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19 août 2021 4 19 /08 /août /2021 19:34

Résumé et recueil de citations sur le thème de « l’enfance »

établis par Bernard Martial, professeur de lettres en CPGE

Edition GF n°1428 : (références des pages entre parenthèses)

Edition GF n°1632 : [références des pages entre crochets]

C’est pour cacher cette inaptitude qu’on les exerce sur les langues mortes dont personne ne peut juger l’usage familier. On appelle ça parler alors qu’il s’agit de rendre un discours français en latin ou à coudre en prose des phrases de Cicéron et en vers des centons de Virgile.

Dans toute étude, les signes représentant les choses ne sont rien sans l’idée de ces choses. On borne pourtant toujours l’enfant à ces signes, sans jamais pouvoir (152) lui faire comprendre aucune des choses qu’ils représentent. C’est particulièrement [213] sensible en géographie où on lui apprend les cartes mais pas la réalité de la terre.

J’entends dire qu’il faut occuper les enfants à des études où il ne faut que des yeux. Mais je n’en connais pas.

Une erreur encore plus ridicule est de leur faire étudier l’histoire. On croit qu’elle est à leur portée parce qu’elle n’est qu’un recueil de faits. Mais l’histoire est une science beaucoup plus complexe qui met en cause des rapports de causalité entre les événements auxquels les enfants n’entendent rien.

Lecteurs, souvenez-vous que celui qui vous parle n’est ni un savant ni un philosophe, mais un homme simple, ami de la vérité, un solitaire [214] (153) indépendant des préjugés des hommes. Mes raisonnements sont moins fondés sur des principes que sur des faits. Je vais vous le montrer en rapportant quelques observations.

J’étais allé passer quelques jours à la campagne chez une mère de famille qui prenait grand soin de ses enfants et de leur éducation. Un matin que j’étais présent aux leçons de l’aîné, son gouverneur, homme de mérite fit quelques réflexions qui me déplurent sur l’intrépidité d’Alexandre. À table, on ne manqua pas de faire babiller le petit bonhomme qui débita mille sottises et raconta l’histoire de Philippe, le médecin d’Alexandre Puis après les éloges, on raisonna sur ce qu’il avait dit. Le plus grand nombre blâma la témérité [215] d’Alexandre, d’autres, parmi lesquels le gouverneur, admiraient son courage.   Je constatai que personne ne voyait la véritable beauté de ce geste. Et je leur dis que ce n’était qu’une extravagance ce dont tout le monde convint. Je voulus enchaîner mais une femme vint le dire discrètement de me taire. (154)

Après le dîner, je fis un tour du parc avec le jeune élève et l’ayant questionné sur l’histoire qu’il avait si bien racontée, je compris pourquoi il admirait le courage d’Alexandre : parce qu’il avait avalé d’un seul trait un breuvage de mauvais goût. Le pauvre enfant, qui avait été contraint lui-même à prendre médecine il n’y avait pas quinze jours, et qui ne l’avait prise qu’avec une peine infinie, en avait encore le déboire à la bouche. Impressionné par son héros, il était décidé d’être un Alexandre. [216] Je le confirmai dans ces dispositions louables, et je m’en retournai riant en moi-même de la haute sagesse des pères et des maîtres, qui pensent apprendre l’histoire aux enfants.

Il est aisé de mettre dans leurs bouches les mots de l’histoire ; mais quand il sera question d’attacher à ces mots des idées nettes, il y aura loin de l’entretien du jardinier Robert à toutes ces explications.

Quelques lecteurs, mécontents du Tais-toi, Jean-Jacques, demanderont, je le prévois, ce que je trouve enfin de si beau dans l’action d’Alexandre. C’est qu’il croyait à la vertu ! Jamais mortel ne fit une si belle profession de foi. S’il existe un Alexandre moderne, qu’on me le montre.

« S’il n’y a point de science de mots, il n’y a point d’étude propre aux enfants. S’ils n’ont pas de vraies [217] idées, ils n’ont point de véritable mémoire ; car je n’appelle pas ainsi celle (155) qui ne retient que des sensations. » Apprendre les signes sans apprendre les choses est non seulement inutile mais dangereux. En se payant de mots qui n’ont aucun sens pour lui, l’enfant perd son jugement.

Si la nature donne au cerveau d’un enfant cette souplesse qui le rend propre à recevoir toutes sortes d’impressions, ce n’est pas pour qu’on y grave toutes sortes de noms d’histoire, de géométrie et de géographie, qui n’ont aucun sens et aucune utilité ; mais c’est pour toutes les idées qu’il peut concevoir et qui lui [218] sont utiles pour son bonheur, ses devoirs et sa conduite future.

« Sans étudier dans les livres, l’espèce de mémoire que peut avoir un enfant ne reste pas pour cela oisive ; tout ce qu’il voit, tout ce qu’il entend le frappe, et il s’en souvient ; il tient registre en lui-même des actions, des discours des (156) hommes ; et tout ce qui l’environne est le livre dans lequel, sans y songer, il enrichit continuellement sa mémoire en attendant que son jugement puisse en profiter. » C’est dans la sélection et la présentation de ces objets que consiste le véritable art de cultiver cette première faculté ; et c’est là qu’il faut lui constituer un ensemble de connaissances qui serviront à son éducation et à sa conduite. Cette méthode, certes ne forme pas de petits prodiges et ne fait pas briller les gouvernantes et les précepteurs mais elle forme des hommes sains de corps et d’esprit qui se feront honorer étant grands plutôt qu’admirer jeunes.

« Émile n’apprendra jamais rien par cœur, pas même des fables, pas même celles de la Fontaine » ; car les mots des fables ne sont pas plus les fables que les mots de l’histoire ne sont l’histoire. Amusés par l’apologue, ils passent à côté de la vérité. « Les fables peuvent instruire les hommes ; [219] mais il faut dire la vérité nue aux enfants : sitôt qu’on la couvre d’un voile, ils ne se donnent plus la peine de le lever. »

« On fait apprendre les fables de la Fontaine à tous les enfants, et il n’y en a pas un seul qui les entende. » Et quand ils les comprendraient, ce serait encore pire car la morale est tellement disproportionnée à son âge, qu’elle les porterait plus au vice qu’à la vérité. Ce sont des paradoxes, certes, voyons si ce sont des vérités.

Un enfant n’entend point les fables qu’on veut lui faire apprendre parce qu’il y entre des idées qu’il ne peut saisir et parce que la forme choisie, en les rendant plus faciles à retenir, complique leur compréhension. Sans citer toutes ces (157) fables qui n’ont rien d’intelligible ni utile pour les enfants et qu’on leur fait apprendre avec les autres, bornons-nous à celles que l’auteur semble avoir faites spécialement pour eux.

Des cinq ou six fables où brille la naïveté puérile, j’ai choisi celle que les enfants saisissent le mieux et qu’ils apprennent avec le plus de plaisir. En supposant qu’elle pourra être entendue des enfants, qu’elle pourra leur plaire et les instruire, cette fable est assurément son chef-d’œuvre : qu’on me permette de l’examiner.[220] Commentaire critique de la fable Le corbeau et le renard… (158-160) [221-223]

Voilà quelques éléments pour analyser les idées de cette fable. Mais qui croit avoir besoin de cette analyse pour la faire comprendre à la jeunesse. Nul de nous n’est assez philosophe pour savoir se mettre à la place d’un enfant. Passons maintenant à la morale. [224]

Je me demande si c’est à des enfants de dix ans qu’il faut apprendre qu’il y a des flatteurs hypocrites. On pourrait tout au plus qu’il y a des railleurs qui persiflent les petits garçons, mais le fromage gâte tout : on apprend surtout comment le faire tomber. C’est mon second paradoxe.

Si vous suivez les enfants qui apprennent leurs fables, vous constaterez qu’ils les appliquent généralement à l’inverse de l’intention de l’auteur et qu’au lieu d’observer le défaut dont on veut les préserver, ils penchent à aimer le vice (161). Ils préfèrent le renard au corbeau, la fourmi à la cigale. « Quelle horrible leçon pour l’enfance ! » Le plus odieux de tous les monstres serait un enfant avare et dur, qui saurait ce qu’on lui demande et ce qu’il refuse. La fourmi fait plus encore, elle lui apprend à railler dans ses refus.

L’enfant s’identifie au lion [225] quand il s’empare de tout et au moucheron quand il terrasse le lion. Il apprend à tuer un jour à coups d’aiguillon ceux qu’il n’oserait attaquer de pied ferme.

Dans la fable du loup et du chien, il prend une licence là où on prétend lui donner une leçon de modération. Je me souviens d’avoir vu pleurer une petite fille qui se sentait enchaînée comme le chien.

Leçons de basse flatterie, d’inhumanité, d’injustice, de satire, d’indépendance, voilà donc la morale de ces cinq fables pour les enfants. Quand vous leur donnez des préceptes qui se contredisent, qu’espérez-vous de vos soins ? [226] Il faut une morale en paroles et une en actions dans la société, et ces deux morales ne se (162) ressemblent point. La première est dans le catéchisme, où on la laisse ; l’autre est dans les fables de La Fontaine pour les enfants, et dans ses contes pour les mères. Le même auteur suffit à tout.

Monsieur de La Fontaine, je promets de lire et d’aimer vos fables que je pense comprendre ; mais je n’en laisserai pas étudier une seule à mon élève tant que vous ne m’aurez pas prouvé qu’il peut en comprendre le quart ; et que dans celles qu’il peut comprendre, il ne les comprendra pas à l’envers de votre intention.

En ôtant ainsi tous les devoirs des enfants, « j’ôte les instruments de leur plus grande misère, savoir les livres. La lecture est le fléau de l’enfance, et presque la seule occupation qu’on lui sait donner. À peine à douze ans Émile saura-t-il ce que c’est qu’un livre. » Je conviens [227] qu’il faut qu’il sache lire quand la lecture lui est utile ; jusqu’alors elle n’est bonne qu’à les ennuyer.

Si l’on ne doit rien exiger des enfants par obéissance, il s’ensuit qu’ils ne peuvent rien apprendre dont ils ne sentent l’avantage actuel et présent, soit d’agrément, soit d’utilité. L’art de communiquer aux absents peut être rendu sensible à tous les âges. Pourquoi est-il devenu un tourment pour l’enfance ? Parce qu’on le met à des usages auxquels elle ne comprend rien. Un enfant n’est pas très curieux de perfectionner l’instrument avec lequel on le tourmente, mais s’il sert à ses plaisirs, il s’y appliquera bientôt malgré vous.

On se fait une grande affaire de chercher les meilleures méthodes d’apprendre à lire (bureaux, cartes, atelier d’imprimerie, dé de Locke). Un moyen plus sûr est le désir d’apprendre. Donnez à l’enfant ce désir et toute méthode sera bonne.

Le seul mobile valable et durable est l’intérêt présent. Émile reçoit quelquefois [228] des billets d’invitation pour un dîner, une promenade ou une fête. Il faut trouver quelqu’un qui lui lise mais le temps qu’il arrive, il est déjà trop tard. Ah ! s’il avait su lire lui-même. On reçoit d’autres billets courts mais qu’on ne peut pas déchiffrer ou à moitié : il s’agit d’aller demain manger de la crème, mais on ne sait pas où et avec qui. Combien d’efforts pour lire le reste ! Parlerai-je à présent de l’écriture ? Non, j’ai honte de m’amuser à ces niaiseries dans un traité de l’éducation.

Je n’ajouterai qu’un seul mot en forme de maxime : « d’ordinaire, on obtient très sûrement et très vite ce qu’on n’est pas pressé d’obtenir. »  Je suis presque sûr qu’Émile saura parfaitement lire et écrire avant l’âge de dix ans, précisément parce qu’il m’importe fort peu qu’il le sache avant quinze ; mais « j’aimerais mieux qu’il ne sût jamais lire que d’acheter cette science au prix de tout ce qui peut la rendre utile : de quoi lui servira la lecture quand on l’en aura rebuté pour jamais ? » [« Il faudra surtout veiller à ne pas lui rendre odieuses les études qu’il ne peut encore aimer, et à empêcher que cette aversion, une fois déclarée, ne l’en éloigne, passé le temps où il était ignorant. » Quintilien]. [229]

Plus j’insiste sur ma méthode inactive, plus je sens les objections se renforcer. Si votre élève n’apprend rien de vous, il apprendra des autres : les mensonges, les préjugés (164) que vous aurez voulu leur éviter. « L’inhabitude de penser dans l’enfance en ôte la faculté durant le reste de la vie. »

Je pourrais encore répondre à cela. Mais je préfère continuer d’exposer ma méthode.

Si au lieu d’égarer votre élève dans des considérations éloignées, vous vous appliquez à le tenir en lui-même et attentif à ce qui le touche directement, alors vous le trouverez capable de perception, de mémoire, et même de raisonnement ; c’est l’ordre de la nature. À mesure que l’être sensitif devient actif, il acquiert un discernement proportionnel à ses [230] forces qu’il emploie à développer en lui la faculté spéculative propre à employer cet excès de force à d’autres usages. « Voulez-vous donc cultiver l’intelligence de votre élève ; cultivez les forces qu’elle doit gouverner. Exercez continuellement son corps ; rendez-le robuste et sain pour le rendre sage et raisonnable. » S’il est homme par la vigueur, il le sera bientôt par la raison.

Vous l’abrutiriez, il est vrai, si vous passiez votre temps à lui dire ce qu’il doit faire. Mais souvenez-vous de nos conventions. [231]

« C’est une erreur bien pitoyable d’imaginer que l’exercice du corps nuise aux opérations de l’esprit ; comme si ces (165) deux actions ne devaient pas marcher de concert, et que l’une ne dût pas toujours diriger l’autre ! »

Il y a deux sortes d’hommes dont les corps sont dans un exercice continuel et qui songent aussi peu à cultiver leur âme les uns que les autres. Les premiers, les paysans, sont rustres et lourds ; les seconds, les sauvages, sont subtils et fins. Le premier fait toujours ce qu’on lui commande, ce qu’il a vu faire ou ce qu’il a l’habitude de faire.

Pour le sauvage, c’est autre chose : n’étant dépendant de rien ni de personne, il raisonne à chaque action et envisage toujours les suites de ses mouvements. « Ainsi, plus son corps s’exerce, plus son esprit s’éclaire ; sa force et sa raison croissent à la fois et s’étendent l’une par l’autre. »

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