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28 juin 2023 3 28 /06 /juin /2023 09:46

L’ANOMALIE d’Hervé Le Tellier, Folio, Gallimard 2020. (références du résumé Folio n°7096)

             27. SAME PLAYER DIES AGAIN

a. Lundi 28 juin 2021, Mount Sinai Hospital, New York.  David Markle ne souffrait pas, grâce à sa dose de morphine. Il dormait d’épuisement dans sa chambre de soins palliatifs. Jody était rentrée se reposer. Grace et Benjamin étaient à l’école. Paul était là, suite à une convocation du FBI. A son arrivée à l’hôpital, une officière du Bureau lui avait expliqué. On avait conduit David à l’étage dans une zone placée sous surveillance militaire et on avait évacué tout le personnel. En voyant un homme accompagné de deux agents, il avait manqué tressaillir. Paul avait regardé son frère Paul, puis l’autre David qui mourait dans ce lit. L’homme du FBI avait averti David que des agents étaient allés prévenir sa femme. David et Paul étaient alors sortis et Paul lui avait parlé du cancer du pancréas diagnostiqué en mai. David June avait posé les mêmes questions que David March sur le temps qui lui restait à vivre.

b. Jody était venu dans un jardin japonais avec Paul et un agent du Bureau. David l’avait vu se figer, comme frappée par la foudre. Pourquoi était-il revenu ? Elle éprouvait une seconde douleur, entre colère et répulsion. Elle ne voulait pas que les enfants enterrent leur père une deuxième fois. Paul avait les larmes aux yeux.

           28. WOODS VS WASSERMAN

Lundi 28 juin 2021, Carroll Street, Brooklyn. Ils étaient cinq dans le grand atelier d’Aby Wasserman : les psys du FBI, les deux Joanna et aby hébété. Aby était assis à côté de sa Joanna, l’autre était en détresse. Les deux femmes étaient allées sur le balcon et avaient évoqué les souvenirs d’enfance de Joanna.  Aby regardait son tatouage sur son poignet : deux palmiers sur une dune, hommage à son grand-père ; enfant il avait vu le mot OASIS sur l’avant-bras du vieillard, un porte-bonheur, ein Glücksbringer, jusqu’au jour où son grand-père lui avait dit, quand il avait onze ans, que ce n’était pas OASIS qu’il avait cru lire mais 51540 son numéro de déporté à Auschwitz. Au lendemain de la mort du vieil homme, Aby avait fait dessiner cette oasis sur sa peau.

« On s’est mariés, alors ? et on vit ici ? » avait demandé Joanna June. « Comment était notre mariage ? » Elle pensait au procès de Martin Guerre. Et Joanna June avait parlé d’Ellen., de sa maladie Joanna March avait expliqué qu’elle avait pris un poste chez Denon & Lovell, en charge du procès de l’heptachloran. « C’est affreux, dit Aby. Je ne vous aime pas toutes les deux. J’aime une seule femme, qui s’appelle Joanna. » (309)

29. UN ENFANT, DEUX MAMANS

Mardi 29 juin 2021, rue Murillo, Paris. Le psyOp avait communiqué aux pays alliés son protocole de suivi. Mais le cérémonial ne réglait rien : dans cet hôtel particulier parisien conservé par le SDECE, l’agressivité entre les deux Lucie avait été immédiate. Une guerre totale. Les psys s’y étaient préparés. Lucie n’avait pas voulu partager Louis avec le père. Elle ne voudrait pas le partager avec une autre femme. Le jeune homme du ministère de l’Intérieur ne savait pas comment régler la situation. Lucie June qui observait Lucie March pensait aussi à Raphaël, un cameraman rencontré un an plus tôt sur un tournage. Elle l’appelait de temps pour une relation sexuelle rapide et sans amour. Il en voulait plus mais elle avait répondu : « Raphaël, ce n’est pas aimer, ce n’est rien, ça, rien du tout. C’est de la chimie, c’est de l’arnaque. » Il avait été humilié. Lucie June avait cru qu’elle n’aurait jamais honte de cette mascarade mais face à cette autre, elle était soudain glacée de dégoût. Selon la psy, c’était à Louis de décider s’il voulait voir ses deux mamans. « C’est trop bizarre ! » avait répondu l’enfant. Sa maman préférée était celle d’il y a trois mois qui appelait André chaque soir et le confiait à sa grand-mère. Il lui avait appris à jouer à Donjons & Dragons et des énigmes et des devinettes. « Pour savoir avec quelle maman je reste, je pourrais jeter les dés », avait suggéré Louis. La psychologue avait trouvé l’idée excellente.

30. PORTRAIT DE VICTOR MIESEL EN REVENANT

a.Mardi 29 juin 2021, falaise d’Yport, Normandie. Victor était en Normandie. C’est là qu’avaient été dispersées les cendres d’un autre Victor Miesel. Le héros de son premier roman, Les montagnes viendront nous trouver, avait choisi d’y venir mourir volontairement. Clémence Balmer avait choisi ce lieu. Maintenant, elle était troublée. Victor était de retour. Tôt le matin, un Airbus de l’armée l’avait ramené sur la base d’Evreux-Fauville. Il avait été le premier à être libéré : il n’y avait aucun risque de confrontation avec son double. Joséphine Mikaleff, la psychologue, ne pouvait qu’improviser. Ils étaient montés dans une Peugeot conduite par un homme du SDLP et s’étaient dirigés vers Étretat. Clémence venait de vivre deux mois atroces. La liste des passagers resterait secrète, assurait Mikaleff. Miesel, lui, ne pouvait disparaître. Il était trop connu. Le matin, à la base d’Évreux, Victor avait lu L’Anomalie ; il ne s’y était pas retrouvé. Il ne comprenait pas l’enthousiasme : « C’est du Jankélévitch sous LSD. Un autre moi. Je n’en avais pas écrit une ligne avant mon départ pour New York. » (326) Clémence lui assura qu’il avait vendu deux cent mille exemplaires. Il faudrait maintenant annoncer sa résurrection.  Clémence lui parla de Livio Salerno et d’Ilena. Victor se rappelait le jour de leur rupture : elle lui avait annoncé qu’elle avait un amant avant d’ajouter : « Tu me fais pitié. »  Victor voulait rentrer chez lui. Une chambre lui avait été réservée à Levallois dans les locaux du contre-espionnage. Le gouvernement faisait le nécessaire pour récupérer ses biens. On lui posait des questions : qu’est-ce qui avait pu conduire l’autre Victor à se donner la mort ?  Le titre de L’anomalie était-il l’anagramme de « Amo Ilena L. » (« J’aime Ilena L. ») ? Victor avait éclaté de rire. Clémence remit à Victor une enveloppe contenant son portable, ses clés et une briquette lego rouge. De sa poche, il sortit la briquette jumelle.

b. Mercredi 30 juin 2021, salon du Lutetia, Paris. Clémence avait convoqué la presse. Il y avait foule. Victor se tenait en retrait dans une petite pièce. Il avait droit au 20h et aux reporters d’actualité plutôt qu’aux journalistes littéraires. Jean Rigal lui demanda si le livre contenait la clé de ce qui était arrivé dans l’avion. S’agissait-il d’une simulation ? Victor n’en savait rien. Pourquoi avait-il accepté de vivre au grand jour alors que tous les autres passagers refusaient de révéler leur identité. « Pensez-vous avoir ressenti le moment exact que certains appellent la « divergence » ou même parfois « l’anomalie » ? Clémence désespérait du show de Victor. Quelles étaient les raisons du suicide de votre « double » ? Quels étaient ses rapports avec Ilena Leskova ? Puis ce fut au tour d’Anne Vasseur du Time Literary Supplement d’intervenir : elle lui demanda s’il travaillait sur un autre livre. C’était la jeune femme des Assises d’Arles ! « Il s’appellera Ascot, ou le Retour de la crème anglaise ». Andrea Hilfinger du Frankfurter Allgemeine lui avait encore posé une question sur les États-Unis.

            31. LE NIGHT SHOW

Mardi 29 juin 2021, Ed Sullivan Theater, New York. Stephen Colbert avait accueilli Adriana Becker sur le plateau du Late Show de CBS et présenté cette jeune femme de vingt ans, vue dans Roméo et Juliette au Sandra Feinstein-Gamm Theater de Warwick, Rhode Island et qui jouerait prochainement dans Désirs sous les ormes d’Eugene O’Neill. Puis, tout aussi vite, il avait appelé une seconde Adriana Becker qui avait jailli de derrière le rideau, vêtue comme la première à l’exception d’un pull de couleur rouge. La réalisatrice du show exultait. Colbert distinguerait désormais Adriana June, la rouge et Adriana March, la bleue selon la terminologie du FBI. Adriana June n’avait pas joué Juliette parce que la pièce avait eu lieu en mai. Le FBI était venu chercher Adriana March chez ses parents à Edison dans le New Jersey, on l’avait conduite à la base en hélicoptère, accompagnée d’un psychologue. Elle avait mis quelque temps à comprendre qu’elle était en face … d’elle-même. A son tour, Adriana June avait raconté ce qui s’était passé, le vol, la rétention dans le hangar, la rencontre avec son double. Les deux Adriana étaient les seules à connaître un détail : ce qui s’était passé le soir du Nouvel An avec leur frère. Adriana June était maintenant installée dans la chambre de son frère Oscar, étudiant à Duke. La mère se demandait s’il n’y avait pas une « fausse » Adriana, le père s’était enfermé dans le mutisme. Colbert leur avait demandé comment ça se passait entre elles. Elles ne se sentaient pas rivales. June était encore célibataire, Adriana March, elle, avait entamé une relation avec Nolan, son partenaire de Roméo et Juliette, il jouait le rôle de Mercutio. A ce moment-là, Colbert avait fait entrer Nolan sur le plateau. En régie, cependant, l’inquiétude s’installait.

Dès les alertes des réseaux sociaux, des dizaines de chrétiens fanatiques avaient convergé vers le siège et, depuis dix minutes, ils en faisaient le siège. Les manifestants hurlaient : « Vade retro », « Fille de l’enfer », « Satan vous a faites », « Blasphème ». Ils considéraient que les doubles étaient damnés à cause du Xe commandement.  Soudain, un cocktail Molotov avait volé et s’était fracassé sur l’entrée du théâtre. Les agents du théâtre avaient éteint l’incendie, les policiers avaient repoussé les manifestants, la foule surexcitée avait grossi. L’émission touchait à sa fin mais Colbert conseilla au public de rester dans la salle. Il posa une dernière question aux deux jeunes femmes : « Le FBI vous a déjà prévenues du danger du fanatisme religieux. Il y a eu des déclarations de la part de responsables de congrégations où vous êtes qualifiées, l’une comme l’autre, d’ailleurs de créatures sataniques, d’« abominations ». » Les jeunes femmes avaient reconnu qu’elles avaient reçu des centaines de menaces de mort.  Adriana June avoua qu’elle avait peur ; ce qui leur était arrivé aurait pu arriver à n’importe qui. Les gens ne devaient pas avoir peur d’elles. « Nous avons besoin de l’amour de tous ceux qui nous sont proches ». Elles avaient terminé le show en interprétant en duo The Girl from Ipamena.

32. LA VOIX DE JACOB EVANS

Mardi 29 juin 2021, 23h, Ed Sullivan Theater, New York. Né dans la foi du Christ, Jacob Evans, né à Scottsville, Virginie, était convaincu que sa main était guidée par dieu. Dès le premier jour, lui et ses frères de l’Armée du Septième jour s’étaient réunis dans une église baptiste, ils avaient écouté le révérend Roberts parler des créatures de Satan qui avaient offensé Dieu. Ils avaient reconnu l’orage et l’avion pris dans la tempête sacrée que le Seigneur avait mise sur leur chemin. Tous les hommes de cet avion, selon eux, avaient blasphémé Dieu. L’extase avait parcouru le corps de Jacob Evans. Il ne s’intéressait pas aux différentes explications scientifiques mais n’était préoccupé que par le salut dans la gloire du Seigneur. Evans et les autres membres de l’Armée du septième jour avaient roulé sept heures dans un cortège de voitures. Ils avaient crié la colère de Dieu devant la base militaire mais avaient été repoussés par les soldats. Puis, ils avaient conflué vers le théâtre de CBS et ils étaient descendus à la station 50th Street. La police avait bloqué l’accès. A minuit, une première bouteille enflammée s’était écrasée sur la façade et avait provoqué un court-circuit. Evans avait vu sortir une limousine noire et il avait aperçu les deux femmes. Il avait sorti un Grendel P30 de sa poche et avait tiré à plusieurs reprises. On s’était jeté sur lui et on lui avait mis les menottes.

33. EFFACEMENTS

a. Mercredi 30 juin 2021, Clyde Tolson Resort, New York. Sur les chaînes d’info en continu, on diffusait maintenant en boucle le double assassinat. A 1h du matin, Stephen Colbert avait convoqué sur son plateau des spécialistes du fait religieux, sur Hope Channel les prêches dénonçaient la vénération des faux prophètes, sur Fox, des télévangélistes dénonçaient le crime mais parlaient de fin du monde. Un sondage Gallup parlait de la fin des temps et la foule affluait dans les lieux de culte. Jamy Pudlowski était en colère : il fallait absolument garantir l’anonymat des passagers. Elle avait bien dit que Dieu serait un problème. On connut une vague de suicides. Les thèses complotistes avaient la cote, les partisans de la Terre plate y voyaient une confirmation de leurs convictions. On évoquait aussi les extra-terrestres. Tomi Jin, une influenceuse venait de publier un post « 1, 2, 1000 Adriana » qui devenait viral. On avait imprimé des t-shirts « Stimulate me, don’t simulate me », « I’m a program, reset me », « I’m 1, U are 2, we are free ». Les humoristes s’en mêlaient. Et même Hillary Clinton.

b. Des milliers de chercheurs spéculaient sur « LA PHOTOCOPIEUSE » et le « TROU DE VER ». « Tant pis si la théorie la plus simple est aussi la plus cinglée ». Les astrophysiciens, les agences spatiales, les théoriciens des particules, les biologistes n’aimaient guère la simulation. Tous ces scientifiques se livraient pourtant chacun à leur manière à des simulations avec leurs supercalculateurs. Ce mercredi matin, on avait commencé l’opération « Hermès ». Le moment était venu de l’évanouissement. On avait fait disparaître toute trace du vol.

c. Mercredi 30 juin 2021, Studio 4, esplanade Henri-de-France, Paris. « La vérité est que le monde entre en quelques heures dans une vacuité de sens ». Partout dans le monde, les talk-shows se multipliaient, et surtout en France, « ce pays à la concentration en philosophes médiatiques légendaire ». Philomède s’était ainsi retrouvé sur un plateau avec Victor Miesel. « Il n’y a pas de différence entre penser et croire penser, et donc entre croire exister et exister », avait dit Philomède qui se déclarait matérialiste, « Mes actes ont les mêmes conséquences que mon monde soit virtuel ou réel ». (366). On avait interrogé Miesel sur le destin des passagers dédoublés. Dans le public, Anne Vasseur s’amusait. A Arles, elle avait fui. Puis elle avait vu cette « résurrection » comme un signe. « Je n’aurais pas longtemps une sensation d’irréalité, avait ajouté Philomède. Si je doutais d’exister, il me suffirait de me pincer. » On les avait interrogés sur une déclaration du pape. Pour Victor, rien n’allait changer. « Il n’y aura pas de sauveur suprême. Il faut nous sauver nous-mêmes ». (372)

34. TROIS LETTRES, DEUX MAILS, UNE CHANSON, ZÉRO ABSOLU

a. Samedi 10 juillet 2021, Carroll Street, Brooklyn

L’adresse sur l’enveloppe mentionnait « Aby et Joanna Wasserman », et Joanna reconnut sa propre écriture. A l’intérieur, ils y découvrirent une feuille pliée en quatre et deux autres lettres cachetées.

            Sur la feuille, l’auteur annonçait une lettre pour Joanna et une autre pour Aby. Comme eux, il avait cherché des réponses. Dans L’Anomalie, il y avait cette phrase : « On doit tuer le passé pour le rendre encore possible ». Ils avaient voulu que le passé ressuscite, gagné le chalet du Vermont où ils avaient décidé d’avoir un enfant. Mais Aby allait sans joie sur ce sentier. Elle était partie. « Joanna, toi qui portes l’enfant d’Aby, tu te doutais que je serais la première à céder. » (374) A New York, elle avait contacté Jamy Pudlowski. Le FBI lui avait fabriqué une nouvelle identité sous le nom de Joanna Ashbury, elle travaillerait désormais à la direction du service juridique du FBI. Le Bureau avait accepté de prendre en charge le traitement d’Ellen. Elle conseillait à Joanna de ne pas lâcher son poste chez Denton & Lovell.

            Lettre pour Joanna. Joanna Ashbury écrivait à Joanna Wasserman en lui parlant de l’écrivain Ashbery et du peintre Parmigianino. Elle parlait de son rêve : Joanna W. mourrait dans le chalet du Vermont et Joanna A. reprenait sa vie d’avant. A l’aube, elle l’avait vue et elle avait compris qu’elle venait de l’assassiner. Elle avait alors décidé de partir.

Lettre pour Aby. Elle n’aimait que lui, mais elle devait partir.

b. La veille, Clyde Tolson Resort, New York. Pudlowski avait demandé à Joanna si elle allait. Non, elle n’allait pas. Elle avait écrit des lettres. Pour quitter celui qu’elle aimait, il fallait déconstruire le monde.

c. Mail de andre.vannier à andre.j.vannier, 1er juillet 2021, 9h43. Objet : rupture. Il restait dans la Drôme, l’autre pouvait rester à Paris. Il lui envoyait la totalité des mails de Lucie depuis le retour de New York. Il n’était pas son ennemi.

Mail de andre.j.vannier à lucie.bogaert, 1er juillet 2021, 17h08. Objet : toi et moi et moi et toi. Il avait ajouté le j pour juin dans cette nouvelle adresse. Il avait lu tous les mails et avait compris ce qui leur est arrivé. « On a rarement l’occasion de sauver un amour avant même qu’il soit menacé ».

GHOST’S SONG, de Fami Taiwo Kaduna & Sam Kehinde Chukwueze

d. Jeudi 1er juillet 2021, Clyde Tolson Resort, New York. Jamy avait fait entendre l’enregistrement à Avril Kleffman. Pouvoir en parler était la meilleure chose qui puisse arriver à Sophia. Quant à son mari, il allait passer en jugement. Car depuis Paris, Sophia avait subi des attouchements à leur domicile. Dans l’état de New York, la peine encourue pour ce crime était de dix à vingt-cinq ans. Avril et ses enfants pourraient changer de nom et d’état. Ils bénéficieraient d’une aide médicale et psychologique.

35. LE DERNIER MOT

21 octobre 2021, 13h42. Trois fois le pilote du Super Hornet avait fait répéter l’ordre. La décision devait être prise dans le « Tank », la salle sacrée du pentagone, Room 2E924. L’AIM120 avait déclenché sa fusée. La cible était à quinze secondes.

A Paris, au Luxembourg, Victor et Anne prenait un café. Victor se sentait vivant. Il mettait la dernière main au récit racontant l’avion. Il n’avait retenu que onze personnages et avait commencé son roman par un pastiche à la Mickey Spillane.

A six mille kilomètres de là, au Mount Sinai Hospital, Jody perdait David pour la deuxième fois. Depuis quatre jours, il était en sédation profonde.

A Lagos, le concert des Slimmen s’était achevé avec la participation surprise d’Elton John. Trois mille Nigérians reprenaient le refrain.

Joanna March avait grossi. Elle attendait une fille, prénommée Chana. Le procès Valdeo n’aurait pas lieu. Un arrangement avait été trouvé, l’heptachloran avait été retiré du marché. Prior avait acheté une maison de cent hectares en Nouvelle-Zélande.

Aby aurait voulu continuer à correspondre avec Joanna June mais elle avait refusé de maintenir un lien. Elle avait rencontré quelqu’un au Bureau, un expert du trafic d’art.

Sophia, Liam et Avril avaient quitté leur maison d’Howard Beach. Les June s’étaient installés à Akron, près de Cleveland, les March à Louisville. Chez les deux Liam, la colère était retombée.

Plus personne ne recherchait Blake.

André March s’était installé dans sa nouvelle maison de Montjoux. Il avait rencontré une contrebassiste. Ce matin-là, Lucie l’avait appelé. Elle allait bien.

Le garçon n’était pas mécontent que son autre mère « Lucie June » soit enceinte.

Adrian et Meredith étaient à Venise, bloqués par l’acqua alta.

En septembre, le département de la Défense avait mis fin au protocole 42 pour se concentrer sur l’opération « Hermès ». Les Américains n’avaient pas appris l’existence de cet autre avion en Chine. On était sans nouvelles de ses occupants.

A Quantico, Jamy Pudlowski avait validé le dernier plan de protection des passagers du 006 et avait obtenu sa mutation à San Francisco.

La caméra du Super Hornet suivait la trajectoire le l’AIM 120. Le président des États-Unis observait l’écran. La décision était difficile à prendre. « Lorsqu’il a appris qu’un troisième vol Air France 006 avait surgi dans le ciel atlantique, avec aux commandes le même commandant Markle, assisté du même Favereaux, avec à son bord les mêmes passagers, le président a ordonné la destruction de l’appareil. On ne peut tout de même pas laisser se reposer ce même avion, encore et encore. » (396)

Victor avait pris un dernier café et il avait embrassé Anne.

Le missile était à une seconde de l’avion et le temps s’étirait.

2. Critique.

« Aucun auteur n’écrit le livre du lecteur, aucun lecteur ne lit le livre de l’auteur. Le point final, à la limite, peut leur être commun. » L’anomalie, Victør Miesel

Ce roman, de trente-quatre chapitres est divisé en trois parties. La première partie, « Aussi noir que le ciel » (mars-juin 2021), composée de treize chapitres présente une galerie de personnages qui s’avèreront être les passagers ou le personnel de l’avion ou des scientifiques intervenant sur la base de McGuire où l’avion est retenu. Elle relate l’événement aérien et l’arrivée de l’avion après son « détournement » par les autorités américaines. La seconde partie, intitulée « La vie est un songe », est la plus courte (huit chapitres). Elle est centrée sur ce qui se passe entre le 24 et le 26 juin 2021, essentiellement autour de la rétention des passagers et de l’avion sur la base. Outre les « prisonniers », on découvre un certain nombre de représentants de l’État, de la science, des religions. La dernière partie, enfin, « La chanson du néant », qui prolonge la chronologie (après le 26 juin 2021), décrit en treize nouveaux chapitres, tout ce qu’il advient après la « libération » des passagers et notamment la confrontation entre les passagers de juin et leurs doubles de mars.

Dans ce récit, les personnages peuvent être classés en trois catégories :

  • A un premier niveau, ceux qui étaient dans l’avion et sont amenés à faire face à leurs doubles : le commandant Markle, le copilote Gidéon Favereaux, le mystérieux Blake, Lucie Bogaert et André Frédéric Vannier, Avril Kleffman et ses enfants, Liam et Sophia, Joanna Sarah Woods, Femi Ahmed Kaduna, alias Slimboy et Adriana Becker (évoquée au chapitre 14 mais surtout au chapitre 30).
  • A un second niveau, ceux qui interviennent autour de « l’affaire du vol Air France 006 » en tant qu’autorités militaires, scientifiques ou experts psychologues : le général Patrick Silveria, représentant du secrétaire de la Défense, Adrian Miller, mathématicien probabiliste, Meredith Harper, mathématicienne topologue britannique, Tina Brewster-Wang, conceptrice avec Adrian du protocole 42, Luther Davis, commandant aux opérations spéciales de la F.A.A., Kathryn Bloomfield du Norad, l’agent senior Gloria Lopez du FBI,  l’agent spécial Julius Walker et les deux aspirants Jonathan Wayne et Anna Steinbeck, Marcus Cox de la CIA, le général Buchanan, commandant de la base McGuire, Jamy Pudlowski, officier du FBI, responsable des opérations psychologiques, Brian Mitnick de la NSA, John Butler, de l’USS Harry S . Truman, Ricardo Bertoni, physicien, Arch Wesley, de l’université Columbia… ainsi que les présidents Donald Trump, Emmanuel Macron et Xi Jinping.
  • A un dernier niveau enfin, les personnages dits secondaires qui gravitent autour de tel ou tel protagoniste (mentionné entre parenthèses) : Flora, Mathilde et Quentin (femme et enfants de Jo, alias Blake), Louis (fils de Lucie Bogaert), Armand Mélois (dirigeant du contre-espionnage français, ancien condisciple et ami d’André Vannier), Jeanne (fille d’André), le commissaire Maupas (venu arrêter Lucie), Paul Markle, médecin, frère de David Markle), Jody (femme de David),  Grace et Benjamin (leurs enfants), le lieutenant Clark Kleffman (mari d’Avril, père de Liam et Sophia), Thompson (collègue de Kleffman en Irak), Heather Chapman, officier du FBI, venue arrêter les Kleffman, Prior, CEO de Valdeo, Aby Wasserman (compagnon de Joanna Woods), Ellen (sœur de Joanna), Clémence Balmer, éditrice et amie de Victor Miesel, Ilena Leskova (ex- petite amie de Victor), Ugo Darchini et Renata (représentant italien à Lagos et sa fille), Hélène Charrier (consule de France à Lagos), Swahila Opdiaka (attachée culturelle française à Lagos), Suomi (fiancée « officielle » de Slimboy), Tom (amant de Slimboy, brûlé vif par la foule), John Gray (attaché commercial et espion à Lagos), Robert Pozzi (professeur au MIT), Ben Sliney (directeur des opérations de la FAA le 11 septembre 2001), Nielsen (collaborateur de Vannier à Mumbai), deux cardinaux, deux rabbins (un traditionaliste et un libéral), un pope orthodoxe, un pasteur luthérien, un autre baptiste, un apôtre mormon, trois doctes musulmans (issus du sunnisme, du salafisme et du chiisme) un moine bouddhiste vajrayāna et un autre mahayana, Gina (fille du général Silveria), Jennifer (secrétaire de Trump), Andrew Wiley porte-parole de l’armée de l’air, François Bertrand (porte-parole d’Air France), Jenna White, directrice de la communication de la Maison Blanche, Jacques Liévin (attaché commercial au consulat de France à New York), Elaine Quijano de CBS Evening News, Grimal, sous-directeur du contre-espionnage français, Cédric Villani, conseiller scientifique d’Emmanuel Macron, Elton John, Doctor Drake,  Adawele Shehu (spécialiste des recherches des personnes disparues à Lagos), le père d’Aby Wasserman, Raphaël (amant de Lucie), Joséphine Mikaleff, psychologue, Stephen Colbert, présentateur du Late Show de CBS, Oscar (frère d’Adriana Becker) et leurs parents, Jacob Evans, fanatique chrétien assassin d’Adriana Becker, le révérend Robert, Anne Vasseur (journaliste aimée par Victor Miesel), Philomède, philosophe français, Chana, fille de Joanna… et beaucoup d’autres.

La structure ternaire du roman présente comme un effet de pont qui réunit la première et la troisième partie, la seconde étant en quelque sorte la justification mécanique ou optique qui permet de passer de l’un à l’autre. Les personnages uniques de la première partie, présents dans le vol Air France 006, se trouvent par la magie romanesque ou par une duplication miraculeuse confrontés à leur double. Et le narrateur, observe, en scientifique, les réactions de chacun. Que ferions-nous si nous étions confrontés à un double de nous-mêmes ? Blake, le tueur à gages, présenté au chapitre 1, est tué par son double Blake June, dans une mise en scène à la Dexter : « Je suis toi, tu es moi. Ça fait beaucoup, on ne peut être deux. » Difficile en effet d’être deux quand on s’efforce d’être invisible. Victor Miesel, l’auteur de L’Anomalie, est le premier à être libéré de McGuire : il n’y avait aucun risque de confrontation avec son double puisque celui-ci s’est suicidé le 22 avril 2021, à midi, en tombant de son balcon (chapitre 2). Il a eu droit à une gloire littéraire posthume (à la fois Romain Gary et Jésus-Christ) qui a fait venir à lui des amis nouveaux. Mais si le premier Victor a passé son temps à chercher une femme, Anne Vasseur, entre-aperçue aux assises de la traduction d’Arles, il l’a retrouvée ensuite au point de penser qu’il ne s’était jamais senti aussi vivant : une résurrection à tous les sens du terme. Les relations entre Lucie Bogaert et André Vannier sont beaucoup moins sereines puisque tous les deux étaient dans l’avion qu’ils avaient pris ensemble avant de se séparer. Lucie avait quitté André, elle n’avait pas voulu partager son fils Louis avec le père. Elle voudra encore moins le partager avec une autre femme, fût-elle son double. Dès le début, la guerre est totale. L’enfant suggère de choisir en tirant les dés (chapitre 28). André March, après avoir renoncé à Lucie, se retire de sa société d’architecte. Il s’installe dans un vieux relais de poste de Montjoux. Entre les deux Joanna, les relations sont aussi conflictuelles. Joanna a rêvé de tuer son double. Alors que Joanna Wasserman, avocate chez Denton& Lovell, attend une petite Chana, enfant d’Aby, son double devient Joanna Ashbury, conseillère à la direction juridique du FBI, Wasser vs Ashes (« l’eau » et « la cendre ») (chapitre 33). Toute autre est la relation entre les deux Adriana qu’on découvre tardivement au chapitre 30. Devant les caméras du Late Show, les deux jeunes femmes avouent ne pas être rivales. Adriana March, cependant, a entamé une relation avec Nolan alors que Adriana June est célibataire. Et leur mère commune se demande s’il n’y en a pas une « fausse ». Les deux femmes sont réunies finalement dans la mort par le meurtre perpétré par Jacob Evans au chapitre 31. Cette double mort concerne aussi David Markle. En octobre 2021, Jody perd son « mari » d’un cancer du pancréas pour la deuxième fois.  Une issue tout aussi singulière concerne Femi Ahmed Kaduna. Alors qu’au Nigéria et dans de nombreux pays africains, les jumeaux sont maudits et pourchassés, Slimboy transforme son double en frère jumeau et avec lui fonde le groupe Slimmen. Le choc des doubles provoque aussi d’autres effets inattendus et salutaires. Au chapitre 24, alors que les deux Sophia jouent ensemble, Sophia June laisse échapper un « A toi aussi, papa t’a fait jurer de ne pas dire quelque chose à personne, et surtout pas à maman ? » (chapitre 24) qui sera le révélateur du secret : à Paris et à Howard Beach, la petite était abusée par son père. Il y avait deux cent quarante-trois personnes à bord de cet avion, on peut imaginer beaucoup d’autres possibilités de confrontation entre les deux clones. Qui ne s’accepte pas soi-même, accepte difficilement l’autre, même s’il lui ressemble (ou peut-être justement PARCE QU’il lui ressemble). « Je est un autre », écrivait Arthur Rimbaud.

Cet aspect psychologique, voire psychanalytique du roman est un de ceux qui m’a le plus intéressé probablement parce qu’il s’approche le plus d’un roman traditionnel d’analyse, malgré le subterfuge de la duplication. Tout le début du roman m’a aussi passionné comme un roman d’aventures dont on espère une résolution réaliste. A la manière de Balzac, le narrateur prend le temps de nous présenter la biographie d’un certain nombre de protagonistes, passagers ou personnel du vol Air France pour qu’on s’y attache et il introduit un élément « perturbateur » (pas seulement au plan météorologique mais aussi au plan narratologique) : l’orage dans le ciel. La mobilisation de toute la matière grise de la première puissance mondiale et siège de l’industrie cinématographique hollywoodienne, nous laisse tout naturellement espérer une explication d’autant plus impressionnante et spectaculaire que différée et complexifiée. Il y a certainement une explication à tout ça qui tranchera le nœud gordien. Mais au lieu de s’acheminer vers Agatha Christie, on commence à traverser une zone de hautes turbulences autant que le Boeing 787 et l’on manque de s’écraser avant d’atterrir à la fin du roman. Passons sur le langage aéronautique que l’on survole facilement. Mais quand arrive le chapitre 15, on a bien du mal à suivre les théories du « trou de ver », de « la photocopieuse » ou « l’hypothèse Bostrom » sur la simulation et la programmation. L’auteur, rompu au raisonnement scientifique semble alors avoir abandonné son lecteur pour communier avec ces savants dans leurs raisonnements ésotériques et leur langage mystérieux. Descartes 2.0 est bien loin du rationalisme à la française. On n’est guère plus avancé en assistant de loin aux controverses théologiques du chapitre 17 entre les différents représentants des religions. Et surtout toutes ces « tempêtes de cerveaux » ne nous apportent guère de réponse à l’énigme de ces deux avions. Le propre du roman fantastique est de ne pas choisir entre une explication réaliste et une interprétation surnaturelle. Mais l’on a bien du mal, ici, à concevoir cette solution confortable pour l’esprit qu’est la résolution rationnelle. Ou alors, il faut accepter que ce Goncourt qui s’amuse décidément à brouiller les pistes relève peut-être autant de la science-fiction que du blockbuster haletant. J’emprunte ici une partie de l’interview d’Hervé Le Tellier parue sur le site Numerama Hervé Le Tellier, L’Anomalie : « J’ai toujours aimé la science-fiction »  

Votre roman pose justement la question du genre littéraire. Alors : L’Anomalie, c’est de la science-fiction ?

Cela ne me dérange pas qu’on dise que c’est de la science-fiction, car de la part d’un amateur de SF, cela veut dire qu’il retrouve son univers de références. Mais ce que j’ai voulu proposer avant tout, c’est une expérience de pensée : qu’est-ce que je ferais si j’étais confronté à moi-même ? C’est la science-fiction qui permet ce questionnement. Être matériellement confronté à soi-même suppose qu’il se passe un événement avec de la science et de la fiction. Cette question est même déjà présente dans la science-fiction — Philip K Dick, Lovecraft, HG Wells ont créé des univers où les questions sont philosophiques et que tout le monde peut se poser. Et moi, je pose finalement des questions du Bac. Peut-on se fier à ses sens ? Qu’est-ce que l’individualité ? Qu’est-ce qui nous constitue ? Est-ce qu’on est la somme de nos actes, à la façon de Sartre ? Je crois qu’on est aussi la somme de nos secrets. L’essentialité des individus, c’est aussi ce qu’on cache aux autres. La question peut être réglée partiellement avec la confrontation avec soi. J’ai toujours aimé la science-fiction. C’est pour cela que l’idée que ce soit de la SF ne me déplaît pas, car je le considère comme un compliment. Mais ce qui me préoccupait était surtout ces questions essentielles — comment valider l’idée même qu’on existe. Lacan disait que la réalité, c’est quand on se cogne. Mais quelle est la différence entre se cogner vraiment ou non ? Dans les jeux vidéo, les personnages se cognent aussi !

Si l’on part du postulat que la réalité n’existe pas et que tout est programmation, duplication, multiplication, simulation, extrapolation, n’est-ce pas revenir à des temps obsolètes que de se raccrocher à des schémas univoques. Le roman français, en particulier, né aux lendemains des lumières a consolidé pour longtemps ses assises réalistes et naturalistes jusqu’au XXIe siècle.

D’ailleurs, l’auteur nous avait prévenu dès le début : « Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence et même le génie, c’est l’incompréhension. » L’Anomalie, Victør Miesel. Or si le lecteur lambda admire souvent la connaissance, l’intelligence et le génie dans l’art en général et dans la littérature en particulier, ce qui le gêne le plus, c’est bien l’incompréhension. Face à ce sentiment, les réactions sont souvent contrastées : les uns rejettent violemment ce qu’ils ne comprennent pas au nom de concepts hétérogènes comme l’ennui, l’absurdité, la maladresse, l’obscurité, l’abscondité, la déception, la confusion, l’invraisemblance, la prétention. En témoignent de nombreuses réactions critiques sur internet (https://www.babelio.com/livres/Le-Tellier-LAnomalie/1239773#! ) de lecteurs qui n’ont pas pu aller au bout de ce roman. Il est vrai que si le roman est souvent animé par les principes de plaisir, d’identification et de compréhension, un tel récit peut désarçonner. Et après tout le lecteur a tous les droits. Et l’auteur, lui-même s’amuse à augmenter le trouble par une forme d’autodérision. Ainsi quand Victor Miesel découvre L’Anomalie, il pose ce jugement rédhibitoire : « C’est du Jankélévitch sous LSD. Un autre moi. Je n’en avais pas écrit une ligne avant mon départ pour New York. » (326) Or L’Anomalie est aussi le titre même du roman de Le Tellier, un titre subversif qui ne s’applique pas qu’à l’avion. D’autres lecteurs tout aussi radicaux crieront probablement au génie pour des raisons diamétralement opposés. « Quand les événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs », disait Jean Cocteau. Il faut parfois admirer pour ne pas avouer son incompréhension. Entre les deux, on peut concéder que les choses ne sont pas incompréhensibles parce que nous ne les comprenons pas totalement, et que la qualité d’une œuvre peut échapper à sa maîtrise complète. Dans ce débat sur l’intelligence du roman il convient de rappeler qui est Hervé Le Tellier (sources Wikipédia) : auteur de romans, nouvelles, poésies, théâtre, Hervé Le Tellier a été coopté à l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) en 1992, et a publié sur l'Ouvroir un ouvrage de référence, Esthétique de l’Oulipo. Il en est depuis 2019 le président, le quatrième depuis la fondation de l’Ouvroir. Il a participé à l'aventure de la série « Le Poulpe », avec un roman, La Disparition de Perek, titré en hommage à La Disparition, et adapté également en bande dessinée. Mathématicien de formation, puis journaliste — diplômé du Centre de formation des journalistes à Paris (promotion 1983) —, il est docteur en linguistique et spécialiste des littératures à contraintes. Il ne faut pas exclure le jeu, le défi, la contrainte et l’exploration de nouvelles potentialités dans la singularité de ce roman. Cette mise en abyme du roman à la manière des Faux-Monnayeurs d’André Gide n’est pas le moindre intérêt de ce roman qui parle d’« anomalie » et rencontre la consécration la plus normative avec le prix Goncourt !

L’OULIPO nous amène tout naturellement à évoquer Georges Perec et deux de ces œuvres les plus connus La disparition et la Vie mode d’emploi. (le chiffre de 106 jours est un clin d’œil à Perec : duplication du chiffre 53 : 53 jours, livre inachevé de Perec au moment de sa mort) Ces deux titres pourraient s’appliquer à ce récit. Disparition de l’avion et réflexion existentielle. On a déjà développé la confrontation des protagonistes avec leurs doubles. A travers eux, ce sont de nombreux thèmes sociologiques, philosophiques et théologiques qui sont abordés : la pédophilie avec l’histoire de Sophia et de son père, la répression de l’homosexualité en Afrique à travers l’exemple de Slimboy, les actions collectives contre les pesticides et les industries pharmaceutiques (qui nous rappellent les affaires Monsanto et Mediator) avec l’heptachloran et Valdeo, le fanatisme religieux qu’il prenne les formes de l’obscurantisme en Afrique ou de la violence aux États-Unis, l’antisémitisme à travers le personnage d’Aby Wasserman et son grand-père, rescapé d’Auschwitz,  le racisme sous-jacent dans la condescendance de Prior envers son avocate noire Joanna Woods, l’hypocrisie dans le milieu littéraire, le sensationnalisme des chaînes d’information continu à travers l’exemple du Late show de CBS.  La mention de cet avion et de la ville de New York fait aussi penser inévitablement au 11 septembre 2001, évoqué au chapitre 10 : « Bien avant la conclusion officielle de la 9/11 Commission, le Pentagone sait que ce jour-là, tout, dans la chaîne de décision, a dysfonctionné » (124). Les protocoles conçus par Adrian Miller étaient d’ailleurs censés parer à toutes les éventualités d’événements aériens. Ajoutons que roman publié en 2020 peut également trouver un écho avec la crise du Covid qui a conduit au confinement (en quelque sorte les passagers du vol Air France subissent un confinement analogue qui les oblige à se remettre en question). Accessoirement, Hervé Le Tellier s’amuse à nous faire les portraits de trois dirigeants politiques bien connus : « ce petit connard arrogant » est le président français vu par… Donald Trump. Il n’est pas nommé mais la caricature est explicite : « Le président américain reste bouche ouverte, présentant une forte ressemblance avec un gros mérou à perruque blonde. »  En ce qui concerne les méthodes du dirigeant chinois, elles sont clairement expliquées au chapitre 20 « quelques présidents » : rétention d’informations, espionnage, arrestations arbitraires.

Roman policier, roman d’aventures, roman de science-fiction, roman d’analyse psychologique et sociologique, pastiche littéraire et œuvre sous contrainte, roman drôle et difficile, léger et grave, L’Anomalie est un livre déroutant, parfois obscur mais aussi passionnant et intéressant qui assurément ne laisse pas indifférent. Il nous réserve une ultime surprise à la fin. Alors qu’on pense l’incident clos avec la levée du protocole 42, un nouveau rebondissement se produit : « Lorsqu’il a appris qu’un troisième vol Air France 006 avait surgi dans le ciel atlantique, avec aux commandes le même commandant Markle, assisté du même Favereaux, avec à son bord les mêmes passagers, le président a ordonné la destruction de l’appareil. On ne peut tout de même pas laisser se reposer ce même avion, encore et encore. » (396)

 

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