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18 août 2015 2 18 /08 /août /2015 09:13

Résumé et sélection de citations établis par Bernard Martial (professeur de lettres en CPGE)

 

(Edition de référence : Garnier Flammarion n°557. Traduction et présentation de Jean-Pierre Cléro)

 

SECTION I

 

1. Sur les biens et les maux.

Différence entre les BIENS : sensations agréables produites par des objets, conformité naturelle à une passion (châtiment d’un adversaire) et les MAUX : sensation désagréable produite par des objets, contrariété naturelle à une passion (maladie d’un ami).

 

2. Les passions provoquées par les biens et les maux.

Tout bien ou tout mal, en quelque lieu qu’il survienne, produit diverses passions et affections, selon l’éclairage sous lequel on le considère.

BIEN : certain = JOIE, incertain = CRAINTE ou ESPOIR, DESIR.

MAL : certain= CHAGRIN, TRISTESSE, incertain : CRAINTE ou ESPOIR, AVERSION.

VOLONTE : possibilité de se procurer un bien ou de se débarrasser d’un mal.

 

3. Les passions mixtes de l’espoir et de la crainte.

« De toutes les passions précédentes, aucune ne paraît rien contenir de curieux ni de remarquable, hormis l’espoir et la crainte ; ceux-ci, dérivant de la probabilité de quelque bien ou de quelque mal, sont des passions mixtes qui méritent notre attention. »

* Opposition de chances et de causes contraires => impossibilité pour l’esprit de se fixer sur un objet.

* Si l’objet du doute produit :

- du DESIR => sensation momentanée de joie ou de satisfaction

- de l’AVERSION => sensation momentanée de tristesse ou de malaise

=> Division de l’entendement en points de vue contraires => division du cœur en émotions opposées

* Pour ce qui est des passions, esprit humain :

≠ instrument à vent (sons courts)

= instrument à cordes (vibrations rémanentes)

« L'imagination est extrêmement preste et agile ; les passions sont, en comparaison, lentes et rétives. Pour cette raison, quand un objet se présente qui offre une diversité de vues à l’une d’entre elles en donnant le branle à l’autre, la fantaisie peut bien changer ses vues avec une grande célérité, chaque attaque ne produira pas une note claire et distincte de passion : l’une des passions sera toujours mêlée et confondue avec l’autre. Selon que la probabilité penche vers le bien ou vers le mal, la passion du chagrin ou celle de la joie prédomine dans la composition ; et ces passions, entremêlées par les vues contraires de l’imagination, produisent, par leur union, les passions de l’espoir et de la crainte. »

 

4. L’intensité des passions de crainte et d’espoir, mélanges de chagrin et de joie.

« Les passions de crainte et d’espoir peuvent se produire lorsque les chances sont égales des deux côtés et qu’on ne peut déceler aucune supériorité de l’une ou l’autre. C’est même dans cette situation que les passions sont plutôt les plus fortes, puisque l’esprit secoué par la plus grande incertitude, dispose du moindre fondement pour trouver le repos. Mettez un degré de probabilité de plus du côté du chagrin, vous verrez aussitôt cette passion diffuser sur la composition et la teinter de crainte. »

Augmentation de cette probabilité de chagrin => prévalence du chagrin et diminution de la joie jusqu’au pur chagrin. Puis opération inverse : diminution de la mélancolie: « vous verrez alors la passion s’éclaircir graduellement jusqu’à se transformer insensiblement en espoir » ; qui pourra évoluer par degrés vers la joie. N’atteignons-nous, en prouvant que « les passions de la crainte et de l’espoir sont des mélanges de chagrin et de joie » la même évidence qu’en optique ? Parallèle avec la composition d’un rayon solaire (variations de quantité de l’un des deux).

 

5. Les probabilités de la crainte et de l’espoir.

Il y a deux sortes de probabilités :

-  objet incertain et doit sa détermination au hasard ;

- objet certain en lui-même, mais incertain relativement à notre jugement, qui trouve un certain nombre de preuves ou de présomptions de chaque côté d’une question.

Ces deux sortes de probabilité causent la crainte et l’espoir qui résultent nécessairement de cette propriété qu’elles partagent, c’est-à-dire celle de conférer « l’incertitude et la fluctuation à la passion » par cette contrariété de vues qui leur est commune.

 

6. L’espoir et la crainte et les maux probables ou certains, possibles ou impossibles.

C’est un bien ou un mal probable qui ordinairement cause l’espoir ou la crainte ; parce que la probabilité, en produisant une considération inconstante et oscillante d’un objet, occasionne naturellement « un mélange et une incertitude semblables de la passion. Cependant, nous pouvons observer que, partout où ce mélange peut se produire par d’autres causes, naissent les passions de la crainte et de l’espoir, même là où il n’est pas question de probabilité. »

Mal conçu comme possible => la crainte (parfois), si mal très grand (possibilité de grande douleur ou de torture => peur et tremblement ; grandeur du mal compense faiblesse de la probabilité).

Même des maux conçus comme impossibles => la crainte  (peur au bord d’un précipice malgré sécurité et contrôle de nos pas). La présence immédiate du mal influe sur l’imagination et produit une espèce de croyance ; mais, contrecarrée par la réflexion sur notre sécurité, « cette croyance bat aussitôt en retraite et cause la même sorte de passion que lorsque, d’une contrariété de chances, résultent des passions contraires. » 

Les maux certains ont parfois le même effet que les maux possibles ou impossibles. (ex. d’un homme enfermé dans une prison indestructible, ne disposant pas du moindre moyen d’évasion et tremblant en pensant à la torture à laquelle il est condamné). Ici, le mal est fixé en lui-même ; mais l’esprit n’a pas le courage de se fixer sur lui et cette fluctuation donne naissance à « une passion qui s’apparente à la crainte. » 

 

7. La crainte et l’espoir et l’incertitude quant à leur espèce.

Toutefois la crainte ou l’espoir ne naissent :

- pas seulement là ou le bien et le mal sont incertains quant à leur existence ;

- mais aussi quand l’incertitude porte sur leur espèce.

(ex. passion du chagrin ne se fixe qu’une fois connue l’identité de celui des fils qui est mort accidentellement).

Quoique chaque côté de la question produise, dans cette situation, la même passion, celle-ci ne peut se fixer, mais reçoit de l’imagination, qui est sans attache, un mouvement vibratoire instable qui ressemble à un mélange conflictuel de chagrin et de joie.

 

8. La crainte et l’incertitude.

« Toutes les sortes d’incertitude ont une forte connexion avec la crainte, quand bien même elles ne causeraient aucune opposition de passions. » (Exemples :

1) plus d’anxiété en quittant un ami malade qu’en restant avec lui même si je suis dans    l’incapacité de lui porter assistance. Une part de connaissance diminuerait la crainte.

2) citation d’Horace sur l’oiseau qui préfère veiller sur ses oisillons bien qu’il ne puisse      rien faire face aux serpents.

    3) Mélange de crainte et d’appréhensions malgré l’espoir de plaisirs de la jeune vierge           le soir de ses noces).

« La confusion des souhaits et des joies, la nouveauté et l’importance de l’événement inconnu troublent tellement son esprit qu’il ne sait pas à quelle image ou à quelle passion se fixer. »

 

9. Passions séparées ou mêlées.

En ce qui concerne le mélange des affections, nous pouvons remarquer en général que,  « des passions naissent d’objets qui n’ont aucune espèce de liaison entre eux, elles se remplacent à tour de rôle. » (ex : difficulté pour un homme qui à la fois perd un procès et voit naître un enfant de tempérer une affection par l’autre et de rester dans un état d’indifférence).

« Cette situation calme, l’esprit peut l’atteindre plus facilement lorsque le même événement est de nature mixte et comporte, parmi ses différentes composantes, des éléments d’adversité et d’autres de prospérité. Car, dans ce cas, les deux passions, se mêlant l’une à l’autre au moyen de la relation, en viennent à se détruire mutuellement et laissent l’esprit dans une tranquillité parfaite.

Supposez désormais que l’objet, au lieu d’être composé de bien et de mal, soit considéré comme probable ou improbable à un degré quelconque ; en ce cas, les passions l’espoir ou la crainte. »

Influence des relations d’idées dans cette affaire :

- Si des passions sont contraires et si leurs objets sont totalement différents (comme deux liqueurs distinctes contenues dans des bouteilles différentes) : elles n’ont pas d’influence l’une sur l’autre.

- Si leurs objets sont en connexion intime, les passions sont comme un alcali et un acide qui, mêlés, se détruisent l’un l’autre.

- Si la relation est plus imparfaite et consiste en vues contradictoires sur le même objet, les passions sont comme l’huile et le vinaigre qui, de quelque façon qu’on les mêle, ne s’unissent jamais parfaitement en un seul corps.

Nous expliquerons ci-dessous « l’effet d’un mélange de passions quand l’une d’elles prédomine au point d’absorber l’autre. »

 

SECTION II

 

1. L’orgueil et l’humilité, l’amour, l’amitié et la haine.

« Outre les passions qui résultent d’une poursuite directe du bien ou d’une aversion pour le mal, et dont nous avons traité ci-dessus, il en est d’autres, d’une nature plus compliquée, qui impliquent le concours de plusieurs perspectives ou de plusieurs considérations » :

L'orgueil = certaine satisfaction que nous ressentons en nous-mêmes pour quelque perfection ou quelque possession dont nous jouissons  ≠ L’humilité =  mécontentement contre nous-mêmes à cause de quelque défaut ou infirmité.

L'amour ou l’amitié est une complaisance envers autrui pour ses perfections ou ses services ; la haine est le contraire.

 

2. Les objets et les causes de ces passions (orgueil et humilité, amour, amitié et haine).

« ​Dans ces deux couples de passions, la distinction est évidente entre l’objet de la passion et sa cause. »

L'objet : de l’orgueil et de l’humilité = soi-même ; de l’amour et de la haine =  une autre personne.

La cause : de l’orgueil = quelque excellence,  de l’humilité = quelque défaut ; de l’amour et de la haine =  soit des excellences, soit des défauts.

« De la considération de toutes ces passions, il ressort que les causes sont ce qui suscite l’émotion, tandis que l’objet est ce vers quoi l’esprit dirige sa vue quand l’émotion est suscitée. Notre mérite, par exemple, déclenche l’orgueil ; alors qu’il est essentiel à l’orgueil de tourner notre vue sur nous-mêmes avec complaisance et satisfaction.

Or, du fait que les passions ont des causes très nombreuses et très différentes tandis que leur objet est uniforme et simple, on peut être curieux de savoir quelle est cette circonstance en laquelle s’accordent toutes ces causes différentes ; en d’autres termes, quelle est la véritable cause efficiente de la passion. Nous commencerons par l’orgueil et l’humilité. »

 

3. Trois principes expliquant les causes des passions : les associations d’idées, d’impressions et leur complémentarité.

« Afin de déterminer les causes de ces passions, nous devons réfléchir sur des principes qui, pour avoir une influence puissante sur toutes les opérations de l’entendement comme sur celles des passions, n’en sont pas moins ordinairement négligés par les philosophes. »

- 1. Le premier d’entre eux est celui de l’association des idées : nous passons d’une idée à l’autre mais pas sans règle ni méthode, d’un objet à ce qui lui ressemble, à ce qui lui est contigu ou à ce qu’il produit. Quand une idée est présente à l’imagination, une autre, qui lui est unie par les relations précédentes, la suit naturellement et, introduite par ce moyen, pénètre l’imagination avec plus de facilité.

- 2. La seconde propriété est une association comparable des impressions ou émotions. Toutes les impressions qui se ressemblent sont reliées entre elles : l’une n’a pas plus tôt surgi que les autres suivent naturellement. Le chagrin et la déception suscitent la colère ; la colère, l’envie ; l’envie, la malveillance ; et la malveillance ressuscite le chagrin. D’une façon comparable, une humeur joyeuse nous porte naturellement à l’amour, à la générosité, au courage, à l’orgueil et autres affections semblables.

- 3. En troisième lieu, complémentarité et transition de ces deux associations d’idées et d’impressions d’autant plus aisément qu’elles concourent à un même objet). (ex. d’un homme contrarié par autrui, enclin à trouver une centaine de sujets de haine, de mécontentement, d’impatience, de crainte et d’autres passions inquiètes ; surtout s’il peut les découvrir dans l’entourage de la personne, voire dans la personne même qui fut l’objet de sa première émotion). « Les principes qui régissent la transition des idées concourent ici avec ceux qui agissent sur les passions ; en unissant leur action, ils confèrent à l’esprit une double impulsion. »

Citation de J. Addison sur l’imagination qui trouve plus de plaisir du concours de plusieurs sens (ex : chant d’un oiseau et beauté d’un lieu, parfums et couleurs d’un paysage, thème et couleurs d’un tableau). « Dans ces phénomènes, on peut remarquer l’association, tant des impressions que des idées, et l’assistance mutuelle que ces deux sortes d’associations se prêtent l’une à l’autre.

 

4. Les associations d’idées, causes de l’orgueil et de l’humilité.

« Il me semble que ces deux espèces de relations ont lieu quand  se produit l’orgueil ou l’humilité, et sont les véritables causes efficientes de cette passion. »

Pas de doute pour la première relation (association d’idées). « Tout ce qui nous enorgueillit doit, d’une façon ou d’une autre, nous appartenir. C’est toujours par nos connaissances, notre intelligence, notre beauté, nos possessions, notre famille que nous nous  mettons en valeur.  Le moi, en tant qu’il est objet de la passion, doit encore être relié à cette qualité ou à cette circonstance qui cause la passion. Il doit y avoir, entre et cet objet et cette cause, une connexion : une transition aisée de l’imagination ou une facilité de la conception quand elle passe de l’un à l’autre. Partout où cette connexion manque, un objet ne peut exciter ni orgueil, ni humilité ; en outre, plus vous affaiblirez la connexion, plus vous affaiblirez la passion. »

 

5. Les associations d’impressions ou de sentiments, causes de l’orgueil et de l’humilité.

Question de « savoir s’il existe « une relation semblable d'impressions ou de sentiments partout où l’on ressent l’orgueil et l’humilité ; si la circonstance qui cause la passion excite préalablement un sentiment semblable à cette passion ; et s’il existe une transfusion facile de l’une à l’autre. » 

- L’impression ou le sentiment d’orgueil est agréable => sensation agréable ; tout objet qui produit l’orgueil produit aussi un plaisir séparé.

- L’impression ou le sentiment d’humilité est pénible => sensation pénible au second ; tout objet qui cause l’humilité suscite, de même, un malaise séparé.

=> La présente théorie a fait ses preuves et se trouve pleinement assurée. On admettra sans contestation possible la double relation d’idées et de sentiments.

 

6.  Les causes de ces passions d’orgueil et d’humilité : mérite et démérite, vice et vertu, plaisir et malaise, goût et dégoût.

«​ Commençons par le mérite et le démérite personnels, qui sont les causes les plus évidentes de ces passions (d’orgueil et d’humilité). » (pas le lieu d’examiner le fondement des distinctions morales ; la théorie précédente touchant à l’origine de ces passions peut être défendue en toute hypothèse).

Soit par une constitution primitive de la nature, soit par quelque sens de l’intérêt public ou privé :

- certains caractères produisent un malaise, même si on se contente de les voir et de les contempler => essentiel au vice

- d’autres, dans les mêmes conditions, suscitent du plaisir, de la satisfaction => essentiel à la vertu

« Approuver un caractère, c’est éprouver une jouissance lorsqu’il nous apparaît. Le désapprouver, c’est ressentir un malaise. Puisque la peine et le plaisir sont donc, d’une certaine façon, la source primitive du blâme et de la louange, ils doivent être aussi les causes de tous leurs effets ; et par conséquent, celles de l’orgueil et de l’humilité qui accompagnent inévitablement cette distinction. »

Même si on n’admet pas cette théorie morale, il reste évident  que le plaisir et la douleur, s’ils ne sont plus les sources des distinctions morales, ne peuvent néanmoins se séparer d’elles.

- D’une part, la simple considération d’un caractère noble et généreux nous remplit de satisfaction et ne manque jamais de nous charmer et de nous enchanter (ex : poème ou fable).

- D’autre part, la cruauté et la traîtrise déplaisent par leur nature même ; et, qu’elles se trouvent en nous-mêmes ou chez les autres, il n’est jamais possible de s’en accommoder.

- La vertu produit donc toujours un plaisir distinct de l’orgueil ou de la satisfaction de soi qui l’accompagne ;

- Le vice, un malaise séparé de l’humilité ou du remords.

Toutefois la plus ou moins haute opinion que l’on conçoit de soi-même :

- ne provient pas seulement de ces qualités de l’esprit qui, selon les systèmes ordinaires de l’éthique, ont été définies comme des constituants du devoir moral ;

- elle provient aussi de toute autre qualité, en connexion avec le plaisir et le malaise.

- Rien ne flatte davantage notre vanité que le talent de plaire par notre esprit, notre bonne humeur ou quelque autre perfection ;

- et rien ne nous mortifie plus cruellement qu’un échec dans une tentative pour plaire de cette façon. Personne n’a jamais été capable de nous dire avec précision ce qu’est l’esprit et de montrer pourquoi tel système de pensée est digne de cette désignation tandis que tel autre ne l’est pas.

« Seul le goût nous permet d’en décider ; nous ne disposons d’aucune autre règle pour former un jugement de cette nature. Or qu’est-ce que ce goût auquel tient la justesse ou la fausseté de l’esprit et sans lequel une pensée ne saurait avoir le moindre titre à ce genre de dénominations ? Il n’est évidemment rien d’autre qu’une sensation de plaisir qui provient de l’esprit et qu’une sensation de dégoût laissée par le faux esprit, sans que nous soyons capables de dire les raisons de cette satisfaction ou de ce malaise. Le pouvoir d’exciter ces sensations opposées constitue donc toute l’essence de la justesse ou de la fausseté d’esprit ; il est par conséquent cause de la vanité ou de la mortification qui naît qui naît de l’une ou de l’autre. »

 

7. Humilité et difformité ; orgueil, beauté, utilité, vanité et mensonges de l’homme.

La beauté, nous donne une jouissance et une satisfaction particulières ;

La difformité produit du déplaisir, en quelque sujet qu’elle se trouve, qu’il s’agisse d’un être animé ou d’un être inanimé.

« Si cette beauté ou cette difformité est celle de notre propre visage, de notre silhouette ou de notre personne, le plaisir ou le malaise se convertit en orgueil ou en humilité »  (circonstances réunies pour produire une transition parfaite, conformément à la théorie soutenue ici).

« Il semblerait bien que l’essence de la beauté réside entièrement dans son pouvoir de produire du plaisir. Tous ses effets doivent donc procéder de cette composante ; et si la beauté est aussi universellement sujet de vanité, elle le doit seulement au fait qu’elle est cause de plaisir.

Quant à l’ensemble des autres perfections corporelles, nous pouvons observer en général que tout ce qui, en nous-mêmes, est utile, beau ou étonnant, est objet d’orgueil ; le contraire étant objet d’humilité. Ces qualités n’ont d’autre point commun que celui de produire un plaisir séparé. »

Nous tirons vanité :

- des aventures surprenantes auxquelles nous avons été mêlés,

- des périls auxquels nous avons réchappé,

- des dangers que nous avons encourus,

- aussi volontiers que des exploits où éclatent notre vigueur et notre activité.

=> De là vient le mensonge commun des hommes qui, même sans aucun intérêt et par pure vanité, s’inventent des histoires ou s’approprient celles des autres. « Car cette passion et le sentiment de plaisir sont toujours en étroite connexion. »

 

8. Une chose doit nous être associée, d’une manière ou d’une autre, pour toucher notre orgueil.

Causes de l’orgueil et l’humilité :

- causes naturelles les plus immédiates les qualités de notre esprit et de notre corps, c’est-à-dire de notre moi,

- mais aussi bon nombre d’autres objets.

Notre vanité se fonde :

- tout autant sur des maisons, des jardins, un équipage et autres objets extérieurs,

- que sur le mérite et les perfections personnels. « C’est le cas lorsque extérieurs acquièrent avec nous  une relation particulière, par association ou par connexion. Mais quelles que soient les qualités extraordinaires dont on puisse les doter et quel que soit le degré auquel ils peuvent naturellement porter notre surprise et notre admiration, (un beau poisson dans l’océan, un animal  bien proportionné dans une forêt et, en fin de compte), toute chose qui échappe à notre possession ou n’a pas de relation avec nous, n’influent en aucune façon sur notre vanité. Une chose doit nous être, d’une manière ou d’une autre, associée pour toucher notre orgueil. Son idée doit être, en quelque façon, suspendue à celle que nous avons de nous-mêmes ; la transition de l’une à l’autre devant être facile et naturelle.

Les hommes sont fiers de la beauté de leur pays, de leur comté, voire de leur paroisse. Dans ce cas, l’idée de beauté produit évidemment un plaisir. Ce plaisir est relié à l’orgueil. L'objet ou la cause de ce plaisir est, par hypothèse, objet relié au moi, de l’orgueil. Par cette double relation de sentiments et d’idées, une transition s’effectue de la première (soit l’idée de beauté) au dernier (c’est-à-dire le moi, objet de l’orgueil). »

Les hommes sont fiers aussi

- de la température clémente du climat sous lequel ils sont nés ;

- de la fertilité de leur sol natal ; de la qualité des vins,

- des fruits et des vivres qu’il produit ;

- de la douceur ou de la force de leur langue et d’autres détails de même sorte.

« Ces objets se réfèrent de toute évidence au plaisir des sens et on les tient originellement pour agréables au toucher, au goût et à l’ouïe. Comment pourraient-ils devenir causes d’orgueil si  ce n’était au moyen de la transition expliquée ci-dessus ?

On découvre chez quelques-uns une vanité d’un genre opposé : ils affectent de déprécier leur propre pays en le comparant à ceux dans lesquels ils ont voyagé. Ces personnes, admirent toujours davantage la beauté, l’utilité et la rareté de ce qu’elles ont pu trouver à l’étranger que celles des choses qu’elles trouvent chez elles par la considération du très petit nombre de personnes qui entretiennent cette relation.

Puisqu’il est possible de nous enorgueillir d’un pays, d’un climat ou de tout autre objet inanimé avec lequel nous sommes en relation, il n’est pas étonnant que nous puissions nous enorgueillir des qualités de ceux qui nous sont liés par le sang ou par l’amitié. »

Ainsi constatons-nous

- que les mêmes qualités qui produisent l’orgueil, quand elles nous appartiennent,

- produisent aussi, à un moindre degré, la même affection lorsque nous les découvrons chez des personnes qui nous sont reliées.

« Par orgueil, les hommes  font méticuleusement étalage de la beauté, du mérite, du crédit et des honneurs de leur parenté et ils en tirent une vanité considérable. Fiers de nos richesses et de celles de nos proches, nous sommes honteux de ceux qui, parmi nos amis et relations, sont pauvres ou de rang médiocre et nous nous vantons de descendre d’une bonne famille et de ses possessions transmises en ligne masculine. 

Lorsqu’une personne se met en valeur par l’ancienneté de sa famille, elle ne tire pas vanité de la seule  durée de cette ancienneté et du seul nombre de ses ancêtres sans joindre à ces circonstances les richesses et le crédit des ancêtres dont elle est censée recevoir l’éclat, en raison de sa connexion avec eux. Puisque la passion dépend donc de cette connexion, tout ce qui renforce la connexion doit accroître la passion, et tout ce qui affaiblit doit diminuer la passion. Or il est certain que l’identité des possessions doit renforcer la relation des idées qui naît du sang et de la parenté, et conduire l’imagination avec une plus grande facilité d’une génération à une autre, des ancêtres les plus reculés à la postérité de leurs héritiers et de leurs descendants. Cette facilité rend le sentiment plus complètement transmissible et suscite un degré plus élevé d’orgueil et de vanité.

Il en va de même pour la transmission des honneurs et de la fortune par lignée masculine, sans que jamais elle ne soit passée par les femmes. Selon une règle générale de la nature qui privilégie le plus grand objet sur le plus petit, les enfants portent communément le nom de leur père et on les considère d’extraction plus ou moins noble en prenant en compte la seule famille paternelle quelle que soient les qualités de la mère ou la force de la lignée maternelle. »

 

9. La propriété et la richesse et leur influence sur les passions.

« Mais la propriété, parce qu’elle confère la plénitude du pouvoir et de l’autorité sur son objet, est la relation qui a la plus grande influence sur ces passions.

Tout ce qui appartient au vaniteux devient, par sa suffisance, ce qu’il y a de meilleur (ex : ses demeures, son équipage, ses meubles, ses habits, ses chevaux, ses chiens, son vin, sa cuisine, sa table, ses serviteurs, l’air qu’il respire, le sol qu’il cultive, ses fruits) ; il tire du moindre bien un surcroît d’orgueil et de vanité. Le moindre objet est remarquable par sa nouveauté, son antiquité, son origine (artiste renommé, prince ou grand homme). « Bref, tous les objets qui sont utiles, beaux ou étonnants, voire ceux qui leur sont reliés, peuvent, par le biais de la propriété, faire naître cette passion. Ils s’accordent tous en ce qu’ils donnent du plaisir ; il n’y a guère que ce trait qui leur soit commun ; il est donc la qualité qui produit la passion comme leur effet commun. » (Théorie confirmée par l’expérience).

« La richesse implique le pouvoir de se procurer tout ce qui est agréable ; le grand nombre des objets de vanité qu’elle englobe la destine nécessairement à être l’une des principales causes de cette passion. »

 

10. Les opinions d’autrui sur nous-mêmes.

« La société et la sympathie affectent considérablement nos opinions en tout genre et il nous est presque impossible de soutenir un principe ou un sentiment contre l’assentiment de tous ceux dont nous partageons l’amitié ou que nous fréquentons. » Mais les opinions que nous avons de nous-mêmes, quand bien même elles seraient flatteuses et présomptueuses, sont aussi les plus faciles à remettre en question par autrui. « Nous accordons assez d’intérêt à cette situation de conflit pour nous en alarmer aussitôt et pour mettre nos passions sous surveillance : la conscience d’être partial à notre égard nous fait craindre que nos opinions ne soient erronées. » La difficulté de porter un jugement objectif sur nous-mêmes nous pousse à considérer les opinions que les autres forment sur notre compte.  De là ce puissant amour de la renommée qui s’empare de tous les hommes qui veulent fixer la bonne opinion qu’ils forment d’eux-mêmes (comme une jeune beauté aime s’admirer dans le miroir). Ces phénomènes sont assez forts pour confirmer le principe précédent.

« L’approbation de ceux que nous estimons et approuvons nous donne plus de satisfaction que l’approbation de ceux que nous méprisons et dédaignons.

Lorsque l’estime est gagnée par une longue et intime fréquentation, elle flatte notre vanité d’une façon toute particulière.

Le suffrage de ceux qui sont avares de louanges et réservés sur le chapitre est accueilli avec un plaisir et une délectation accrus pour peu qu’on puisse le tourner en notre faveur. (Appui et protection d’un grand qui choisit ses favoris avec discernement recherchés avec une plus grande sollicitude).

La louange ne nous réjouit fort que si elle coïncide avec notre propre opinion et nous est adressée pour les qualités qui font principalement notre excellence.

Ces phénomènes semblent prouver que l’on tient compte des suffrages du monde en notre faveur pour autant qu’ils confèrent l’autorité à nos opinions et qu’ils les confirment. Et si les opinions d’autrui ont, en cette affaire, plus d’influence que dans toute autre, on peut en rendre compte par la nature même du sujet. »

 

11. Quatre circonstances importantes dans la production des passions.

1. Première circonstance : Il est peu d’objets susceptibles d’exciter à un haut degré l’orgueil et la satisfaction de soi, à moins qu’ils n’apparaissent évidemment être tels aux autres et ne provoquent l’approbation des spectateurs.« Sans doute, n’existe-t-il pas de disposition d’esprit plus enviable que celle qui, se soumet à tous les décrets de la Providence et garde une sérénité inébranlable au milieu des plus grands revers de fortune et des plus vives contrariétés. Mais une telle disposition peut bien être reconnue comme une vertu ou comme une perfection, elle est rarement le fondement d’une grande vanité ou d’une approbation de soi ; car sans brillant ni éclat extérieur, elle est plus propre à réjouir le cœur qu’à vivifier la conduite et la conversation. C’est encore le cas de bien d’autres qualités tant de l’esprit, du corps que de la fortune : la circonstance précédente, jointe aux doubles relations dont nous avons parlé ci-dessus, ne doit pas être négligée dans la production de ces passions.

2. Une seconde circonstance d’importance dans cette affaire tient au caractère constant et durable de l’objet de la passion. Nous ne tirons guère de joie et moins encore d’orgueil de ce qui est trop fortuit, passager et exceptionnel. Nous tirons peu de plaisir d’une chose dont nous prévoyons et anticipons le changement. Nous comparons sa durée à notre longévité ; ce qui fait davantage ressortir sa brièveté. Il paraît ridicule de nous prendre pour objet de passion en nous fondant sur une qualité aussi éphémère ou sur une possession de compagnie aussi fuyante.

3. Une troisième circonstance ne doit pas être  négligée : les objets propres à déclencher l’orgueil ou l’estime de soi-même doivent nous être particuliers et échapper  au lot commun. » (ex : Les avantages de l’éclat du soleil, du beau temps, d’un climat favorable, etc. ne nous singularisent guère de nos autres compagnons et ne permettent pas de nous accorder la préférence ou la supériorité). « La comparaison, qu’à tout moment nous sommes si prompts à établir, ne tourne guère l’inférence à notre profit ; et, en dépit des agréments que nous en tirons, de tels avantages nous laissent sur un pied d’égalité avec tous nos amis et connaissances qui les partagent. »

Puisque la santé et la maladie sont aléatoires, nous ne les traitons pas comme des fondements de vanité ou d’humiliation. Mais si une maladie devient incurable elle meurtrit notre amour-propre comme on le voit chez les vieillards que la considération de leur âge et de leurs infirmités mortifie et (qui s’efforcent de cacher leur cécité et leur surdité, leurs rhumatismes et leur goutte). « Et quoique les jeunes gens se plaignent sans vergogne de tous leurs maux de tête ou de leurs rhumes, il n’est toutefois pas de pensée plus propre à rabaisser l’orgueil humain et à nous intimer une faible opinion de notre nature que celle d’être continuellement soumis à de telles affections. Ce qui prouve que la souffrance physique et la maladie sont par elles-mêmes des causes spécifiques d’humilité ; même si l’habitude d’estimer toute chose par comparaison, plutôt que par son prix et sa valeur intrinsèques, nous porte à dépasser ces calamités qui frappent si communément les hommes et nous incline à concevoir une idée de notre mérite et de notre caractère indépendamment de celles-ci. »

Nous avons honte des maladies qui impressionnent les autres, pour le danger ou le désagrément qu’elles leur occasionnent  (épilepsie, gale, écrouelles). « Les hommes tiennent toujours compte des sentiments d’autrui pour se juger eux-mêmes.

4. Une quatrième circonstance qui influe sur ces passions tient aux règles générales par lesquelles  nous concevons des rangs différents entre les hommes, selon les pouvoirs ou les richesses qu’ils détiennent ; cette notion ne se trouve pas compromise par les singularités de santé et de caractère qui peuvent priver les personnes de la pleine jouissance de leurs possessions. L’habitude ne tarde pas à nous transporter au-delà des justes limites, tant dans nos passions que dans nos raisonnements.

Il ne sera pas mal à propos d’observer que l’influence des maximes et des règles générales sur les passions contribue fort à faciliter les effets de tous les principes ou du mécanisme interne que nous expliquons ici. En effet, il semble évident que si une personne d’âge adulte et de même nature que nous était brusquement plongée dans notre monde, elle se trouverait fort embarrassée par quelque objet que ce soit et ne déterminerait pas aussitôt quel devrait être le degré d’amour et de haine, d’orgueil ou d’humilité, comme de toute autre passion, déclenché par cet objet. Les passions se diversifient souvent selon des principes fort subtils qui ne fonctionnent pas toujours avec une régularité parfaite, en particulier lors d’une première épreuve. Mais dès que l’habitude ou la pratique ont mis en lumière tous ces principes et fixé chaque chose à sa juste valeur, il en résulte certainement une production aisée des passions et, par l’établissement de règles générales, un repère dans les proportions que nous devrions respecter quand nous préférons un objet à un autre. Cette remarque pourra peut-être pallier les difficultés qui surviennent à propos des causes que nous assignons ici même à des passions particulières et dont on estimera peut-être qu’elles sont trop raffinées pour agir aussi universellement et aussi certainement que nous l’avons établi. »

 

SECTION III

 

1. Transfert des passions à autrui.

«​ Si l’on parcourait toutes les causes qui produisent la passion d’orgueil et celle d’humilité, il apparaîtrait aussitôt que la même circonstance, transférée de nous-mêmes à une autre personne, transformerait cette dernière en objet d’amour ou de haine, d’estime ou de mépris. »

-Vertu, génie, beauté, naissance, richesses et autorité d’autrui => sentiments favorables à son égard ;

-Vices, folie, laideur, pauvreté et médiocrité de son rang => sentiments contraires.

« La double relation d’impressions et d’idées agit tout autant sur les passions d’amour et de haine que sur celles d’orgueil et d’humilité. Tout ce qui donne un plaisir ou une douleur séparés et se trouve relié à autrui ou en connexion avec lui le transforme en objet de notre affection ou de notre dégoût.

De là vient aussi que la violation de nos droits ou le mépris à notre égard sont l’une des plus grandes sources de notre haine ; tandis que les services rendus ou l’estime le sont de notre amitié. »

 

2. Facilité d’affection pour une personne à laquelle nous sommes reliés.

Il arrive qu’une affection soit suscitée envers une personne qui nous est reliée ou qui est en connexion avec nous (sang, similitude de fortune, de destin, de profession, de pays) à condition que se trouve impliquée une relation de sentiments.  Nous pénétrons sans peine des sentiments et des conceptions qui nous sont familiers et nous acceptons l’autre sans efforts. « La relation a ici la même influence que la coutume ou la familiarité : elle suscite l’affection, et par les mêmes causes. La facilité et la satisfaction qui, dans un cas comme dans l’autre, accompagnent nos rapports ou notre commerce constituent la source de l’amitié. »

 

3. Contrairement à l’orgueil et à l’humilité, l’amour et la haine ne se suffisent pas à eux-mêmes.

« Les passions de haine et d’amour sont toujours suivies de bienveillance et de colère ; ou plutôt, elles leur sont toujours conjointes. C’est cette conjonction qui fait la principale distinction entre ces affections et celles d’orgueil et d’humilité. Car l’orgueil et l’humilité sont de pures émotions de l’âme qui ne s’accompagnent d’aucune sorte de désir et ne nous incitent pas immédiatement à l’action. En revanche, l’amour et la haine ne se suffisent pas à eux-mêmes, ils ne s’en tiennent pas à l’émotion qu’ils produisent et portent l’esprit au-delà de lui-même. L’amour est toujours suivi d’un désir que la personne aimée soit heureuse et d’une aversion pour sa misère ; tandis que la haine produit un désir de misère et une aversion pour le bonheur de la personne haïe. Ces désirs opposés semblent être originellement et primitivement conjoints aux passions de l’amour et de la haine. Cela par une constitution de nature dont nous ne saurions pousser plus avant l’explication. »

 

4. Surgissement de la compassion, de la méchanceté et de l’envie.

« Il arrive que la compassion surgisse alors qu’elle n’est précédée ni d’estime, ni d’amitié ; la compassion est un malaise qui nous saisit lors de souffrances d’autrui. Il semble qu’elle jaillisse de la conception forte et intime de ses souffrances ; notre imagination progressant de l’idée vive de la misère d’autrui à l’impression réelle de celle-ci.

Il arrive aussi que la méchanceté et l’envie surgissent dans l’esprit sans qu’une haine ou quelque injustice ne les aient précédées ; elles tendent pourtant au même but que la colère et la malveillance. Il semble bien que la comparaison de nous-mêmes avec les autres soit la source de l’envie et de la méchanceté. Plus l’autre est malheureux, plus nous nous figurons être heureux. »

 

5. Compassion et bienveillance, envie et colère, association de passions.

« La ressemblance de tendances entre la compassion et la bienveillance, d’une part, entre l’envie et la colère, d’autre part, constitue une relation très étroite en chacune des deux paires de passions, quand cette relation serait d’une espèce très différente de celle que nous avons soulignée jusqu’à présent. Il ne s’agit pas, cette fois, d’une ressemblance d’émotion ou de sentiment, mais d’une ressemblance de tendance ou de direction. Son effet n’en demeure pas moins le même : elle produit une association de passions. La compassion n’est que rarement, voire jamais, ressentie sans quelque mélange de tendresse et d’amitié ; et l’envie s’accompagne naturellement de colère ou de malveillance. Lorsqu’on désire le bonheur de l’autre, pour quelque motif que ce soit, on est déjà tout disposé à l’affection ; se réjouir de ses malheurs engendre presque inévitablement de l’aversion à son égard.

Même lorsque l’intérêt est la source de nos préoccupations, s’ensuivent ordinairement les mêmes conséquences. Un partenaire est naturellement un objet d’amitié ; un rival, un objet d’inimitié. »

 

6. La frontière étroite entre le mépris et la compassion (pour la pauvreté ou une faillite).

« La pauvreté, la médiocrité de condition, l’échec produisent le mépris et le dégoût ; mais quand ces malheurs sont énormes ou quand ils nous sont représentés sous des couleurs très vives, ils suscitent alors la compassion, la tendresse et l’amitié. Comment rendre compte de cette contradiction ? La pauvreté et la médiocrité d’autrui, telles qu’elles apparaissent pour l’ordinaire, nous indisposent par une espèce de sympathie imparfaite ; ce malaise produit, à son tour, de l’aversion et du dégoût, par la ressemblance des sentiments. Mais quand nous entrons plus intimement dans les affaires d’autrui au point de souhaiter son bonheur tout comme nous sommes sensibles à ses misères, l’amitié ou la bonne volonté jaillissent alors de la tendance semblable des inclinations.

Un failli bénéficie, d’abord, de compassion et d’amitié, tant que l’idée de son désastre reste encore toute neuve et tant que nous sommes frappés par la comparaison du malheur de sa situation présente et de sa prospérité passée. Mais que le temps affaiblisse ces idées et les efface, la compassion risque fort de sa conjuguer avec le mépris. »

 

7. Les passions mélangées.

« Pas de respect sans un mélange d’humilité et d’estime ou d’affection ; pas d’orgueil sans un mélange de mépris.

La passion amoureuse se compose ordinairement du  plaisir pris à la vue de la beauté, d’un appétit charnel et aussi d’amitié ou d’affection. Il est très manifeste qu’une relation étroite existe entre ces sentiments et que, par là, ils s’engendrent les uns les autres. Si nous ne disposions d’autres phénomènes pour confirmer la présente thèse, elle se suffirait, à mon avis, à elle seule. »

 

SECTION IV

 

  1. Quelques exemples supplémentaires de ces passions reposant sur de doubles relations de sentiments et d’idées interdépendantes.

« La présente théorie des passions repose entièrement sur les doubles relations de sentiments et d’idées et sur l’assistance que ces relations se prêtent les unes aux autres. Il ne saurait donc être déplacé d’illustrer ces principes par quelques exemples complémentaires. »

 

2. Union des idées et des sentiments dans l’amour.

« Nous sommes portés à aimer autrui et à l’estimer pour ses vertus, ses talents, ses perfections et ses possessions ; parce que ces objets suscitent une sensation de plaisir  qui est reliée à l’amour. Comme ils ont une relation ou une connexion avec la personne, cette union des idées facilite l’union des sentiments.

Si la personne aimée nous est reliée par le sang, la patrie ou l’amitié, nous ne manquerons pas de tirer vanité de ses perfections et de ses possessions, par le biais de cette même double relation. La personne nous est reliée : la pensée effectue une transition aisée d’elle à nous ; comme les sentiments suscités par les avantages et les vertus de cette personne nous sont agréables, ils sont par conséquent reliés à l’orgueil. Ainsi trouvons-nous que les gens sont naturellement  fiers des bonnes qualités ou d’une heureuse destinée de leurs amis ou de leurs compatriotes. »

 

3. Passage aisée de l’amour à l’orgueil mais l’inverse n’est pas vrai.

« En revanche, on peut noter que, si nous renversions l’ordre des passions, le même effet ne s’ensuivrait pas. Nous passons sans peine de l’amour et de l’affection à l’orgueil et à la vanité ; mais pas de ces passions-ci à celles-là, en dépit de l’identité des relations. Nous n’aimons pas ceux qui nous sont reliés sur le seul fondement de notre propre mérite ; quand même ils tireraient naturellement vanité de ce mérite. La transition de l’imagination est facile des objets qui nous sont reliés à nous-mêmes ; mais dans l’inverse n’est pas vrai; par conséquent, il n’y a pas de transfusion des passions aussi aisée de l’orgueil à l’amour que de l’amour à l’orgueil. »

 

4. Des vertus d’un homme à celles d’un de ses proches.

« Les vertus d’un homme, ses services et sa fortune nous disposent spontanément à porter notre estime et notre affection à quiconque lui est relié. » (ex : le fils d’un ami, naturellement qualifié pour devenir notre ami, les parents d’un homme de très haut rang se prévalant de cette relation et estimés sur ce pied). Confirmation du principe de double relation.

 

5. La proximité exalte les passions en facilitant l’association et la comparaison.

« Les exemples qui suivent sont d’une espèce toute différente ; ils n’en permettent pas moins de découvrir l’action des mêmes principes. L’envie est suscitée par quelque supériorité d’autrui. On notera toutefois que ce n’est pas la grande disproportion de lui à moi qui suscite cette passion ; c’est, au contraire, notre proximité. Une grande disproportion interrompt la relation des idées : soit en empêchant de nous comparer avec ce qui nous est éloigné, soit en diminuant les effets de la comparaison. »

(ex : un poète ne saurait envier un philosophe ; ni même un poète d’un genre différent du sien, d’une nation ou d’une époque différente de la sienne). « Toutes ces différences, qui n’empêchent pas la comparaison l’affaiblissent néanmoins et, par conséquent, avec elle, la passion. »

« Pour la même raison, les objets ne paraissent grands ou petits que confrontés à ceux qui sont leur espèce. » (ex : on ne peut pas comparer la taille d’un cheval et d’une montagne mais on peut comparer celle d’un cheval FLAMAND et d’un cheval GALLOIS).

« Le même principe permet d’expliquer cette remarque faite par les historiens que, lors d’une guerre civile ou d’une sédition factieuse, les partis en présence préfèrent toujours en appeler à un ennemi étranger plutôt que de se soumettre à leurs concitoyens. » (ex. des guerres d’ITALIE cité par GUICHARDIN où les relations entre les Etats ne sont que de nom, de langue et de contiguïté). Cependant, ces relations, en rendant la comparaison plus naturelle, font, du même coup, paraître plus odieuse cette nouvelle supériorité qui pèse moins sur l’imagination et que nous pouvons avoir la tentation de renverser. (ex. des voyageurs enclins à encenser les CHINOIS ou les PERSANS, s’attachant à discréditer les nations voisines de leur pays natal, qui peuvent entrer sur un pied de guerre avec lui).

 

6. Le mélange des tonalités et des thèmes dans l’art.

Autre exemple dans les beaux-arts où l’on reprocherait à un auteur  de mélanger dans un traité une partie sérieuse et profonde et une autre légère et pleine d’humour, au mépris des règles de l’art et de la critique. Pourtant, on ne blâme pas PRIOR d’avoir uni dans le même volume son Alma gai et son Salomon plus mélancolique. Le lecteur ne sera pas en peine de changer de passions même s’il les lit à la suite, parce qu’il considère ces deux pièces comme entièrement différentes. « C’est par cette rupture dans les idées que se trouve interrompu le progrès dans les affections et que la première lecture ne peut exercer son influence sur l’autre ni entrer en contradiction avec elle.

Il serait monstrueux d’unir en un seul tableau un motif héroïque et un motif burlesque ; mais nous n’avons aucun scrupule à accrocher dans le même salon deux tableaux présentant des caractères aussi différents. »

 

7. Importance des transitions de l’imagination sur nos passions.

« Nous ne nous étonnerons pas qu’une transition facile de l’imagination ait autant d’influence sur l’ensemble de nos passions. Car c’est cette circonstance qui constitue l’ensemble des relations et des connexions entre les objets. Nous n’avons pas connaissance d’une connexion réelle entre une chose et une autre. Tout ce que nous avons, c’est que l’idée d’une chose est associée à celle d’une autre et que l’imagination effectue une transition facile entre elles. Or, comme la transition facile des idées et celle des sentiments se portent mutuellement assistance, nous pourrions a priori conjecturer que ce principe doit avoir quelque puissante influence sur l’ensemble de nos mouvements internes et de nos affections. Théorie amplement confirmée par l’expérience. »

(Ex. d’un pays que je traverse avec un compagnon qui nous est totalement étranger, nous laisse de très bonnes impressions au point de nous rendre de bonne humeur. Comme le pays n’a de connexion ni avec moi-même ni avec mon ami, il ne pourra être la cause immédiate ni d’une mise en valeur de moi-même, ni d’une considération à son égard). « Par conséquent, si je ne fonde pas cette passion sur quelque autre objet qui soutient avec l’un de nous une relation plus étroite, mes émotions doivent plutôt être considérées comme les effusions d’une disposition exaltée et généreuse que comme une passion bien installée. » (Si maintenant l’agréable perspective du paysage est contemplée du manoir de mon ami ou du mien, cette nouvelle connexion d’idées donne alors une nouvelle direction au sentiment de plaisir qui dérive de cette perspective ; elle suscite l’émotion de considération ou de vanité, selon la nature de la connexion).

 

SECTION V

 

1. La raison (faculté de jugement), la volonté et la passion.

« Il paraît évident que la raison, prise dans un sens exact, c’est-à-dire comme jugement du vrai et du faux, ne peut jamais être, par elle-même, un motif de la volonté et qu’elle ne peut exercer son influence sans toucher quelque passion ou affection. Les relations abstraites entre les idées sont objets de curiosité ; pas de volition. Quant aux questions de fait, dès lors qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, qu’elles ne suscitent ni désir ni aversion, elles sont entièrement indifférentes ; qu’on en ait conscience ou non, qu’on les appréhende correctement ou faussement, on ne peut les traiter comme des motifs pour agir. »

 

2. La raison (rectitude morale), la volonté et la passion.

« Ce qu’on appelle communément raison- dans un sens populaire, cette fois-, et que les discours moraux nous recommandent si fort, n’est rien d’autre qu’une passion générale et calme qui embrasse son objet d’un point de vue  éloigné et qui met en œuvre la volonté, sans susciter pour autant une émotion sensible. Dire que c’est par raison qu’un homme s’acquitte scrupuleusement de ses fonctions signifie qu’il agit avec le désir tranquille de s’enrichir et de faire fortune. Se conforme-t-il à la justice par raison ? C’est dire qu’il s’y tient par une considération calme du bien public ou par souci de sa respectabilité aux yeux d’autrui comme aux siens propres. »

 

3. Les objets qui relèvent de la passion ou de la raison (rectitude morale).

« Les objets qui prétendent relever de la raison- prise dans le sens précédent- sont exactement les mêmes que les objets de ce qu’on appelle passion, dès lors qu’ils se rapprochent de nous, qu’ils tirent d’autres attraits de leur situation extérieure ou de leur conformité à notre disposition interne, et qu’ils trouvent le moyen d’exciter une émotion sensible et tumultueuse. Quand on évite un mal que l’on voit venir de loin, on dit que c’est par raison ; quand il est à proximité, le mal produit l’aversion, l’horreur et la crainte et il est objet de passion. »

 

4. Les aléas de la volonté face aux passions.

« C’est l’erreur commune des métaphysiciens d’avoir attribué la direction de la volonté à l’un de ces principes exclusivement, en supposant l’inefficience de l’autre. Or, les hommes agissent souvent sciemment contre leur intérêt ; ils ne se laissent donc pas influencer dans tous les cas par la vue du plus grand bien possible. Souvent, ils répriment une passion violente dans la poursuite de leurs intérêts et de leurs objectifs lointains ; le malaise présent ne saurait donc seul les déterminer. On peut remarquer de façon générale que ces deux principes agissent de concert sur la volonté ; lorsqu’ils se contrarient, l’un des deux prévaut selon le caractère général de la personne ou selon sa disposition présente. Ce que nous appelons force d’âme implique la prévalence des passions calmes sur les passions violentes ; on nous concèdera toutefois qu’il n’est guère de personne assez constamment vertueuse pour ne jamais, à l’occasion, succomber à la sollicitation d’une affection ou d’un désir violents. C’est à cause de ces variations de tempérament qu’il est si difficile de conjecturer ce que feront les hommes et ce qu’ils se résoudront à faire, en cas de contrariété de motifs et de passions. »

 

SECTION VI

 

1. Passions calmes ou violentes, prédominantes ou mineures.

« Nous énumérerons ici quelques-unes des circonstances qui rendent une passion calme ou violente, qui avivent ou affaiblissent une émotion.

Il est caractéristique de la nature humaine qu’une émotion qui accompagne une passion se convertit aisément en elle, quoique l’une ou l’autre soient, à l’origine, de natures différentes, voire de natures contraires. Il est vrai que, selon la théorie précédemment développée, une double relation est toujours requise pour causer une parfaite union entre les passions et faire que l’une produise l’autre. Mais lorsque deux passions sont déjà là, produites par des causes séparées et simultanément présentes dans l’esprit, elles ne tardent pas à se mêler et à s’unir, quand bien même elles n’auraient entre elles qu’une relation, voire parfois aucune. La passion prédominante absorbe la mineure et la convertit en elle-même. Les esprits animaux, une fois mis en branle, reçoivent un changement de direction qui provient, comme on l’imagine naturellement, de l’affection qui prévaut. Il est fréquent que la connexion soit plus étroite entre deux passions quelconques qu’entre l’une d’entre elles, quelle qu’elle soit, et l’indifférence.

Dès lors qu’une personne s’est éprise d’une grande passion, les petits défauts et les caprices de sa maîtresse, les jalousies et les querelles auxquelles ce commerce donne si fréquemment lieu, ont beau être désagréables et en connexion avec la colère et la haine ; on n’en trouve pas moins qu’ils apportent, en de multiples cas, un supplément de force à la passion prédominante. » Les hommes politiques utilisent souvent ce moyen qui consiste à retarder la révélation d’une information pour susciter la curiosité du public. « Ils savent que la curiosité la précipitera dans la passion qu’ils ont dessein de susciter et renforcera l’influence de l’objet sur l’esprit. »

- Un soldat qui marche au combat se sent naturellement rempli de courage et de confiance tant qu’il pense à ses camarades et à ses compagnons d’armes ;

- la crainte et la terreur le terrassent dès qu’il songe à l’ennemi.

« Ainsi, toute nouvelle émotion qui procède de sa première réflexion vient naturellement renforcer son courage ; mais que cette même émotion procède de la seconde, elle augmente sa crainte. De là vient que, dans la discipline militaire, les rites et l’apparat exaltent notre courage et celui de nos alliés ; et que, considérés chez l’ennemi, les mêmes objets, nous pétrifient de terreur.

«​ L'espoir, en lui-même, une passion agréable, qui s’apparente à l’amitié et à la bienveillance ; pourtant il est parfois capable d’attiser la colère dès lors qu’elle est la passion prédominante. « Spes addita suscitat iras» VIRG. » (« L’espoir qui s’ajoute à la colère l’attise »).

 

2. Influence mutuelle sur la force de deux passions.

«​ Puisque deux passions, si indépendantes soient-elles, se transfusent naturellement l’une dans l’autre, pourvu qu’elles se présentent ensemble au même moment, il s’ensuit que, lorsque le bien ou le mal est placé dans une situation telle qu’il cause une émotion particulière, outre la passion de désir ou d’aversion qu’il suscite directement, cette dernière passion acquiert nécessairement une force et une violence nouvelles. »

 

3. Influence dynamique sur la force de deux passions contraires.

« Le cas est fréquent lorsqu’un objet suscite des passions contraires. On peut observer alors qu’une opposition de passions cause ordinairement un surcroît de mouvement dans les esprits animaux et produit plus de perturbation que le concours de deux affections quelconques de force égale. La nouvelle émotion se convertit aisément dans la passion prédominante et on trouve fréquemment qu’elle atteint un degré de violence supérieur à celui où elle serait parvenue si elle n’avait pas rencontré d’opposition. De là vient que nous désirons naturellement ce qui est interdit et prenons  souvent plaisir à effectuer des actions pour la simple raison qu’elles sont illégales. La notion de devoir, quand elle s’oppose aux passions, ne permet pas toujours de les surmonter ; et quand elle échoue dans cette entreprise, elle parvient plutôt à les renforcer et à les irriter davantage, en produisant une opposition entre nos motifs et principes. »

 

4. Exacerbation de la passion.

« Que l’opposition provienne de motifs internes ou d’obstacles extérieurs ne change rien à l’effet. La passion acquiert ordinairement une nouvelle force dans un cas comme dans l’autre. Les efforts que l’esprit entreprend pour surmonter l’obstacle agitent les esprits et vivifient la passion. »

 

5. L’incertitude accroît les passions, la sécurité les affaiblit.

« L’incertitude a le même effet que l’opposition. L’agitation de la pensée, ses brusques passages d’un point de vue à un autre, la diversité des passions qui se suivent selon les différents points de vue adoptés, tout cela concourt à produire dans l’esprit une émotion qui se transfuse dans la passion prédominante.

Au contraire, la sécurité affaiblit les passions : l’esprit, livré à lui-même, s’alanguit aussitôt ; et, pour préserver son ardeur, il doit constamment être soutenu par un nouveau flux passionnel. Pour la même raison, le désespoir, quoiqu’il soit contraire à la sécurité, a le même effet. »

 

6. La dissimulation exacerbe les passions.

« Il n’est pas de moyen plus puissant pour susciter une affection que de dissimuler une partie de son objet, en le plongeant dans une espèce de pénombre qui en découvre assez pour nous prévenir en faveur de cet objet tandis qu’elle nous laisse le soin d’imaginer le reste. Outre que l’obscurité s’accompagne toujours d’une espèce d’incertitude, l’effort que fait la fantaisie pour compléter l’idée accélère le mouvement des esprits et apporte un degré supplémentaire de force à la passion. »

 

7. Les vertus de l’absence sur les passions.

« Si le désespoir et la sécurité produisent, en dépit de leur contrariété, les mêmes effets, l’absence produit, quant à elle, des effets contraires, et l’on observe que, dans des circonstances différentes, elle renforce ou affaiblit notre affection. LA ROCHEFOUCAULD [« L’absence diminue les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies, et allume le feu. » Maximes, 276]. a très bien remarqué que l’absence détruit les passions faibles alors qu’elle accroît les fortes ; tout comme le vent mouche une chandelle et attise un incendie. Une longue absence affaiblit naturellement notre idée et diminue la passion ; mais lorsque l’affection est assez forte et assez vive pour s’entretenir elle-même, le malaise qui provient de l’absence accroît la passion et lui apporte, avec la force, un impact nouveau. »

 

8. Les vertus de la nouveauté sur les passions.

« Quand l’âme s’emploie à effectuer une action ou à concevoir une chose à laquelle elle n’est pas habituée, elle éprouve une espèce de rigidité, de difficulté, sources d’étonnement, de surprise et de toutes les émotions liées à cette nouveauté ; elle est, par elle-même, agréable, comme tout ce qui anime l’esprit à un degré modéré. Mais la surprise a beau être agréable en elle-même, dès lors qu’elle met les esprits en effervescence, elle n’augmente pas nos affections agréables sans augmenter aussi nos affections pénibles, conformément au principe précédent. De là vient que tout ce qui est nouveau nous affecte davantage et nous donne soit plus de plaisir, soit plus de douleur que ce qui, à proprement parler, devrait naturellement en résulter. Au fur et à mesure qu’elle revient, la nouveauté s’use, les passions déclinent ; il n’y a plus de presse des esprits animaux ; et nous regardons l’objet d’un œil plus tranquille. »

 

9. Influence de la familiarité, de l’éloquence, de l’imagination et de la proximité sur les passions.

« L'imagination et les affections s’unissent étroitement et se stimulent. D’où la supériorité de la perspective d’un plaisir familier sur tout autre plaisir potentiellement plus fort mais dont nous ignorons complètement la nature. Car nous pouvons nous former une idée particulière et déterminée du plaisir connu ; tandis que nous concevons l’autre sous la notion générale de plaisir.

« Une satisfaction dont nous venons de jouir, et dont le souvenir est frais et encore proche, agit sur la volonté avec plus de violence qu’une autre dont les traces sont atténuées et presque effacées.

Un plaisir conforme à la façon de vivre que nous avons adopté suscite davantage notre désir et notre appétit qu’un autre, qui lui est étranger.

Rien n’est plus capable d’infuser une passion dans l’esprit que l’éloquence qui représente les objets sous les couleurs les plus violentes et les plus vives. Une idée, que nous aurions pu tenir pour entièrement négligeable, exercera son influence sur nous du simple fait qu’elle est l’opinion d’un autre, surtout s’il la soutient avec passion.

On peut remarquer que les passions vives s’accompagnent ordinairement d’une imagination vive. De ce point de vue, comme à d’autres d’ailleurs, la force de la passion dépend autant du tempérament de la personne que de la nature et de la situation de l’objet.

L’influence de l’éloignement, par l’espace ou par le temps, n’équivaut pas à celle de la proximité et de la contiguïté.

Je ne prétends pas avoir épuisé le sujet dans ce texte. Il me suffit d’avoir fait apparaître que, dans leur production comme dans leur transmission, les passions suivent une sorte de mécanisme régulier susceptible d’une investigation aussi précise que celle des lois du mouvement, de l’optique, de l’hydrostatique ou de toute autre division de la philosophie naturelle. »

 

                                                                                        

 

 

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commentaires

H
Merci pour le rappel
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H
Excellente synthèse ! Merci beaucoup
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A
Merci beaucoup. C'est plus clair ainsi et cela a facilité ma lecture de l'oeuvre originale.
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A
Super synthèse, je vous remercie elle m' a permis de mieux comprendre certains passages.
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