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16 août 2015 7 16 /08 /août /2015 10:17

Document établi par Bernard MARTIAL, professeur de lettres-philosophie  en CPGE

(les n°s entre parenthèses renvoient aux numéros de page dans l’édition GF n° 1556)

1ère partie (chapitre 1 à 44)

 

I. (1) Où la passion va-t-elle se nicher ?

Vers le milieu du mois de juillet de l’année 1838, le capitaine Crevel arrive chez le baron Hulot d’Ervy, commissaire ordonnateur sous la République, ancien intendant général d’armée, et alors directeur d’une des plus importantes administrations du ministère de la guerre, conseiller d’État, grand officier de la Légion d’honneur, qui occupe une grande maison nouvellement construite entre la rue de Bellechasse et la rue de Bourgogne (56). En le voyant, la baronne Adeline Hulot demande à sa fille Hortense d’aller dans le jardin avec Elisabeth Fischer, dite Lisbeth ou Cousine Bette, une vieille fille sèche qui paraît plus âgée que la baronne, quoiqu’elle ait cinq ans de moins (portrait) (57). Lisbeth doit alors chez M. Crevel le lendemain.

Adeline Hulot conduit M. Crevel dans un salon en s’assurant que la porte du boudoir et la fenêtre du grand salon soient bien fermées (58). Pendant ce temps, le garde national observe l’ameublement défraîchi d’un air satisfait. Puis, la baronne revient et lui dit de s’asseoir. Crevel plaisante sur ces précautions habituellement réservées à … un amant.

 

II. (2) De beau-père à belle-mère

Cette plaisanterie n’amuse pas la baronne (59). Même si Crevel a 50 ans (soit dix ans de moins que le baron) et 50.000 livres de rentes, même s’il revendique son amour, son entêtement et ses droits, elle ne lui cèdera pas (60). Victorin Hulot, fils de la baronne, a épousé Célestine Crevel, fille unique que le capitaine aime au point de ne pas rester veuf pour lui préserver son héritage (61). Victorin est un des premiers avocats de Paris et député depuis un an mais le beau-père se plaint des dépenses somptueuses de son gendre. Dans un an, s’il devient ministre, dit la baronne, il fera nommer Crevel, ancien parfumeur, officier de la Légion d’honneur et conseiller de préfecture à Paris (62). Crevel a bien senti la pique de la baronne mais prend à témoin des mutations sociales, l’ancien droguiste Popinot (gendre de César Birotteau dont Crevel a racheté le fonds), qui est devenu ministre du commerce.

Mais si la baronne a fait venir Crevel, c’est surtout parce qu’il a fait manquer le mariage d’Hortense avec le conseiller Lebas. Crevel n’a pas voulu promettre que la dot de dot de 200.000 F serait payée (63). Mais si la baronne cédait à ses avances, le problème serait réglé. Il met un genou à terre et lui baise la main en lui rappelant qu’elle reste fidèle à un… libertin (64). Crevel a des révélations à lui faire qui pourraient la faire souffrir. Mais à 48 ans, la baronne n’est pas assez prude pour ne pas entendre (65). Crevel commence son récit : le baron et lui se sont connus chez leurs maîtresses.

 

III. (3) Josépha

Alors qu’il était veuf depuis cinq ans, Crevel a pris comme maîtresse une petite ouvrière de quinze ans, Josépha dont il devient amoureux. Il confia son éducation à sa tante (66) et elle devint une cantatrice réputée. Ils furent heureux pendant cinq ans. En 1834, alors qu’elle avait 20 ans, Josépha fit la connaissance de Jenny Cadine, une actrice du même âge dont le protecteur, depuis sept années,  était… le baron Hulot (67). La baronne prétend qu’elle avait ses raisons pour lui laisser cette liberté mais Crevel ne croit pas à son argument (68). Mais Crevel reprend le fil de son histoire : le baron et Crevel sont devenus des compagnons de débauche mais trois mois après le mariage de Victorin avec Célestine (69), le baron, qui se savait supplanté dans le cœur de Jenny par un jeune conseiller d’Etat et un artiste, lui a soufflé Josépha Mirah, qui a pris goût à l’argent et l’a ruiné puis l’a trompé à son tour avec Keller, le marquis d’Esgrignon (70) et finalement le duc d’Hérouville. Crevel veut donc se venger du baron qui lui a pris Josépha (71).

 

IV. (4) Attendrissement subit du parfumeur

A cinquante ans passés, Crevel n’espère pas retrouver un bonheur pareil d’autant qu’il veut protéger l’héritage de sa fille. Mais quand il a vu la baronne pour la première fois, il a été touché et pour se venger du baron, il compte bien lui prendre sa femme (72). Il la fera plier en se servant de sa fille car le baron aime trop les femmes (73) et les mettra sur la paille. La baronne est au désespoir (74).

 

V. (5) Comment on peut marier les belles filles sans fortune

Crevel insiste. Si elle a des bontés pour lui, sa fille sera mariée et elle recevra 300.000 F. La baronne ne veut pas renoncer à ses 32 ans d’honneur (75) mais quand l’ancien parfumeur à la Reine des roses, rue Saint-Honoré, abandonne l’agressivité pour un semblant de commisération sur leur ruine prochaine, la baronne fond en larmes et se laisse baiser les mains par Crevel qui se retrouve à genoux (76). Elle est désemparée. Que va devenir sa fille qui a 21 ans (77). Il n’y a que trois manières de marier sa fille, dit Crevel : par son secours, en trouvant un vieillard riche et sans enfants ou un « homme d’énergie » (comme du Tillet ou Popinot) qui l’épousera sans dot (78). La baronne voudrait devienne son ami et abandonne ses idées ridicules mais il veut accomplir la loi du talion et se venger d’Hulot.

 

VI. (6) Le capitaine perd la bataille

Crevel continue sa rhétorique manipulatrice. Comme la baronne ne se résoudra pas à laisser sa fille à un vieillard ou à un homme d’énergie (79) elle finira par se déshonorer elle-même pour gagner la dot de 200.000 F plutôt que de laisser sa fille se déshonorer. « Je vous ennuie, et ce que je dis est profondément immoral, n’est-ce pas ? Mais, si vous étiez mordue par une passion irrésistible, vous vous feriez, pour me céder, des raisonnements comme s’en font les femmes qui aiment… Eh bien, l’intérêt d’Hortense vous les mettra dans le cœur, ces capitulations de conscience… »

La baronne examine les autres recours : son oncle, le père Fischer, le comte Hulot. Mais le baron leur a déjà soutiré de l’argent. La baronne essaie de l’attendrir : « On guérit facilement d’une passion pour une femme de mon âge, et vous prendrez des idées chrétiennes. Dieu protège les malheureux… »

Mais Crevel ne veut pas en rester là (80). Il pointe du doigt la misère des lieux et ne comprend pas pourquoi elle manifeste autant de persévérance pour un libertin.

Alors que Crevel s’en va en faisant un geste menaçant, elle va rouvrir les portes qu’elle avait fermées et se laisse tomber sur le divan de son boudoir bleu, les yeux rivés vers le kiosque où se trouve sa fille et la cousine Bette. « Depuis les premiers jours de son mariage jusqu’à ce moment, la baronne avait aimé son mari, comme Joséphine a fini par aimer Napoléon, d’un amour admiratif, d’un amour maternel, d’un amour lâche. » Sans connaître tous les détails que venait de lui révéler Crevel, la baronne se doutait bien des infidélités de son mari mais elle avait feint de ne pas les voir et avait reçu en échange une forme de vénération de la part du baron. Cette affection et ce respect sont devenus contagieux : Hortense croit son père un modèle d’amour conjugal (81), Victorin admire son père et le craint.

« Maintenant, il est nécessaire d’expliquer le dévouement extraordinaire de cette belle et noble femme, et voici l’histoire de sa vie en peu de mots. »

 

VII. (7) Une belle vie de femme

Analepse : Balzac revient sur l’histoire des trois frères Fischer, simples laboureurs, à la fin du XVIIIe siècle, dans un village situé sur les extrêmes frontières de la Lorraine, au pied des Vosges. En 1799, le second des frères, André, veuf, et père de Mme Hulot, laisse sa fille aux soins de son frère aîné, Pierre Fischer, qu’une blessure reçue en 1797 a rendu incapable de servir, et fait quelques entreprises partielles dans les transports militaires, service qu’il doit à la protection de l’ordonnateur Hulot d’Ervy. Par un hasard assez naturel, Hulot, qui vient à Strasbourg, voit la famille Fischer. Le père d’Adeline et son jeune frère  Johann sont alors soumissionnaires des fourrages en Alsace. Adeline, alors âgée de 16 ans est une beauté complète (82) comme « toutes ces femmes, restées belles en dépit des années, de leurs passions ou de leur vie à plaisirs excessifs ». Portrait et caractère d’Adeline (83). Les frères Fischer admirent Hulot qui est protégé de l’empereur et à qui ils doivent leur sort et ils acceptent donc le mariage de l’ordonnateur en chef avec Adeline (84). C’est pour la jeune fille un accomplissement : elle passe des boues du village à la cour impériale, Hulot est nommé baron, elle fait son éducation. Le bel homme qu’est alors Hulot abandonne sa carrière galante par attachement conjugal (85). Il devient pour elle une espèce de dieu auquel elle doit fortune, bonheur, titre, célébrité et les hommages de l’empereur. « Il n’est donc pas besoin de beaucoup d’intelligence pour reconnaître, dans une âme simple, naïve et belle, les motifs du fanatisme que Mme Hulot mêlait à son amour. » Elle devient la servante dévouée de son créateur. Proche du prince de Wissembourg, le baron participe au Cent-Jours, en 1815, jusqu’au désastre de Waterloo, puis il paie cette fidélité napoléonienne en 1816 dans le ministère Feltre avant d’être réintégré dans le corps de l’intendance au moment de la guerre d’Espagne en 1823. En 1830, il reparaît dans l’administration comme quart de ministre, lors de cette espèce de conscription levée par Louis-Philippe dans les vieilles bandes napoléoniennes. Depuis l’avènement au trône de la branche cadette (86), dont il est un actif coopérateur, il reste directeur indispensable au ministère de la guerre. Mais resté inoccupé de 1818 à 1823, Hulot a repris du service auprès des femmes. La baronne garde de l’affection pour son mari, elle feint de ne pas voir, y compris quand elle aperçoit son mari avec Jenny Cadine au Théâtre des Variétés (87).

 

VIII. (8) Hortense

La baronne a un admirateur passionné dans son beau-frère, le lieutenant général Hulot, le vénérable commandant des grenadiers à pied de la garde impériale, à qui l’on devait donner le bâton de maréchal pour ses derniers jours. Ce vieillard, après avoir, de 1830 à 1834, commandé la division militaire où se trouvaient les départements bretons, théâtre de ses exploits en 1799 et 1800, est venu fixer ses jours à Paris près de son frère, auquel il portait toujours une affection de père. Ce vieillard de 72 ans qui ne s’est pas marié faute d’avoir trouvé son Adeline à travers toutes ses campagnes (88), est pour Adeline une admiration plus qu’une protection car il est sourd.

Au début, les amourettes du baron n’ont pas eu d’influence sur sa fortune mais avec l’âge, elles lui ont coûté de plus en plus cher. Le baron faisant beaucoup de frais pour bien paraître, sa fortune a vite diminué. Il avait essayé de rassurer sa femme qui avait encore confiance en lui. Mais on conçoit son inquiétude nouvelle après les révélations de Crevel (89). Elle entrevoit maintenant la réalité, la complicité de Crevel et Hulot, l’arrangement pour marier Victorin et Célestine. Pendant qu’elle observe Hortense, elle se demande si son mari ne l’a pas oubliée. La beauté d’Hortense (90). La perspective de la chute de son mari lui fait perdre connaissance.

 

IX. (9) Un caractère de vieille fille

La cousine Bette ne s’aperçoit pas qu’Adeline a rouvert la fenêtre (91). Portrait de Lisbeth Fischer, cinq ans de moins et beaucoup moins belle que sa cousine dont elle est  « prodigieusement jalouse ». « La jalousie formait la base de ce caractère ». Portrait de Lisbeth (92). La famille a sacrifié la fille vulgaire à la jolie fille et celle-ci a voulu se venger en lui arrachant le nez, en déchirant ses robes. « Lors du mariage fantastique de sa cousine, Lisbeth avait plié devant cette destinée, comme les frères et les sœurs de Napoléon plièrent devant l’éclat du trône et la puissance du commandement. » Mais la bonne Adeline la fit venir à Paris en 1809 et le baron mit cette fille qui ne savait ni lire ni écrire en apprentissage chez les frères Pons, brodeurs de la cour impériale (93). En deux ans, elle se métamorphosa, apprit à lire, à compter et à écrire, devint ouvrière en passementerie d’or et d’argent et première demoiselle en 1811. Mais Lisbeth craignant que l’essor de la passementerie ne périclite avec l’Empire, elle refusa en 1815 les propositions de s’associer avec Rivet, acquéreur de la maison Pons et elle redevint simple ouvrière.

« La famille Fischer était alors retombée dans la situation précaire d’où le baron Hulot l’avait tirée (94). Ruinés par la catastrophe de Fontainebleau, les trois frères Fischer servirent en désespérés dans les corps francs de 1815. L’aîné, père de Lisbeth, fut tué. Le père d’Adeline, condamné à mort par un conseil de guerre, s’enfuit en Allemagne, et mourut à Trèves, en 1820. Le cadet, Johann, vint à Paris implorer la reine de la famille […]. Johann Fischer, alors âgé de quarante-trois ans reçut du baron Hulot une somme de dix mille francs pour commencer une petite entreprise de fourrages à Versailles, obtenue au ministère de la Guerre par l’influence secrète des amis que l’ancien intendant général y conservait. »

Ces malheurs familiaux et la disgrâce du baron désamorcèrent le conflit de Lisbeth avec sa cousine ; « mais l’envie resta caché dans le fond du cœur, comme un germe de peste qui peut éclore et ravager une ville, si l’on ouvre le fatal ballot de laine où il est comprimé. De temps en temps, elle se disait bien :

— Adeline et moi, nous sommes du même sang, nos pères étaient frères, elle est dans un hôtel, et je suis dans une mansarde. »

Mais la générosité de la famille à son égard ne se dément pas (95). On a procuré son indépendance à cette fille qui a peur de toute espèce de joug (elle ne veut pas loger chez la baronne, a rejeté toutes les propositions de mariage et ne veut pas non plus aller vivre chez son oncle). Singularité d’une nature qui s’est développée tard. « Méchante, elle eût brouillé la famille la plus unie. » Un moment de splendeur, le baron la trouve mariable mais elle se contente de sa propre admiration et elle finit par se trouver heureuse. En 1837, elle préfère l’intimité aux grands dîners ; elle semble partout chez elle (chez le général Hulot, Crevel, Hulot fils, Rivet). Sa familiarité lui concilie la bienveillance des domestiques. On la prend pour une bonne fille (97). Elle veut plaire à tout le monde, rit avec les jeunes, paraît être une bonne confidente, sa discrétion lui vaut la confiance des gens âgés. « La cousine se surnommait elle-même le confessionnal de la famille. La baronne seule, à qui les mauvais traitements qu’elle avait reçus, pendant son enfance, de sa cousine plus forte qu’elle, quoique moins âgée, gardait une espèce de défiance. » Pour la cousine Bette, la maison Hulot garde encore toute sa splendeur (98). Avec le temps, elle contracte des manies de vieille fille : au lieu de s’adapter à la mode, elle veut que la mode s’adapte à elle et elle gâte tout ce qu’elle touche. Cet entêtement la rend ridicule et personne ne l’invite en soirée.

Le baron lui a trouvé quatre fois des partis qu’elle a refusés (un employé de son administration, un major, un entrepreneur des vivres, un capitaine en retraite). Il la surnomme « La Chèvre ». Le sauvage lorrain qui n’obéit qu’à ses sentiments (99). Même quand elle se laisse habiller à la mode, elle a la raideur d’un bâton. « Or, sans grâces, la femme n’existe point à Paris. » (100). Sa singularité n’étonne plus personne et disparaît dans le mouvement parisien de la rue.

 

X. (10) L’amoureux de Bette

Hortense rit car elle vient de soutirer à sa cousine un aveu demandé depuis 3 ans. La jeune fille veut savoir pourquoi sa cousine ne s’est pas mariée. « Hortense, qui connaissait l’histoire des cinq prétendus refusés, avait bâti son petit roman, elle croyait à la cousine Bette une passion au cœur, et il en résultait une guerre de plaisanteries ». L’amoureux (101) (vrai ou faux) de Lisbeth devient un sujet de railleries et d’interrogation de la part de la baronne et d’Hortense. Les deux femmes ont des doutes (102).

— L’aimes-tu ? avait demandé la baronne.

— Ah ! je crois bien ! je l’aime pour lui-même, ce chérubin. Voilà quatre ans que je le porte dans mon cœur.

— Eh bien, si tu l’aimes pour lui-même avait dit gravement la baronne, et s’il existe, tu serais bien criminelle envers lui. Tu ne sais pas ce que c’est que d’aimer.

— Nous savons toutes ce métier-là en naissant ! dit la cousine.

— Non ; il y a des femmes qui aiment et qui restent égoïstes, et c’est ton cas !…

La cousine avait baissé la tête, et son regard eût fait frémir celui qui l’aurait reçu, mais elle avait regardé sa bobine.

Lisbeth finit par avouer que son amoureux est un réfugié polonais, placé par le grand-duc Constantin (103) comme professeur de beaux-arts dans un gymnase dont les élèves ont commencé la révolte. Il est arrivé en France en 1833 après avoir parcouru l’Allemagne à pied. Il avait à peine vingt-quatre ans lors de l’insurrection, il a vingt-neuf ans aujourd’hui. Il donne des leçons et s’appelle Wenceslas. Les deux femmes se moquent encore d’elle. Lisbeth en rit mais dit quand même à Hortense : « Ces petites filles, avait dit la cousine Bette en regardant Hortense quand elle était revenue près d’elle, ça croit qu’on ne peut aimer qu’elles. » La jeune fille est prête à donner son châle de cachemire jaune si Bette lui prouve que ce n’est pas un conte. Lisbeth livre peu à peu des informations (104) le comte Wenceslas Steinbock vient de Livonie où son père s’est établi après la mort du roi de Suède. Ce père a perdu sa fortune en 1812, laissant le pauvre enfant, à l’âge de huit ans, sans ressource. Le grand-duc Constantin, à cause du nom de Steinbock, l’a pris sous sa protection et l’a mis dans une école… Mais Hortense ne la croira que quand elle le verra.

 

XI. (11) Entre vieille et jeune fille

La cousine Bette, fascinée à l’idée de posséder le cachemire jaune usé (donné à sa femme en 1808 et transmis à Hortense en 1830) (105) apporte un cadeau qu’elle compte faire à la baronne, un cachet d’argent composé de trois figurines adossées (foi, espérance et charité) (106), réalisé par son amoureux à l’issue de dix mois de travail (preuve de l’existence de celui-ci) (107). Lisbeth est persuadé que son amoureux deviendra riche et célèbre. Lisbeth insiste : Wenceslas l’adore (elle a refusé six prétendants dont un en Lorraine) (108). Les femmes en plaisantent. Son amoureux a fait un groupe en bronze (Samson déchirant un lion). Bette voudrait que le baron parle de cette œuvre au ministre Popinot ou au comte de Rastignac (109) pour la vendre à un bon prix. Hortense promet que son père les rendra riches. Mais Wenceslas est paresseux et flâneur. « Et les deux cousines continuèrent à plaisanter. Hortense riait comme lorsqu’on s’efforce de rire, car elle était envahie par un amour que toutes les jeunes filles ont (110) subi, l’amour de l’inconnu, l’amour à l’état vague et dont les pensées se concrètent autour d’une figure qui leur est jetée par hasard […] Depuis dix mois, elle avait fait un être réel du fantastique amoureux de sa cousine, par la raison qu’elle croyait, comme sa mère, au célibat perpétuel de sa cousine ; et, depuis huit jours, ce fantôme était devenu le comte Wenceslas Steinbock, le rêve avait un acte de naissance, la vapeur se solidifiait en un jeune homme de trente ans. Le cachet qu’elle tenait à la main, espèce d’Annonciation où le génie éclatait comme une lumière, eut la puissance d’un talisman. Hortense se sentait si heureuse, qu’elle se prit à douter que ce conte fût de l’histoire ; son sang fermentait, elle riait comme une folle pour donner le change à sa cousine. »

 

XII. (12) M. Le Baron Hector Hulot d’Ervy

Hortense s’inquiète de la tristesse de sa mère (111) et voudrait garder le cachet pour le montrer à son père. Bette lui répond que la situation de sa mère s’arrangera et qu’il vaut mieux ne pas montrer le cachet à sa mère. Arrivées à la porte du boudoir, elles trouvent la baronne évanouie. Quand Lisbeth revient avec des sels, elle trouve la fille et la mère dans les bras l’une de l’autre (112).

Arrivée du baron. Sa prestance (il ne fait pas son âge). Il parle des discours à l’assemblée, salue Bette et embrasse sa fille (113). Alors que le baron annonce qu’il resortira après le dîner, la baronne profite d’un article de journal parlant de Josépha dans Robert le diable pour aborder la question de Jenny Cadine et de Josépha. Une lettre anonyme, dit-elle lui a parlé de l’échec du mariage d’Hortense à cause de la sa situation financière (114). Le baron fait profil bas : «  Adeline, tu es un ange, et je suis un misérable… » Il reconnaît qu’il n’a pas d’argent et qu’il a mis l’oncle Fischer dans l’embarras pour une femme qui le trompe. Adeline est prête à donner ses diamants pour sauver son oncle. Le baron lui dit de les garder pour sa fille (115). Parenthèse moraliste sur les vicieux qui sont plus aimables que les gens vertueux. Le baron se montre aimable avec tout le monde : sa femme, ses enfants, Bette, sa belle-fille, son petit-fils. Il entraîne son fils dans le jardin pour lui donner des conseils (116). Hulot fils, jeune homme fabriqué par la révolution de 1830.

Arrivée du comte de Forzheim. Portrait physique et social. Il constate la joie de tous (117). Le général aime bien Bette. Sur certains points, ils se ressemblent. « Quiconque eût vu cet intérieur de famille aurait eu de la peine à croire que le père était aux abois, la mère au désespoir, le fils au dernier degré de l’inquiétude sur l’avenir de son père, et la fille occupée à voler un amoureux à sa cousine. » (118)

 

XIII. (13) Le Louvre

A sept heures, le baron laisse son frère, sa femme et ses enfants jouer au whist et part applaudir sa maîtresse à l’Opéra en emmenant Bette rue Doyenné (119). Description d’un pâté de maisons ruinées près du Louvre, une verrue en plein Paris, véritable coupe-gorge (120-121). Bette loge là depuis 1823, à cause de la modicité du loyer. Elle a gardé l’habitude paysanne de se lever et de se coucher avec le soleil.

 

XIV. (14) Où l’on voit que les jolies femmes se trouvent sous les pas des libertins comme les dupes vont au-devant des fripons

Au moment où il prend congé de la cousine Bette (122), le baron aperçoit une jeune femme qui entre dans une maison. Le libertin a une impression étrange (123). La jeune femme monte l’escalier et rejoint son mari au 2e étage. Le baron a l’impression qu’ils le connaissent. Il a l’impression d’être observée. Intrigué, le baron compte demander qui c’est à Bette. Dans l’appartement, Marneffe a effectivement reconnu le baron Hulot directeur au ministère de la guerre où il travaille et comprend que la vieille fille qui habite au 3e étage au fond de la cour est sa cousine. Il est aussi étonné que celle-ci vive avec un jeune homme (124).

 

XV. (15) Le ménage Marneffe

Valérie Fortin, fille naturelle du comte de Montcornet, l’un des plus célèbres lieutenants de Napoléon, a été mariée au moyen d’une dot de 20.000 F à un employé subalterne du ministère de la guerre arrivé au poste de premier commis de bureau. Mais la mort de Montcornet a fragilisé leur situation et justifié le choix de la rue Doyenné. Portrait de Jean-Paul Stanislas Marneffe, employé résistant à l’abrutissement par la dépravation et qui pourrait se retrouver aux assises pour outrage aux mœurs (125). Description détaillé de l’appartement des Marneffe (la salle à manger mal entretenue, la chambre de monsieur en désordre, celle de madame, plus soignée, qui sent la femme entretenue) (126). Dîner retardé des Marneffe (127). Samanon leur réclame de l’argent. Marneffe craint que le propriétaire ne les saisisse. Valérie se demande si son père ne lui a pas laissé un testament que sa femme aurait détruit. Ils doivent quatre termes, 1.500 F (128). Elle ira voir le propriétaire et demande à son mari de se rapprocher de Bette qui est cousine du directeur.

 

XVI. (16) La mansarde des artistes

Ignorance des locataires d’une même maison de ce que font leurs voisins, surtout quand on est occupés comme les Marneffe. L’existence de Lisbeth est de celles qu’on ne remarque pas (129). Madame Olivier, la portière, a pu calomnier Lisbeth sans même savoir ce qu’elle faisait. La vieille fille reçoit son bougeoir des mains de Mme Olivier et s’avance pour voir si les fenêtres de la mansarde au-dessus de son appartement sont éclairées. Mme Olivier lui confirme que Steinbock n’est pas sorti. Mais Lisbeth se moque du qu’en dira-t-on (130). Elle monte à la mansarde de Wenceslas. Elle le trouve travaillant à la lueur d’une petite lampe et lui donne les friandises et les fruits qu’elle a gardés du dessert. Il la remercie. A 29 ans, Wenceslas en paraît cinq de moins (131). Il a envie de se distraire mais Lisbeth veut qu’il travaille d’abord pour faire sa fortune. Quiconque aurait assisté à cette scène, eût reconnu la fausseté des calomnies des époux Olivier (132). Elle agit pour lui comme une mère. Elle lui parle du cachet qu’Hortense a trouvé joli et du bronze qu’elle fera vendre (133). Il veut savoir ce qu’a dit sa « jolie » cousine. « Qui vous a dit qu’elle fût jolie ? demanda vivement Lisbeth avec un accent où rugissait une jalousie de tigre. » Lisbeth lui dit que ce n’est pas une femme pour lui, il lui faut un homme de 60.000 F. Voyant le lit défait, elle l’arrange. Si le Livonien était tombé sur Mme Marneffe, il serait tombé au plus bas. « Aussi, tout en déplorant l’âpre cupidité de la vieille fille, sa raison lui disait-elle de préférer ce bras de fer à la paresseuse (134) et périlleuse existence que menaient quelques-uns de ses compatriotes. Voici l’événement auquel était dû le mariage de cette énergie femelle et de cette faiblesse masculine, espèce de contre-sens assez fréquent, dit-on, en Pologne. »

 

XVII. (17) Histoire d’un exilé

Analepse : la rencontre de Wenceslas Steinbock et d’Elisabeth Fischer. En 1833, vers 1h du matin, alors qu’elle travaille de nuit quand elle a beaucoup d’ouvrage, Lisbeth est alertée par une odeur d’ « acide carbonique » et des plaintes d’un mourant provenant de la mansarde au-dessus de son appartement. Elle sauve son occupant du suicide (135). Sur la table, se trouve la lettre d’adieu du comte Wenceslas Steinbock, né à Prelie en Livonie, petit-neveu d’un général de Charles XII venu de Dresde à Paris. Lisbeth veille sur lui en continuant son ouvrage (136). Peu à peu, l’exilé lui raconte son histoire, parle de sa vocation d’artiste, de son manque d’argent pour étudier, de sa trop grande fatigue pour entreprendre une œuvre. La vieille fille lui conseille d’abord de reprendre de l’énergie. Elle lui prêtera de l’argent et s’occupera de lui jusqu’à ce qu’il puisse le rembourser. L’exilé dit sa reconnaissance envers la France et envers Bette (137). Il lui propose d’être son ami : « Oh ! non, je suis trop jalouse, je vous rendrais malheureux ; mais je serai volontiers quelque chose comme votre camarade, reprit Lisbeth. » Il promet de se remettre au travail. Bette lui propose de venir partager son déjeuner.

Lisbeth prit son ouvrage et vint travailler dans cette mansarde, en veillant le pauvre gentilhomme.

. (18) Aventure d’une araignée qui trouve dans sa toile une belle mouche trop grosse pour elle

Dès le lendemain, Mlle Fischer prend les choses en main. Elle prend des renseignements sur le métier de sculpteur (138), place Wenceslas comme dessinateur dans l’atelier d’ornements des Florent et Chanor (138). Cinq mois plus tard, il fait la connaissance de Stidmann, le principal sculpteur de la maison Florent. L’élève dépasse bientôt le maître, mais en 30 mois, Lisbeth dépense les 5 000 F qu’elle avait économisés en 16 ans. Elle s’affole et va consulter M. et Mme Rivet qui l’accusent d’imprudence. Ils la poussent à prendre des sécurités. M. Rivet est juge au tribunal de commerce. Il lui dit qu’un étranger qui ne paye pas ses dettes reste en prison (139) et lui propose de s’occuper de sa lettre de change pour qu’elle soit couverte. Elle se laisse mettre en règle ; l’exilé lui fait une confiance aveugle. En vingt-quatre heures, elle peut l’envoyer en prison. Rivet se rend alors chez Florent et Chanor pour prendre des renseignements sur Steinbock. Stidmann qui est présent, prend sa défense (140). Ils parlent de Wenceslas et des artistes qui veulent leur indépendance (141) et négligent leurs devoirs. Stidmann  défend la liberté des artistes. Rivet revient rassuré. Il confirme à Lisbeth que Wenceslas a du talent mais qu’il faut le tenir, le faire travailler, l’empêcher de flâner (142). Lisbeth devient alors tyrannique avec lui en l’accablant de reproches et de … bontés. Il se laisse dominer. Elle prend sur lui un empire absolu : «  L’amour de la domination, resté dans ce cœur de vieille fille à l’état de germe, se développa rapidement. Elle put satisfaire son orgueil et son besoin d’action : n’avait-elle pas une créature à elle, à gronder, à diriger, à flatter, à rendre heureuse, sans avoir à craindre aucune rivalité ? Le bon et le mauvais de son caractère s’exercèrent donc également. » Un jour qu’il était allé flâner au lieu de travailler, elle lui fait une scène (143). Elle évoque la menace de prison. Le lendemain, elle lui demande pardon (144). Ils se réconcilient. Cet épisode,  survenu 6 mois, a fait produire trois choses : le cachet, le groupe mis chez le marchand de curiosités et une pendule.

L’attachement de Bette pour son Livonien : tendresse d’une mère, jalousie d’une femme et esprit d’un dragon.

« Il est facile maintenant de comprendre l’espèce d’attachement extraordinaire que Mlle Fischer avait conçu pour son Livonien : elle le voulait heureux, et elle le voyait dépérissant, s’étiolant dans sa mansarde. On conçoit la raison de cette situation affreuse. La Lorraine surveillait cet enfant du Nord avec la tendresse d’une mère, avec la jalousie d’une femme et l’esprit d’un dragon ; ainsi elle s’arrangeait pour lui rendre toute folie, (145) toute débauche impossible, en le laissant toujours sans argent. Elle aurait voulu garder sa victime et son compagnon pour elle, sage comme il était par force, et elle ne comprenait pas la barbarie de ce désir insensé, car elle avait pris, elle, l’habitude de toutes les privations. Elle aimait assez Steinbock pour ne pas l’épouser, et l’aimait trop pour le céder à une autre femme ; elle ne savait pas se résigner à n’en être que la mère, et se regardait comme une folle quand elle pensait à l’autre rôle.

Ces contradictions, cette féroce jalousie, ce bonheur de posséder un homme à elle, tout agitait démesurément le cœur de cette fille. Eprise réellement depuis quatre ans, elle caressait le fol espoir de faire durer cette vie inconséquente et sans issue, où sa persistance devait causer la perte de celui qu’elle appelait son enfant. Ce combat de ses instincts et de sa raison la rendait injuste et tyrannique. Elle se vengeait sur ce jeune homme de ce qu’elle n’était ni jeune, ni riche, ni belle puis, après chaque vengeance, elle arrivait, en reconnaissant ses torts en elle-même, à des humilités, à des tendresses infinies. Elle ne concevait le sacrifice à faire à son idole qu’après y avoir écrit sa puissance à coups de hache. »

La situation psychologique  de l’artiste qui s’ennuie (146) et les plaisirs de Lisbeth qui goûte les fruits amers de cette réclusion : « Aussi prévoyait-elle avec terreur que la moindre passion allait lui enlever son esclave. »

« Le lendemain, ces trois existences, si diversement et si réellement misérables, celle d’une mère au désespoir, celle du ménage Marneffe et celle du pauvre exilé, devaient toutes être affectées par la passion naïve d’Hortense et par le singulier dénouement que le baron allait trouver à sa passion malheureuse pour Josépha. »

 

XIX. (19) Comment on se quitte au treizième arrondissement

Au moment d’entrer à l’Opéra (147), rue Le Peletier, le baron découvre qu’il fait relâche pour indisposition. Il décide d’aller chez Josépha, rue Chauchat. Le portier s’étonne de sa présence et lui dit que l’appartement de Mlle Mirah est occupé par Mlle Héloïse Brisetout, M. Bixiou, M. Léon de Lora, M. Lousteau, M. de Vernisset, M. Stidmann, et des femmes qui pendent la crémaillère (148). Il lui apprend également que Josépha habite maintenant  rue de la Ville-l’Evêque, dans un hôtel que lui a donné le duc d’Hérouville. Le baron se précipite à cette nouvelle adresse. On le fait patienter dans un salon dont il admire le luxe (149). Josépha arrive enfin (150) et lui explique l’argent que le duc d’Hérouville a investi dans ce logement. « Le duc a mis là tous les bénéfices d’une affaire en commandite dont les actions ont été vendues en hausse. » Tous les invités de Josépha, dit-elle (d’Esgrignon, Rastignac, Maxime, Lenoncourt, Verneuil, Laginski, Rochefide, la Palférine, et, en fait de banquiers, Nucingen et du Tillet, avec Antonia, Malaga, Carabine et la Schontz) compatissent au malheur du baron. Hulot demande une explication. Josépha lui explique qu’il ne peut pas lutter contre ce que lui offre le duc (151) et qu’il devrait la remercier de ne pas finir de manger sa fortune pour elle. Puis elle prend congé de lui après lui avoir dit que ses affaires sont disponibles rue Chauchat.

 

XX. (20) Une de perdue, une de retrouvée

Hulot revient furieux chez lui (152). La baronne, inquiète, croit à un désastre et l’entraîne dans le petit salon où elle était 5h plus tôt avec Crevel. Il lui raconte l’infamie de Josépha. Elle le plaint et lui conseille de prendre une maîtresse moins chère et de condition sociale plus basse. Elle se compare à Joséphine (153).

Le lendemain, Hortense demande à son père de venir la rejoindre dans le jardin. Elle veut flâner avec lui. Ils arrivent rue du Doyenné près d’une boutique (154). Le baron, bien décidé à suivre les conseils de sa femme, pense à la femme qu’il a vue dans cette rue. En regardant les fenêtres, il voit justement M. Marneffe qui fait le guet puis se trouve face à face avec Mme Marneffe (155). Il lui fait des compliments sur sa beauté. La femme lui demande de faire justice à son mari qui travaille au ministère de la guerre, dans la division de M. Lebrun, bureau de Coquet. Le baron lui donne rendez-vous chez sa cousine Bette. Mme Marneffe se présente comme une femme honnête au désespoir depuis qu’elle a perdu son père, le maréchal Montcornet, sans héritage (156). Les deux sont contents de leur succès. Le baron se demande d’où elle peut venir à cette heure.

 

XXI. (21) Le roman de la fille

En entrant dans la boutique de curiosités, le baron manque de heurter un jeune homme (Wenceslas) qu’il voit courir vers la maison de Mme Marneffe. En entrant dans cette boutique, Hortense y a vu le fameux groupe du sculpteur (157). Considérations sur le brio artistique (158) et sur l’œuvre de Wenceslas. Hortense demande le prix au marchand : 1.500 F. Wenceslas est ému en voyant Hortense et celle-ci le reconnaît à la façon dont l’artiste rougit (159). La jeune fille négocie le prix avec le marchand qui prétend que l’œuvre est ancienne. Elle conteste. Wenceslas intervient auprès du marchand pour qu’elle ait son œuvre au prix qu’elle demande (1.200 F). Fasciné par la beauté d’Hortense, Wenceslas se présente comme l’auteur de ce groupe. Hortense lui donne la carte de son père en lui recommandant de ne rien dire à sa cousine Bette.

« Ce mot "notre cousine" produisit un éblouissement à l’artiste, il entrevit le paradis en en voyant une des Eves (160) tombées. Il rêvait de la belle cousine dont lui avait parlé Lisbeth, autant qu’Hortense rêvait de l’amoureux de sa cousine, et, quand elle était entrée :

— Ah ! pensait-il, si elle pouvait être ainsi !

On comprendra le regard que les deux amants échangèrent, ce fut de la flamme, car les  amoureux  vertueux n’ont pas la moindre hypocrisie. »

 

XXII. (22) Laissez faire les jeunes filles

Dans la boutique, le baron demande à sa fille ce qu’elle faisait. Hortense lui annonce qu’elle a dépensé ses 1.200 F d’économies. Il devra même lui avancer 100 F de plus. Ce n’est pas cher si elle a trouvé un mari (161). Elle demande à son père s’il lui défendrait d’épouser un grand artiste et ce qu’il pense de la sculpture. C’est un art sans débouchés. Hortense parle de l’artiste : noble, comte et sans fortune (162). Hortense sait très bien que sa mère s’est évanouie à cause de l’échec de son mariage. S’il se présentait un homme d’énergie et de talent, ils seraient heureux. Elle évoque les diamants que sa mère est prête à vendre (163) et ses conversations avec sa cousine Bette. Hortense veut montrer à son père le chef d’œuvre du sculpteur. Elle veut que son père lui obtienne un crédit, une statue et un logement. Le père plaisante : si on les laissait faire, ils seraient mariés en onze jours. « On attend onze jours ? répondit-elle en riant. Mais, en cinq minutes, je l’ai aimé, comme tu as aimé maman en la voyant ! et il m’aime, comme si nous nous connaissions depuis deux ans. Oui, dit-elle à un geste que fit son père, j’ai lu dix volumes d’amour dans ses yeux.  […]

Je l’aimais sans le connaître, mais j’en suis folle depuis une heure que je l’ai vu.

— Un peu trop folle, fit le baron, que le spectacle de cette naïve passion réjouissait.

— Ne me punis pas de ma confiance, reprit-elle. C’est si bon de crier dans le cœur de son père : "J’aime, je suis heureuse d’aimer ! " répliqua-t-elle. » [… ]  (164) Ma cousine Bette épouser ce jeune homme-là, elle qui serait sa mère !… Mais ce serait un meurtre ! Comme je suis jalouse de ce qu’elle a dû faire pour lui ! Je me figure qu’elle ne verra pas mon mariage avec plaisir. »

Ils veulent en parler à la baronne et lui montrer le cachet. Hortense ne veut pas trahir Bette à propos du cachet, elle n’a rien promis pour l’artiste (le baron souligne cette contradiction). Le baron veut vérifier si le comte est en règle. Il se chargera de Bette. Hortense lui demande de ne pas parler de ce mariage à sa cousine. Elle craint sa réaction (165).

 

XXIII. (23) Une entrevue

Après le déjeuner, on annonce le marchand, l’artiste et le groupe. Hortense rougit. Le baron demande à l’artiste s’il est prêt à faire une statue. Hortense fait admirer le bronze à sa mère. Le marchand pose la pendule sur le buffet. La baronne est intriguée. Cet artiste peut gagner beaucoup d’argent, dit le marchand (166). Le marchand se retire après que l’artiste lui eut demandé de rester discret sur cette visite. Le baron interroge alors le sculpteur sur son identité et sa situation et sur sa capacité à faire une statue de neuf pieds (167). Il veut obtenir pour lui la réalisation de la statue du maréchal Montcornet qui sera érigée sur sa tombe au père-Lachaise. Le baron montrera le groupe à deux ministres pour soutenir son dossier. Il ne doit rien dire à Bette. Frappé de la beauté de la baronne, le sculpteur se déclare prêt à faire son buste. Le baron lui montre que sa vie peut devenir belle. Hortense lui remet une bourse avec soixante pièces d’or (168). Wenceslas s’en va. Il va se promener aux Tuileries sans oser rentrer dans sa mansarde.  Il se sent une puissance à tailler le marbre (169).

La baronne demande des explications. Hortense lui dit qu’elle vient de voir l’amoureux de Bette dont elle espère qu’il est désormais le sien. La baronne compte interroger Bette pour en savoir un peu plus sur ce jeune homme. Hortense raconte son histoire. « Les passions vraies ont leur instinct. […] L’œuvre de la nature, en ce genre, s’appelle : aimer à la première vue. En amour, la première vue est tout bonnement la seconde vue. » La baronne est heureuse de cette solution qui correspond à la troisième manière évoquée par Crevel (170).

 

XXIV. (24) Où le hasard, qui se permet souvent des romans vrais, mène trop bien les choses pour qu’elles aillent longtemps ainsi

Le forçat de Mlle Fischer cache sa joie d’amoureux derrière sa joie d’artiste. Il prétend que son groupe a été vendu au duc d’Hérouville. Il montre les 1.200 F. Il va pouvoir s’acquitter de sa dette, lui dit Lisbeth. Elle a des projets pour lui : l’habiller, le loger, le meubler mieux mais d’abord, il doit reprendre le travail (171). Elle va passer chez M. Graff, le tailleur avant d’aller chez Crevel.

Le lendemain, le baron, devenu fou de Mme Marneffe, va voir sa cousine Bette. Celle-ci est occupée et craint qu’Hortense ne veuille lui prendre son amoureux. Description de l’appartement de Bette (172) : la médiocrité dans chaque chose. Il explique la raison de sa venue : Mme Marneffe. Il a été renvoyé par Josépha. Il voudrait que Bette fasse la connaissance de Mme Marneffe. A ce moment-là, Mme Marneffe arrive chez Bette. Elle a pris la liberté de venir en voyant que le baron était là pour lui parler de son mari. (173). Le baron va la rejoindre chez elle. Elle a pris soin d’elle et rangé son appartement. Cet homme de l’Empire ignore les façons de l’amour moderne. «  Ce nouvel art d’aimer consomme énormément de paroles évangéliques à l’œuvre du diable. La passion est un martyre. On aspire à l’idéal, à l’infini, de part et d’autre on veut devenir meilleurs par l’amour. » (174) Mme Marneffe s’est renseignée sur la baron et a préparé sa stratégie. Elle obtient pour son mari la promesse d’une place de sous-chef et de la croix de la Légion d’honneur. Le baron s’engage dans des frais pour les Marneffe : dîners au Rocher de Cancale, sorties (175), cadeaux. Le couple déménage pour s’installer rue Vanneau. Puis M. Marneffe part pour quinze jours de congés dans son pays. Pendant la même période, le baron s’occupe aussi de Wenceslas. Popinot, le ministre du commerce a donné 2 000 F pour un exemplaire du groupe ; un prince en a offert 30.000 F. Le ministre de la guerre a confié à Steinbock la réalisation du monument du maréchal Montcornet. Le comte de Rastignac a également voulu une œuvre et lui a promis un atelier au Dépôt des marbres du gouvernement, situé, au Gros-Caillou (176). Wenceslas connaît un succès écrasant. Tous les jours, quand Lisbeth sort dîner, Wenceslas passe deux heures chez la baronne.

« Le baron, sûr des qualités et de l’état civil du comte Steinbock ; la baronne, heureuse de son caractère et de ses mœurs ; Hortense, fière de son amour approuvé, de la gloire de son prétendu, n’hésitaient plus à parler de ce mariage ; enfin, l’artiste était au comble du bonheur, quand une indiscrétion de Mme Marneffe mit tout en péril. Voici comment. »

 

XXV. (25) Stratégie de Marneffe

Valérie Marneffe invite Lisbeth à sa pendaison de crémaillère et l’apitoie sur le sort de leur ménage. Bientôt, la vieille fille ne jure plus que par elle (177) au point de soutenir le baron dans les efforts qu’il fait pour eux. « De son côté, le baron, admirant dans Mme Marneffe une décence, une éducation, des manières que ni Jenny Cadine, ni Josépha, ni leurs amies ne lui avaient offertes, s’était épris pour elle, en un mois, d’une passion de vieillard, passion insensée qui semblait raisonnable. » Devenue son amie et sa confidente, Mme Marneffe, 23 ans, proclame sa vertu (178). Le baron déploie d’autant plus d’efforts pour lui faire des présents (179). Valérie a su par le baron les secrets du prochain mariage de Wenceslas avec Hortense. Il lui a également dit que tout était fini avec sa femme depuis vingt-cinq ans et que le mariage de sa fille règlerait sa situation. Enfin, il lui promet de quitter sa femme  (180) et de s’installer rue Vanneau.

 

XXVI. (26) Terrible indiscrétion

Mme Marneffe  a envie de voir le jeune comte mais cette curiosité déplaît au baron. Elle se fait payer cette abstention par un nouveau cadeau. Mais elle n’a pas renoncé. Un jour, elle entame la conversation avec Lisbeth qu’elle a invitée à prendre un café chez elle. Elle demande à Lisbeth pourquoi elle ne lui a pas présenté son amoureux qui est devenu célèbre et qui va faire la statue de son père (181) commandée par le ministère de la guerre. Elle ajoute que le gouvernement va lui donner un atelier et un logement. Lisbeth ignore tout cela bien évidemment. Mme Marneffe fait durer le suspense et lui demande de garder le secret (182). La vieille fille est dans tous ses états (183). Puis Mme Marneffe lui donne le coup de grâce en lui annonçant que Wenceslas épousera Hortense dans un mois. Valérie Marneffe fait semblant de ne pas comprendre la colère de la vieille fille : puisqu’elle aime cet homme comme une mère, elle doit être contente qu’il ait trouvé le bonheur. Lisbeth tourne alors sa colère contre Adeline et raconte la façon dont elle a été maltraitée (184). Lisbeth veut une preuve de ce que lui dit sa nouvelle amie (185). Hortense possède le groupe de Samson et c’est le baron qui lance la carrière de son gendre. Lisbeth n’en peut plus. Mme Marneffe craint qu’elle ne soit devenue folle. Lisbeth ne sait plus quoi faire (186). « Il faut seulement s’occuper de tirer le plus de foin à soi du râtelier. Voilà la vie à Paris. » lui répond Valérie. Lisbeth dit qu’elle mourra si elle perd cet enfant. Au moins, a-t-elle trouvé une consolation dans l’amitié nouvelle pour Valérie. Mme Marneffe se reproche hypocritement d’avoir trop parlé (187). Pour regagner sa confiance, elle lui parle de sa propre vie. Son mari lui demande comment elle gagne son argent.

 

XXVII. (27) Confidences suprêmes

Valérie Marneffe continue ses confidences. Elle a tous les dehors de l’honnêteté (188) mais elle est indépendante. Son mari s’occupe avec la bonne. Elle avoue un autre secret : « Je n’ai eu qu’une passion, un bonheur… c’était un riche Brésilien parti depuis un an, ma seule faute ! Il est allé vendre ses biens, tout réaliser pour pouvoir s’établir en France. » Lisbeth lui dit que le baron voudrait qu’elle aille, elle aussi, s’installer rue Vanneau (189). Au début, elle ne voulait pas mais maintenant qu’elles sont amies et confidentes, Lisbeth a changé d’avis. Lisbeth parle de la générosité du baron. Pour faciliter son installation, Mme Marneffe fait cadeau à Lisbeth de tous ses meubles. La vieille lui voue une infinie reconnaissance et se retire.

« — Comme elle pue la fourmi !… se dit la jolie femme quand elle fut seule ; je ne l’embrasserai pas souvent, ma cousine ! Cependant, prenons garde, il faut la ménager, elle me sera bien utile, elle me fera faire fortune. » (190)

La nonchalance voluptueuse de Mme Marneffe et ses goûts de courtisane qu’elle tient de sa mère. La folie des grandeurs de l’Empire et l’économie des nobles de la Restauration. Valérie est bien décidée à faire de sa beauté le moyen de sa fortune. Elle a besoin d’avoir près d’elle une âme damnée (191). Elle a bien compris pourquoi le baron voulait la lier à Lisbeth et sa « terrible indiscrétion » a été préméditée mais elle a quand même été un peu effrayée par la réaction de la vieille fille.

 

XXVIII. (28) Transformation de la Bette

En un instant, la cousine Bette est redevenue elle-même. Les caractéristiques de la virginité, mère des grandes choses (192). « En un moment donc, la cousine Bette devint le Mohican dont les pièges sont inévitables, dont la dissimulation est impénétrable, dont la décision rapide est fondée sur la perfection inouïe des organes. Elle fut la haine et la vengeance sans transaction, comme elles sont en Italie, en Espagne et en Orient. Ces deux sentiments, qui sont doublés de l’amitié, de l’amour poussés jusqu’à l’absolu, ne sont connus que dans les pays baignés de soleil. Mais Lisbeth fut surtout fille de la Lorraine, c’est-à-dire résolue à tromper. » (193) Pour elle, la mise au secret devient un emprisonnement.

En sortant de chez Valérie Marneffe, elle va chez Rivet et dénonce son Polonais. Le juge déteste ceux qui veulent ruiner la paix indispensable au commerce. Bette, elle, ne veut pas perdre ses 3.210 F et veut envoyer Wenceslas en prison (194). Il sera coffré après-demain après qu’on lui aura signifié ce commandement, dit Rivet. Bette est impatiente mais sûre de son coup. Pour le juge, ce n’est pas le tout de le boucler, il ne sait pas par qui elle sera payée. Par ceux qui lui donnent l’argent pour ériger le monument du général Montcornet, répond Lisbeth. Rivet fait l’éloge de cet homme qui « payait recta » (195). Elle annonce à Rivet qu’elle va s’installer rue Vanneau. Rivet l’approuve qui trouve l’état du quartier du Louvre navrant. (196).

Pour se rendre chez Crevel, qui a été nommé chef de bataillon de sa légion, Lisbeth fait un long détour. « Cette route illogique était tracée par la logique des passions, toujours excessivement ennemie des jambes. » Elle a laissé Wenceslas en train de s’habiller mais elle le reconnaît dans la rue et le suit discrètement jusqu’à la maison de Mme Hulot. Cette dernière preuve confirmant les confidences de Mme Marneffe, la met hors d’elle-même. Elle arrive chez Crevel, rue des Saussayes (197).

 

XXIX. (29) De la vie et des opinions de M. Crevel

Les modèles que l’on suit avec un certain décalage temporel. Pour Crevel, c’est Grindot, architecte dépassé (gloires éteintes soutenues par des admirations arriérées). Le logement de Crevel (198). Les portraits de famille peints par Pierre Grassou. Tout cet or dépensé pour des sottises aurait pu contribuer à achever les embellissements de Paris (199). Crevel a reproduit toutes les grandeurs de César Birotteau, son infortuné prédécesseur. L’appartement qui occupe le premier étage d’un ancien hôtel. Crevel y demeure très peu (200). Le siège de la véritable existence de Crevel, c’est rue Chauchat. Il passe tous les jours deux heures rue des Saussayes et donne le reste de son temps à Mlle Héloïse Brise-tout qui lui doit 500 F de bonheur par mois. Il a choisi cette situation pour protéger sa fille (201). Il tire de cette situation un vernis de supériorité et croit avoir dépassé César Birotteau.

 

XXX. (30) Suite du précédent

Crevel parle à Lisbeth du mariage d’Hortense avec Wenceslas. Il ne pardonne pas à Hulot de lui avoir pris Josépha et il est obsédé par l’idée de prendre sa revanche (202). Lisbeth a compris que si Crevel ne revenait plus chez les Hulot, c’est qu’il faisait la cour à la baronne. « Et elle m’a traité comme un chien ; pis que cela, comme un laquais ; je dirai mieux, comme un détenu politique ! Mais je réussirai, dit-il en fermant le poing et en s’en frappant le front. » Lisbeth lui apprend que Josépha a renvoyé le baron. Crevel l’ignorait car il est allé chez les Lebas à Corbeil et n’a même pas pu assister à la pendaison de crémaillère d’Héloïse (203).Le baron a bien pris ce désagrément, dit Lisbeth. Crevel demande s’il est revenu vers sa femme. « Je ris de vos idées, répondit Lisbeth. Oui, ma cousine est encore assez belle pour inspirer des passions ; moi, je l’aimerais, si j’étais homme. » Lisbeth suggère que le baron a trouvé une autre maîtresse (204). Crevel, excité par cette nouvelle est prêt à donner de l’argent à Lisbeth si elle l’aide à se venger. Lisbeth se fait prier pour livrer au compte-gouttes ses informations : le baron va payer le loyer, il dépense plus de 30.000 F dans l’appartement (205) de cette… femme mariée… de 23 ans… dont le père était maréchal de France. Crevel est prêt à donner 100.000 F. Le mari de cette femme a été nommé sous-chef (206). A choisir entre Crevel et le baron, Lisbeth prétend qu’elle choisirait… Crevel. Il n’a encore rien obtenu d’elle, continue Lisbeth qui feint d’avoir des remords. Crevel veut tout savoir. Il placera une somme en viager sur Lisbeth de manière à lui faire 600 F de rente (207). Pour Crevel, son idéal est la baronne Hulot. Le baron, dit Lisbeth, est fou : «  Il n’a pas su trouver quarante mille francs pour établir sa fille, et il les a dénichés pour cette nouvelle passion

— Et le croyez-vous aimé ? demanda Crevel.

— A son âge !… répondit la vieille fille. »

Crevel salue sa fille et son gendre. Puis fait une gaffe en parlant d’un prochain mariage dans la famille (208). Il essaie de se rattraper en parlant du mariage de Lebas avec Mlle Popinot.

 

XXXI. (31) Dernière tentative de Caliban sur Ariel

A sept heures, Lisbeth revient chez elle en omnibus, il lui tarde de revoir Wenceslas. Dans la mansarde, elle le trouve occupé à terminer les ornements d’une boîte destinée à Hortense. Elle lui reproche de trop travailler en août. Elle lui a apporté des fruits de chez Crevel et a emprunté 2.000 F. Elle place la dénonciation de la contrainte par corps sous l’esquisse du maréchal Montcornet (209) et lui demande pour qui il travaille. Pour un bijoutier. Pourquoi ne fait-il rien pour elle ? Il réaffirme son attachement. Elle a réussi à faire sa fortune.

« Lisbeth ne put se refuser le plaisir sauvage de regarder Wenceslas, qui la contemplait avec un amour filial où débordait son amour pour Hortense, ce qui trompa la vieille fille. En apercevant pour la première fois de sa vie les torches de la passion dans les yeux d’un homme, elle crut les y avoir allumées. 

— M. Crevel nous commandite de cent mille francs pour fonder une maison de commerce, si, dit-il, vous voulez m’épouser ; il a de singulières idées, ce gros bonhomme-là… Qu’en pensez-vous ? demanda-t-elle. »

L’artiste pâlit à ces mots (210) et Lisbeth comprend qu’il la trouve laide. Wenceslas essaie de se défendre. Il n’a pas 30 ans, elle en a 43 ! «  Ma cousine Hulot, qui en a quarante-huit, fait encore des passions frénétiques ; mais elle est belle, elle ! » L’artiste essaie de détourner la conversation en disant que son argent lui sera rendu d’ici quelques jours. Elle l’accuse de vouloir la quitter alors qu’elle a tout fait pour lui pendant 4 ans.

« — Mademoiselle, assez ! assez ! dit-il en se mettant à ses genoux et lui tendant les mains. N’ajoutez pas un mot ! Dans trois jours, je parlerai, je vous dirai tout ; laissez-moi, dit-il en lui baisant les mains, laissez-moi être heureux, j’aime et je suis aimé.

— Eh bien, sois heureux, mon enfant, dit-elle en le relevant. 

Puis elle l’embrassa sur le front et dans les cheveux avec la frénésie que doit avoir le condamné à mort en savourant sa dernière matinée (211).

 — Ah ! vous êtes la plus noble et la meilleure des créatures, vous êtes l’égale de celle que j’aime, dit le pauvre artiste.

— Je vous aime assez encore pour trembler de votre avenir, reprit-elle d’un air sombre. Judas s’est pendu !… tous les ingrats finissent mal ! Vous me quittez, vous ne ferez plus rien qui vaille ! Songez que, sans nous marier, car je suis une vieille fille, je le sais, je ne veux pas étouffer la fleur de votre jeunesse, votre poésie, comme vous le dites, dans mes bras qui sont comme des sarments de vigne ; mais, sans nous marier, ne pouvons-nous pas rester ensemble ? Ecoutez, j’ai l’esprit du commerce, je puis vous amasser une fortune en dix ans de travail, car je m’appelle l’Economie, moi ; tandis qu’avec une jeune femme, qui sera tout dépense, vous dissiperez tout, vous ne travaillerez qu’à la rendre heureuse. Le bonheur ne crée rien que des souvenirs. Quand je pense à vous, moi, je reste les bras ballants pendant des heures entières… Eh bien, Wenceslas, reste avec moi… Tiens, je comprends tout : tu auras des maîtresses, de jolies femmes semblables à cette petite Marneffe qui veut te voir, et qui te donnera le bonheur que tu ne peux pas trouver avec moi. Puis tu te marieras quand je t’aurai fait trente mille francs de rente.

— Vous êtes un ange, mademoiselle, et je n’oublierai jamais ce moment-ci, répondit Wenceslas en essuyant ses larmes.

— Vous voilà comme je vous veux, mon enfant, dit-elle en le regardant avec ivresse. »  (212)

Lisbeth croit à son triomphe.

« — Je suis engagé, répondit-il, et j’aime une femme contre laquelle aucune autre ne peut prévaloir. Mais vous êtes et vous serez toujours la mère que j’ai perdue. »

Lisbeth effondrée descend s’enfermer dans son appartement.

 

XXXII. (32) La vengeance manquée

Le surlendemain, à quatre heures et demie du matin,  M. Grasset, successeur de M. Louchard, garde du commerce, accompagné de deux recors, vient frapper à la porte du comte Steinbock (213) pour le conduire à la prison de Clichy. A 10h, il est demandé au greffe de la prison et y retrouve Lisbeth qui promet de s’occuper de lui. « Oh ! je vous devrai deux fois la vie ! » s’écrie Wenceslas. Lisbeth espère pourtant faire manquer (214) son mariage avec Hortense « en le disant marié, gracié  par les efforts de sa femme, et parti pour la Russie. » Pour exécuter ce plan,  elle se rend chez la baronne. Les deux femmes sont surprises de la voir. Elle les provoque : pourquoi ne lui parlent-elles plus de son amoureux ? Lisbeth dit que l’empereur Nicolas lui fait grâce et que sa femme lui a écrit. Il veut partir (215) Hortense s’évanouit. La baronne accuse Lisbeth d’avoir tué sa fille puis s’excuse.

Arrivée de Wenceslas. Il embrasse Hortense qui reprend ses esprits.

« — Voilà donc ce que vous me cachiez ? dit la cousine Bette en souriant à Wenceslas et en paraissant deviner la vérité d’après la confusion des deux cousines. — Comment m’as-tu volé mon amoureux ? dit-elle à Hortense en l’emmenant dans le jardin. »

Hortense raconte naïvement le roman de son amour à sa cousine. Sa mère et son père, persuadés que la Bette ne se marierait jamais, ont, dit-elle, autorisé les visites du comte Steinbock (216).  Steinbock vient rejoindre les deux cousines et remercie Lisbeth pour sa délivrance. La vieille fille reproche à Wenceslas de ne pas avoir avoué son amour pour Hortense. Elle l’embrasse au front et Hortense se jette dans ses bras : « Je te dois mon bonheur, lui dit-elle, je ne l’oublierai jamais ». La baronne vient dire à Lisbeth qu’ils ont tous une dette envers elle. La famille veut qu’elle ne travaille plus. Ils lui donneront de l’argent (217). Lisbeth prend cette générosité pour du dédain. Hortense lui raconte toutes les faveurs qui pleuvent sur Wenceslas.

 

XXXIII. (33) Comment se font beaucoup de contrats de mariage

En rentrant, le baron trouve sa famille au complet. Sa femme et sa fille courent vers lui. « Ce mariage n’est pas fait » dit le baron. Wenceslas prend peur (218). Le baron entraîne sa fille et le futur dans le jardin et demande au comte s’il aime sa fille. Il la prendra même sans argent. Le baron veut ensuite parler seul à seul avec le jeune homme (219). Son fils sera ministre et il trouvera facilement 200.000 F pour sa fille. Il s’occupera de son gendre qui recevra 60.000 F grevés d’une petite rente pour Lisbeth qui est poitrinaire et devrait mourir bientôt. Sa fille aura un trousseau de 20.000 F, plus les 6.000 F des diamants de sa mère. Quant aux 120.000 F manquants, il les recevra du gouvernement en commandes. Il aura un atelier et le fera entrer à l’Institut. Il aura des travaux à Versailles et à Paris. Wenceslas se sent la force de faire la fortune de sa femme (220). Le baron donne son consentement. Le contrat sera signé le  dimanche et le samedi suivant, il les mènera à l’autel. Le père et le gendre s’embrassent.

En rentrant chez lui, Wenceslas trouve le dossier de sa créance avec une quittance acquittée et une lettre de Stidmann. Il est passé le matin à 10h pour le présenter à une altesse qui désirait le connaître quand il a su qu’il avait été envoyé en prison. Il est allé voir Léon de Lora et Bridau qui ont payé  4.000 F pour le sortir de prison (221). Wenceslas est soulagé. Balzac juge nécessaire ici d’expliquer comment le baron a réussi à trouver autant d’argent pour sa fille et pour Mme Marneffe.

 

XXXIV. (34) Un magnifique exemplaire de séide

La veille, au matin, Johann Fischer, s’est trouvé dans la nécessité de déposer son bilan faute de payer 30.000 F encaissés par le neveu. Le vieillard de 70 ans a attendu avec le garçon de Banque (222) dans l’antichambre de son entreprise. A 8h, le baron est arrivé et a donné l’argent au représentant de la banque qui est reparti. Puis le baron a donné rendez-vous au père Fischer au fond du jardin pour lui exposer un projet (223). Un employé de la guerre lui achètera sa maison de commerce et il ira en Algérie fournir les vivres de guerre, grains et fourrages. Il trouvera ses fournitures dans le pays à 70% au-dessous des prix auxquels ils leur en tiendront compte. Il y a beaucoup de grains et de fourrages en Algérie et il pourra y faire fortune (224). L’acquéreur de son établissement viendra le soir-même et lui donnera 10.000 F. Le baron lui dit de ne pas se soucier de l’autorité, c’est lui qui l’a placée là-bas. Cela durera 2 ans et il aura 100.000 F pour vivre heureux dans les Vosges. Il lui parle du mariage d’Hortense (225).

Tout ceci ne pouvait pas fournir 60.000 F pour la dot et le trousseau d’Hortense et les 30.000 F pour Mme Marneffe. Où avait-il pris les 30.000 F qu’il venait d’apporter ? Quelques jours auparavant, Hulot était allé se faire assurer pour une somme de cent cinquante mille francs et pour trois ans, par deux compagnies d’assurances sur la vie. Muni de la police d’assurance dont la prime était payée, il était allé demander 70.000 F au baron de Nucingen en lui demandant de prendre un prête-nom à qui il déléguerait pour trois ans la quotité engageable de ses appointements de 25.000 F par an, soit 75.000 F. En gage de sécurité, Hulot lui a montré la police d’assurance de 150.000 F transférée à concurrence de 90.000 F. Pour justifier sa demande,  Hulot a expliqué qu’il mariait sa fille (226). Cette véreuse affaire s’était faite par l’entremise de Vauvinet, un petit usurier qui lui avait promis de lui négocier 30.000 F de lettres de change, à quatre-vingt-dix jours, en s’engageant à les renouveler quatre fois et à ne pas les mettre en circulation. Le successeur de Fischer devait donner 40.000 F pour obtenir cette maison, mais avec la promesse de la fourniture des fourrages dans un département voisin de Paris.

« Tel était le dédale effroyable où les passions engageaient un des hommes les plus probes jusqu’alors, un des plus habiles travailleurs de l’administration napoléonienne : la concussion pour solder l’usure, l’usure pour fournir à ses passions et pour marier sa fille. » (227) Tout cela pour paraître plus grand à Mme Marneffe. Personne ne s’aperçut de rien.

 

XXXV. (35) Où la queue des romans ordinaires se trouve au milieu de cette histoire trop véridique, assez anacréontique et terriblement morale

Adeline est soulagée mais encore un peu inquiète. La veille du mariage d’Hortense, Mme Marneffe doit prendre possession de son appartement rue Vanneau. Le baron parle à sa femme de se retirer dans trois ans, de prendre sa retraite et de diminuer leur train de vie (228). Il a trouvé rue Plumet un appartement plus modeste. Ils peuvent limiter leurs dépenses. Adeline est aux anges. Ils recevront leur famille une fois par semaine et iront dîner régulièrement chez leurs enfants et chez Crevel. Adeline promet de faire des économies (229). Ainsi commence l’amoindrissement de la maison de la baronne et son abandon promis à Mme Marneffe. Crevel, invité à la signature du mariage s’y comporte très bien. Il invite même la baronne chez lui en lui promettant de bien se tenir. Elle viendra s’il tient parole. Hulot et Crevel se réconcilient (230).

Mme Marneffe veut être invitée au mariage. Il y a tant d’invités qu’ils décident de faire un bal plutôt qu’un dîner.  Le maréchal prince de Wissembourg et le baron de Nucingen du côté de la future, les comtes de Rastignac et Popinot du côté de Steinbock sont les témoins.  Des représentants de l’émigration polonaise, du conseil d’Etat, de l’armée sont présents (on a lancé 200 invitations). La baronne consacre les 15.000 F de la vente des diamants au trousseau et à l’ameublement de l’appartement des jeunes mariés, rue Saint-Dominique, près de l’esplanade des Invalides.  Les cadeaux de M. et Mme Hulot jeunes, du père Crevel et du comte de Forzheim.

Le jour du mariage arrive (231). Le bal de noces : un monde en raccourci.

 

XXXVI. (36) Les deux nouvelles mariées

Au moment le plus animé, Crevel remarque Mme Marneffe (232). Il veut que Hulot la lui présente et il le recevra chez Héloïse. La cousine Bette revient chez elle, rue Vanneau, à 10h, pour voir les 1.200 F de rente. On devine comment Crevel a été informé pour Mme Marneffe. Le baron a été imprudent en offrant à Valérie une robe beaucoup trop luxueuse : cela fait jaser (233) mais le baron ne sait pas cacher son ivresse. Après le départ de la baronne et des jeunes mariés, le baron s’éclipse dans la voiture de Mme Marneffe. Celle-ci joue la comédie de la tristesse : le baron a compromis son honneur en l’affichant trop ostensiblement. Elle a dû inventer une histoire pour justifier sa tenue auprès de Mme Coquet, la femme du chef de bureau de son mari. « Mme Marneffe avait fini, comme on voit, par tellement fasciner le vieux beau de l’Empire, qu’il croyait lui faire commettre (234) sa première faute, et lui avoir inspiré assez de passion pour lui faire oublier tous ses devoirs. » Elle se prétend abandonnée par son mari. Au moment où la baronne s’apprête donc à abandonner les jeunes mariés, Valérie s’apprête à céder au baron. A 7h du matin, il revient au bal pour relever son fils et sa belle-fille. Les derniers invités qui s’incrustent.

Annonce de mariage à Saint-Thomas d’Aquin dans les journaux avec la liste des invités les plus célèbres (« Léon de Lora, Joseph Bridau (235), Stidmann, Bixiou ; les notabilités de l’administration de la Guerre, du conseil d’État, et plusieurs membres des deux Chambres ; enfin les sommités de l’émigration polonaise, les comte Paz, Laginski, etc. ») et une notice biographique sur Wenceslas.

Malgré sa détresse effroyable, rien ne manque au baron Hulot. Cette fête fait taire les rumeurs sur sa situation financière.

Ici se termine, en quelque sorte, l’introduction de cette histoire. Ce récit est au drame qui le complète ce que sont les prémisses à une proposition, ce qu’est tout exposition à toute tragédie classique.

 

XXXVII. (37) Réflexions morales sur l’immoralité

Vivre de ses charmes ne veut pas dire forcément faire fortune (236). Encore faut-il quelques circonstances favorables et trouver un homme riche qui lui donne son prix. Cette « chance » se réalise assez difficilement à Paris, ce qui a sans doute protégé beaucoup de ménages. Mme Marneffe figure néanmoins comme un type de cette histoire de mœurs. Différents exemples de ces femmes qui « obéissent à la fois à des passions vraies et à la nécessité » (Mme Colleville  (237) et le banquier Keller) ou qui sont poussées par la vanité (Mme de la Baudraye et Lousteau)… Le type de Mme Marneffe. « Ces Machiavels en jupons sont les femmes les plus dangereuses ». Plus dangereuses que les vraies courtisanes comme les Josépha, les Schontz, les Malaga, les Jenny Cadine (238). On voit des Mme Marneffe à tous les étages de l’état social. « Malheureusement, ce portrait ne corrigera personne de la manie d’aimer de anges au doux sourire, à l’air rêveur, à figure candide, dont le cœur est un coffre-fort. »

 

XXXVIII. (38) Où l’on voit l’effet des opinions de Crevel

Environ trois ans après le mariage d’Hortense, en 1841, le baron Hulot d’Ervy passe pour s’être rangé. Mme Marneffe lui coûte pourtant deux fois plus cher que Josépha. Elle affecte la simplicité d’une femme mariée mais va quand même au spectacle en grande tenue (239). L’appartement de la rue Vanneau respire l’honnêteté. La maison de Mme Marneffe a acquis la réputation d’être agréable. On répand le bruit qu’elle a touché un legs de son père. Elle passe pour être très croyante. Aussi croit-on à la pureté de ses relations avec le baron (240). Pour donner le change, il se retire à minuit avec tout le monde et revient un quart d’heure après. Les portiers de la rue Doyenné, M. et Mme Olivier, sont venus rue Vanneau. Depuis que Mme Marneffe a évité à leur fils aîné Benjamin, déjà petit clerc de notaire, d’être soldat pendant six ans, ils lui vouent une dévotion totale. On ne connaît pas l’antécédent du Brésilien, M. Montès de Montejanos et tout le monde a beaucoup d’indulgence pour une femme chez qui on s’amuse (241).   Claude Vignon, devenu secrétaire du maréchal prince de Wissembourg, et qui rêve d’être maître des requêtes au conseil d’Etat, est un habitué. Les différents groupes qui s’agglomèrent chez elle. Dès le 3e mois de son installation rue Vanneau, Valérie a reçu Crevel, devenu maire de son arrondissement et officier de la Légion d’honneur. Il a jugé sa liaison avec Héloïse incompatible avec ses nouvelles fonctions et payé 6.000 F le droit de prendre sa revanche sur le baron. Valérie a très vite su à qui elle avait affaire (242).

Analepse sur l’histoire de Crevel : mariage d’argent avec la fille d’un meunier de la Brie, une femme laide, vulgaire et sotte, morte après lui avoir donné pour seul plaisir celui de la paternité. Obtenir les faveurs de Mme Marneffe est devenu une question d’amour-propre pour lui. Celle-ci lui fait croire ce que Josépha et Héloïse n’avaient pas fait : l’amour.

« Les tromperies de l’amour vénal sont plus charmantes que la réalité. L’amour vrai (243) comporte des querelles de moineaux où l’on se blesse au vif ; mais la querelle pour rire est, au contraire, une caresse faite à l’amour-propre de la dupe. Ainsi, la rareté des entrevues maintenait chez Crevel le désir à l’état de passion. Il s’y heurtait toujours contre la dureté vertueuse de Valérie, qui jouait le remords, qui parlait de ce que son père devait penser d’elle dans le paradis des braves. Il avait à vaincre une espèce de froideur de laquelle la fine commère lui faisait croire qu’il triomphait, elle paraissait céder à la passion folle de ce bourgeois ; mais elle reprenait, comme honteuse, son orgueil de femme décente et ses airs de vertu, ni plus ni moins qu’une Anglaise, et aplatissait toujours son Crevel sous le poids de sa dignité, car Crevel l’avait de prime abord avalée vertueuse. Enfin, Valérie possédait des spécialités de tendresse qui la rendaient indispensable à Crevel aussi bien qu’au baron. »

Le double-jeu de Mme Marneffe, candide en public, courtisane dans l’intimité. Crevel croit être l’unique auteur de cette comédie.

 

XXXIX. (39) Le bel Hulot démantelé

Valérie s’est approprié le baron Hulot et l’a obligé à vieillir, jugeant nécessaire sa dissolution prochaine (244). Six mois après leur « mariage adultère », elle l’a d’abord convaincu de ne plus faire semblant et d’assumer son âge. Il cesse de se teindre les cheveux (elle lui en fait le compliment). Une fois lancé dans cette voie, Hulot se laisse aller et vieillit rapidement (245). On observe chez lui « les efforts d’une passion en rébellion avec la nature ». Il est alors une « belle ruine ». On saura plus tard comment Valérie a pu maintenir côte à côte Crevel et Hulot. Lisbeth et Valérie ont inventé une prodigieuse machine. Marneffe est devenu fou de voir sa femme triompher. Il a acquis la laideur du vice (246) et il est devenu le cauchemar du maire qu’il plume. En voyant Crevel le craindre, le baron se croit à l’abri de toute rivalité. « Valérie, protégée par ces deux passions en sentinelle à ses côtés et par un mari jaloux, attirait tous les regards, excitait tous les désirs, dans le cercle où elle rayonnait. » Voilà comment Mme Marneffe est arrivée, en trois ans,  à triompher comme courtisane. Même Claude Vignon est amoureux d’elle (247). « Voici maintenant celui de son associée Lisbeth. »

 

XL. (40) Une des sept plaies de Paris

Lisbeth occupe dans la maison Marneffe les fonctions de dame de compagnie et de femme de charge sans en subir les humiliations. L’amitié entre Lisbeth et Valérie suscite des commérages. Grâce à Valérie, Lisbeth a changé. Elle fait davantage attention à elle (248).  Description (249). A l’abri du besoin, elle est d’humeur charmante. Le baron paye son loyer et continue, cependant, à confectionner des ouvrages de passementerie. Tous les matins, Bette va à la grande Halle avec la cuisinière. Elle gère  le livre de dépense de Valérie qui ruine le baron (250). Digression sur les vols commis par les domestiques (251) et la dépravation des classes inférieures. Lisbeth a fait venir des Vosges, une parente du côté maternel, ancienne cuisinière de l’évêque de Nancy, vieille fille pieuse et d’une excessive probité. Elle accompagne Mathurine à la grande Halle et l’habitue à savoir acheter (252) puis Mathurine finit par y aller seule sauf les jours où Valérie a du monde. « Le baron avait commencé par garder le plus strict décorum ; mais sa passion pour Mme Marneffe était en peu de temps devenue si vive, si avide, qu’il désira la quitter le moins possible. » Il veut y manger tous les jours. Les dîners de Mme Marneffe et la bonne gestion de Lisbeth.

 

XLI. (41) Espérances de la cousine Bette

La toilette de Valérie étant payée largement par Crevel et par le baron, les deux amies trouvent encore un billet de 1.000 F par mois sur cette dépense. Valérie possède alors environ 150.000 F d’économies. Elle a accumulé ses rentes et ses bénéfices mensuels en les capitalisant et les grossissant de gains énormes dus à la générosité avec laquelle Crevel faisait participer le capital de sa petite duchesse au bonheur de ses opérations financières. Crevel l’a initiée à la Bourse (253). Lisbeth, qui ne dispense rien de ses 1.200 F, possède également un capital de 5 à 6.000 F que Crevel fait valoir. L’amour du baron et de Crevel est néanmoins une charge pour Valérie. Un jour, elle plaisante même avec Lisbeth en lui proposant de la remplacer auprès de Crevel. Les deux femmes en rient (254) mais Lisbeth n’oublie pas sa vengeance. Elle n‘a pas oublié son projet de faire venir Wenceslas chez Valérie. Ce sera fait d’ici une semaine. La relation entre Lisbeth et Valérie. « Lisbeth avait d’ailleurs rencontré, dans son entreprise et dans son amitié nouvelle, une pâture à son activité bien autrement abondante que dans son amour insensé pour Wenceslas. Les jouissances de la haine satisfaite sont les plus ardentes, les plus fortes au cœur. L’amour est en quelque sorte l’or, et la haine est le fer de cette mine à sentiments qui gît en nous. Enfin Valérie offrait dans toute sa gloire, à Lisbeth, cette beauté qu’elle adorait, comme on adore tout (255) ce qu’on ne possède pas, beauté bien plus maniable que celle de Wenceslas, qui, pour elle, avait toujours été froid et insensible.

Après bientôt trois ans, Lisbeth commençait à voir les progrès de la sape souterraine à laquelle elle consumait sa vie et dévouait son intelligence. Lisbeth pensait, Mme Marneffe agissait. Mme Marneffe était la hache, Lisbeth était la main qui la manie, et la main qui démolissait à coups pressés cette famille qui, de jour en jour, lui devenait plus odieuse, car on  hait  de plus en plus, comme on aime tous les jours davantage, quand on aime. L’amour et la haine sont des sentiments qui s’alimentent par eux-mêmes ; mais, des deux,  la haine  a la vie la plus longue. L’amour a pour bornes des forces limitées, il tient ses pouvoirs de la vie et de la prodigalité ; la haine ressemble à la mort, à l’avarice, elle est en quelque sorte une abstraction active, au-dessus des êtres et des choses. »

 Lisbeth déploie toutes ses facultés. Elle rêve maintenant d’être Mme la maréchale Hulot (256). Marneffe convoite la place de Coquet et Valérie espère fait traiter de la démission du chef de bureau par Hulot le soir-même. Lisbeth va aller chez le baron. Elle veut le faire expier.

 

XLII. (42) À quelles extrémités les libertins réduisent leurs femmes légitimes

Lisbeth va rue Plumet, comme on va au spectacle, pour s’y repaître d’émotions (257). Description de l’appartement de Mme Hulot (258). A la fin de la première année de son exil dans cet appartement, la baronne mesure le malheur dans toute son étendue. Mais elle a la conscience tranquille : elle n’a pas failli et a fait son devoir. Le portrait de Hulot peint par Robert Lefebvre en 1810. Lisbeth demande des nouvelles de sa cousine à Mariette, la cuisinière (259). Elle mange peu, dépense peu. Mariette voudrait que Lisbeth s’occupe de la situation. Le baron n’est pas venu depuis 20 à 25 jours. Depuis cinq jours, elle ne quitte plus son fauteuil. Bette, hypocritement, dit qu’elle fait ce qu’elle peut pour cette famille (260). Mariette lui dit que la baronne est reconnaissante. Le maréchal Hulot est chez la baronne. En sortant précipitamment, il fait tomber un papier où il est question des difficultés financières de la baronne (261).

 

XLIII. (43) La famille attristée

Lisbeth surprend Adeline en pleurs et lui saute au cou. Elle lui dit qu’elle sait tout, lui demande depuis combien de temps son mari ne lui a pas donné de l’argent. Adeline s’insurge. Il lui en a donné mais Hortense en avait besoin. Elle comprend qu’elle n’a pas de quoi donner à dîner et veut lui donner ses économies. Mais Adeline prétend que sa gêne n’est que momentanée et demande des nouvelles de son mari. Lui a-t-elle dit qu’ils devaient dîner ensemble ? Oui, répond Lisbeth mais Mme Marneffe donne un dîner et elle espère traiter de la démission de Coquet. Cette femme ruinera le baron (262). Adeline croit recevoir un coup de poignard dans le cœur. Si elle devient la femme et la veuve du maréchal, elle pourra les aider.

Retour du maréchal : il a donné 2.000 F à Mariette. Larmes d’Adeline. Puis Hulot jeune et sa femme arrivent. Le maréchal demande si Hulot dîne avec eux (263). Adeline lui fait un mot (mode de communication avec le maréchal qui est sourd) : le baron est accablé de travail à cause de l’Algérie. Hortense et Wenceslas entrent à leur tour. Portrait de Wenceslas. L’attachement d’Hortense pour son mari et une mélancolie cachée. « Lisbeth, dès les premiers jours de la lune de miel, avait jugé que le jeune ménage avait de trop petits revenus pour une si grande passion (264) Hortense parle à l’oreille de sa mère. Bette pense qu’Adeline sera bientôt obligée de travailler pour vivre. A 6h, la famille passe à table. Le couvert du baron. Il vient parfois tard, dit la baronne.

 

XLIV. (44) Le dîner

Lisbeth observe toutes les physionomies. Elle connaît Victorin et Hortense depuis leur naissance (265) et reconnaît quelque malheur prêt à fondre sur Adeline et que Victorin hésite à révéler. Hortense, occupée de ses propres chagrins, éprouve les premières inquiétudes de ce manque d’argent. Bette découvre que sa mère ne lui a pas donné d’argent. Toutes ces préoccupations rendent triste le dîner. Trois personnes animent la scène : Lisbeth, Célestine et Wenceslas.  Hortense cache ses tourments à son mari ; elle se demande si sa mère ne travaille pas. Victorin demande à Lisbeth et à Hortense de le rejoindre (266). Il leur parle de Vauvinet qui veut poursuivre le baron pour 60.000 F de lettres de change. Il ne faut rien dire à la baronne. Hortense est prête à pleurer. Victorin a donné rendez-vous à Vauvinet le lendemain. Il veut de l’argent comptant pour faire des escomptes usuraires. Lisbeth propose de vendre sa rente. C’est insuffisant. Victorin lui dit de garder sa fortune. Il essaiera de retarder les poursuites : il ne veut pas voir attaquer la réputation de son père. Ils ne peuvent pas offrir les appointements de son père. Vauvinet a renouvelé onze fois les lettres de change (267). Il faudrait que Mme Marneffe le quitte. Les enfants ont bien changé d’avis sur leur père. Il faut cacher l’affaire à leur mère. Lisbeth veut qu’ils s’assurent en la mariant au maréchal et elle invite Hortense à dîner le lendemain puis elle rentre chez elle (268).

 

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