre y compris si elle exigeait un sàarà pour ses camarades. La dernière fois que son père avait refusé, il avait dû une poule supplémentaire pour la faire revenir. Son visage passait de l’innocence à l’autorité. J’éprouvais une vague inquiétude à la pensée qu’une enfant pût exercer un tel pouvoir sur ses parents. Au cours du sàarà j’observais ce qui se passait (43). Tout paraissait normal. Bukola était somptueusement vêtue : elle avait les yeux marqués à l’antimoine et le visage poudré et mangeait au milieu de sa natte ; jamais en tout cas je ne la vis donner de la nourriture en secret à des compagnons invisibles. Et pourtant le sàarà leur était destiné. Je me suis parfois demandé si M.B. ne se réfugiait pas chez nous pour échapper à la tyrannie de cette enfant. C’est lui qui prolongeait les débats le plus tard possible. Mais moi je pouvais me rendre compte de cette insistance et la patience exagérée de mon père ne faisait que le confirmer. Parfois, les discussions prenaient un tour effrayant.

La plaisanterie de la main coupée (44)

Un jour le libraire, Fowokan le sous-directeur de l’école primaire, le catéchiste et un autre intime d’Essay le raccompagnèrent chez lui après l’office. Osibo, le pharmacien aimait assister à ces séances sans y participer. Ils étaient animés (44) par la discussion. Les débats se poursuivirent devant des bières, de la limonade, des beignets et des biscuits. Chrétienne Sauvage se plaignait de ces amis envahissants mais elle aimait le rôle d’abreuvoir intellectuel d’Aké et de ses environs que jouait la maison du directeur d’école. Vers la fin de l’après-midi, d’autres provisions ranimèrent la discussion jusqu’à l’heure où ils devaient rentrer se changer pour se rendre à l’office. C’est à cette heure-là que le père de Bukola semblait courir le plus de dangers. Le libraire semblait devenir la preuve sacrificielle d’un désaccord. Ma loyauté envers sa femme créait un terrible dilemme. Je me sentais le devoir de prévenir sa femme des dangers qu’il courait. (45) Ce jour-là, ses amis voulaient tout simplement couper l’un des membres de M.B. La discussion était partie du sermon du matin. Le libraire se défendait. Au milieu des rires, Essay demanda qu’on apporte un couteau, M. Fowokan voulait une hache pour lui couper la main gauche (46). Le libraire prétendit qu’une offense contre Dieu n’était pas une offense contre les hommes. Atterré, je voulais qu’on aille chercher Mme B.. Essay tâtait déjà le tranchant du couteau. (47) Mon père continuait son discours sur l’offense de sa main droite. J’étais impressionné. Leur rire rendait la chose encore plus diabolique. Tout à coup, le libraire ouvrit la porte et s’enfuit. Les autres se mirent à sa poursuite (48) qui cessa dans les rires quand ils se séparèrent. J’étais loin d’apprécier leur légèreté mais je me sentais profondément soulagé à la pensée que Mme B. n’aurait pas à s’occuper d’un mari manchot en plus de son àbikú obstinée. (49)

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