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28 juin 2023 3 28 /06 /juin /2023 09:48

L’ANOMALIE d’Hervé Le Tellier, Folio, Gallimard 2020. (références du résumé Folio n°7096)

              11. LA PLAISANTERIE

Côte est des Etats-Unis, eaux internationales, 41°25’27’’N 65°49’23’’W. Kennedy avait coupé la communication puis, après un long silence, Luther Davis, commandant aux opérations spéciales de la F.A.A. avait contacté Markle en lui demandant de s’identifier et d’entrer le code transpondeur 1234. Il lui avait ensuite demandé sa date et son lieu de naissance (12 janvier 1973, Peoria, Illinois), les noms et les prénoms de tous les membres d’équipage. Markle avait manifesté son agacement. A son tour, Kathryn Bloomfield du Norad, avait demandé à Markle de déconnecter le wifi, d’éteindre les portables et les appareils électroniques et de procéder à la collecte de tous les appareils des passagers et du personnel. « Il s’agit d’une affaire concernant la sûreté nationale. Nous allons suivre ensemble le protocole 42. » L’avion devait se diriger vers Mc Guire Air Force Base, New Jersey. Kennedy Approach avait mis Markle en communication avec le Centre de commandement national au Pentagone. C’était maintenant le général Patrick Silveria qui parlait sous l’autorité du secrétaire de la Défense : « Vous allez être rejoint d’ici trois minutes par deux chasseurs de la Navy. Ils viennent de décoller de l’USS Harry S. Truman et vont vous escorter jusqu’aux eaux nationales. En cas de tentative de fuite, ou de non-obéissance à leurs consignes, ils ont ordre d’abattre votre aéronef. » (133) Markle avait éclaté de rire, croyant à une blague. Mais on lui avait passé John Butler, de l’USS Harry S. Truman : « Vous êtes sous la protection de deux de nos F/A-18 Hornet. L’un est juste derrière votre Boeing, en position d’interception, et l’autre… regardez à tribord, s’il vous plaît. » (134) Markle avait dû se résoudre à obéir.

            12. ANDRÉ

Dimanche 27 juin 2021, Mumbai, Inde. A cause du décalage horaire, André Vannier n’avait pas dormi de la nuit. Il avait écrit un mail à Lucie mais ne l’avait pas envoyé. Elle était passé à autre chose. En sortant du Grand Hyatt Hotel, André avait hélé un rickshaw pour se rendre au chantier dans le quartier de Kamathipura. Nielsen ne comprenait pas pourquoi il ne prenait pas de taxi. Cela lui rappelait ses vingt ans à Sri Lanka avec Giulia. Le cabinet Vannier & Edelman avait remporté le chantier de la Suryaya Tower mais un sous-traitant indien avait triché sur la qualité du béton de fondation. Nielsen s’en était rendu compte trop tard. Il y avait deux semaines de retard. Vannier devait profiter de sa visite de deux jours pour régler ce problème avant de s’envoler pour New York. Il connaissait Lucie depuis trois ans. Il l’avait rencontré chez Blum. Elle était cheffe-monteuse et avait un garçon nommé Louis qu’elle élevait seule. Lucie avait à peu près l’âge de Jeanne, la fille d’André. Le miracle avait duré quelques mois et puis elle s’était enfuie. En arrivant sur le chantier, André avait rencontré l’architecte Singh et les ingénieurs de Singh Sunset Construction et il lui avait explicité le problème à résoudre. Nielsen qui avait passé son enfance à Goa, parlait l’hindi.

Dans le vol United pour New York, Vannier avait relu le texte offert à Lucie, L’Anomalie, il avait essayé de réécrire son mail. Cette souffrance exhibée avait exaspéré Lucie. Puis il s’était endormi. A la douane de JFK, il avait été retenu par deux officiers du FBI qui lui avaient montré une photo de Lucie. Il avait dû les suivre.

13. PREMIÈRES HEURES

a. Jeudi 24 juin 2021, Mc Guire Air Force Base, Trenton, New-Jersey. Le Boeing 787 au fuselage endommagé avait stationné au bout de la piste 2, entouré de trois véhicules blindés. Des soldats avaient aménagé un hangar dont on venait d’évacuer un avion-cargo en révision. Près des portes, l’agent senior Gloria Lopez du FBI et Marcus Cox de la CIA parlaient à Adrian Miller de l’arrivée en hélicoptère de Brewster Wang et du protocole 42.

b. Autour de la table, Tina et Adrian, avec des badges du MIT, côtoyaient des hommes et des femmes du FBI, de la Défense, des Affaires étrangères, de l’US Air Force, de la CIA, de la NSA, du Norad et de la FAA. Tina qui avait épousé Georg Brewster, physicien, rencontré à la cafétéria de Columbia, avait du mal à reconnaître Adrian. Le général Silveria avait pris la parole au nom du secrétariat à la Défense. La situation devait rester secrète. Le président avait préféré ne rien changer à son agenda mais restait informé. Il avait présenté le général Buchanan, commandant de la base et les professeurs Miller et Brewster-Wang qui avaient toute latitude pour appliquer le protocole 42. L’équipe serait bientôt renforcée avec plus d’une centaine d’agents envoyés par le PsyOp du FBI.

Il avait fait le point sur la situation : le 787, identifié comme vol Air France 006 Paris New-York, était entré en communication avec l’aéroport Kennedy à 19h03 le 24 juin. Il y avait d’importants dégâts. Le commandant de bord affirmait être David Markle et son copilote Gidéon Favereaux, il fournissait la liste des passagers et du personnel de bord. Puis il avait passé la parole à Bian Mitnick de la NSA qui avait distribué des tablettes avec tous les informations nécessaires et Silveria avait repris la parole : « Si le protocole 42 a été déclenché, c’est qu’un autre vol Air France 006 d’aujourd’hui s’est posé voici plus de quatre heures à JFK, à l’horaire prévu, 16h35. Il était assuré par un autre appareil, avec aux manettes un autre pilote et un autre copilote. En revanche, un Boeing 787 d’Air France, sous la même référence Air France 006, endommagé tout comme celui-ci et piloté par ce même commandant Markle, assisté du même Favereaux, et embarquant le même personnel de bord et les mêmes passagers, pour résumer l’exact même appareil que celui que vous voyez ici, ce même appareil, donc, s’est posé à l’aéroport de JFK, mais c’était le 10 mars dernier à 17h17. Il y a cent six jours exactement. » (159) Incompréhension générale.  Le général Silveria était alors entré en contact avec le commandant Markle et il lui avait demandé la date et l’heure : 10 mars, 20h45.  On était le 24 juin, et il était 22h34. Sur un écran, Silveria avait montré la photo de Davis Markle prise par un agent du FBI dans la chambre 34 du Mount Sinai Hospital, en train de mourir d’un cancer du pancréas diagnostiqué un mois plus tôt. Silveria s’était tourné vers Miller et Brewster-Wang et leur avait demandé la marche à suivre.

II. La vie est un songe, dit-on (24 juin-26 juin 2021)

« L’existence précède l’essence, et de pas mal, en plus. » L’anomalie, Victør Miesel

           14. LE MOMENT OÙ

a. Jeudi 24 juin 2021, Mc Guire Air Force Base, Trenton, New-Jersey. Les passagers cheminaient entre deux rangées de soldats. On notait leur nom, leur prénom, leur numéro de siège. Seule une avocate avait trouvé l’énergie nécessaire de distribuer sa carte professionnelle. Le hangar avait été aménagé pour recevoir les passagers. Des infirmiers prélevaient un échantillon de salive de chaque passager. Dans l’angle est, des psychologues de PsyOp avaient débuté leurs interrogatoires. Côté ouest, une équipe de la Task Force s’était installé dans une salle en surplomb. La NSA avait géolocalisé la plupart des passagers et les membres d’équipage du Paris- New York du 10 mars. Une centaine était assignée à résidence sous surveillance policière. Les biologistes comparaient leur ADN avec leurs homologues retenus dans le hangar : ils étaient strictement identiques. L’avion immobilisé à McGuire était l’exacte réplique de celui qui s’était posé voici un peu moins de quatre mois. Mitnick, le geek de la NSA projetait l’image dédoublée de la cabine : à gauche, celle du premier avion, le 10 mars, à droite celle de l’avion posé en juin. Les deux images étaient semblables à 16h26 et 30 secondes. A 16h 26minutes 34 secondes et vingt centièmes des différences apparaissaient.  « Comme si notre avion surgissait de nulle part à travers un plan vertical » […] « Ça a fonctionné un peu comme une photocopie, quoi, un scan à un endroit, une impression ailleurs, comme une feuille qui sort d’une machine ? » avait demandé Tina (166). Le téléphone de l’homme de la Sécurité nationale s’était mis à vibrer : « Le président des Etats-Unis exige que la NSA vérifie s’il n’y aurait pas eu le 10 mars près de nos côtes atlantiques un navire russe ou chinois qui aurait fait une expérimentation de voyage dans le temps… » (167) Silveria était abattu : d’où venait cet avion ? Wang n’avait pas de théorie à lui proposer. Adrian avait suggéré d’enrichir l’équipe avec deux ou trois philosophes. Adrian avait proposé le Professeur Meredith Harper.

b. Peu avant vingt-trois heures, une fumée grise s’était élevée dans l’angle nord du hangar, suivie d’un cri « Au feu ! » A trente mètres de là, une porte de métal avait été forcée avec un pied-de-biche, le grillage avait été arraché et défoncé par un véhicule. Un passager s’était enfui et avait disparu dans la nuit.

c. A minuit, la liste de l’équipe multidisciplinaire avait été constituée : des prix Nobel, des Prix Abel, des médailles Field, lauréats ou potentiels. Une demi-heure plus tard, le FBI avait commencé à chercher tous ces scientifiques. Meredith avait ainsi revu Adrian qui lui expliqua la situation. Dans les cent six jours séparant les deux atterrissages une femme avait accouché et deux hommes étaient décédés parmi les deux cent trente passagers et les treize membres d’équipage. Le questionnaire s’était enrichi : on avait glissé des détails erronés pour susciter des réactions. Les mots « Boeing » et « McGuire » avaient été monitorés pour surveiller le web quand la crise exploserait. Pour l’instant, il n’y avait pas encore grand-chose. « Dieu risque d’être un problème » dit Pudlowski. Face à la flambée de la superstition, il fallait convoquer les leaders des cultes. Il fallait aussi trouver un code pour distinguer les gens du premier avion et ceux du second. Silveria proposa March et June.

d. Blake s’était enfui dans un vieux pick-up Ford F. Il n’avait pas remis son portable, il avait évité le contrôle d’ADN. Arrivé à New York à deux heures du matin, il avait jeté son passeport australien et brûlé le pick-up. Sur un journal, il avait stupéfait d’apprendre qu’on était le 24 juin. Il avait aussi appris qu’à Quogue un certain Franck Stone avait été assassiné. Ses codes bancaires avaient été changés. Sur son compte Facebook, il y avait, en date du 20 juin, un homme qui lui ressemblait avec un bandage au front, souvenir d’un accident de poney. Il avait pris un taxi pour JFK. Le vol New York-Bruxelles avait décollé à 6h15. A 21h, il était de retour en Europe d’où il prendrait un train pour Paris.

15. SEPT INTERVIEWS

a. Interview de David Markle June, réalisé par l’officier Charles Woodworth, le 25 juin 2021. David Markle avait répondu qu’il était né le 12 janvier 1973 à Peoria (et non à Chicago – erreur introduite dans le questionnaire), qu’il était américain et commandant de bord. Il avait travaillé pour Delta Airways en 1997 puis pour Air France en mars 2003, trois ans sur les courts courriers Airbus puis sur les longs courriers Airbus et enfin sur Boeing 787. Il avait décrit les turbulences de l’avion. On lui avait demandé de parler de son école primaire à Peoria, de son institutrice (Mme Pratchett) et s’il avait des problèmes de santé.

b. Interview d’André Frédéric Vannier June, réalisé par le Lieutenant Terry Klein, le 25 juin 2021. André Vannier avait répondu qu’il était né le 13 mai 1958 ; il occupait le siège K02 en Economy class dans la cabine 2. Vannier voulait avertir son associé, contacté le Quai d’Orsay, et notamment Armand Mélois. Il avait un chantier en cours à New York. On lui avait demandé de parler du vol et on l’avait interrogé sur ses problèmes de santé.

c. Interview de Sophia Taylor Kleffman June, réalisé par la Lieutenant Mary Tamas, le 25 juin 2021. Sophia avait confirmé qu’elle était née le 13 mai 2014, qu’elle occupait le siège F3 Economy class dans la cabine 1. L’officier avait essayé de la rassurer en lui proposant un petit-déjeuner, en lui promettant de lui rendre son iPad. Elle voulait bien un autre cadeau, une grenouille. On lui avait montré une photo sur laquelle elle avait reconnu ses amis d’école, Jenny, Andrew, Sarah… pour son septième anniversaire ! Elle avait parlé de Liam, son grand frère, de son papa qui était en Europe. Sophia avait pleuré et Mary lui avait proposé de faire un dessin. Quand l’interview avait repris, elle avait commenté son dessin : son père et elle, griffonnée, sa mère absente.

d. Interview de Joanna Sarah Woods June par le Lieutenant Damian Hepstein, le 25 juin 2021. Joanna Woods était née le 4 juin 1987 à Baltimore. Elle occupait le siège D2 en première classe mais elle avait refusé de donner son autorisation d’enregistrer et elle avait évoqué le quatrième amendement contre la détention arbitraire. Elle avait voulu appeler son cabinet et elle voulait collecter des éléments aux fins d’une action collective fédérale voire internationale. Quarante-sept passagers avaient déjà accepté.

e. Interview de Lucie Bogaert June par la Lieutenant Francesca Caro, le 25 juin 2021.  Lucie avait répondu qu’elle était née le 22 janvier 1989 à Montreuil (et non à Lyon !). Elle occupait le siège K03 en Economy class cabine 2. Elle était aux Etats-Unis pour raisons personnelles. Elle voulait absolument appeler son garçon de dix ans. On lui avait demandé de parler de son voyage, des turbulences.

f. Interview de Victor Serge Miesel June par l’Officier Frederic Kenneth White, le 25 juin 2021. Victor Miesel avait répondu qu’il était né le 3 juin 1977 à Lille (et non à Lorient), qu’il voyageait en Economy classe à la place L08 cabine 2. Il était venu aux États-Unis pour un prix de traduction pour un roman. On lui avait demandé de parler du voyage, des turbulences et s’il ne travaillait pas sur un livre dont le titre serait l’Anomalie ? Non pourquoi cette question avait-il répondu. On l’avait interrogé sur sa santé. Il avait évoqué le questionnaire de Rencontres du troisième type de Truffaut.

g. Interview de Femi Ahmed Kaduna June par Charles Woodworth, le 25 juin 2021. Slimboy était né le 19 novembre 1995, il était Nigérian. Avait occupé la place N04 en cabine 2 Economy class. Il était né à Lagos (et non à Ibadan). Il était venu en Amérique pour faire de la musique sous le nom de Slimboy. Les autres musiciens étaient déjà arrivés et ils devaient jouer à New York le lendemain à 22 h au Mercury Lounge. Woodworth lui avait écouter « Yaba girls ». Slimboy ne connaissait pas cette chanson mais la trouvait pas mal.

16. DESCARTES 2.0

Vendredi 25 juin 2021, salle d’hypothèses, McGuire Air Force Base. A 7h, Adrian et Tina étaient déjà entourés d’une quarantaine d’experts. On avait d’abord rappelé l’invraisemblable : « Ces gens dans le hangar sont bien les mêmes que ceux qui se sont posés cent six jours plus tôt, dans le même avion. » (193) Ricardo Bertoni, physicien nobélisable, n’en croyait pas ses yeux. A 9h, alors que Tina animait encore des réunions interdisciplinaires, Adrian était revenu vers la Task Force, accompagné de Meredith. Silveria l’avait averti que le président des États-Unis était en direct de Rio avec les ministres des Affaires étrangères et de la Sécurité nationale. Miller avait commencé l’exposé de ses dix hypothèses. Selon lui, sept étaient des plaisanteries, trois avaient retenu leur attention et l’une avait retenu l’adhésion de la majorité.

1. La première, la plus simple, fut expliquée par Meredith sous le nom de « TROU DE VER », en manipulant une feuille de papier pliée en deux et traversée par un crayon. « Le président américain reste bouche ouverte, présentant une forte ressemblance avec un gros mérou à perruque blonde. »  Meredith avait évoqué le pont Einstein-Rosen, un trou de ver de Lorentz à masse négative et Adrian avait illustré ses propos en citant Dune de Frank Herbert, Interstellar et Star Trek. « C’est comme si l’USS Entreprise surgissait en deux points de l’espace ».

2. La deuxième hypothèse était nommée « LA PHOTOCOPIEUSE ». Avec les progrès rapides de l’impression en 3D on pourrait bientôt scanner en une fraction de seconde et imprimer aussi vite un avion avec la précision de l’atome. Dans le cas d’une photocopie c’est toujours la copie qui sort de la machine. Miller hésitait à évoquer la dernière hypothèse car c’était la plus choquante. Le président osa : « vous voulez parler d’un acte de Dieu ? » Non, personne n’avait retenu cette hypothèse-là.

3. La troisième hypothèse avait été appelée « HYPOTHÈSE BOSTROM », du nom de Nick Bostrom, philosophe enseignant à Oxford au début du siècle. Miller avait laissé à Arch Wesley de l’université Columbia, le soin d’exposer cette théorie. « Nous ne sommes pas des êtres réels. Nous croyons être des humains alors que nous ne sommes que des programmes. Des programmes très évolués mais des programmes tout de même. » (200) Le président était agacé d’être comparé à une espèce de Super Mario. « Il est assez probable que nous fassions partie de ces consciences simulées » (201). « Autrement dit, le « Je pense donc je suis » du discours de la méthode de Descartes est obsolète. C’est plutôt : « Je pense donc je suis presque sûrement un programme. » Descartes 2.0 ». « Jusqu’à ce jour, j’estimais à une chance la probabilité que notre existence ne soit qu’un programme sur un disque dur. Avec cette « anomalie », j’en suis quasiment certain. ». « Nous sommes confrontés à un test. […] Et nous avons tout intérêt à le réussir […] parce que si nous échouons, les responsables de cette simulation pourraient bien tout éteindre. » (203)

17.TABLE 14

Vendredi 25 juin 2021, 8h30, hangar B, McGuire Air Force Base. Rencontre du troisième type, vraiment ?  Victor hésitait entre colère et fou rire. L’écrivain voulait consigner ce qui se passait dans le hangar. Il prenait des notes : Épuisement d’un lieu improbable. Non. Pourquoi marcher dans l’ombre de Perec ? Pourquoi chercher une figure tutélaire ? Il écrivait mécaniquement, se moquant bien qu’une prose flamboyante jaillisse d’un seul « déplacement sur la page ». Il ne croyait pas à cet être « puissant face à la phrase », il se méfiait des métaphores. Combien de récits ferait-il ?

A la table 14, il y avait quelques passagers : le commandant de bord qui lui rappelait son père, il n’avait plus aucun pouvoir au sol ; un guitariste nigérian qui jouaient quelques accords ; une jeune femme répétant du Shakespeare pour une audition prochaine ; l’avocate qui avait déjà rassemblé cinquante signatures ; la mère de l’enfant et épouse d’un soldat ; une jeune femme, la trentaine, qui lui rappelait la fille croisée aux assises de la traduction ; elle était accompagnée d’un homme, la soixantaine élégante, un architecte.

18. E PUR, SI MUOVE

Samedi 26 juin 2021, 9h30, Maison Blanche, Washington. Jamy Pudlowski et son équipe avaient réuni une douzaine de religieux, tous persuadés d’être nés dans la bonne religion : deux cardinaux, deux rabbins (un traditionaliste et un libéral), un pope orthodoxe, un pasteur luthérien, un autre baptiste, un apôtre mormon, trois doctes musulmans (issus du sunnisme, du salafisme et du chiisme) un moine bouddhiste vajrayāna et un autre mahayana. Jamy Pudlowski était né en 1960 d’une mère, doctoresse ashkénaze de Boston et d’un policier goy de Baltimore catholique. Entre les grands-parents juifs et allemands côté mère, catholiques et polonais, côté père cela avait été l’incompréhension. Jamy était devenue sceptique avant d’être rétive à toute forme de conviction religieuse. Elle n’avait d’ailleurs pas plus de conviction politique. Lors de son entretien d’embauche, elle avait affirmé être athée. Six ans plus tard, elle dirigeait un département des Opérations psychologiques de la CIA avant de prendre ses fonctions au sein du SOC. Jamy s’était spécialisée dans les questions religieuses et elle avait appris à connaître tous les hommes présents dans cette salle. Elle avait ainsi lancé la conversation sur la possibilité d’imprimer en 3D de la matière organique. Une telle créature était-elle d’origine divine ou satanique ? La discussion s’était animée à grands renforts de références théologiques. Puis, il avait été question de l’âme. Au bout de deux heures de débats animés, rien n’avait été réglé. Pudlowski y avait mis un terme. Il fallait au moins s’accorder sur une déclaration commune pour protéger cette personne contre tout acte criminel guidé par une mauvaise lecture des textes sacrés. Finalement, Jamy leur avait avoué qu’il n’y avait pas un seul être dupliqué mais deux cent quarante-trois. Elle leur avait donné rendez-vous pour le lendemain.

19. HANGAR

Samedi 26 juin 2021, hangar B, McGuire Air Force Base. Silveria était surpris qu’on danse dans le hangar. C’est une bonne initiative avait dit Jamy. Cela contribuerait à faire baisser la tension. Le général n’avait pas dansé depuis le mariage de sa fille Gina. Il avait voulu être médecin, comédien, faire des études de physique. Mais il n’avait pas eu de bourse pour Lawrence University, son père était mort d’une leucémie et Myra l’avait quitté. Alors il avait passé l’examen de West Point. Lors de l’offensive d’avril 2003, il avait descendu un Mig- 25 au-dessus de Mossoul. Mitnick l’avertit de la présence d’une avocate parmi les passagers et il lui rappela la mise à jour des informations sur les tablettes. Le général en profita pour lui demander des nouvelles du fuyard. On savait seulement qu’il avait embarqué à Paris sous le nom de Michaël Weber, identité usurpée, avec un passeport australien. Il avait occupé le siège 30E mais on n’avait aucune image de lui. Les images de Charles de Gaulle avaient été effacées. On n’avait retrouvé aucune empreinte dans le hangar.

             20. LES QUESTIONS DE MEREDITH

Samedi 26 juin 2021, 7h30, McGuire Air Force Base. « Je refuse d’être un programme », pestait Meredith. Adrian lui tendit le troisième café de la journée. Il devait affronter un flot de questions sur la programmation. L’idée d’une simulation, Adrian la détestait en disciple de Karl Popper pour qui une théorie n’avait aucun caractère scientifique si rien ne pouvait la réfuter. Mais il avait beau retourner la question dans tous les sens : l’apparition de l’appareil ne pouvait pas être un cafouillage de la simulation. Meredith poursuivait son lamento. Quelle perversité d’avoir simulé des êtres idiots et des génies, des crimes contre l’humanité ! Une fausse vie existait-elle encore après notre fausse mort ? Meredith ne décolérait pas contre cette théorie de la simulation. Et qu’est-ce que cela changerait dans leurs relations. Elle se mit à chanter : « I can be no simulation ». Il l’attira à elle et l’embrassa. Mais ils furent interrompus par Silveria qui vint les avertir qu’un hélicoptère attendait Miller pour le conduire à la Maison Blanche.

21. QUELQUES PRÉSIDENTS

Samedi 26 juin 2021, 11h, West Wing, Maison Blanche, Washington. Le président était excité dans le bureau ovale. Quatre personnes attendaient dans leur fauteuil : le conseiller spécial, le secrétaire d’État des États-Unis, une conseillère scientifique et Adrian Miller. Malgré que les États-Unis retinssent soixante-sept ressortissants français d’un vol Air France, le président n’avait pas envie d’appeler le président français. Il voulait d’abord parler à Xi Jinping : « Il y a deux jours, un avion d’Air France s’est posé sur notre territoire. C’est un avion qui s’est posé il y a trois mois déjà. » (245) Puis, le président avait passé le combiné à Miller pour qu’il continuât l’explication. Il répondit à toutes les questions sur le cumulonimbus, l’ADN, les passagers, les conditions de rétention, les hypothèses. Xi Jinping avait exigé la liste des citoyens chinois retenus en Amérique. Il la connaissait déjà évidemment. La conversation avait pris fin. « Ils sont sûrement déjà en train d’aller arrêter les « doubles » de tous les citoyens », réfléchit à voix haute le secrétaire d’État. Mais déjà on avertissait le président américain que Macron serait bientôt en ligne. « J’ai du mal avec les Français et avec ce type en particulier. Bon, Jennifer, passez-moi ce petit connard arrogant » (247). A Pékin, Xi Jinping pouvait observer ce qui se passait autour du hangar grâce aux nouveaux satellites Yaogan 30-06 déployés autour du globe. « Ils sont dans la même merde que nous en avril dernier avec le vol Beijin-Shenzen de janvier. Ils détiennent deux cent quarante-trois personnes sur la côte Est. […] Ils étaient trois cent vingt-deux dans l’Airbus. La plupart sont toujours sur la base militaire aérienne de Huiyang ». Le président chinois ne jugeait pas urgent d’avertir les Américains de l’existence de ce vol. D’ailleurs, ils n’avaient pas réclamé les quinze Américains à bord. Dans le couloir de la Maison Blanche, le chef du protocole avait rattrapé Miller et lui avait rendu son t-shirt lavé et recousu et lui avait donné un sweat-shirt au logo de la Maison Blanche.

             22. THE PEOPLE HAVE THE RIGHT TO KNOW

Article du New York Times, date du dimanche 27 juin 2021

CONTRE L’ÉVIDENCE, L’USAF NIE RETENIR UN AVION DE LIGNE FRANÇAIS ET SES PASSAGERS SUR LA BASE DE MCGUIRE.

            a. Jeudi, en début de soirée, un Boeing 787 d’Air France a été contraint de se poser sur la base McGuire. Les passagers et l’équipage seraient maintenus au secret dans un bâtiment. Aucune explication n’a été fournie.  John et Judith Madderick, retraités dînaient dans leur jardin de Cookstown (New Jersey) quand un avion de ligne, accompagné de deux chasseurs, a atterri sur la base. C’est la première fois qu’ils voyaient un avion civil sur cette base. D’autres témoins ont confirmé qu’il s’agissait d’un avion d’Air France. Andrew Wiley, porte-parole de l’armée de l’air, a nié toute rétention d’informations mais a confirmé que la base était bouclée et que les soldats de la 86e brigade d’infanterie avaient été mobilisés. Toute visite est interdite et des blindés ont été disposés aux points de passage. Selon une source au contrôle aérien de Kennedy Airport, un Boeing ayant subi une avarie est entré dans l’espace aérien et a donné un code erroné. L’appareil a été détourné avec plus de deux cents passagers. Sur la base où d’importants mouvements ont été observés. De son côté, Air France, par son porte-parole François Bertrand, a fait savoir qu’aucun de ses appareils n’avait disparu. Boeing n’a pas non plus signalé de disparition d’appareil. Les références du 787 sont pourtant celles d’un avion affecté à la ligne Paris- New York. La compagnie reconnaît l’immobilisation d’un Boeing portant le même numéro mis sous séquestre à Kennedy Airport. Le mystère demeure donc sur l’identité de l’avion de McGuire. Jenna White, directrice de la communication de la Maison Blanche a affirmé qu’aucun ressortissant étranger n’était détenu. Et l’ambassade de France a contesté que des nationaux soient retenus. Anja Stein

            b. Samedi 26 juin 2021, McGuire Air Force Base. Le général Silveria regardait sur son écran l’article qui serait mis en ligne dans une heure et dont la NSA lui offrait la primeur. Il y avait déjà cinq cents références sur internet malgré les interventions des autorités pour tout effacer. Silveria regrettait cependant le manque de discrétion du FBI et de la NSA. Il fallait préparer les passagers à rencontrer leurs doubles. CNN, CBS et FOX avaient envoyé des équipes. Sur CBS Evening News, Elaine Quijano venait de réunir un rabbin et un pasteur comme invités en fin de journal. Ils avaient révélé que la Maison Blanche avait convoqué des représentants religieux pour débattre de la « nature de l’âme. ». Pudlowski soupçonnait le rabbin libéral d’avoir parlé. De son côté, NBC venait d’annoncer que plusieurs scientifiques manquaient à l’appel : « Le journaliste a deux ennemis : la censure et l’information », dit Mitnick Les confrontations entre les passagers de mars et de juin commenceraient donc dès que possible. Anja Stein

III. La chanson du néant (après le 26 juin 2021)

« Aucun auteur n’écrit le livre du lecteur, aucun lecteur ne lit le livre de l’auteur. Le point final, à la limite, peut leur être commun. » L’anomalie, Victør Miesel

             23. RENCONTRE DU DEUXIÈME TYPE

a. Dimanche 27 juin 2021, rue La Fayette, Paris. Blake s’était réveillé ligoté, bâillonné et nu. Il était chez lui, rue La Fayette, il reconnaissait ses biens. Il se souvenait à peine d’avoir ressenti une piqûre en entrant dans le deux- pièces. Toute la pièce était bâchée de plastique. Blake June observait son prisonnier Blake March, cela faisait trois jours qu’il réfléchissait. « Je suis toi, tu es moi. Ça fait beaucoup, on ne peut être deux. » (262) Il voulait d’abord lui soutirer ses codes de banque à la First Carribean Investment Trust et à la Latvijas International Bank. Après avoir obtenu satisfaction, Blake June s’était débarrassé de Blake March. Puis il s’était fait une entaille pour simuler le coup de sabot du poney.

b. Lundi 28 juin 2021, 21h55, palais de l’Élysée, Paris. La cheffe de la communication avait averti le président français que tout était prêt pour son intervention. Mais Grimal, le sous-directeur du contre-espionnage avait une information urgente pour Emmanuel Macron. Dix jours plus tôt, lors de la révision d’un Airbus à Dubaï, les mécaniciens avaient trouvé une pièce de voilure portant le même numéro de série que celle qui équipait un avion affecté à une ligne intérieure chinoise, la Beijin-Shenzhen. Sur cette ligne, les satellites avaient repéré une anomalie de trafic : un appareil inconnu avait été redirigé vers la base militaire de Huiyang. « Les Chinois aussi ont eu droit à un avion, comme dire dupliqué… Et ils l’ont entièrement désossé et recyclé les pièces… » Ils n’avaient aucune information sur les passagers et l’équipage. Les Américains n’étaient pas au courant. La cheffe de communication avait rappelé au président qu’il devait commencer.

Le président s’était adressé aux Français pour les avertir qu’un avion avait surgi dans le ciel au large de la côte Est des Etats-Unis. Et bien vite il avait passé la parole à son conseiller scientifique (Cédric Villani) qui avait présenté les hypothèses et envoyé au site de l’Élysée. Puis le président avait repris la parole pour rassurer ses concitoyens : « C’est en soi et en soi seul que chacun trouvera des réponses. » (270)

Chez Jo, la réaction de Flora avait été à l’image de la stupéfaction générale : « C’est dingue. Tu imagines, Jo, si tu étais dédoublé ? »

24. UN HOMME REGARDE UNE FEMME

Lundi 28 juin 2021, hangar B, McGuire Air Force Base. Jamy Pudlowski avait salué André Vannier et lui avait rappelé la situation des deux avions et les hypothèses. Le cabinet Vannier & Edelman avait candidaté pour le siège du nouveau FBI à Washington. A cette époque, les Américains ignoraient que Vannier connaissait Mélois, le directeur du contre-espionnage : « Avec un tel ami jamais vous n’auriez remporté le siège ». Vannier et lui s’étaient connus sur les bancs de la même école, l’un s’était orienté vers l’architecture, l’autre vers la diplomatie. Puis Pudlowski lui avait montré le dispositif d’écrans et de caméra et l’autre André, le « June » était apparu. Une manipulation supplémentaire avait fait apparaître Lucie sur la seconde moitié de l’écran. Lucie et « lui » étaient maintenant assis à une table et on les entendait parler. Pudlowski avait laissé André regarder son double. Au bout de dix minutes, un agent avait demandé à Vannier de le suivre. C’est là qu’André March avait aperçu un homme en train d’annoter un carnet noir : André l’avait reconnu et il restait stupéfait : c’était ce Victor Miesel, censé être mort.

Jamy Pudlowski était revenue, accompagnée de Jacques Liévin, attaché commercial au consulat. Un avion militaire se poserait bientôt avec une vingtaine d’agents français et M. Mélois. Tous les Français devaient repartir avec lui. Pudlowski voulait maintenant passer à la rencontre entre les « deux » Vannier. Ils étaient habillés pareil sauf les chaussures. André June demanda si Jeanne était déjà au courant. Pas encore. Puis il parla de Lucie : André March annonça à son double qu’elle l’avait quitté. Il fut ensuite question du chantier de Mumbai. C’est André June qui retournerait sur le chantier dit le double. André March, lui, achèterait ce vieux relais de poste à Montjoux.

25. LE MONDE DES SOPHIA

a. Lundi 28 juin 2021, Clyde Tolson Resort, annexe du FBI. L’agent spécial Julius Walker et l’agent senior Gloria Lopez avaient confié aux aspirants Jonathan Wayne et Anna Steinbeck la mission périlleuse de récupérer Betty la grenouille et de la ramener dans son vivarium. Deux heures plus tard, la mission avait été accomplie. Sophia March et Sophia June jouaient sur le sol. Sur la tour Eiffel du vivarium, on avait installé un micro. Sophia March avait bien compris qu’elle était la seule à savoir ce qui s’était passé lors de ces derniers mois. Alors, Sophia June avait lancé, comme un défi : « A toi aussi, papa t’a fait jurer de ne pas dire quelque chose à personne, et surtout pas à maman ? » (286) Les deux pédopsychiatres vigilants, attendaient cet instant. « Tu n’as pas le droit d’en parler ! » avait crié Sophia March. Elle lui demandait de se taire. L’un des psys avait alors proposé à Sophia June d’aller se promener.

b. Le secret, c’était Paris. Sophie n’avait pas aimé. D’abord, elle s’inquiétait pour Betty. Quand Liam avait pris les bateaux-mouches ou quand il était monté à la Tour Eiffel, son père avait tenu à ce qu’elle reste à l’hôtel. Chaque fois, il l’avait forcé à prendre un bain et il avait abusé d’elle. Plus tard, en mai, quand son père était revenu d’Irak, cela avait recommencé.

26. SLIMBOYS

a. Lundi 28 juin 2021, Stratford Road, Kensington, Royaume-Uni. Slimboy ne décolérait pas. A Lagos, il avait accepté d’embarquer dans un jet privé pour l’Angleterre car il devait rencontrer Elton John pour enregistrer un duo. Mais John Gray, l’agent du MI6 avait d’autres intentions. Il allait rencontrer son double. Slimboy entra dans la pièce. Slimboy s’assit. Après le meurtre de tom, Slimboy June s’était tranché les veines. Sa mère l’avait sauvé. Il lui restait une cicatrice. Et Slimboy March parla de « Yaba girls », de ses duos avec Drake, Eminem, Beyoncé, de son rôle dans Wedding in Lagos, d’un nouveau contrat avec Sony, de son nouveau sponsor, de son nouveau label RealSlim Entertainment. Slimboy June n’était pas jaloux. Il avait écrit dans le hangar « Beautiful Men in uniforms ». Ils s’étaient mis à chanter ensemble. Il suffirait de dire qu’ils étaient jumeaux même si en Afrique les jumeaux étaient souvent voués aux gémonies. Mais ils transformeraient la malédiction en culte. Ils s’appelleraient Slimboys. A ce moment-là, une limousine s’était arrêtée près de la maison : c’était Elton.

b. The Guardian, Lagos Edition, vendredi 2 juillet 2021.

DE SLIMBOY À SLIMMEN

Grâce à une lettre posthume que lui a laissée sa mère, on apprend que Slimboy a un frère jumeau ! Elle l’avait abandonné à la naissance dans un orphelinat. Slimboy est parti à sa recherche en confiant l’enquête à Adawele Shehu, spécialiste de recherche des personnes disparues. Il a fallu quatre mois pour identifier ce frère disparu. Femi Ahmed Kaduna a donc un frère Sam, lui aussi brillant musicien. Il vivait à Ojodu. Ils vont désormais entamer une tournée commune sous le nom de Slimmen.

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