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16 avril 2013 2 16 /04 /avril /2013 18:48

« Aucun homme n’a assez de mémoire pour réussir dans le mensonge » disait  Abraham Lincoln. Pourquoi alors faire le choix des chemins douloureux et tortueux du mensonge qui aboutissent à la même impasse du déshonneur et de l’opprobre  plutôt que celui plus tranquille, plus serein et plus droit de la vérité ? Coup sur coup, deux exemples marquants nous ont rappelés à ce grand mystère des errances de l’âme humaine. Jérôme Cahuzac, ancien Président de la commission des finances et, depuis mai 2012, Ministre du Budget, et, en tant que tel, responsable de la lutte contre la fraude fiscale, était donc fraudeur lui-même. «  Je n’ai pas, messieurs les députés, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger, ni maintenant ni avant » déclarait-il[1] encore les yeux dans les yeux sur les bancs de l’Assemblée nationale le 5 décembre 2012 au lendemain des premières révélations de Mediapart avant de renouveler ce mensonge devant le Président de la République et le Premier Ministre. Il a fini par avouer[2] détenir des comptes en Suisse et à Singapour. Quelques jours après[3], Gilles Bernheim, le grand rabbin de France reconnaissait des plagiats dans ses deux derniers essais et admettait qu’il n’avait pas l’agrégation de philosophie dont il avait  pourtant fait état dans sa biographie officielle. Effets ravageurs. Si une autorité politique chargée de faire appliquer la loi et une autorité spirituelle censée représenter la droiture morale pouvaient se laisser aller à berner leurs ouailles, à qui se fier ?

Mais ils ne sont pas les seuls à renouveler la figure du menteur popularisée par Corneille, Goldoni, Henry James ou Cocteau. On a encore en mémoire les serments de probité sportive réitérés de Lance Armstrong, icône du sport et de la lutte contre le cancer : « Je ne me suis jamais dopé, je peux le dire une nouvelle fois mais cela fait sept ans que je le dis, ça ne sert à rien ». Sept ans après ces déclarations d’août 2005 au micro de Larry King sur CNN, le tricheur a finalement été déchu de ces sept titres de vainqueur du tour de France. En novembre 2011, Philippe Gaillard avait réussi à se faire embaucher comme directeur de l’aéroport international de Limoges sur présentation de belles références, notamment un diplôme d’ingénieur de l’ENAC et un brevet de pilote de chasse. Trois mois plus tard, le pot-aux-roses fut découvert. Tout était faux. Il a été condamné, en septembre 2012, à deux ans de prison dont un an ferme. Le cinéma et la littérature ont popularisé d’autres exemples célèbres. Le film de Xavier Giannoli, A l’origine[4], s’inspire du parcours réel de Philippe Berre qui en 1997 se fit passer pour ingénieur et rouvrit le chantier de l’autoroute A28 à Saint-Marceau avant de venir en aide tout aussi illégalement aux victimes de la tempête Cynthia en se présentant comme fonctionnaire du ministère de l’agriculture et de la pêche[5]. Emmanuel Carrère, Nicole Garcia et Laurent Cantet ont consacré un roman[6] et deux films[7] au destin tragique de Jean-Claude Romand qui après avoir menti sur sa vie réelle à son entourage pendant dix-huit ans, finit par tuer sa femme, ses enfants et ses parents en 1993. Il prétendait être médecin et chercheur à l’OMS. Au moment des faits, sa famille était sur le point de découvrir la vérité à son sujet ; de plus, ses ressources s'étaient progressivement épuisées. Acculé, pris à son propre piège, il n'avait trouvé pour seule échappatoire que l'assassinat.

Si tous les menteurs démasqués ne recourent pas au meurtre ou au suicide, la découverte de leur imposture entraîne souvent leur mort sociale et professionnelle, leur démission quand elle n’a pas de lourdes conséquences financières et judiciaires (comme celle qui attendent le « champion » américain). Alors pourquoi mentir ? Sentiment de toute-puissance ou d’impunité pour les uns, négligence coupable, pour les autres, d’avoir échappé négligemment sur une pente raide et glissante cette boule  de neige que l’on ne peut plus rattraper et qui grossit au fur et à mesure, le mensonge est autant un masque que le tartuffe revêt pour cacher les rides naissantes de sa culpabilité et de ses turpitudes qu’un miroir dans lequel il essaie de se persuader de sa nouvelle vérité. Qu’il soit le pari d’un joueur qui croit à l’inviolabilité de sa duperie comme on croit à la possibilité de gagner au loto ou le réflexe inconscient du mythomane qui est convaincu de ses propres fictions, le mensonge relève autant de l’escroquerie réfléchie que de la pathologie subie. D’aucuns[8] diront que le reflux des valeurs morales et spirituelles individuelles ou collectives encourage ces aventures dangereuses. C’est oublier un peu vite que l’ombre n’existe que parce qu’il y a du soleil et que le vice prospère sur les boulevards de la vertu. Le mensonge, il est vrai, est parfois admiré comme toutes les transgressions grisantes et les fictions créatrices mais quand ils accrochent ainsi la toile fragile du corps social tissée des fils ténus de la vérité et du droit, ils risquent de la déchirer. La France jusque là plus bienveillante pour ces petits arrangements romanesques avec la vérité de ses puissants pourrait bien se rallier à l’intransigeance des sociétés anglo-saxonnes qui sanctionnent plus sévèrement le parjure[9] et le mensonge sous serment.

« Et les hommes ont tant de crédulité, ils se plient si servilement aux nécessités du moment que le trompeur trouvera toujours quelqu’un qui se laisse tromper », Nicolas Machiavel, Le Prince, chapitre XIII.


[1] Au lieu de cela, il aurait mieux fait de s’inspirer de ces mots de son double homonyme Jerome K. Jerome qui écrivait dans le journal The Idler en 1892 : «  C’est toujours la meilleure politique que de dire la vérité, à moins, bien sûr que vous ne soyez un menteur d’une exceptionnelle qualité ».

[2] Le 2 avril 2013.

[3] Le 11 avril.

[4] 2009.

[5] En novembre 2009, le film À l'origine sort dans les salles. D'après un psychologue l'ayant suivi, Philippe Berre se retrouve confronté à une « rivalité narcissique avec le personnage du film » au moment de la sortie du film. Cette rivalité semble s'être accentuée suite à l'obtention du César de la meilleure actrice dans un second rôle par Emmanuelle Devos, évènement qui donna sans doute un nouvel éclairage médiatique au film de Xavier Giannoli, sorti quelques mois auparavant. Le 28 février 2010, Philippe Berre rend même visite à Xavier Giannoli. En intervenant sur le « théâtre » de la tempête, en Charente-Maritime, Berre tente ainsi de combler l’écart moral qui le sépare de son double cinématographique incarné par François Cluzet.

[6] L’adversaire d’Emmanuel Carrère, 2001.

[7] L’adversaire de Nicole Garcia, 2002 et L’emploi du temps de Laurent Cantet, 2001

[9] Passible de cinq ans de prison aux Etats-Unis et susceptible d’entraîner une procédure d’Impeachment.

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